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Pour Rose Dujaux, talentueuse graphiste en free-lance, les vacances sont synonymes de détente. Du moins, en théorie... Parce que rien ne va plus depuis que la jeune femme découvre l'énigmatique château de Montbrun, dans la Haute-Vienne. Une forteresse médiévale recélant bien des secrets et que, tout aussi mystérieusement, Rose parvient à entrevoir. Est-elle victime d'hallucinations ? A-t-elle des visions ? À moins qu'elle ne croie devenir folle. Surtout depuis qu'elle a croisé Tom dans le parc du château. En compagnie de cet homme qui ne la laisse pas indifférente, Rose découvrira que les secrets les plus prégnants entourant un couple maudit ne résident pas dans la mémoire des lieux... Mais bel et bien à travers celles et ceux qui s'en souviennent aujourd'hui encore. Aux prises avec un passé révolu, Rose pourrait finir par comprendre que, par delà le Temps, l'Amour n'oublie jamais. Réécriture de la toute première nouvelle de l'écrivaine, "Souvenirs à Fleur de Peau" est une romance auréolée d'autant de passions que de mystères enivrants.
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Seitenzahl: 252
Veröffentlichungsjahr: 2021
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TRILOGIE DRACONIA
1. Sous le Sceau du Dragon
2. Le Glaive de la Liberté
3. Entre Ombre & Ténèbres
Errances
CETTE HISTOIRE EST ÉGALEMENT DISPONIBLE EN FORMAT NUMÉRIQUE
Au cas où vous souhaiteriez nimber ces mots d’une émotion supplémentaire incitant au lâcher-prise, essayez donc les musiques qui m’ont accompagnée pendant la rédaction de cette histoire.
Bandes originales de films :
Bram Stoker's Dracula, de Wojciech Kilar - Écoutez The Brides en boucle avec la lecture du chapitre 13. Mise en ambiance garantie.
W. E. d’Abel Korzeniowski
Du piano, bien sûr :
Passacaglia, d’Händel Halvorsen
Sonate en sol mineur, de Jean-Sébastien Bach (par Luo Ni)
Adagio en sol mineur, de Tomasco Albinoni
The Heart asks Pleasure First, de Michael Nyman
Two Steps From Hell :
Prelude to a Nightmare, Love Suspended, Little Ben, Undying Love
À vous qui savez que le véritable
Amour peut traverser le Temps pour apaiser
les cœurs meurtris.
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
RENCONTRE
Chapitre 6
ENSEMBLE
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
PASSIONS
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Tracing the trails through the mirrors of time
Spinning in circles with riddles in rhyme
We lose our way, trying to find
Searching to find our way home
Trying to find our way home
Sans même m’en rendre compte, je m’étais mise à fredonner cette chanson aux relents nostalgiques de Blackmore’s Night, comme celle que j’écoutais : Where are we going from here ? À me demander pourquoi j’avais opté pour ce groupe et son registre aux consonances médiévales parmi mes playlists pop-rock habituelles. Qui sait… Peut-être une envie d’autre chose au niveau musical, durant ces vacances.
Les vacances.
Ce simple mot était déjà riche de promesses de farniente enfin méritées pour la plupart des salariés bénéficiant en toute quiétude de leurs congés payés. Sauf qu’il en va autrement pour les professions libérales dont, très bizarrement, je faisais partie. Étant graphiste en free-lance, je pouvais me considérer comme ma propre patronne, libre de décider de mon emploi du temps. L’idée étant de réussir à se couper de ses obligations suffisamment longtemps pour plus qu’un simple week-end. Il fallait en plus qu’un autre facteur soit au vert : le planning, mais aussi les finances.
Par chance, je venais de terminer une importante commande pour mon client fétiche, une maison d’édition spécialisée dans la littérature de l’imaginaire, tous genres confondus. Trois couvertures complètes pour une trilogie dans un style Bit-Lit publiée aux USA et récemment traduite dans la langue de Molière. L’éditeur voulait donner un nouveau visuel aux trois livres, assez différents de ceux choisis pour les versions originales. Ce qui faisait mon affaire, tout en garnissant encore plus mon carnet de commandes pour cette année. Par chance, le projet m’a été confié.
