L'almanach de Belzébuth - Jean-Pierre Paumier - E-Book

L'almanach de Belzébuth E-Book

Jean-Pierre Paumier

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Beschreibung

Toute la folie de la vie n'est-elle pas seulement une course au bonheur ?

" ...Paul Poirier eut une sorte de sourire en murmurant Madison, toujours deux fois, comme le facteur. Puis, sur ce dernier mauvais calembour, il fixa l'image de sa Fée derrière ses yeux, puis tourna le commutateur dans son cerveau pour éteindre la lumière et tout s'arrêta définitivement. Au même instant, dans un avion qui filait vers l'Est, en direction de la France, quelque part au-dessus de l'Océan une magnifique jeune femme aux yeux bleus couleur d'un lac du nord sentit son cœoeur s'emplir du froid inhumain du cosmos. Elle sut qu'elle avait perdu pour toujours un vaillant chevalier à qui elle avait donné son cœoeur pur. Elle revit, à l' instant où Paul expirait, cet homme qu'elle avait rencontré en 1998 devant une boutique vieillotte de l'Oklahoma et qui l'avait attendue en vain une vie entière. Les yeux couleur des lacs de Norvège s'emplirent de larmes, elle serra très fort les accoudoirs de son fauteuil, elle aurait aimé lui annoncer qu'elle venait s'installer définitivement en France."
Lorsque Dieu et Diable jouent aux échecs, c'est toute l'existence de Paul Poirier qui est jalonnée des tribulations imaginées par ces deux entités qui gouvernent nos destinées. Au bout de notre chemin, il ne reste qu'un constat : toute la folie de la vie n'est-elle pas seulement une course au bonheur ? Ce roman en est une superbe illustration.

Découvrez l'existence de Paul Poirier, jalonnée des tribulations imaginées par Dieu et Diable, ces deux entités qui gouvernent nos destinées.

EXTRAIT

Ce n’était pas la nuit, il faisait bien plus sombre que lors d’une nuit sans lune au fond d’une galerie de mine sans éclairage. Il ne faisait pas froid, c’était bien pire. Aucun thermomètre n’aurait pu enregistrer une telle absence de chaleur. Pas l’ombre d’une molécule, pas la moindre trace de l’ombre d’un quark, pas un photon perdu dans tout ce Rien. Pas un son, pas un grondement, pas même les prémisses du frémissement d’ondes électromagnétiques ; en comparaison de ce silence absolu et total, le tombeau d’un pharaon aurait semblé habité par un orchestre philarmonique interprétant du Mendelssohn.
Un seul mot pouvait tout résumer à cette époque : Absence.

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Table des matières

Résumé

L’almanach de Belzébuth

Résumé

" ...Paul Poirier eut une sorte de sourire en murmurant Madison, toujours deux fois, comme le facteur. Puis, sur ce dernier mauvais calembour, il fixa l'image de sa Fée derrière ses yeux, puis tourna le commutateur dans son cerveau pour éteindre la lumière et tout s'arrêta définitivement. Au même instant, dans un avion qui filait vers l'Est, en direction de la France, quelque part au-dessus de l'Océan une magnifique jeune femme aux yeux bleus couleur d'un lac du nord sentit son c?ur s'emplir du froid inhumain du cosmos. Elle sut qu'elle avait perdu pour toujours un vaillant chevalier à qui elle avait donné son c?ur pur. Elle revit, à l' instant où Paul expirait, cet homme qu'elle avait rencontré en 1998 devant une boutique vieillotte de l'Oklahoma et qui l'avait attendue en vain une vie entière. Les yeux couleur des lacs de Norvège s'emplirent de larmes, elle serra très fort les accoudoirs de son fauteuil, elle aurait aimé lui annoncer qu'elle venait s'installer définitivement en France." Lorsque Dieu et Diable jouent aux échecs, c'est toute l'existence de Paul Poirier qui est jalonnée des tribulations imaginées par ces deux entités qui gouvernent nos destinées. Au bout de notre chemin, il ne reste qu'un constat : toute la folie de la vie n'est-elle pas seulement une course au bonheur ? Ce roman en est une superbe illustration.

L’almanach de Belzébuth

roman

ISBN : 978-2-35962-165-5

Dépôt légal juin 2011

©Couverture Hubely

©Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays.

Éditions Ex Aequo

L’auteur remercie sa muse et dédie ce roman à la jolie fée des landes bretonne.

