L'après-midi d'un fauve - Meurtres à Coaraze - Hugues Poujade - E-Book

L'après-midi d'un fauve - Meurtres à Coaraze E-Book

Hugues Poujade

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Beschreibung

Thriller de la mort, de l’atrocité et de la destruction, L’après-midi d’un fauve - Meurtres à Coaraze est une sorte d’apocalypse. Face à l’incurie des tribunaux, au renoncement de la police et au cynisme des politiques, les héros se font justice et engourdissent les coupables dans une frayeur qui les pousse à sombrer dans l’abîme. Entre le littoral azuréen et le village de Coaraze, tout peut arriver, sauf de pardonner à des monstres dépourvus de toute conscience. 


À PROPOS DE L'AUTEUR


Grand voyageur, Hugues Poujade a côtoyé toutes sortes de cultures et de peuples. Pour brosser les contrastes de quelques grands ports fluviaux ou maritimes, il a écrit plusieurs romans dont une trilogie égyptienne, Horus et la nouvelle lune, des nouvelles, trois thrillers et un essai sur Jean-Edern Hallier. 

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Hugues Poujade

L’après-midi d’un fauve

Meurtres à Coaraze

Roman

© Lys Bleu Éditions – Hugues Poujade

ISBN : 979-10-377-3935-3

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

- Horus et la nouvelle lune (La trilogie égyptienne)

Samir,

roman,éd. Arha, 2012

La révolution du Nil,

roman,éd. Ovadia, 2015

- Le vendeur de pho, roman,éd. Ovadia, 2014
- Le cimetière des Ravageurs, roman,éd. Ovadia, 2017
- Jean-Edern Hallier, cet écrivain qui a raté l’Académie française,essai,éd. Edilivre, 2018
- Coup de sang à la Marina, thriller,éd. Le Lys Bleu, 2019
- Vous avez le droit de garder le silence ,thriller,éd. Maïa, 2020
- Dernière crêperie avant l’Amérique, nouvelles,éd. L’Ancre de Marine, 2021

D’après une idée originale de Claude Felice

Avertissement

Ce roman, faisant référence à certains éléments susceptibles de choquer les âmes sensibles, voire les moins endurcis d’entre nous, l’usage en est déconseillé aux enfants de moins de cinquante ans et aux personnes souffrant de troubles masturbatoires.

Roman de la mort, de l’atrocité et de la destruction, personne n’échappe à son destin. Une sorte d’apocalypse qui pousse les héros à se faire justice eux-mêmes, face à l’incurie des tribunaux, au renoncement de la police et au cynisme des politiques.

Nihilisme total, aventure à terre ou sur mer, dans le cadre somptueux de la Baie des Anges, on comprend qu’une sombre frayeur engourdisse les coupables. Les désagrège, au propre comme au figuré, car amputés du moindre avenir ils sombreront un par un dans l’abîme. Entre le littoral azuréen et le village de Coaraze, tout peut arriver, sauf de pardonner aux monstres dépourvus de conscience qui ont bouleversé la chronologie des évènements. Mais pas d’inquiétude, les fêlés du citron retourneront à l’asile et chacun recevra sa juste part.

L’après-midi d’un fauve, clin d’œil à Debussy qui inspira un ballet à Nijinski, créé en 1912 à Paris par Diaghilev, et s’inspira lui-même d’un poème de Mallarmé, est une œuvre d’imagination où les personnages et les évènements sont fictifs. Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant réellement existé ne saurait être que fortuite. Quant à la topographie de Coaraze, nous y sommes restés aussi fidèles que possible, s’agissant notamment de la fameuse route départementale D15 qui relie l’Est niçois au massif du Mercantour, en passant par Contes et Bendejun.

H.P.

L’appétit vient en mangeant, la soif s’en va en buvant.

François Rabelais

 

 

 

 

 

1

 

 

 

Daniel Lambertini, rassurez-vous, vous allez entendre parler de moi. Je vis dans l’arrière-pays, en tant que citoyen libre de ses actes et de ses paroles, loin de la caricature de l’homo sapiens taillant des flèches en silex et décorant sa caverne de peintures de lynx ou de panthères. À Coaraze, « queue rasée » en Occitan, parce qu’un jour le Diable s’y est tranché l’appendice pour échapper à la furie des indigènes, on se contente de rigolades et de joies simples.

