L’égarement - Thoueybat Saïd Omar-Hilali - E-Book

L’égarement E-Book

Thoueybat Saïd Omar-Hilali

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Beschreibung

"L’égarement – L’islamisme au cœur de l’Océan Indien"  aborde la position stratégique de l’Océan Indien et démystifie un phénomène idéologique global. L’auteure met en lumière la manière dont les extrémistes se réclamant de l’Islam, et les mercenaires utilisent les armes pour propager terreur et désolation. Le focus est mis sur les Comores, présentées comme un nouveau centre d’expansion de cette idéologie terroriste aux objectifs opportunistes. Thoueybat Saïd Omar-Hilali souligne que, derrière des arguments fallacieux, ces conflits ont des conséquences tragiques similaires partout dans le monde.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Ancienne ambassadeur des Comores, politologue et essayiste, à l’approche des cinquante ans de l’indépendance des Comores, Thoueybat Saïd Omar-Hilali partage des faits pour montrer un autre visage de son pays, épuré de mercenaires et du spectre de Bob Denard.

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Thoueybat Saïd Omar-Hilali

L’Égarement

L’islamisme au cœur de l’Océan Indien

© Lys Bleu Éditions – Thoueybat Saïd Omar-Hilali

ISBN : 979-10-422-1176-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

S’enrichir de la diversité

pour communiquer sans indifférence.

À la jeunesse consciente, à mes filles,

à mon époux et à ma famille.

Présentation

La situation géographique des Comores n’a jamais été aussi déterminante et l’archipel autant convoité que depuis la découverte des hydrocarbures dans le canal du Mozambique. Face à une région en effervescence, pendant que la rive orientale de l’Afrique, particulièrement la Somalie et aujourd’hui le Soudan, plonge dans le désordre en exposant ce vaste territoire chaque jour un peu plus dans l’incertitude de la guerre civile. Elle est confrontée à la montée vertigineuse de l’instabilité et de l’insécurité conséquentes à la violence des terroristes et des el Shebabs. Une forme d’insurgés incontestablement liés aux mouvements djihadistes, tous en faveur de la terreur des islamistes.

Depuis des décennies, l’Érythrée est prise dans la confusion qui l’oppose à son grand voisin l’Éthiopie, dépourvu de débouché maritime et auquel s’ajoutent les conséquences tant sécuritaires qu’économiques et autant sanitaires, auxquelles est confronté également l’autre voisin le Tigré, déjà en conflit également. Le Somaliland n’a d’existence que le nom, fondant son fonctionnement sur les ruines de l’absence de toute forme de structure administrative, avec une économie ne reposant que sur celle des États voisins alors que sa monnaie a perdu depuis fort longtemps toute valeur marchande pour ne s’apparenter qu’à une unité de compte excluant toute crédibilité financière. Néanmoins, sans même la reconnaissance internationale, c’est avec détermination et abnégation que cet État sans État semble être des plus stables et le plus sécurisé de la sous-région en sachant s’appuyer méthodiquement sur des partenariats économiques certes informels, mais lui permettant de se réaliser.

C’est en avançant vers l’Océan Indien, à la rencontre de la mer Rouge, que Djibouti frontalier s’impose, jadis bien plus fragile par sa taille que par sa différence culturelle, en étant le seul État francophone dans cet immense ensemble. Il opta pour cela en faveur d’une politique sécuritaire, en s’ouvrant aux diverses puissances économiques et militaires pour mieux se protéger, en accueillant sur son territoire les basses militaires des puissances mondiales. Pendant que l’archipel des Comores à l’exception de Mayotte s’expose à des fins autres que pour sa propre sécurité.

Certainement qu’avec la présence des mercenaires sur son territoire, l’archipel des Comores était craint par le voisinage mais uniquement pour le risque de déstabilisation et de contamination qu’il représentait alors que toute forme démocratique est tout sauf compatible avec une telle présence. Pour son ralliement et la coopération entreprise avec le régime de l’apartheid sud-africain avaient pour finalité l’espionnage du Mozambique voisin. Ceci eut pour conséquence l’isolement regrettable des Comores, né de la brouille et la confusion que cela causait sur le continent. Cette présence n’était plus acceptable, alors même que Mayotte se préparait à lever les amarres pour mettre la distance avec l’ensemble naturel auquel elle appartient, pour mieux s’ancrer à la France.