« En cent ans, nous avons connu plus de changements qu'en 10 000 ans. Quelle accélération ! Tout va si vite : le présent n'est qu'un morceau d'avenir qui se mue aussitôt en passé. »

Jean D’Ormesson

1

Début du commencement

Ce n’était pas la nuit, il faisait bien plus sombre que lors d’une nuit sans lune au fond d’une galerie de mine sans éclairage. Il ne faisait pas froid, c’était bien pire. Aucun thermomètre n’aurait pu enregistrer une telle absence de chaleur. Pas l’ombre d’une molécule, pas la moindre trace de l’ombre d’un quark, pas un photon perdu dans tout ce Rien. Pas un son, pas un grondement, pas même les prémisses du frémissement d’ondes électromagnétiques ; en comparaison de ce silence absolu et total, le tombeau d’un pharaon aurait semblé habité par un orchestre philarmonique interprétant du Mendelssohn.

Un seul mot pouvait tout résumer à cette époque : Absence.

Cela ne se passait pas – Puisque le Temps n’existait pas - il y à 12, 15, «n » milliards de pas grand-chose. Qui peut savoir ?

Puis, soudain, à un moment incertain qui n’existait pas encore dans ce tout petit Rien, il y eut une déchirure et deux paires d’yeux apparurent. Un paire était bleue, d’un bleu qui n’existe pas, une autre paire était noire, bien plus noire que n’importe quel noir qui existerait un jour. Chaque œil regardant l’Absence était aussi grand qu’une galaxie en spirale. C’étaient les yeux de Dieu et de Diable, deux phénoménales entités omniscientes et à peine adultes à cette époque, et toutes deux frémissantes de passions créatrices.

Si une oreille avait été présente et suffisamment vaste pour supporter le vacarme d’une conversation émise par deux bouches grandes comme des mondes, elle aurait entendu ceci :

— Merde, tu te souvenais de ce placard, Diable ?

— Nan.

— Ca ferait une belle aire de jeux.

— Ouais.

— Allez, on le fait ?

— Ouais.

— Tope-la.

Dieu et Diable topèrent et il y eut un grand « Bang » Alors, l’Histoire commença. Elle dura, dura, longtemps, mais Dieu et Diable s’en fichaient, ils avaient pour eux l’éternité. Un peu d’éternité passa, et le placard passa de la taille d’une tête d’épingle de couturière à celle d’un monde.

Dans un premier temps, ils jouèrent à la pétanque avec des boules fabriquées à la va-vite dans une chaleur de fournaise. Le jeu était bien plus subtil que celui qui fut pratiqué plus tard par les marseillais, car les lois de la gravitation obligeaient les deux joueurs à tenir compte des trajets paraboliques pour se rapprocher des cochonnets. Comme ils n’étaient pas vraiment soigneux, ils laissèrent traîner un peu partout les boules et les cochonnets, qui voguant au hasard, se rentraient dedans et rebondissaient n’importe où, pour finir par former des gros tas de sphères tournoyantes, brillantes comme des phares au fond de la galerie de mine déjà citée.

Quand ils furent lassés de ce jeu somme toute répétitif, ils se mirent au bowling, mais durent cesser assez vite, -terme inapproprié— car les quilles ne tenaient pas debout, elles tournoyaient comme des derviches mabouls et il y avait autant de Strike que de lancers, et chaque lancer faisait éclater les quilles de glace sales en une infinité de bouts de morceaux, qui mettaient des grains de poussière partout dans le placard. Et puis, surtout, comme il n’y avait plus de limites au placard qu’ils avaient ouvert, leurs jouets s’éloignaient de plus en plus loin et il devenait pénible d’aller rechercher le matériel qui s’éloignait à des vitesses pharamineuses. Alors ils continuaient de fabriquer des boules de toutes tailles encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne reste plus de matière première.

Avec les plus petites sphères, ils inventèrent un jeu qui les passionna un grand moment, ils l’appelèrent « le jeu de billes ». Ils en fabriquèrent de toutes les couleurs et de toutes les tailles, certaines belles comme des agates aux incrustations laiteuses, d’autres aussi ternes que la suie absorbant la lumière. Du pouce, ils lançaient des calots d’une densité incroyable sur des billes aussi légères que des bulles de savon, les faisant éclater en nuages de gaz aux luminosités merveilleuses allant de l’ultraviolet à l’infrarouge. Dieu et Diable s’amusaient comme des enfants et leurs rires tonitruants résonnaient dans le néant.

Mais, au bout d’un certain Temps, les billes se mirent à tourner toute seules autour des brillantes boules de pétanque et les deux compères n’avaient plus autre chose à faire que de regarder tournoyer tout ce fatras dans un placard qui prenait des proportions inaccessibles au vulgum pecus.