Trêve de boulot ! J’avais déplacé mes engagements les moins urgents pour la fin du mois, après mon retour dans la grisaille de la région parisienne. Dans l’immédiat, je profitais de l’air frais printanier du Limousin.
Jusqu’ici, j’avais surtout visité Limoges en solo, orientée par le bon vieux pifomètre ainsi qu’un petit guide touristique acheté à la gare d’Austerlitz au moment du départ. Sauf qu’il était dommage de venir dans ce genre de région pour ne pas s’aventurer hors de la ville. L’occasion de profiter des visites guidées, d’autant plus qu’elles comprenaient les trajets, ce qui ôtait une épine du pied tant certains coins étaient reculés dans l’arrière-pays.
J’étais donc dans un minibus pouvant contenir jusqu’à une quinzaine de personnes, en incluant le chauffeur, qui faisait aussi office d’accompagnateur.
Dournazac aurait pu être un patelin fleurant bon l’air iodé de la Bretagne, à ceci près qu’il se trouvait à plus d’une trentaine de kilomètres de Limoges, dans le département de la Haute-Vienne. Bien loin du littoral armoricain.
Parmi les lieux et monuments du coin, il y avait l’église Saint-Sulpice qui n’avait rien à voir avec son homonyme parisien. J’aurais bien aimé visiter l’Abbaye de Tavaud, datant du XIIe siècle, mais j’avais jeté mon dévolu sur le château de Montbrun. Une forteresse médiévale de style roman qui m’intriguait au plus haut point. Exit donc l’édifice tape-à-l’œil de Versailles ou les palais comme à Chenonceaux ! J’étais plus à la recherche d’une bâtisse évoquant les châteaux forts aux épaisses fortifications crénelées et, à en croire les quelques photos glanées sur Internet, j’allais être servie.
En attendant, nous en avions pour trois quarts d’heure de trajet avant d’y parvenir. Ce qui laissait tout le temps de profiter du paysage. Quand la route me semblait interminable, je me replongeais un instant dans ma lecture du moment ; la trilogie dont j’avais fait les illustrations de couverture. L’éditeur m’en avait envoyé des copies numériques en avant-première pour que je puisse m’inspirer de l’ambiance. Sauf que le genre Bit-Lit ne me plaisait pas trop à cause des clichés dont l’autrice avait usé, sinon abusé. L’héroïne était l’archétype même de la femme ultra sexy et forte, mais au passé fracturé d’un traumatisme qui allait immanquablement compliquer l’intrigue. Elle rencontrerait un super beau mec et ils ne pourraient pas se piffrer d’entrée de jeu. À ce stade de l’histoire, cousue d’un fil blanc flashy, il y aurait la première d’une longue série de parties de jambes en l’air au cours des dix premiers chapitres. Sans oublier quelques meurtres bien sanguinolents et que ladite bombe sexuelle masculine serait un vampire. Séduisant, plein aux as, et doté d’une libido excessive, de surcroît.
Je soupirais de dépit. Si les trois romans étaient de cet acabit, je n’allais pas tarder à me lasser dès le premier tome.
J’aimerais bien, pour une fois, tomber sur une intrigue dans laquelle le vampire serait laid à faire peur, fauché comme les blés, et atteint d’hématophobie ! Imaginez un peu, un vampire qui aurait la trouille du sang…
L’idée me faisait déjà marrer !
D’un autre côté, je n’avais pas dans l’habitude de lire des romans de vampires, hormis quelques exceptions. Le terrifiant Salem de Stephen King en faisait partie pour avoir empli d’effroi mes nuits de lecture, à l’adolescence. Ensuite, plus rien du côté des impitoyables suceurs d’hémoglobine -mis à part les moustiques- jusqu’à l’étrange De fièvre et de sang de Cédric Sire. Un thriller surnaturel inspiré de la légendaire comtesse de Báthory, qui était à l’origine même du mythe. Le genre de lecture qui m’avait fait craindre des profusions sanguinolentes rien qu’en allumant ma liseuse. Ma dernière lecture en date avait été un dytique écrit par David Khara mettant en scène l’amitié improbable entre un flic new-yorkais anéanti par les attentats du 11 septembre et un vampire énigmatique issu de la Guerre de Sécession. Une bien agréable découverte livresque qui avait eu le mérite de renouveler le genre.