Ce cas est devant l’histoire bien particulier et pour l’Afrique tout aussi singulier, pour un continent qui a le plus souffert de l’aliénation que du colonialisme après les temps de servage. Alors même que chaque peuple cherche à exprimer son authenticité quand ce n’est pas sa souveraineté. Pendant ce temps, Mayotte, dans son isolement territorial, réclame haut et fort une appartenance française tout en baignant dans une culture bantoue et musulmane comme d’ailleurs les autres îles de l’archipel, qu’elle rejette de haut en raison des aventures inconséquentes et souvent avec dédain. Nul ne peut se réinventer une origine, même si les départementalistes mahorais se voudraient autrement, certes différents par leur nature que par distinction de la population autochtone. Ils induisent incontestablement la population de l’île à l’erreur funeste pour s’imposer avec manigance et surtout dans l’indifférence. Ceux-là cherchent à se tailler une place dans la toile des nations qui composent la France dont il faut reconnaître sa force de séduction et saluer la détermination de sa politique d’intégration.

Ceux qui s’égarent s’affirment souvent dans la contraction également et surtout lorsqu’il s’agit des relations de bon voisinage notamment avec la côte orientale de l’Afrique et plus particulièrement aujourd’hui encore avec le Mozambique voisin. Avec ses gisements gigantesques, il apparaît nécessaire à ceux qui en sont dépourvus de se chercher une ascendance pour y puiser des origines plutôt qu’à Madagascar comme il avait été laissé longtemps entendre, durant des décennies. Ceux-là aussi se tournent vers Zanzibar reconnue être plus organisée et plus attractive par son histoire séculière que pour son tourisme au prix du shilling. Pourtant de nombreux Comoriens ont depuis des siècles, immigré vers Zanzibar, probablement pour sa richesse culturelle que pour son économie florissante.

La chose fondamentale qui persiste néanmoins est qu’ils se reconnaissent tous et sans distinction et ce quelle que soit l’île d’origine comme étant des Wa Ngazidja, pour dire simplement de la Grande Comore. Ceux-là aussi baignent dans une culture qui brasse et qui se définit comme étant la Swahilie par excellence. La reconnaissance de la proximité ou l’appartenance culturelle de l’archipel des Comores à ce monde est incontestable, dès lors qu’il est pris au sens premier du terme : la culture et la civilisation côtière.

Il est cependant irréfutable que la Tanzanie est diverse et que sa politique était supposée progressiste, même si elle se tourne de plus en plus vers une économie libérale, mais encore définie par une politique autoritaire. Elle demeure pour autant dans son exception swahilie, alors que Mayotte se voulait d’abord malgache avant d’être française. Pendant que les Comores se perdent dans ses atermoiements d’une quête identitaire, car depuis la percée du chiisme sur son territoire, les îliens tentent de s’affirmer comme étant aussi bien une nation africaine, de tradition bantoue mais aussi bien et incontestablement musulmane de rite sunnite et définitivement arabe.

Cependant, l’archipel des Comores n’a pas subi les influences religieuses récentes apparues particulièrement avec la colonisation britannique, celles qui ont fait jaillir des oppositions entre les communautés musulmanes de l’Afrique orientale. Alors que le sultan Sayyed Barghash de Zanzibar sous l’influence du vice-roi des Indes Lord Canning était contraint de céder, en acceptant la division du royaume de son défunt père en deux pour un arbitrage à la Solomon. Mais il était aussi confronté de l’autre côté aux velléités des Mazruis de Mombasa, cette communauté musulmane à part entière, quoiqu’également originaire d’Oman.

