L'archipel de la Manche - Victor Hugo - E-Book

L'archipel de la Manche E-Book

Victor Hugo

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Beschreibung

Les coulisses d’un exil qui aura vu naître de grandes œuvres.

Qui a vu l’archipel normand l’aime ; qui l’a habité l’estime.
C’est là un noble petit peuple, grand par l’âme. Il a l’âme de la mer. Ces hommes des îles de la Manche sont une race à part. Ils gardent sur la grande terre on ne sait quelle suprématie ; ils le prennent de haut avec les Anglais, disposés parfois à dédaigner ces trois ou quatre pots de fleurs dans cette pièce d’eau. Jersey et Guernesey répliquent : Nous sommes les Normands, et c’est nous qui avons conquis l’Angleterre. On peut sourire, on peut admirer aussi.
Un jour viendra où Paris mettra ces îles à la mode et fera leur fortune ; elles le méritent. Une prospérité sans cesse croissante les attend le jour où elles seront connues.
- Victor Hugo -

L’archipel de la Manche sera intégré en présentation de la deuxième édition du roman Les travailleurs de la mer en 1883.
Un voyage au cœur de l'archipel normand, de Jersey à Guernesey, où Victor Hugo nous fait découvrir ses habitants et leur mode de vie.

EXTRAIT

Qu’on juge de la force du flux polaire et de la violence de cet affouillement par le creux qu’il a fait entre Cherbourg et Brest. Cette formation du golfe de la Manche aux dépens du sol français est antérieure aux temps historiques. La dernière voie de fait décisive de l’océan sur notre côte a pourtant date certaine. En 709, soixante ans avant l’avènement de Charlemagne, un coup de mer a détaché Jersey de la France. D’autres sommets des terres antérieurement submergées sont, comme Jersey, visibles. Ces pointes qui sortent de l’eau, sont des îles. C’est ce qu’on nomme l’archipel normand. Il y a là une laborieuse fourmilière humaine.

À PROPOS DE L’AUTEUR

En 1851, en réaction au coup d'État du 2 décembre 1851, perpétré par Louis-Napoléon Bonaparte, Victor Hugo (1802-1885) fuit la France pour un exil de dix-neuf années, dont quinze seront passées à Hauteville House, la maison de Guernesey après avoir été chassé de Jersey. C’est dans les îles anglo-normandes que le poète, dramaturge et romancier s’établit et trouve son inspiration, publiant certaines de ces œuvres majeures, parmi lesquelles Les Châtiments et Les Misérables.

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Victor HUGO

L’archipel de la Manche

CLAAE2014

CLAAEFrance

© CLAAE, 2014

Tous droits réservés. Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

eBook 9782379110290

1

Les anciens cataclysmes.

L’Atlantique ronge nos côtes. La pression du courant du pôle déforme notre falaise ouest. La muraille que nous avons sur la mer est minée de Saint-Valéry-sur-Somme à Ingouville, de vastes blocs s’écroulent, l’eau roule des nuages de galets, nos ports s’ensablent ou s’empierrent, l’embouchure de nos fleuves se barre. Chaque jour un pan de la terre normande se détache et disparaît sous le flot. Ce prodigieux travail, aujourd’hui ralenti, a été terrible. Il a fallu pour le contenir cet éperon immense, le Finistère. Qu’on juge de la force du flux polaire et de la violence de cet affouillement par le creux qu’il a fait entre Cherbourg et Brest.

Cette formation du golfe de la Manche aux dépens du sol français est antérieure aux temps historiques. La dernière voie de fait décisive de l’océan sur notre côte a pourtant date certaine. En 709, soixante ans avant l’avènement de Charlemagne, un coup de mer a détaché Jersey de la France. D’autres sommets des terres antérieurement submergées sont, comme Jersey, visibles. Ces pointes qui sortent de l’eau sont des îles. C’est ce qu’on nomme l’archipel normand.

Il y a là une laborieuse fourmilière humaine.

À l’industrie de la mer qui avait fait une ruine, a succédé l’industrie de l’homme qui a fait un peuple.

2

Guernesey.