 Ce fut à cette période qu’ils commencèrent à se lasser et s’ennuyer ferme.

Si l’hypothétique oreille s’était trouvée à proximité de leur aire de jeux, elle aurait sans doute entendu quelque chose de ce style :

— Encore une partie ?

— Marre.

— On joue à quoi ?

— Sais pas.

Long, très long silence, peut être cinq milliards d’années de silence dans un placard encombré de billes, de boules de pétanque, de poussière et de détritus.

— Je m’ennuie.

— Mmm.

— Je sais ! On va fabriquer des jouets !

— Encore !?

— Oui, mais des mieux cette fois.

— Bof.

Alors, Dieu et Diable récupérèrent sur les sphères virevoltantes tout un lot de produits chimiques de base et se mirent au travail. Il y eut plus d’échecs que de réussites et la totalité des jouets restaient inanimés, tels des Pinocchio avant le passage de la fée bleue, les ficelles en moins. A un Moment qui reste indéterminé, dépités, les deux joueurs balancèrent négligemment dans un coin du placard, la montagne de produit qui leur avait servi pour leurs expériences. Puis en un geste de mépris total, ils crachèrent de concert sur le gros tas informe qui s’éloignait en se disséminant. En rogne, ils quittèrent le placard pour un autre monde où des amis les attendaient pour faire la fête.

Leur salive mêlée, l’une plus pure que l’eau d’une source pure, l’autre chargée de substances illicites, servit de liant et les choses inertes s’animèrent.

Trop occupés à bambocher de mondes en mondes, ils ne virent pas apparaître les bactéries, les stromatolithes du précambrien, les arthropodes du cambrien et tout ce qui suivit en rampant, nageant et volant. Dieu et Diable qui avaient oublié leur dernier terrain de jeu, ne s’inquiétèrent qu’en entendant les rugissements d’un Tyrannosaure Rex affamé. Leurs prodigieuses oreilles plus sensibles que celles du S.E.T.I écoutant les étoiles, furent déchirées par le bruit terrifiant. Alors, curieux, ils revinrent voir de quoi il retournait. Et ils virent. Ils virent que dans un coin du placard, sur une petite bille insignifiante, la vie grouillait.

Ils se baissèrent pour regarder de plus près et Dieu dit :

— Ben merde alors.

Diable ricana en disant :

— Pour une réussite, c’est une réussite.

Dieu hocha pensivement la tête, puis après avoir longuement réfléchi, il murmura :

— On ne peut pas laisser un tel bordel.

Ils décidèrent donc de remédier à cet état de chose. Diable prit au hasard une poussière qui passait par là et tout comme il l’avait fait très, très longtemps plus tôt, il cala la poussière au creux de son immense index replié et propulsa le grain de silice et de glace pourrie de l’ongle de son pouce monstrueux. Le grain de poussière sale, gros comme le Mont Blanc toucha la boule bleue suivant un angle aigu et la boue bleue ne fut qu’égratignée.

— Zut jura Diable

— Loupé ! S’amusa Dieu.

Ce fut quand même la fin tragique des dinosaures, et les petits mammifères se frottèrent les pattes en sortant le museau de leurs terriers : ils allient enfin pouvoir se promener sans risque de se faire écrabouiller à chaque instant.

— Tu relances ? Demanda Dieu à Diable.

— Non, laisses tomber, il ne reste plus que des petites merdes.

Rendus néanmoins prudents par leur dernière mésaventure qui les avaient conduits à créer la vie à partir de deux crachats et une montagne de détritus, ils décidèrent de s’installer pour voir comment tout cela allait évoluer. Entre deux galaxies proches, ils installèrent une table de bridge pliante ; sur la table ils déposèrent un fabuleux échiquier et prirent en guise de tabouret deux galaxies lenticulaires qui faisaient comme des coussins pourpres à leurs majestueux postérieurs. Ils entamèrent leur sidérale partie en suivant de temps à autre, du coin de l’œil, ce qui se passait sur la bille bleue.

Les Parties s’enchaînèrent et le Temps, qui maintenant existait, passa.

Des musaraignes devinrent mammouth, des dinosaures rescapés par on ne sait quels miracles se mirent à ressembler à des rhinocéros ou des crocodiles, d’autres à des oiseaux, des poules et des autruches et quelques singes poilus apprirent à marcher droit.

Dieu et Diable trouvaient cela rigolo.