On aime l’authentique, et le soir au bistrot, quand ils noient leur cafard, certains ne lèvent plus leur verre d’IGP Vins de Méditerranée, des assemblages à la robe saumon, moins ruineux que le Bellet, qu’à la santé des pitons rocheux qu’ils rêvent de conquérir mais redoutent autant que d’affronter leur belle-mère.

Arrosé par les ruisseaux de la Perdiguière, des Forses et de la Piguièra, le bourg est considéré comme l’un des plus beaux villages de France. Culminant à 650 mètres, enchâssé dans un cirque montagneux, aux confins du Paillon et du Mont Férion, il est dominé par la Rocca Serra.

Certains Niçois y entretiennent des maisons de famille, une palette de badigeons corail, vert de bleu, turquoise, d’ocres façon italienne, de solides maçonneries où ils se retirent pour décompresser le week-end. À part eux, l’essentiel de la population se compose d’artisans, de cultivateurs, la plupart retraités, de journaliers, ainsi que du dernier éleveur de la vallée, Georges Dehennin, exploitant à l’étable un cheptel d’une douzaine de vaches laitières.

À cette altitude, le climat méditerranéen, chaud et sec l’été, plafonne autour des treize degrés au mois d’avril, soumis à d’abondantes précipitations. En janvier par contre, les minimales ne fluctuent qu’entre deux et trois degrés. Sauf températures inférieures à dix degrés, les « cailletiers », ces oliviers de l’AOC niçoise qui produisent une huile douce, avec parfois une dominante d’amande fraîche, ne sont pas menacés.

Georges, c’est mon pote, une grande asperge barbue, invariablement habillé, quand il se rend le vendredi matin sur la plateforme du MIN, d’une paire de baskets et d’un costard marron en velours côtelé. Secrétaire général de la Chambre d’Agriculture, adhérent à la FDSEA, il passe pour un spécialiste de la maladie de Lyme et des problèmes de contention bovine. Fort de ses multiples casquettes, il dirige le journal agricole des Alpes-Maritimes et siège au Conseil d’administration de la MSA, l’organisme en charge des agriculteurs pour leur couverture sociale.

— Un gars raisonnable, disent ses amis, ce qui sonne comme un compliment !

Opérateur en désossage, salaison et conditionnement en morceaux de bavettes, gigots et entrecôtes, je travaille au SMAR, le Syndicat Mixte des Abattoirs de la Riviera, selon la règle des 3x8. Dans ce métier, les états d’âme sont proscrits. Il faut être précis, habile, familiarisé avec les outils, connaître l’anatomie des animaux et ne pas craindre le travail répétitif.

« L’équarrissage pour tous », je ne sais pas si vous vous souvenez de cette pièce de Boris Vian. Je débite donc la matière première, je collecte les animaux morts en élevage, je taille, je découpe et je recycle. J’euthanasie même les chevaux, je récolte et j’incinère ce qui n’est pas convertible en farines alimentaires. À ma façon, je contribue à l’enrichissement de la filière agro-industrielle.

Mon épouse Corinne, que j’ai affublée du diminutif affectueux de « Mounette », ou « P’tite Moune », tient l’auberge de La gentilhommière, un restaurant aux murs de pierre, aux volets peints dans les tons renoncule, dans l’une de ces ruelles pavées et pentues accédant par un passage à l’ancien four à pain communal et à l’Église St Jean-Baptiste. Beaucoup de touristes s’y pressent à la saison, un peu moins l’hiver quand la nature s’endort.

Nous n’avons pas réussi à avoir d’enfants, à part une fois, une fausse couche au quatrième mois, et le fait qu’en dépit de traitements de stimulation ovarienne Corinne n’est plus retombée enceinte.

« Bienvenue au village du soleil », claironne un écriteau près de la Place de la Mairie. Contrairement à la bande littorale, ici les maires sont plutôt de gauche. Normal, quand on est l’un des plus beaux villages de France et qu’on incruste des cadrans solaires sur les bâtiments, tels que « Les Lézards », fruit d’une collaboration entre le céramiste Valentin et le grand Cocteau, que la population s’entiche de symboles.