Cette fois, nous avions quitté la départementale pour suivre de petites routes à une voie, en pleine campagne. De celles qui donnent l’impression d’un voyage hors du temps, loin de l’urbanisme à outrance du XXIe siècle. Heureusement, notre véhicule avait la place de circuler, mais la rencontre d’une voiture arrivant en face occasionnait parfois des manœuvres pour que tout le monde puisse passer sans dommage.
De mon côté, j’avais abaissé ma fenêtre pour profiter autant de la vue sur les étendues sylvestres abondantes que pour m’enivrer de l’air doux embaumé après une nuit de pluie. Merveilleuse odeur.
À l’intersection suivante, un panneau fléché mentionnait les lieux les plus proches : le village de La Chapelle-Montbrandeix, mais aussi Le Grand Puyconnieux et, notre destination, le château de Montbrun.
Il m’était impossible de me concentrer sur quoi que ce soit d’autre que la route que nous arpentions à travers champs et forêts où quelques bâtisses et maisons de pierres nous invitaient à elles seules à un voyage dans le passé. Il était même plaisant de s’imaginer dans une calèche tractée par de puissants chevaux sur les chemins cahotants. Dommage que le GPS vint interrompre cette escapade onirique en annonçant d’une voix atone que nous étions sur la rue de Montbrun. Ce qu’un petit panneau noir avec le terme « Montbrun » écrit en blanc confirma quelques kilomètres après.
Le château ne serait plus très loin.
Une insolite impression de déjà-vu me tenaillait tandis que l’édifice m’apparut dans son ensemble. Un trouble qui se mua en une certitude dès que je le vis de mes propres yeux… mais sans parvenir à me rappeler à quel moment je serais venue en ces lieux.
Le minibus se gara près d’une taverne au lettrage gothique sur les murs en pierres, juste en face du portail menant au château. Il faudrait faire le reste du trajet à pieds, mais il n’y avait pas loin à aller.
Nous étions arrivés.
Une fois descendus, nous étions ravis de pouvoir nous dégourdir les jambes. Le chauffeur vint prendre la parole.
— Nous allons rejoindre l’entrée où Marthe, notre guide, nous fera la visite des lieux. Elle y travaille depuis plusieurs décennies et connaît l’endroit mieux que quiconque. Vous pouvez me croire, personne n’a encore réussi à la surpasser à ce niveau-là. Nous irons déjeuner ici avant de marquer une pause. En suivant un peu la route du château, il est possible de prendre de belles photos, avec vue sur la forêt et le plan d’eau, mais ce ne sera pas pour tout de suite.
La tirade de notre guide fut interrompue par le puissant vrombissement d’une moto lancée à vive allure. Celle-ci finit par ralentir pour venir se garer près de notre véhicule. C’était une Harley-Davidson sublime, noire et chromée, apparemment entretenue avec dévotion. Vêtu d’un jean et d’un blouson en cuir de même couleur, le motard ôta son casque en ébouriffant son épaisse chevelure poivre et sel avant de rejoindre le guide de notre petit groupe. Il portait un pull noir ajusté ainsi que des bagues argentées qui brillaient à ses doigts. Autant dire que son arrivée n’était pas passée inaperçue. Du moins, pour les autres parce que personnellement, mes yeux s’étaient à nouveau rivés à ce qui ressemblait à une forteresse. Je n’entendis guère ce qui fut expliqué après, si ce n’est que le nouvel arrivant venait de m’assener une légère secousse à l’épaule pour me ramener au moment présent.
— Apparemment, c’est là-bas que ça se passe.
Puis, il s’éloigna pour suivre d’un pas nonchalant ceux qui s’étaient mis en route derrière notre guide.
— Merci bien, grommelai-je, un brin vexée d’avoir été apostrophée de la sorte.