Le sultanat de Zanzibar fut ainsi attribué au commandement allant du cap de Guardafui aux frontières portugaises. Tandis que l’autre prince reçoit la charge de Mascate, celle qui était encore plus adaptée à la politique de l’administration britannique de l’Océan Indien, celle qui englobe les rivages d’Arabie, de Bahreïn à Aden. Une région qui était tout aussi bien placée sous la supervision du vice-roi britannique des Indes. En reconnaissance de cause et de l’opposition religieuse fondamentale entre les Chiites particulièrement ceux de la Perse aujourd’hui Iran contre ceux qu’ils nomment eux-mêmes tels les Kharidjites pour dire les Ibadites et indiquer ceux appartenant à un courant encore plus égalitaire mais minoritaire. Ceux-là sont pourtant ceux qui ont tenté la médiation entre les Chiites (Pros Ali) et ceux qui étaient du côté de Mu’awiya dans la bataille de Siffin en l’an 657. Ils sont Arabes et appartiennent à un courant majoritairement implanté au sultanat d’Oman et dont le fondateur est Jabir ibn Zaïd Al-Azdi originaire lui-même d’Oman. Il était un élève d’Aïcha, l’épouse du prophète Mohammad et d’Abdullah ibn Abbas son cousin, celui qui est perçu tel le père de l’exégèse coranique.

Les Omanais constituent aujourd’hui la communauté la plus importante du Ibadisme mais on les retrouve également au Maghreb particulièrement en Tunisie. Un courant certes plus rigoriste, dont le Commandeur des Croyants est souvent le sultan lui-même. Il le devient en sa qualité de guide spirituel sans pour autant devoir systématiquement prétendre descendre de la lignée du prophète Mohammad. Sa force est de ne reconnaître aucun suprématisme de couleur ou d’ethnie. Sa doctrine se base sur l’effort et la valeur du travail pour l’équilibre de la société. C’est de cette expression que Zanzibar parvenait à rassembler tous les autres autour de son sultanat. C’est aussi ce qui le démarque des autres écoles de l’Islam sunnite. À ces différences près, il faut ajouter celle qui oppose depuis la nuit des temps tous les Arabes dans leur diversité à la Perse devenue l’Iran chiite.

Le sultan Sayyed Barghash de Zanzibar est aussi celui qui fournit en 1878 un contingent de Wa Nyamwesi, une de ces ethnies aujourd’hui majoritaires en Tanzanie et en Afrique australe, à son allié le sultan Moussa Foumou de la Grande Comore pour asseoir son régime contre la lutte chevaleresque du sultan Saïd Ali, le dernier sultan connu pour être favorable à la percée française dans l’archipel. Cette nouvelle communauté s’est bien installée après sa défaite au centre de l’île et plus particulièrement dans la région d’Itsandra, le fief du sultan déchu. On les trouve incontestablement à travers les îles et encore aujourd’hui par une descendance certes multiculturelle, car bien intégrée dans la seule composante de la population comorienne.

Il y a lieu de rappeler aussi qu’avec le Kenya mais aussi avec le Mozambique, il y a des liens fort anciens et plus particulièrement avec l’île du Mozambique du fait des origines des populations des Comores qui s’expriment par la similitude culturelle avérée et cela malgré la différenciation linguistique issue des colonisations européennes. Les îles Comores sont peuplées d’abord de Bantoues dont l’origine culturelle se rapporte incontestablement aux Makua du Mozambique et plus vraisemblablement aux Mijikenda, ces neuf tribus bantoues établies le long de la côte allant de la Somalie à la Tanzanie en passant par celle du Kenya. Ceux-là se sont aussi établis à Madagascar dans sa région ouest de l’île et sont à l’origine des Sakalava également.

Ces peuplements vivaient de cueillette, de chasse et de pêche et sont reconnaissables par l’organisation sociale sédentaire que par l’habitat. Ils partagent avec les Comores les mêmes valeurs traditionnelles, comme le vestimentaire dont l’introduction du Sahari et Subaïya, ces pagnes colorés qu’on retrouve dans toutes les cérémonies de ces régions et dont leurs origines remontent encore à l’Indonésie. D’autres cotonnades constituent un autre élément identitaire à cet ensemble culturel comme le pagne qui couvre les femmes alors que les hommes le nouent à la taille. Mais il y a aussi ce phénomène identitaire du port du masque de beauté à base de corail et de bois de santal appelé localement msidzanu, tout en constituant une sorte de maquillage qui s’accommode à la tenue vestimentaire composée de pagnes de coton léger qui rappellent d’autres apports de cette même culture, commune et en partage.