La pelote du Temps continua de dévider son fil et les singes perdirent leurs poils. Sauf sur la tête pour se protéger du Soleil, car ils n’avaient pas encore inventé le chapeau, et autour des parties génitales pour dissimuler leurs ridicules robinets pour les mâles, et empêcher les insectes de rentrer trop facilement dans les tirelires des femelles.

Dieu et Diable s’amusaient de la ressemblance frappante entre ces microscopiques créatures et leurs Majestés. Mais c’était au fond assez normal puisque les choses animées possédaient dans leurs corps des restes plus ou moins importants de leurs deux salivations.

Un jour où ils avaient un peu trop picolé, Dieu fut pris d’une soudaine envie d’uriner et quitta la table de jeu pour faire un gros pipi dans un trou noir tout en sifflotant une entrainante musique des sphères. Prise dans une tempête stellaire provoquée par l’explosion d’une super nova, une toute petite goutte de divin pipi éclaboussa la bille bleue et un type pas trop bête qui s’appelait Noé, dut inventer précipitamment le bateau.

Un peu las de regarder cette vaine agitation, Dieu et Diable se retirèrent pour faire une petite sieste. Le Temps d’un ronflement, les perses, les juifs, les grecs, les romains, les francs, les arabes et autres chinois, s’entretuèrent gaiement aux Noms de ceux qui ronflaient. Un ronflement plus tard, les tranchées étaient pleines de cadavres déchiquetés. Le Temps que Diable, qui avait le sommeil plus léger que celui de Dieu ouvre un œil, un dénommé Hitler venait de se loger une balle dans son cerveau malade. Le Temps que Dieu qui venait de se réveiller, s’enlève une chiure au coin de l’œil, il était 1948.

2

Une grande Année

D’après les experts autoproclamés, l’année 1948 fut sans aucun doute, celle d’un grand virage technologique qui permit à l’humanité d’accéder à cette intelligence globale que l’on nomme « la pensée unique », dont Panurge est sans doute l’un des plus fervent supporter.

Premier exemple :

— Naissance de la décapotable la moins chère du monde, la Citroën Deux Chevaux. Cette automobile permettait dorénavant à tout agriculteur, curé ou médecin de battre la campagne, et à tous les autres de s‘y rendre. Son cahier des charges remis aux ingénieurs de l’époque était d’une simplicité biblique, presqu’enfantine: créer une voiture permettant de traverser un champ fraîchement labouré, chargée d’un sac de pommes de terre de cinquante kilos sans s’embourber, ainsi qu’un casier à œufs, donc chaque ove devrait rester intact à l’arrivée. Il est possible que le père de la Deux Chevaux ait préféré l’œuf à la coque à l’omelette baveuse aux girolles, ce qui est son droit, mais qui dénote quand même des goûts simples, voire dépouillés.

Deuxième exemple :

— Proclamation de la naissance de l’État d’Israël, par David Ben Gourion, ce qui a réjouit tout le monde à part certains. En premier lieu, les antisémites, encore nombreux en cette fin d’après guerre, contrairement à ce qu‘en racontent les manuels scolaires qui citent plus souvent les résistants de la vingt cinquième heure que les « collabos» de la première. Après réflexion, et paradoxalement, les antis sémites se réjouirent, car enfin, on savait où parquer ce malheureux peuple errant, ce qui permettrait de les retrouver facilement plus tard en cas de nécessité. Ensuite, les Juifs eux même qui furent naïvement réjouis et satisfaits : enfin, ils allaient pouvoir poser leurs valises dans un lieu leur appartenant, ou déclaré tel et passer de la broyges tants (danse de la colère) à la sholem tants (danse de la paix). Accessoirement les forces du futur Otan qui bénéficiaient ainsi d’un poste avancé au moyen Orient, dansèrent la gigue. Ceci explique peut être l‘empressement de Washington à reconnaître l‘État d‘Israël.

Troisième exemple :

— Naissance d’un nouveau Dieu : le grand Ordinateur (Prononcer Hordinateur), qui allait soulager l’humanité tout entière des charges les plus pénibles tels que le tri, le classement, les additions et autres multiplications. Cette invention, dérivée de la Pascaline, (visible au musée des Arts et métiers) d’un certain Blaise Pascal, ouvrait une ère nouvelle : même les esprits les plus obtus seraient capables d’extraire des racines carrées, et mêmes cubiques ! Rien qu’en appuyant sur des touches. Le seul mauvais exemple de réticence soutenue, étant celui de l’adaptation des fonctionnaires qui resteraient longtemps imperméables aux bienfaits de la mécanisation de leurs tâches souvent superflues. Mais on ne peut pas leur en vouloir de refuser l’arrivée d’une machine qui allait mettre en évidence l’inutilité de leurs tâches et donc de leur existence. Les Nostradamus de cette époque prévoyaient que le dieu Ordinateur supprimerait également l’utilisation intensive du papier et préserverait ainsi les forêts. A ce jour, les Indiens de l’Amazonie en rigolent encore et les ventes des imprimantes papivores explosent.