Je rajustais la bandoulière de mon sac besace pour ne pas me retrouver à la traîne, comme cela m’arrivait souvent.
Nous franchîmes le portail, constitué de pierres grises et d’une clôture métallique. Le montant gauche était orné de la plaque blanche avec l’emblème des Monuments historiques auquel le château était rattaché.
Au moment de passer à proximité, l’image de deux statuettes claires représentant chacune un oiseau aux ailes déployées s’imposa à mon esprit.
À ceci près qu’il n’y en avait pas.
Vraiment bizarre… songeais-je un peu étonnée d’avoir des hallucinations.
Je me grattais un instant la nuque avec perplexité. J’eus beau me retourner après avoir avancé sous l’ombre des arbres environnants, mais il n’y avait toujours pas de statues ailées au montant du portail.
Le petit groupe constitué par notre guide, accompagné du nouveau venu, se tenait devant le château où une femme nous attendait déjà. La soixantaine bien passée, sa longue chevelure poivre et sel se mêlait à quelques mèches châtaines. Elle portait un tee-shirt sur une ample jupe aux motifs fleuris élaborés, avec une chemise ouverte claire aux manches retroussées. J’aimais d’emblée la spontanéité de son sourire alors qu’elle nous souhaitait la bienvenue. Puis, elle nous invita à la suivre, non sans omettre de préciser avec malice :
— Sachez qu’il existe un second château du même nom, situé dans le Languedoc, en Haute-Garonne. Mais les deux ne se ressemblent pas, malgré leur datation commune, et pour cause : l’autre est tombé en ruines. Les murs encore debout sont envahis par la végétation. Pour en revenir au nôtre, notez qu’il fait partie des quatre sites du Limousin représentés dans le parc La France Miniature, dans les Yvelines.
Ce parc englobant cent sept monuments de France à l’échelle 1/30ème où j’étais allée avec ma sœur et mes deux nièces, il y a quelques années.
Le déclic : c’est là-bas que j’avais vu ce château !
Marthe ouvrit donc la marche d’un pas allègre pour nous faire contourner l’édifice imposant jusqu’à l’entrée. Rien que la tour sud-ouest, surmontée d’un haut-donjon carré couronné de mâchicoulis, était stupéfiante.
La herse massive avait été relevée et une épaisse porte à double battant nous donnait accès la cour intérieure dotée d’un puis. Les murailles paraissaient encore plus impressionnantes à cause de la proximité de deux tours volumineuses de part et d’autre du chemin entourant la forteresse. Au pied du mur, quelques bosquets d’hortensia apportaient une touche de vie à ces pierres inertes.
Avant de partir, j’ai eu un accès à des plans du château et, si ma mémoire n’était pas trop ramollie, nous étions entrés par la tour nord-est à gauche, non loin de celle de la chapelle, à droite de la porte.
En passant cet accès improbable issu d’un temps difficilement concevable à nos yeux, je me disais que les murs devaient faire un peu plus de trois mètres d’épaisseur.
Une fois dans l’enceinte du château, à l’instar des autres visiteurs, je laissais mon regard errer dans une vue panoramique. Si les lieux n’étaient pas très grands et que l’on pouvait s’y sentir à l’étroit, il fallait quand même se resituer dans un château fort du Moyen-âge et non dans la cité démentielle de Minas Tirith, dans le Gondor imaginaire de ce cher Tolkien.
Marthe attira notre attention en nous intéressant à l’histoire initiale des lieux. À savoir que le site avait été occupé bien avant le XIe siècle, comme en témoignait la haute motte castrale près de laquelle nous étions passés en arrivant, pareille à une fortification primitive du lieu. Quant au château à proprement parler, son édification débuta en 1180 par Aymeric Brun. Incendié et ruiné en 1385, il a été rebâti au XVe tel que nous le connaissons maintenant par Pierre Montbrun, évêque de Limoges, et dont la famille seigneuriale du comte de Montbrun fut la principale descendante. De la construction d’origine, il ne restait plus que le haut-donjon quadrangulaire surnommé « Grand Jacques. »
Avant de nous faire entrer dans le hall, Marthe tenait à nous rappeler le caractère particulier de ce château qui, loin de faire partie du patrimoine public français, était devenu une propriété privée ayant changé de possesseurs au fils du temps. La rénovation avait été commandée par M. Maarten Joost Lamers, originaire des Pays-Bas et de descendance celte. Les premiers occupants des lieux, quelque deux mille ans auparavant. Le chantier de remise en état fut colossal et avait duré neuf ans. Sauf qu’à l’heure actuelle, le domaine était à vendre, encore ouvert au public, en attendant l’arrivée d’un nouveau propriétaire.