Le port de bijoux locaux est un autre facteur comme le fait d’insérer dans les lobes des oreilles de grosses plaques ou bobines au départ faites en bois ou de papier avant d’être remplacées par des bijoux en métal noble. Jusqu’à tout récemment encore, le rang social de celles qui portent ces bijoux était en fonction de leur taille et plus ils étaient gros et autant le rang était élevé. Avec l’introduction de la tradition du Anda, aux Comores, spécifiquement désigné tel le Grand mariage, ces parures appelées Zitumbi trouvaient autrefois leur place aux côtés de l’étal des boucles d’oreilles traditionnelles et des autres bijoux comme les piercings ou autres boucles de nez, appelés localement et traditionnellement Ipini, qui d’ailleurs se sont enrichis au fur des rencontres avec l’Orient et l’Inde en particulier, ce carrefour de la civilisation que constituait encore le sultanat de Zanzibar.

Ce qui donne une part de réponse aux besoins d’exposition et de démonstrations de ces parures lors des cérémonies du anda. La tradition culinaire est à quelque chose près, voire similaire en faisant usage de feuilles, de racines et des tubercules entre autres aux côtés des épices et du riz local avant de devenir d’importation. La préparation du traditionnel mataba est partout la même. Quoiqu’il arrive parfois que sa dénomination soit différente, tel le saka-saka mais il reste ce plat cuisiné à base de feuilles de manioc accommodé de lait de coco et qui est pratiquement consommé partout dans cet espace culturel en partage et de la même manière.

La région portuaire de Quelimane dans la province du Zambezie est encore aujourd’hui habitée par une forte diaspora d’origine comorienne, tandis que les ressortissants de cette même région étaient autrefois désignés aux Comores tels les Wa Kilimani. L’islam qui y est pratiqué de part et d’autre du canal est un islam sunnite d’obédience Chafiite. Les Makua aussi appartiennent à cette même culture et constituent un groupe ethnique le plus répandu en Afrique orientale et dans les îles de l’Océan Indien également. Ils étaient parfois mais pas uniquement introduits à travers la traite négrière comme ce fut le cas à l’île de La Réunion, mais avec l’aide des Makonde.

Cette autre tribu de l’Afrique australe et orientale, qui est facilement reconnaissable par ses scarifications nombreuses et ses tatouages corporels que par les spectaculaires sculptures et dont la créativité a fait sa renommée. Elle est originaire de la région du Ruvuwa, séparée de la Tanzanie par la rivière du même nom. Une région qui fait aujourd’hui l’objet de toutes les convoitises depuis les découvertes des hydrocarbures. Les Mahorais sont bien loin d’être aussi créatifs et autant combatifs pour prétendre à cette ascendance. La facilité n’a jamais été pour eux un mode identitaire. Pendant que les puissances européennes se partagent la manne, quand le Britannique Aminex a reçu de la Tanzanie la licence d’exploitation gazière, le français Total s’occupe de la partie pétrolifère du Mozambique voisin et c’est là probablement que le rapprochement devient intéressant.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les Makonde à l’origine continentale ne sont introduits à Zanzibar qu’au début de la révolution de 1964 par les soins du Comorien Ali Mwinyi Trambwe, sur la recommandation incontestable de Julius Nyerere qui cherchait à grossir les rangs des partisans de son allié Abed Karume tout aussi originaire du continent, pour affronter le cosmopolite sultanat de Zanzibar dont le rapprochement de l’Égypte de Nasser faisait craindre une montée du nationalisme arabe. C’est en cela que le Mozambicain Samora Machel avait tenu à rappeler vingt ans plus tard à son homologue Comorien Ahmed Abdallah, pour cette appartenance commune, lors du sommet de l’OUA de 1984, après que le régime de ce dernier eut été dénoncé pour sa collaboration avec le régime de l’apartheid sud-africain. Son successeur Joaquim Chissano avait aussi rappelé à son homologue Mohamed Taki Abdoulkarim les liens forts et historiques qui unissent leurs deux peuples.