Granit au sud, sable au nord ; ici des escarpements, là des dunes ; un plan incliné de prairies avec des ondulations de collines et des reliefs de roches ; pour frange à ce tapis vert froncé de plis, l’écume de l’océan ; le long de la côte, des batteries rasantes, des tours à meurtrières, de distance en distance ; sur toute la plage basse, un parapet massif, coupé de créneaux et d’escaliers, que le sable envahit, et qu’attaque le flot, unique assiégeant à craindre ; des moulins démâtés par les tempêtes ; quelques-uns, au Valle, à la Ville-au-Roi, à Saint-Pierre-Port, à Torteval, tournant encore ; dans la falaise, des ancrages ; dans les dunes, des troupeaux ; le chien du berger et le chien du toucheur de bœufs en quête et en travail ; les petites charrettes des marchands de la ville galopant dans les chemins creux ; souvent des maisons noires, goudronnées à l’ouest à cause des pluies ; coqs, poules, fumiers ; partout des murs cyclopéens ; ceux de l’ancien havre, malheureusement détruits, étaient admirables avec leurs blocs informes, leurs poteaux puissants et leurs lourdes chaînes ; des fermes à encadrements de futaies ; les champs murés à hauteur d’appui avec des cordons de pierre sèche dessinant sur les plaines un bizarre échiquier ; çà et là, un rempart autour d’un chardon, des chaumières en granit, des huttes casemates, des cabanes à défier le boulet ; parfois, dans le lieu le plus sauvage, un petit bâtiment neuf surmonté d’une cloche, qui est une école ; deux ou trois ruisseaux dans des fonds de prés ; ormes et chênes ; un lys fait exprès, qui n’est que là, Guernsey lily ; dans la saison des grands labours, des charrues à huit chevaux ; devant les maisons, de larges meules de foin portées sur un cercle de bornes de pierre ; des tas d’ajoncs épineux ; parfois des jardins de l’ancien style français, à ifs taillés, à buis façonnés, à vases rocailles, mêlés aux vergers et aux potagers ; des fleurs d’amateurs dans des enclos de paysans ; des rhododendrons parmi les pommes de terre ; partout sur l’herbe des étalages de varech, couleur oreille d’ours ; dans les cimetières, pas de croix, des larmes de pierre imitant au clair de la lune des Dames blanches debout ; dix clochers gothiques sur l’horizon ; vieilles églises, dogmes neufs ; le rite protestant logé dans l’architecture catholique ; dans les sables et sur les caps, la sombre énigme celtique éparse sous ses formes diverses, menhirs, peulvens, longues pierres, pierres des fées, pierres branlantes, pierres sonnantes, galeries, cromlechs, dolmens, pouquelaies 1 ; toutes sortes de traces ; après les druides, les abbés ; après les abbés, les recteurs ; des souvenirs de chutes du ciel ; à une pointe Lucifer, au château de Michel-Archange ; à l’autre pointe Icare, au cap Dicart ; presque autant de fleurs l’hiver que l’été ; – voilà Guernesey.

1. Pierres pouquelées.

3

Guernesey, suite.

Terre fertile, grasse, forte. Nul pâturage meilleur. Le froment est célèbre, les vaches sont illustres. Les génisses des herbages de Saint-Pierre-du-Bois sont les égales des moutons lauréats du plateau de Confolens. Les comices agricoles de France et d’Angleterre couronnent les chefs-d’œuvre que font les sillons et les prairies de Guernesey. L’agriculture est servie par une voirie fort bien entendue, et un excellent réseau de circulation vivifie toute l’île. Les routes sont très bonnes. À l’embranchement de deux routes on voit à terre une pierre plate avec une croix. Le plus ancien bailli de Guernesey, celui de 1284, le premier de la liste, Gaultier de la Salte, a été pendu pour fait d’iniquité judiciaire. Cette croix, dite la Croix aubaillif, marque le lieu de son dernier agenouillement et de sa dernière prière.

La mer dans les anses et les baies est égayée par les corps-morts, grosses toues bariolées en pain de sucre, quadrillées de rouge et de blanc, mi-parties de noir et de jaune, chinées de vert, de bleu et d’orange, losangées, jaspées, marbrées, flottant à fleur d’eau ; on entend par endroits le chant monotone des équipes halant quelque navire, et tirant le tow rope.