Estimés à un total de 825 habitants lors du recensement de 2018, les Coaraziens accueillent en juillet les championnats du monde de Pilou, un volant inséré dans une pièce de monnaie trouée en son milieu, du type des pièces qu’on fabriquait il y a un siècle. Les joueurs peuvent jongler du pied, du genou, de la poitrine ou de la tête, mais pas question de toucher le Pilou avec le bras ou la main. Seul un tremblement de terre pourrait faire que ces compétitions soient annulées.

 

Lorsque s’achève ma journée aux Abattoirs, ou devrais-je dire ma nuit, une autre mission m’accapare, vérifier qu’aucun des ingrédients indispensables pour ouvrir le restaurant à midi ne nous fera défaut. Comme qui dirait, je veille au grain ! Et si d’aventure, malgré les précautions que nous prenons, cela se produisait, je suis toujours dispo pour descendre à La Trinité chercher de quoi dépanner.

De 21 heures la veille à 5 heures du matin, je me dépense sans compter, harassé mais content de rentrer à la maison préparer le petit déjeuner de ma douce. Tranches de pain beurrées à la gelée de groseilles, café au lait adouci de trois ou quatre carrés de sucre de canne, j’aime la surprendre au lit en déshabillé.

Soudain, je revis ! J’oublie mon job qui consiste à plumer des volailles, dépecer des bœufs, des porcs, jugés trop impurs par les imams pour être consommés, sourate 2, verset 173. Viennent ensuite les agneaux et les moutons, rien que de la marchandise à quatre pattes, fonction bien sûr des arrivages, et croyez-moi, ce n’est pas une sinécure.

Générant un regain d’activité, les fêtes de l’Aïd-el-Kébir suscitent une recrudescence de l’abattage rituel des ovins, l’opportunité de commémorer le sacrifice d’Ismaël, le fils unique d’Abraham. À présent qu’elle en a fini avec la clandestinité, que le génocide a été réglementé, la communauté musulmane est rentrée dans le rang, souscrivant aux règles sanitaires en vigueur. Cela signifie qu’elle n’égorge plus, selon le rite hallal, que dans des installations agréées ou temporairement autorisées par le Préfet, au grand dam des défenseurs de la protection animale qui voudraient rendre l’étourdissement obligatoire, préalable à la saignée des jugulaires, prônant que la souffrance est absurde. Hormis cette divergence qui fait débat, tout contrevenant s’expose à une lourde amende et à six mois d’emprisonnement.

La plupart du temps, je travaille seul. Vous l’aurez compris, je n’échangerais pour rien au monde. Ma femme et mes amis me traitent de solitaire, mais ça m’est bien égal. Cela me fait un point commun de plus avec ce gredin de Georges.

Les bêtes débarquent par camions entiers, déchargées et poussées une par une dans un passage rétréci, un couloir qui précède la mise à mort. Je n’ai plus qu’à attendre le moment où la victime s’engouffre dans le sas, un boyau carrelé du sol au plafond d’une mosaïque étanche, pour sentir que ça va être à moi. Le goulet franchi, le piège se referme. Pas de possibilité de retourner en arrière, l’inéluctable s’accomplit.

La bête avance sur son rail, il ne me faut que dix à quinze minutes, montre en main, pour la tuer et la dépecer. Posté en face d’elle, pistolet au poing, je m’interdis de la faire souffrir. On a trop vu d’émissions à la télé, de reportages d’Élise Lucet sur le sujet décrivant des agissements barbares, pour tolérer le moindre faux pas, la moindre négligence, le plus petit scandale. Le patron, Monsieur Brieugne, ne plaisante pas avec l’image de respectabilité qu’il veut donner de l’entreprise. Des boîtes comme la sienne, là-bas sur la Nationale 202, au Centre Administratif Départemental, ils en ont fermé pour moins que ça.