Avec la découverte des ressources fossiles dans le sud-ouest de l’Océan Indien, les États riverains de part et d’autre du bassin pétrolier devraient ensemble pouvoir trouver une expression commune venant sceller la relation, autant identitaire que pour leurs besoins stratégiques. C’était dans cet esprit que Joaquim Chissano avait aussi suggéré à Mohamed Taki, l’adoption d’une telle politique en vue de cette même exploitation. Leur coopération devrait ainsi pouvoir se passer par des échanges culturels que par le renforcement linguistique pour l’affirmation historique des deux nations. Elle déboucherait inévitablement sur une coopération bien plus qu’économique et par la réalisation d’une communauté renforcée et bien établie.

La relation historique des Comores avec la France n’est pas à démontrer, pas plus d’ailleurs que sa présence fort ancienne dans cette région. Elle est incontestablement la puissance désormais riveraine et qui entre dans le partage des ressources fossiles en tenant compte de la répartition de la zone économique exclusive. Pour cela, elle envisage par la proximité et à travers sa présence, notamment à Mayotte, à une participation équitable de son exploitation. Une présence qui inquiète déjà certainement ses adversaires, tout comme les aventuriers criminels et terroristes qui sillonnent déjà la zone. En revanche, cette présence française rassure prioritairement ses partenaires par ses capacités de sécurisation comme lorsqu’elle a lancé vingt ans après la déclaration d’indépendance, l’opération amphibie d’octobre 1995. Une opération qu’elle a menée sous la présidence de Jacques Chirac et sous l’impulsion de l’Afrique du Sud de Mandela, pour venir à la rescousse des Comores, que pour les débarrasser de la présence des mercenaires et de leur chef Bob Denard.

En allant d’aventure en aventure, les autorités successives des Comores n’ont encore réussi à exploiter que des voies qui les conduisent à d’autres formes d’aventures, pour ne se pencher qu’en faveur d’autres intérêts non avouables et certainement bien différents de ce que proposait le Mozambique. Cela tiendrait de la différence, par la résistance qui qualifie ce peuple vaillant qui s’est libéré pendant que les Comores, avec des réseaux d’occupation, tissaient encore des alliances, pour accompagner ceux qui se servaient de son territoire. Si les efforts de l’Union Africaines se multiplient parfois, les enjeux en varient parfois. Par la création de structures sous régionales, on ne peut nier la tendance à la montée de pays leaders susceptibles d’impulser une autre politique d’intégration économique avec des prises particulières d’intérêts, au risque d’amoindrir dans un rapport de force, la relation sécuritaire.

Au regard de la SADC, à l’exemple de la RD Congo qui s’en est rapprochée pour bénéficier de l’assistance militaire du Zimbabwe, de la Namibie mais aussi de l’Angola, alors que le pôle économique et militaire est assuré par l’Afrique du Sud, pourtant considérée telle la puissance militaire sous régionale. Elle s’est positionnée au sein de l’organe exécutif de l’Afrique australe pour la gestion politique de défense et de sécurité de la SADC tout en reconsidérant la tension encore latente entre la politique de Pretoria et celle de Luanda, même si des efforts diplomatiques et de coopération à des fins de rapprochement sont réciproquement adoptés. Cela n’était fait que pour pouvoir régler le compte de Mugabe sans pouvoir tenir compte réellement des conséquences de l’isolement du Botswana.

Ce n’est certainement pas avec de telles méthodes que les crises se résorbent alors même que le système induit à des frustrations aux pays voisins, tout en exposant particulièrement ceux de l’Afrique centrale. Avec l’Afrique du Sud, la différence réside dans la création du Parc national Krugel, cette zone tampon le séparant du Mozambique, bien que les deux États se soient fort bien rapprochés depuis la fin de la politique de l’apartheid. Avec l’accession au pouvoir de Mandela en 1994 et la reconsidération de l’ANC le parti majoritaire. C’est ainsi que la relation est confortée par sa proximité politique ancienne avec le Frolimo au pouvoir au Mozambique.