Quatrième exemple :

— Présentation au salon des arts ménagers de Paris, et mise en production industrielle de la cocotte minute, qui allait révolutionner la vie de la   ménagère en lui permettant de gagner du temps afin de s’occuper mieux de son époux et stabiliser ainsi le nombre des mariages boiteux. Outre le fait que cette invention permettait enfin de cuisiner le bœuf en daube sans y passer sa matinée, elle ouvrait enfin la porte a la restauration rapide de qualité, et faciliterait ainsi l‘augmentation du nombre des journaux féminins, dans la mesure où la femme récupérait du temps libre pour se consacrer à une lecture instructive. Il est reconnu aujourd’hui, que cette presse a fait d’énormes progrès qualitatifs grâce à des rédacteurs (ou trices ?) à la plume élégante et acérée et aux articles de fond profonds. En effet, quel progrès entre les aventures bêtifiantes de la belle au bois dormant du siècle précédent et les histoires pétillantes du vingtième siècle décrivant avec moult détails, les vies de Machin qui quitte Machine la culottée, pour aller vivre avec une Simone qui n’en porte pas ! Un des effets secondaires inattendus fut l’augmentation notable du nombre de cocus, puisque « l’oisiveté est la mère de tous les vices », et que les femmes avaient maintenant du temps libre.

Cinquième exemple :

— Première mésentente cordiale entre la France et l’Amérique : Marcel Cerdan bat Tony Zale par K.O au onzième round en rendant ainsi caduque les exploits de Lafayette. Cette histoire de sportifs a laissé des séquelles dans l’Histoire et nos journalistes modernes sont toujours convaincus de la supériorité de leurs compatriotes, dans tous les domaines depuis que David a mis la pâtée à Goliath. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder n’importe quel journal télévisé : il n’en est pas un seul sans un commentaire acerbe, sur n’importe quel sujet, à l’encontre des américains qui comme chacun sait est un peuple barbare, colonialiste et dominateur, mais toujours premier dans (sur) la Lune.

Sixième exemple :

— Création du collège de pataphysique à Paris. Cette institution qui allait beaucoup influencer la vision du monde du dernier exemple.

Dernier exemple, mais non des moindres :

— Naissance du principal protagoniste de cette histoire et qui posséda un temps une Deux Chevaux, acheta une cocotte minute à chacune de ses conquêtes et travailla dans la recherche informatique, quelquefois avec des Juifs, - alors qu’il est Goy - ou des américains - refusant ainsi les conseils éclairés des médias - et également avec l’État d’Israël ; ce qui laisse à penser que le protagoniste en question a des tendances instables, schizophrènes et asociales, qu’il justifia sans cesse par une vision pataphysique de l’univers en général et du sien en particulier.

Ces quelques simultanéités, permettent de mettre en exergue que justement les coïncidences n’existent pas vraiment : une accumulation de facteurs, innocents lorsqu’ils sont isolés, deviennent les vecteurs de la transformation du monde lorsqu‘ils sont compilés.

Aujourd’hui, chacun connaît l’effet papillon capable de déclencher une tornade à l’autre bout du monde à cause d’un simple battement d’ailes. En mille neuf cent quarante huit, seuls quelques savants illuminés, raillés par leurs pairs, osaient en parler à voix basse dans les toilettes. A cette époque, les seuls effets papillon réellement admis, avaient pour noms Hiroshima et Nagasaki, qui avaient eu l‘avantage certain d‘être d‘une grande lisibilité, même pour les béotiens. Ceux qui ne l’étaient pas, comme par exemple Albert Einstein, ressentaient comme une vague lassitude à l’encontre de l’utilisation des nouvelles technologies, faites par leurs contemporains.

A cette époque, pendant que le grand savant pacifiste déprimait, (considéré à tort comme le père de la bombe atomique, puisqu’il n’a jamais travaillé directement sur ce sujet explosif, mais s’est contenté de découvrir que E=MC2 ) , Paul Poirier vagissait dans ses langes sans avoir aucune conscience de l’importance de sa naissance, parmi les 2,5 milliard d‘individus peuplant la planète en ce temps-là, simplement entouré de l’affection d’un paternel, pointeau chez Renault et de la tiédeur d’une mère bigote, instable et assez peu satisfaite de l’arrivée inopportune  d’un rejeton non désiré.