Cette place forte avait été complètement modernisée, lui conférant son caractère médiéval tout en bénéficiant de toutes les dernières technologies et de standards très confortables. Ce qui constituait déjà une gageure compte tenu du strict respect des critères imposés par les instances des Monuments historiques. Outre l’eau courante, le téléphone et l’électricité, les lieux étaient dotés du chauffage par le sol, un réseau informatique et même le WiFi.
Dès cet instant, Marthe n’aurait rien eu à envier à un agent immobilier quand elle énonça les différentes pièces que comptait le domaine à vivre ; la cuisine où l’on pouvait préparer de véritables banquets pour une centaine d’invités, des chambres avec leur propre salle de bain, une chapelle privative, un salon de musique ouvert à des représentations dans l’année, la suite principale, deux salles dînatoires, une vaste bibliothèque et je crois avoir été plus ou moins larguée à l’évocation d’une salle de billard qui mit des étoiles dans les yeux de l’énigmatique motard. Marthe avait mentionné aussi la présence de deux ascenseurs et d’un jacuzzi. La classe ! Une façon comme une autre de s’offrir, dans tous les sens du terme, la vie de château. À condition d’avoir une petite vingtaine de millions d’euros de côté.
Nous commençâmes la visite par le salon, doté d’un piano qui me parut tout à fait extraordinaire. D’ailleurs, d’après notre accompagnateur, l’instrument aurait appartenu à Brahms. Rien que ça. Aux murs, les losanges dorés et argentés avaient eux aussi leur histoire, puisqu’il aura fallu pas moins de six mois de travail à une artisane finlandaise pour les restaurer, y compris dans la salle à manger attenante. Une vaste pièce en longueur où chaque chaise possédait le blason de toutes les familles propriétaires du château depuis le XIIe siècle à nos jours. L’esprit moyenâgeux restait très prégnant, avec tapisseries aux murs, des meubles vintage, et des armures en guise de vigiles des temps anciens pour compléter le tableau.
Les autres pièces étaient tout aussi saisissantes de ce respect historique que la rénovation avait tenté de restituer au mieux. Y compris dans une salle aux cloisons de pierres mises à nu où trônait une table massive en un assemblage de différentes nuances de marbre, entourée de chaises matelassées de motifs d’un bleu soutenu, et… ronde. Une longue épée y avait été disposée, la pointe tournée vers le centre.
— Tiens, m’étonnai-je, on dirait que la légende arthurienne a fait une halte ici.
— On pourrait dire ça, s’amusa Marthe en me rejoignant. Mais l’un des faits historiques les plus marquants à Montbrun est que Pierre Brun, le premier constructeur du château dirigeait avec le chevalier Pierre Basile la garnison de Châlus. C’est durant le siège de Châlus-Chabrol que Richard Cœur de Lion trouva la mort, après avoir été blessé d’un carreau d’arbalète. Même si l’Histoire officielle a gardé la date du 6 avril 1199 et que Richard serait décédé à Châlus-Chabrol, il aurait péri ici, à Montbrun.
— Trouvé la mort, trouvé la mort… C’est vite dit, énonçai-je. Qui nous prouve que quiconque ayant « trouvé la mort » la cherchait au départ ?
Certains visiteurs restèrent confus, contrairement à Marthe et le motard qui échangèrent un coup d’œil amusé. Ils devaient s’imaginer aussi ce roi fouillant partout autour de lui en disant « Ouhou, la mort, où es-tu ? » Dommage que notre guide, impitoyable, mit fin à ce petit jeu espiègle.