La dépendance énergétique de l’Afrique du Sud du Mozambique voisin met aussi en évidence un lien nécessaire qu’indispensable et qui donne des raisons à ce rapprochement. Pour le moment, la solution de l’approvisionnement des deux États semble avoir trouvé une adéquation dans l’exploitation d’importants barrages hydrauliques après celui de Cahora Bassa au Mozambique, bien avant que s’ouvre le chantier en construction sur le Zambèze du barrage de Mphanda Nkuwa pour répondre aux besoins énergétiques encore défaillants face aux besoins grandissants de l’Afrique du Sud. Ce rapprochement repose d’abord sur la stratégie hydraulique qui a servi à l’ouverture à bien d’autres encore. Néanmoins, une proposition allant dans ce sens avait même déjà été envisagée pour les Comores du temps du régime de Mohamed Taki mais elle est assez vite écartée pour des raisons plutôt politiques.

Avec l’aide d’une telle architecture de gouvernance, Pretoria parvient malgré son passé historique compliqué à bien promouvoir sa construction nationale. Ce qui lui a permis de s’investir ailleurs dans la recherche de résolutions aux nombreux conflits continentaux, dont celui qui expose la corne, en opposant l’Éthiopie à l’Érythrée mais aussi au Soudan tout comme en Côte d’Ivoire et ailleurs encore également. Il s’est particulièrement investi aux Comores et à plusieurs reprises déjà, car l’Afrique du Sud est depuis fort longtemps un allié de taille et traditionnel de la France, pour son essor économique que par le soutien qu’elle a toujours apporté à ce pays où elle a encore de nombreux intérêts.

Depuis la deuxième guerre du Congo et l’avènement de Paul Kagame au pouvoir au Rwanda en 1994, il impose depuis une politique sans concession pour ses adversaires tout en réussissant à coup sûr la reconstruction d’un pays qui était tant miné par la guerre que marqué par le génocide. Il sait toutefois séduire par sa méthode que par sa politique sociale mettant en scène ce qu’il fait de mieux telle la parité tant recherchée ailleurs. C’est par ce stratagème qu’il a opéré son retour à la Francophonie tout en maintenant sa présence au sein du Commonwealth. En parvenant à se faire reconnaître également, pour des raisons historiques que stratégiques tel cet autre partenaire de la France et de lutte contre le djihadisme continental dont l’Afrique a tant besoin.

En septembre 1998, l’OUA formulait devant le Conseil de sécurité de l’ONU sa concertation face à la montée en nombre et en intensité des conflits en Afrique. Alors que les États membres exprimaient leur préoccupation particulière face à l’apparition et la résurgence de conflits nouveaux mais qui pour certains constituaient déjà des menaces à la stabilité des régions encore beaucoup plus vastes. De ce fait, les États africains interpellaient la communauté internationale afin qu’elle interagisse notamment à travers l’ONU pour la recherche de nouvelles stratégies encore plus adaptées. Tandis qu’il était particulièrement recommandé aux États africains ainsi qu’à toutes les parties concernées de faire preuve de volonté politique et de recourir au règlement pacifique de leurs conflits conformément à la Charte des Nations Unies.

L’expérience du règlement du conflit Rwandais est vite saluée par de nombreux jeunes africains, pour avoir réussi en même temps à affirmer ses capacités militaires que celle de sa propre défense. Cela s’est réalisé en misant massivement sur l’éducation de qualité et en investissant sur ses propres institutions. Pour ce fait, ce pays enregistre des performances économiques qui l’honorent encore. Il entre ainsi dans le cercle restreint des pays africains qui ont atteint les objectifs de développement du Millénaire. Avec les années 2000, l’Afrique du Sud adopte une nouvelle politique de projection sur la scène internationale par l’organisation notamment de sommets d’envergure, ce qui a permis à Pretoria de se positionner et pour Johannesburg d’accueillir en 2002 le sommet mondial pour le développement durable des Nations unies.