Loin de la clinique miteuse au plafond lézardé, du vingtième arrondissement de Paris, les communistes chinois préparaient leur coup d’état, entraînés par un leader charismatique du nom de Chat en français et de Mao en chinois. Dans les usines Renault de l’île Seguin, les communistes français attendaient les ordres de Moscou pour décider de leur soutien à leurs « amis » chinois, et le paternel de Paul Poirier, anti communiste primaire et anti clérical convaincu, s‘engueulait avec ses collègues de bureau sur le thème: le communisme, qui ne tient compte que de l‘ensemble est forcément néfaste pour l‘individu; il ne savait pas qu‘il s‘écoulerait soixante années pour que la Chine communiste organise les jeux Olympiques et que le pays de la grande muraille, accepte l’idée même de l‘existence de l‘Occident. D’ailleurs, le pointeau de l’île Seguin ne le saurait jamais, car il allait décéder bien avant ces jeux Olympiques, dont l’organisation commerciale et les enjeux politiques avant d’être sportifs, auraient vraisemblablement rendu le baron Pierre de Coubertin de la même couleur que le fameux petit livre rouge du défunt Mao sait tout. Quant aux anciens grecs, ils ne se seraient sans doute même pas déplacés.

Paul Poirier ne savait lui non plus rien de tout cela, il se contentait de téter, faire des bulles, roter, souiller ses langes de tissu triangulaires en attendant l’invention de la couche-culotte, et ne dormait pas, ou si peu que ses parents le pensaient insomniaque. Papa pointeau se levait avec les yeux rouges, du même rouge que le drapeau de ses ennemis politiques. Maman instable, quant à elle, devenait carrément hystérique et ce fut miracle que le petit Paul n’allongeât pas la longue liste des enfants secoués finissant demeurés.

Mis à part le fait que sa mère passât une grande partie de ses journées à lui hurler dessus pour le faire taire, car il s’était mis à devenir pleurnichard, le petit Paul passa sa prime enfance dans des conditions acceptables dans la mesure ou cela aurait pu être pire.

A l’extérieur du petit appartement parisien au confort satisfaisant, le grand sablier du temps écoulait ses grains et les Créateur extravagants de ce monde dément jouaient aux échecs. A l’extérieur seulement, car à l’intérieur, rien ne changeait du point de vue du petit Paul : papa pointeau partait chaque matin prendre son métro à la même heure exacte pour revenir le soir par le même moyen de transport, à la même heure exacte; maman nerveuse vaquait aux mêmes tâches, aux mêmes heures de la journée. Si il avait pu penser, le petit Paul aurait trouvé que la vie manquait de sel et que tout cela était bien monotone ; mais son cerveau en devenir n’en était encore qu’à résoudre lesproblèmes les plus simplistes, comme remplir les langes, roter, baver etc.

Quand il apprit à faire arrheu et prrift, dehors, c’était mille neuf cent quarante neuf, année où se passèrent des évènements notables, comme toutes les autres années. Paul Poirier, toujours aussi peu avancé intellectuellement à cause de son jeune âge, laissa passer des faits divers et variés plus ou moins influents sur le quotidien, tels que la fin de la guerre entre l’Inde et le Pakistan. Fin déclarée qui avec le recul, peut prêter à sourire. Fin du conflit armé entre l’Égypte et Israël (on peut continuer de sourire). Création de l’Otan (cela fait moins sourire). Premières speakerines de la télévision française (on peut rire). Georges Orwell publie son roman « 1984 » (on ne sourie plus, ça fait peur) qui sera un des livres de chevets du petit Paul, mais bien plus tard. Les communistes sont pourchassés par le Vatican, qui décrète leur excommunication, et par les grecs dans une guerre civile qui fera quatre vingt mille morts et sept cent mille réfugiés, ce qui est un bon score et donne un peu plus raison à papa pointeau.

Paul laissa passer également l’explosion de la première bombe A de l’URSS et la proclamation de la république chinoise. Évènements qui ne prêtent ni à rire ni à sourire, tout comme la mort de Marcel Cerdan et de la violoniste Ginette Neveu dans un crash d‘avion aux Açores. Par contre, ses parents fêtèrent avec pas grand chose, la fin des tickets de rationnement.