— Généralement, quand on part à la guerre, il faut s’attendre à risquer de mourir.
Haussant les épaules, je décidais de continuer la visite.
À cette occasion, j’appris que le motard que je croyais scénariste pour la série Sons of Anarchy était en réalité un romancier qui avait déjà une quinzaine de titres à son actif. Son nom ? Nathaniel Leloup. Un patronyme qui aurait été très vendeur sur la couverture d’un thriller, tant il inspirait une certaine crainte à lui seul. Il était en pleine phase de recherches pour un nouveau bouquin à connotation historique autour de la Révolution. Il souhaitait avoir accès à la bibliothèque qui renfermait quatre mille ouvrages et, espérait-il, les ultimes vestiges des archives du château. Un vœu qui serait peut-être exaucé après les heures de visites de la journée.
Alors que nous arpentions l’une des salles à manger, avec une table et huit chaises massives, et que nous contemplions la tapisserie qui occupait presque tout le mur, juste au-dessus d’un sous bassement en bois ouvragé ; un voile passa devant mes yeux et je dus m’arrêter un instant pour m’assurer de ce que j’avais vu. Ou ce que j’avais cru discerner, car, durant ce bref flottement, l’agencement des lieux m’était apparu assez différent de ce qui avait été fait lors des travaux. Cela n’avait rien à voir avec une quelconque fantaisie d’améliorer la décoration, mais plus comme si un lointain souvenir venait de refaire surface.
Beaucoup louèrent l’ampleur de la tâche qui avait été accomplie afin d'obtenir un résultat pareil sans dénaturer le caractère originel d’un château du XVe siècle. Sauf que moi, j’avais l’impression de savoir comment c’était en réalité, à cette époque.
Un trouble étrange qui se poursuivit aussi une fois que nous fûmes arrivés dans la cuisine. Faute de documents d’archives pour aider à la restauration, une tout autre installation avait été élaborée, à partir d’éléments rustiques propres à la région limousine et qui sonneraient le plus cachère avec un château pareil. S’il fallait admettre que le résultat était convaincant, il n’en était pas moins éloigné de la réalité historique qui apparaissait devant mes yeux, en surimpression quasi systémique.
Dans l’une des nombreuses chambres, j’étais en pleine fascination pour la manière astucieuse dont une douche carrelée et un lavabo avaient été dissimulés dans des armoires boisées dont le style s’accordait à merveille avec l’ambiance médiévale du lit à baldaquin avec un motif raffiné aux tentures et sur une épaisse courtepointe. En face, il y avait une table avec un échiquier et une paire de chaises. Tentante invitation à engager une partie durant les soirées d’hiver.
Moi qui n’avais jamais joué aux échecs, je contemplais ce jeu avec la très nette impression d’en connaître les spécificités dans les moindres détails. Même la sensation des pièces au bout de mes doigts m’était familière. Sur ce constat quelque peu perturbant, je relevais les yeux sur le mobilier pour me rendre compte que, à l’instar d’autres salles du château, tout n’était pas fidèle à mon souvenir.
D’où me venait une telle certitude ? Ça n’avait aucun sens !
Tout comme je savais qui avait été l’un des occupants de cette chambre. Non seulement j’étais sûre de connaître son nom, mais aussi de l’avoir vu en ces lieux.
Vraiment n’importe quoi ! m’emportai-je en quittant la pièce.
Toutefois, le coup de grâce me fut assené alors que nous étions dans la tour nord-est. J’avais eu la surprise de ma vie en constatant que nous venions d’aboutir dans ce qui ne pouvait être qu’une réplique d’un cabinet d’apothicaire. Même Nathaniel en resta bouche bée face à cette réplique assez fidèle d’une pièce qui aurait pu être occupée par un herboriste. L’ancêtre médiéval de la médecine, en somme. Devant notre surprise clairement affichée, Marthe eut un petit rire, comme à chaque fois que les visiteurs arrivaient à cet endroit, dont il n’existait aucune photo sur Internet.