C’est par la promotion d’un nouvel ordre continental qu’un projet certes plus intentionnel qu’institutionnel avait au moins permis de relancer la coopération africaine. La France se saisissait du potentiel d’un tel projet et n’avait pas hésité à s’y associer. D’autant que sa présence en Afrique n’a jamais cessé de s’accroître et c’est aussi le moyen de se faire valoir, au regard de l’Afrique orientale, pour ses nombreuses possessions de l’Océan Indien. En stratège politique, elle entretient un partenariat de bon voisinage tout en se faisant reconnaître ce rôle d’interface, celle qu’elle sait jouer aussi bien. La France est autant sollicitée dans cette sous-région aux rebondissements multiples que sur les questions sécuritaires comme pour celles se rapportant aux investissements économiques, où elle y aligne de nombreux atouts avec autant de partenariats et de premier choix.

Lorsque le Premier ministre britannique Boris Johnson déclare sa compassion infinie face à la misère de l’immigration, il fait valoir aussitôt les limites de ses capacités d’accueil de l’immigration clandestine et c’est justement vers le Rwanda qu’il se tourna pour signer des accords de partenariat en avril 2022, venant offrir l’asile à plus de 6 000 km à ceux que Londres ne peut accueillir. Cela se produit en contrepartie d’une aide financière annuelle certes et soi-disant considérable pour ce pays émergent d’Afrique. Si cette décision a soulevé ailleurs l’indignation, d’autres pays avant lui l’ont réalisé dans la plus grande discrétion mais il s’agit là et certainement pour la première fois que cela devait s’opérer en faveur d’un pays africain.

C’est aguerri à la guerre, que le Rwanda apparaît comme son grand voisin sud-africain, cet autre État membre de la SADC à pouvoir s’engager seul dans la lutte militaire contre le terrorisme islamiste qui frappe aujourd’hui encore le Mozambique. Sa force de frappe opère dans la zone côtière et lui donne le potentiel de pouvoir compter parmi les États qui peuvent sécuriser la zone décrétée de paix de l’Océan Indien. Deux pays seulement et pour lequel, si la France n’a pas de relations historiques, elle a su au cours du temps tisser de nouvelles en y investissant massivement notamment dans les ressources minières comme pour la compagnie pétrolière Total. C’est ainsi qu’avec le Mozambique, des efforts considérables sont déployés depuis au moins une décennie, pour le rapprochement des populations locales de ses départements de l’Océan Indien.

Il apparaît également que de nombreux Comoriens, aussi paradoxalement et le plus souvent des binationaux qui sont installés en Europe, sont ceux qui manipulent les autres pour faire de la France, le principal responsable de l’instabilité chronique dont souffre encore leur pays d’origine. Ceux-là agissent le plus souvent et de manière dénuée de toute logique, à partir de Mayotte où ils se réfugient en nombre et en connaissance de cause, que la France a pour principe de ne pas expulser ses citoyens. À cela se pose la question des différends territoriaux qui opposent la France aux États membres de la Commission de l’Océan Indien, comme celui qui l’oppose depuis lors à Madagascar également mais par sa nature, il en est bien différent, étant donné qu’ici le territoire est impropre à toute installation humaine à long terme. Néanmoins, il est largement acquis que pour cette région, toute recherche de solution à un problème lié à sa déstabilisation et présentant des risques d’insécurité, ne peut être résolue même pas en partie que par l’implication voire l’intervention de la France. Même s’il arrive parfois que cela se fasse de manière indirecte tant la relation est majeure et autant incontournable.

C’est aussi bien au cœur de cet espace aussi riche de sa diversité et aussi sensible, que des éléments infiltrés peu consciencieux de la gravité de leurs engagements, l’exposent mais aussi l’archipel pour son appartenance, à travers des réseaux internationaux aux buts fort lucratifs voire considérablement et le plus souvent sans la moindre conscience de la dangerosité alors que les Comores, en étant un État archipel, est encore bien plus fragile. C’est aussi pour cela qu’ils font appel à l’implication de ses composantes voire les plus diverses, par son histoire mais surtout dans la limite des moyens, qu’ils en viennent parfois à trahir les relations les plus anciennes voire les plus appropriées en étant les plus équitables.