Un clac lugubre retentit, le condamné s’affale. Dans la foulée, j’attache une sangle à l’une de ses pattes arrière, puis soulève, aidé d’un palan électrique, les 670 kilos de bidoche, en même temps que je sectionne la carotide d’un revers de lame impeccable. Huilé comme une machine ! Le sang jaillit, une belle couleur rouge-noir, comme les maillots de l’OGC Nice.

Le flux s’écoule dans une rigole centrale, que des jets à déclenchement automatique lessivent à grandes eaux, en moins d’une poignée de secondes. Une ou deux minutes encore, et tout est fini. Le bestiau suivant se présente, mais il a depuis longtemps abandonné toute velléité de combat…

Il ne me reste plus qu’à attaquer la dépouille, la tête d’abord, du cou jusqu’à la croupe, à fendre la cage thoracique. En langage de boucher, les collègues intitulent ça le « traçage ». Désarticulés, les cuissots se désolidarisent du reste du corps, tronçonnés en un rien de temps.

J’égratigne les flancs, entame le poitrail. Tout le cuir a désormais disparu, l’accès est libéré, et je finis en dégraissant la couenne.

Éviscération des intestins, du foie, de la rate, les rognons mis de côté, la carcasse se fend sur toute sa longueur. Arrivent enfin le dégraissage des parties intérieures et les gars de l’inspection sanitaire qui doivent tamponner la barbaque, de vrais emmerdeurs. La viande et les abats pesés, direction la chambre froide.

Trente années que j’exécute les mêmes gestes, sans jamais protester. Quand l’aube se lève, il suffit d’une bonne douche pour me remettre en selle. Je me change et retrouve mon Kangoo Renault sur le parking.

La route, j’en connais tous les pièges, je flirte entre 80 et 100 dans les virages. Je mets grosso modo une demi-heure pour rejoindre mon épouse.

Le restaurant n’est qu’à deux kilomètres de mon domicile. En principe, P’tite Moune assure entre trente et quarante couverts le midi, beaucoup de VRP qui connaissent l’adresse, et une quinzaine de convives le soir. Je l’aide à composer les menus, elle choisit les assaisonnements et se charge des fourneaux. Sans être un grand chef, je m’en sors honorablement, même si je me cantonne d’ordinaire à l’épluchage des légumes et à la plonge, quelquefois au service en salle quand l’une de nos deux serveuses tombe malade ou téléphone pour prévenir d’une panne d’oreiller.

 

Ce soir, c’est relâche. Giorgio vient souper et j’ai l’intention de l’accueillir comme il se doit.

Plus épicurien qu’esthète, Georges, grand connaisseur de vins de Bourgogne, a le gosier en pente et un sacré coup de fourchette. De l’empathie, j’en ai à revendre, et je ne le laisserai pas sur sa faim.

À l’heure dite, nous nous attablons. Georges me sourit et finit de curer sa pipe. De sa chaise, il détaille les éléments de rangement, les fours, les autocuiseurs, les broyeurs et les frigos, une pièce où tout est à portée de main. Les râteliers de couteaux, les trancheuses, les bocaux à épices et les condiments au-dessus du bloc-cuisine, bénéficient d’une utilisation rationnelle de l’espace qui permet d’optimiser chaque recoin. Tout s’imbrique, à la bonne hauteur, rangé au cordeau.

La maîtresse des lieux fait preuve d’une organisation parfaite, laissant peu de place au hasard.

Dans le prolongement de l’imposant plan de travail, d’une paire de tabourets patauds, d’un évier à double-bac, le premier pour laver, l’autre pour dégraisser, on aperçoit le vide-ordures à droite et les produits d’entretien, les bouteilles de gaz sur la gauche.

L’éclairage provient d’un tube fluorescent qui illumine le plafond et se reflète dans la surface cuivrée des chaudrons.

Au troisième verre de Passetougrain, Giorgio baisse la garde.

— Je t’envie Daniel, me lâche-t-il sans préavis ! Tu as tout réussi dans la vie, heureux en amour, heureux au travail, et ce petit business qui marche du feu de Dieu ! Tandis que moi, je viens de perdre ma femme d’un cancer, et mon fils s’est tué en moto…

Comment expliquer à Georges que le bonheur ne se résume pas à une cuisinière dernier cri, dotée de trois brûleurs, deux devant, un autre derrière avec thermostat, porte à hublot, tournebroche mécanique et système d’étuve sophistiqué pour tenir les assiettes au chaud ?