— Soyez les bienvenus dans ce qui pourrait être considéré comme le domaine thérapeutique du château. Il y avait du personnel soignant, en l’absence de cabinet médical dans les environs, à cette époque. Ils étaient généralement deux : un maître et son apprenti à officier ici.
Deux des murs étaient occupés par des étagères en bois ressemblant à du noyer, encombrées d’une multitude de jarres en verre, toutes emplies d’herbes et autres plantes séchées dont les étiquettes arboraient différents noms latins qui ne manquèrent pas de me donner le tournis. Des vitrines abritaient des préparations que je reconnus comme étant des onguents, mixtures oléagineuses, ainsi que des décoctions. Deux énormes commodes avec une planquée de petits tiroirs attirèrent tous les regards, tant il était rare de voir d’aussi beaux meubles d’apothicaire. Sans parler de tout un étalage d’outils, de récipients et d’appareils de mesure très précis dont, je ne m’expliquais pas comment ni pourquoi, ils me parurent familiers. Au plafond, des bouquets de plantes avaient été suspendus, sans doute pour y être séchés. L’air embaumait de multiples fragrances végétales, mêlées aux effluves du bois ciré. Ce n’était pas déplaisant.
Mon cœur, au comble du ravissement, résonna en écho avec ma joie de découvrir une pièce aussi merveilleuse au sein du château.
Je me sentirais presque comme un poisson dans l’eau
La curiosité dévorait Nathaniel dont les yeux pétillaient d’un enthousiasme non feint.
— Comment se fait-il qu’il y ait une officine d’herboriste ici ? demandais-je.
— En fait, avoua Marthe, on ne sait pas trop comment on en est arrivé là, au moment de lancer la rénovation. Cela a juste semblé d’une telle évidence que ça coulait de source. D’autant plus que le château comporte un jardin médicinal que nous avons voulu le plus fidèle possible à ce qui aurait pu exister à l’époque. Il faut croire que nos équipes ont fait du bon boulot parce que même des scientifiques et des élèves de pharmacologie viennent effectuer des recherches ici et dans le jardin.
— Mais ça a dû être coton de vous procurer des documents fiables sur l’herboristerie médiévale, non ?
— Oh que si ! Il a fallu ratisser large, si je puis me permettre l’expression, dans les ressources bibliothécaires de la région entière, voire même de tout le pays. Trier le bon grain de l’ivraie n’a pas été une mince affaire, y compris pour réunir les ouvrages les plus pertinents sur le sujet et autant dire qu’ils ne sont pas nombreux.
À ces mots, je regardais l’une des étagères couvertes de livres.
— Comment se fait-il que ceux-là ne soient pas dans la bibliothèque, avec tous les autres ?
— Parce qu’ils seraient plus utiles en restant à portée de main ? tenta Nathaniel et il fallait admettre que son idée se tenait.
Cependant, cette salle comportait toutes sortes de publications, y compris des traités d’herboristerie comme ceux signés par Marie-Antoinette Mulot, des essais concernant l’herbalisme, et des dictionnaires comme le Larousse des plantes médicinales. Chose étrange, il y avait aussi des titres abordant ouvertement des utilisations magiques et sorcières, que ce soit en anglais et en français. J’admirais de beaux livres illustrés, dont L’Herbier toxique qui me parut incongru en cet endroit lié à la guérison.
Laissant Marthe et Nathaniel à leur conversation, je m’appro-chais de l’une des consoles où trônait un mortier accompagné d’un pilon en bronze, une magnifique balance en cuivre, avec un coffret en bois contenant toute une série très complète de poids, allant du plus petit au plus massif.
Tandis que j’examinais les lieux avec un malin plaisir, Marthe s’évertuait à faire participer notre groupe avec un quizz concernant quelques plantes thérapeutiques de base.
— Okay, tout le monde, si je vous demande laquelle fait merveille contre les brûlures bénignes ?
— L’aloe vera ? lança une visiteuse d’environ vingt ans. J’en avais mis sous forme de gel contre les coups de soleil.
— Pas mal, et pour quel résultat ?