Quelques semaines plus tard, la main de Dieu retourna le grand sablier cosmique et Paul qui pouvait enfin s’asseoir dans ses langes souillés, put entendre sans rien y comprendre, les discussions interminables de ses parents autour des évènements de l’année cinquante comme, en vrac, la vaccination antituberculeuse obligatoire, le sénateur McCarthy devenant dingue, la mort de Léon Blum, les mille deux cent fantassins envoyés en Corée, le discours-programme de De Gaule et l’envahissement du Tibet par les communistes chinois. Mais dans tout ce fatras, ce fut le cri d’alarme d’Einstein révélant la possibilité de l’empoisonnement de l’air par la radioactivité qui remporta le plus vif succès.

On ne voyait pas encore toutes les implications des autres évènements mineurs comme la création du SMIG, ou la signature à Rome des accords concernant la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Encore un autre tour de sablier, et à quatre pattes, le petit Paul entendit parler de la manifestation des femmes dans les rues du Caire pour obtenir la reconnaissance de l’égalité avec les hommes et l’obtention du droit de vote. Coïncidence ? A genoux sous la table de la salle à manger, Paul se mit à rire bêtement en entendant sa mère affirmer que bientôt, les musulmanes s‘émanciperaient du joug des hommes. Quand à la création de la CEE et la mort du général Pétain, seul des rots vigoureux soulignèrent son indifférence.

Durant quelques temps (différents du nôtre), Dieu et Diable continuèrent de jouer aux échecs en surveillant les humains du coin de l’œil et le petit Paul, comme tous les assemblages organiques, grandissait. Il avait maintenant un vélo rouge qu’il utilisait dans le terrain vague de la porte de Montreuil sous la vigilance paternelle et bonasse du pointeau de Renault. Il venait d’avoir l’âge de raison et le faisait savoir  en commençant à poser des questions pertinentes qui n’étaient pas de son âge; comme il savait lire très couramment et qu’il compulsait le journal de son père: « Le Parisien », il demandait ce que voulait dire massacre à Constantinople et guerre de religions ou stalinisme. Ce fut cette année là que prenant sans doute conscience de la vacuité de l’existence et n‘ayant pas les moyens d‘accéder au suicide libérateur, par excès de lucidité, il se mit à développer un asthme infantile qui failli l’emporter plusieurs fois. C’est cette maladie qui orienta le cours de sa vie.

Les faits ne sont toujours pas prouvés, mais il est possible qu’une sur-oxigènéisation de son cerveau, à force de chercher de l’air, provoqua chez l’enfant une accélération de son activité cérébrale. Il faut ajouter à cela que lorsqu’il fut immobilisé dans son lit par la maladie quelques années plus tard, durant des périodes variables, il fut gardé à ces occasions par un jeune homme, voisin de pallier et étudiant de dernière année en agrégation de mathématiques. L’étudiant qui n’avait aucuneconscience de la gravité de ses actes, pas plus que les notions pédagogiques nécessaires à un bon enseignement, (par exemple, il ignorait totalement qu’en langage d’initié du corps enseignant, « un référentiel bondissant » veut dire ballon) il fit s’amuser le petit Paul avec les nombres premiers, les équations et l’algèbre booléenne. C’est ainsi que le petit Paul éprouvait à huit ans autant de plaisir à résoudre une équation à deux inconnues, que ses camarades au jeu de celui qui pisse le plus loin.

Il est évident que dans les sombres années cinquante, l’éducation nationale ne faisait pas encore preuve de la clairvoyance dont elle témoigne aujourd’hui pour les enfants qui sortent un tant soit peu du moule préétabli par elle, et dont le profilage semble être de fabriquer des adeptes du foot, de la bière et de l‘acquisition d‘un trois pièces cuisine en banlieue parisienne.

Conséquemment, Paul, pour donner le change, continuait d’ânonner avec ses petits camarades les tables de multiplication, faisait du calcul mental et levait bien haut au-dessus de sa tête l’ardoise noire proclamant des résultats toujours justes. En réalité, il s’ennuyait ferme et à l’école, son caractère s‘en ressentait, et il devint le recordman des pages d’écritures à la plume sergent major à cause des punitions de cent lignes: « je ne dois pas interrompre le professeur durant son cours par des commentaires déplacés ».

A neuf ans, en écoutant, le quatre octobre cinquante sept, les premiers Bip-Bip venus de l’espace, envoyés par Spoutnik 1, Paul décida qu’il serait astronome. Le trois novembre de la même année, apprenant que la chienne Laïka avait été envoyée dans le susdit espace, il décréta qu’il deviendrait vétérinaire. Il ne fut ni l’un ni l’autre, mais, devenu adulte, il cotisa régulièrement à la S.P.A, et s‘intéressa à l‘astrophysique en amateur éclairé.