Sur l’un des brûleurs, une cloche en tôle émaillée coiffe un plat à rôti. On l’utilise aussi pour les pâtisseries. Mais pour Giorgio, c’est comme si je parlais hébreu ! Je ferai l’impasse sur le réfrigérateur, je ne lui rappellerai pas que l’appareil s’adapte aussi bien au gaz de ville, au butane, qu’à l’électricité ou au pétrole, il me prendrait pour un demeuré. Et il aurait raison !

J’ai pigé de suite l’allusion à la mort de Chantale, j’étais à ses obsèques. Malgré les restrictions épidémiques de la COVID, il y avait du monde, trop de non-dits, trop de chagrin. Ce ne sont pas mes cassolettes en fonte ou en aluminium, à fond épais pour laisser glisser les sauces, qui la ramèneront. Ni la bassine à friture, ni l’égouttoir sur pied, ni mes couteaux en acier profilé pour découper le gigot.

À propos de coutelas, sans être d’une nature belliqueuse, j’avoue ma passion pour les épluchoirs, qu’il s’agisse des poignards de marine, arrachés selon l’expression du « ventre de la nuit », de couteaux de chasse, de lames de plongeurs, couteaux japonais, sri lankais, stylets corses, ou du mythique modèle des hauts plateaux de l’Aubrac qu’on a protégé des contrefaçons chinoises, bref pour tout ce qui ébarbe et scarifie. Renseignez-vous auprès de Corinne, ça vous évitera de gaffer pour mon anniversaire. Plus jeune, j’ai lu des tas d’articles sur l’Éventreur de Whitechapel, j’ai été fasciné par ces meurtres de prostituées non élucidés.

— Tu sais, Daniel, ce n’est pas contre toi, mais j’en veux beaucoup aux Abattoirs de la manière dont ils ont traité cette pauvre Chantale.

Dans la salle à manger, des outillages recyclés, des herses et des sarcloirs du 19e, décorent les solives. Sur le mur, une litho de Van Gogh, un champ de blé avec des meules de foin, payée à l’époque 15 € dans un vide-grenier à Castellar, ajoute sa note ensoleillée. On se croirait au fin fond de la campagne provençale. Ne manque plus que Giono ou Pagnol pour la sous-titrer d’une dédicace élogieuse, souvenir d’une visite entre deux tournages au restaurant, quand il était tenu par le père Arsène, un vieil original. Tout cela avant qu’il ne soit repris et rénové de fond en comble, au terme de quelques années d’abandon où il avait servi de refuge aux chauves-souris et aux mulots.

Giorgio a réquisitionné un tabouret et déclame un vers de Molière en vidant son Bourgogne :

— J’aime bien mieux, pour moi, qu’en épluchant ses herbes, elle accommode mal les noms avec les verbes et redise cent fois un bas et méchant mot, que de brûler ma viande ou saler trop mon pot !

Georges a envie de s’épancher. Avec lui, c’est une affaire d’instinct, rien à voir avec les simagrées qui font disjoncter les boussoles.

Ce soir, pour Giorgio, j’ai mis du thé à la menthe à infuser, tradition sicilienne, que je lui servirai au dessert. Il m’a suffi d’un bouquet de menthe fraîche, d’une cuillerée à soupe de thé vert de Chine, d’un peu d’eau claire et de sucre blanc.

En attendant, j’ouvre une bière blanche, bien fraîche, aux arômes d’écorce d’orange et de graines de coriandre, brassée dans le quartier de la Libération, à deux pas du tram et du marché du même nom. Je pense aux plats de ce soir, une cervelle servie en fines lamelles dorées, sinon un foie de bœuf au genièvre pour ceux que ce genre d’abat n’écœure pas.

Curieusement, le foie est l’une de mes plus belles réussites. Je concasse les baies de genévrier, étale la farine de chaque côté et plonge le tout dans un bain d’huile chaude, à peine trois minutes, le temps de le faire revenir à la poêle. Je sale, incorpore le poivre et saupoudre les baies, laissant mijoter à feu moyen.