— Ça ne diminue pas la douleur, mais la peau a bien cicatrisé.
— Exactement son champ d’action. Ensuite… Disons, contre les maux de tête ?
— Saudre, répondis-je machinalement, ou salix alba.
— Dommage, il s’agissait de la menthe. Mais c’était bien tenté.
Devant mon étonnement face à sa réaction, Marthe réfléchit un bref instant.
— Vous voulez faire un nouvel essai ?
J’acquiesçai.
— Connaissez-vous la plante qui fait merveille contre la goutte ?
— La goutte au nez ou ailleurs ? s’amusa un plaisantin.
Certains ricanèrent, sauf que le regard réprobateur de notre guide eut tôt fait de leur clouer le bec. Jamais je n’avais eu autant l’impression de participer à un jeu télé, du style Qui veut gagner des bourgeons ? À ceci près que je n’y connaissais rien en la matière. Pourtant, des mots m’échappèrent, presque malgré moi.
— Chenarde ou colchicum automnale.
— Mais d’où sortez-vous ces noms ? demanda Marthe. Ce n’est pas du tout ça.
— Je n’en sais rien, avouai-je de but en blanc. Ça m’est venu tout seul, mais je suis sûre d’avoir vu juste.
Puis, laissant les autres à leur état de stupéfaction, je tournai les talons pour emprunter la porte menant au jardin. De là où je me tenais, il y avait une multitude de plantes que je brûlais d’envie de voir de plus près.
Notre escapade dans le jardin médicinal avait été trop brève à mon goût. Nous rentrâmes dans le château où, comme je pouvais m’y attendre, il fut très difficile d’extirper le romancier de la salle de billard. Seule la promesse de visiter la bibliothèque parvint à le convaincre de nous suivre.
Décidément, ce mec est vraiment étrange, mais assez marrant.
L’espace d’un instant, je ne m’étais pas imaginé qu’un écrivain puisse être aussi simple, sans prétention d’aucune sorte, et animé d’une telle curiosité d’esprit.
En arrivant à la bibliothèque, nous connûmes un nouvel instant décroche-mâchoire tant la pièce était magnifique ! À tomber raide.
Des étagères chargées d’ouvrages occupaient les murs où nous venions d’entrer, sur deux paliers avec des ogives au niveau supérieur, rendu accessible par un escalier. En plus du lustre suspendu au plafond, plusieurs éclairages parsemaient les meubles. Cela en contrebalançait un peu l’aspect sombre, peut-être la même essence que celle utilisée pour l’herboristerie voisine.
Une vaste table avec de lourdes chaises en bois aux assises de cuir, des fauteuils tendus de velours et les tapis donnaient un aspect plus confortable à la pièce. De l’autre côté, assez loin des livres, une cheminée réchauffait les lieux. Dès lors, je décidais que ce serait mon endroit préféré pour me blottir près de l’âtre, à siroter du thé, plongée dans une bonne lecture aux consonances médiévales. Tiens, pourquoi pas un des bouquins de Nathaniel. Ça pourrait être agréable.
D’ailleurs, nous fûmes rejoints par un homme d’aspect élancé d’une soixantaine d’années qui nous fut présenté comme monsieur Lamers, le propriétaire. Après nous avoir salués et fait une bise à Marthe, il s’était avancé vers l’écrivain, tout sourire, les bras chargés de trois de ses romans en grand format. Alors que Nathaniel s’attablait afin de les dédicacer, je m’approchais discrètement. Curieuse, je déchiffrai les titres en couverture. Sans doute les premiers opus de la série dont j’avais entendu parler. Peut-être l’occasion pour lui de demander à squatter pour ses recherches.
En cheminant le long des murailles, nous revînmes à la Taverne en compagnie de Maarten Lamers qui souhaitait rester en la compagnie d’un romancier populaire qui s’intéressait à l’histoire inhérente de son château. Une bonne surprise puisque cet homme était intarissable d’anecdotes captivantes sur les travaux de rénovation et sur l’importance de respecter au mieux l’époque, malgré les faits tumultueux qui s’y étaient produits au cours des siècles.