Il est à noter que jamais le jeune Paul n’émit le souhait, pourtant répandu chez les jeunes garçons, de devenir pompier ou gendarme.

3

Pour fêter ses dix ans, le Général de Gaulle se fit élire présidentde la république tandis que la chine, grâce à l’organisation délirante des « communes populaires », subissait l’une des plus grandes famines de son histoire ; ce qui n’empêcha pas le jeune Paul de manger son gâteau d’anniversaire de bon appétit.

Cependant, ce fut pourtant durant ce jour de fête important pour tout être fêtant son premier anniversaire à deux chiffres, que toute l’existence affective de Paul Poirier allait prendre une orientation définitive. Là-haut, à l’intérieur d’une bulle d’espace-temps malheureusement correspondant au temps terrien, Dieu eut un renvoi de belle sonorité.

— Hé ! fit Diable.

— Excuse, c’est la bière répondit Dieu.

Cet incident sans grande importance pour une déité provoqua néanmoins, un léger remous spatiotemporel. Et une jolie petite âme qui devait s’incarner sur la boule bleue, en Oklahoma (USA) pour être précis, poussée par un rot incongru, se remis à errer dans les limbes à la recherche d’un réceptacle approprié. Elle allait devoir chercher durant trente années terrestres. Moins d’un clin d’œil pour un dieu, une éternité pour un homme.

— Tu as vu comme cette future entité est belle demanda Diable à Dieu en tendant son doigt infini en direction de la belle âme qui virevoltait comme un papillon pris dans une tempête. Il ajouta avec un peu de compassion dans la voix :

— Avec ce que tu lui as mis, elle va errer un bon moment. Ça va sans doute mettre un peu le bordel dans la vie de quelqu’un.

— Oui ? Et puis ?

— Rien, rien. Maugréa Diable.

Durant ses crises d’asthme, l’enfant Poirier fut dorénavant gardé par un étudiant en lettres qui remplaça l’agrégé de maths parti faire suer une ribambelle de mouflets imperméables à la beauté d’une équation différentielle. Paul apprit ainsi les existences de Sartre et Simone de Beauvoir, ce qui ne mit pas en joie papa pointeau, mais il compensa ces inconvénientslittéraires par la lecture de « mon père avait raison » de Sacha Guitry. A l’école, toujours primaire, il apprenait les fables de La Fontaine pour aiguiser sons sens critique et continuait d’accumuler les records d’écriture en effectuant régulièrement des punitions de cent lignes: « je dois me concentrer plus sur mon travail scolaire et surveiller mes lectures ». Il acquit ainsi au fil des punitions une écriture rapide et élégante qui l‘éloigna donc de la possibilité de pratiquer une profession médicale, puisque c‘est bien connu, les médecins écrivent tous comme des cochons.

Quelque part, bien au dessus de Spoutnik I, Dieu qui avait terminé son dégazage et avancé un cavalier blanc devant la tour noire de Diable, retourna le sablier cosmique et attendit la réponse de son adversaire et néanmoins ami de débauches créatrices.

Diable appuya son long doigt crochu sur le bonnet du fou noir pour réfléchir, ce qui donna une forte migraine à Mao, et pour les onze ans de Paul, l’armée chinoise massacra des milliers de tibétains et déclara déviationniste la consommation de beurre de yack.

Cette même année, il demanda à son père ce qu’était un « pointeau » de chez Renault. Il savait bon nombre des synonymes de ce mot, comme allène ou poinçon, mais il n’arrivait pas à replacer « pointeau» dans un contexte parental et n’imaginait pas son paternel faire des trous avec l’une ou l’autre extrémité de son corps. Une laborieuse explication s’ensuivit et il finit par comprendre que son géniteur était chargé de pointer les heures supplémentaires effectuées par les ouvriers de la RNUR. Cette révélation inattendue provoqua chez l’enfant une grosse surprise : en effet, comment son père, ce héros au sourire si doux, pouvait-il perdre son temps à vérifier ce que la machine, (la même que celle qu’il avait vu fonctionner au Palais de la Découverte), aurait fait bien plus vite. Il décréta que son père avait des tâches bien plus nobles à remplir ; lesquelles, il ne savait pas, mais son père, lui, le saurait.

Tel Blaise, inventant pour son paternel comptable la