Non moins que les poissonniers, les laboureurs ont l’air content ; les jardiniers de même. Le sol, saturé de poussière de roche, est puissant ; l’engrais, qui est de tangue et de goémon, ajoute le sel au granit ; d’où une vitalité extraordinaire ; !a sève fait merveilles ; magnolias, myrtes, daphnés, lauriers-roses, hortensias bleus ; les fuchsias sont excessifs ; il y a des arcades de verbènes triphylles 1 ; il y a des murailles de géraniums ; l’orange et le citron viennent en pleine terre ; de raisin point, il ne mûrit qu’en serre ; là, il est excellent ; les camélias sont arbres ; on voit dans les jardins la fleur de l’aloès plus haute qu’une maison. Rien de plus opulent et de plus prodigue que cette végétation masquant et ornant les façades coquettes des villas et des cottages.

Guernesey, gracieuse d’un côté, est de l’autre terrible. L’ouest, dévasté, est sous le souffle du large. Là, les brisants, les rafales, les criques d’échouage, les barques rapiécées, les jachères, les landes, les masures, parfois un hameau bas et frissonnant, les troupeaux maigres, l’herbe courte et salée, et le grand aspect de la pauvreté sévère.

Li-Hou est une petite île tout à côté, déserte, accessible à mer basse. Elle est pleine de broussailles et de terriers. Les lapins de Li-Hou savent les heures. Ils ne sortent de leur trou qu’à marée haute. Ils narguent l’homme. Leur ami l’océan les isole. Ces grandes fraternités c’est toute la nature.

Si l’on creuse les alluvions de la baie Vason, on y trouve des arbres. Il y a là, sous une mystérieuse épaisseur de sable, une forêt.

Les pêcheurs rudoyés de cet ouest battu des vents font des pilotes habiles. La mer est particulière dans les îles de la Manche. La baie de Cancale, tout proche, est le point du monde où les marées marnent le plus.

1. Verbena triphylla.

4

L’herbe.

L’herbe à Guernesey, c’est l’herbe de partout, un peu plus riche pourtant ; une prairie à Guernesey, c’est presque le gazon de Cluges ou de Géménos. Vous y trouvez des fétuques et des pâturins, comme dans la première herbe venue, plus le Brome mollet aux épillets en fuseau, plus le Phalaris des Canaries, l’agrostide qui donne une teinture verte, l’ivraie ray-grass, la houlque qui a de la laine sur sa tige, la flouve qui sent bon, l’amourette qui tremble, le souci pluvial, la fléole, le vulpin dont l’épi semble une petite massue, le stype propre à faire des paniers, l’élyme utile à fixer les sables mouvants. Est-ce tout ? non, il y a encore le dactyle dont les fleurs se pelotonnent, le Panis millet, et même, selon quelques agronomes indigènes, l’Andropogon. Il y a la crépide à feuilles de pissenlit qui marque l’heure, et le laiteron de Sibérie qui annonce le temps. Tout cela, c’est de l’herbe ; mais n’a pas qui veut cette herbe ; c’est l’herbe propre à l’archipel ; il faut le granit pour sous-sol, et l’océan pour arrosoir.

Maintenant faites courir là dedans et faites voler là-dessus mille insectes, les uns hideux, les autres charmants ; sous l’herbe, les longicornes, les longinases, les calandres, les fourmis occupées à traire les pucerons leurs vaches, les sauterelles baveuses, la coccinelle, bête du bon Dieu, et le taupin, bête du diable ; sur l’herbe, dans l’air, la libellule, l’ichneumon, la guêpe, les cétoines d’or, les bourdons de velours, les hémérobes de dentelle, les chrysis au ventre rouge, les volucelles tapageuses, et vous aurez quelque idée du spectacle plein de rêverie qu’en juin, à midi, la croupe de Jerbourg ou de Fermain-Bay offre à un entomologiste un peu songeur et à un poète un peu naturaliste.

Tout à coup vous apercevez sous ce doux gazon vert une petite dalle carrée où sont gravées ces deux lettres : W. D., ce qui signifie War Department