C’est en jouant pleinement cette autre partition, celle qui les éloigne chaque jour un peu plus, plutôt que de positionner les Comores aux côtés des autres nations de la région pour un dialogue fécond. Celui qui contribue largement à entretenir l’image de ceux qui se distinguent dans la sous-région pour en faire, la zone de Paix de l’Océan Indien tant souhaitée. L’égarement des Comores serait-il le syndrome de sa malédiction ? Il est certain qu’on ne peut pas attendre de meilleurs changements, de ceux qui sont à l’origine du mal sans qu’ils n’aient réellement pris conscience de leurs errements.

Première partie

Comores : une politique nouvelle rattrapée

par de vieux démons

1

L’avènement de Mohamed Taki au pouvoir

et sa politique de Rehemani

L’opération Azalée de décembre 1995 est le nom de code du débarquement de l’armée française destiné à déloger Bob Denard et ses mercenaires des Comores. Elle voulait simplement donner une nouvelle image de la République, certainement bien différente de jadis et de celle des accommodements. Alors même que Mohamed Taki (1936-1998) et le prince Saïd Ali Kemal (1938-2020) avaient dû se retirer en France, le temps de faire oublier la mésaventure de leur accointance avec ces mercenaires, alors que nombreux se posaient encore des questions en rapport avec la légèreté de leur action que leur manière d’accepter aussi facilement le pouvoir des mains du mercenaire, ceux-là mêmes qui avaient déjà été chassés des Comores par la France en 1989, après l’assassinat du père de l’indépendance.

Il faudra pourtant reconnaître que s’ils ne l’avaient pas fait et si la France ne s’était pas montrée aussi déterminée, Denard n’aurait eu aucun mal à le filer à ses affidés même si la chose politique se corse un peu plus qu’elle ne l’était déjà. En l’occurrence, il a fallu que le régime intérimaire instauré immédiatement après avoir amnistié les soldats putschistes les autorise à revenir sur le territoire pour présenter leur candidature. Les deux hommes politiques étaient toutefois encore considérés comme les garants d’une certaine politique assez responsable. En revanche, du fait de leur exil, les conditions de résidence indispensables pour les présidentielles ne pouvaient être remplies. Leur participation au scrutin était la conséquence d’un consensus particulier, bien négocié pour suspendre la clause électorale exigeant pour tout candidat, la présence physique d’au moins six mois sur le territoire, avant de pouvoir se présenter devant les électeurs.

Durant cette période bien particulière, Saïd Hilali était une des rares personnes à entretenir encore des relations suivies, avec ces deux hommes politiques. Avec chacun d’eux, il partageait bien leurs préoccupations et ensemble ils lui faisaient parfois certaines confidences liées à leurs engagements politiques. Pour leur électorat et pour leurs engagements aussi, il aurait été inconcevable, voire inadmissible, de ne pas les associer à la construction nationale. Hilali devenait ainsi leur intermédiaire voire un interlocuteur accepté partout où ils ne pouvaient l’être. Il s’était réellement engagé à l’organisation d’un plan qui leur permettrait de manière irréfutable de trouver les voies et moyens de les faire participer aux élections présidentielles, car c’était bien la seule manière de les faire revenir sans qu’ils aient à supporter le poids de leur témérité et irresponsable engagement aux côtés de Bob Denard, tout juste trois mois plutôt.

C’était probablement encore et sous l’influence d’Ali Bazi Selim, un homme âgé et sans doute encore très respecté de nombreux que Mohamed Taki persuada Saïd Hilali de bien vouloir travailler en sa faveur et concrètement pour son retour aux Comores. Tous les trois étaient au moins ensemble liés par une relation forte ancienne, voire familiale, pour ceux dont ce rapprochement était incompréhensible. Mais c’était aussi la meilleure manière de lui éviter de devoir supporter le poids d’une imprudence inqualifiable. En revanche, personne ne peut nier l’amour qu’il portait à la nation au même titre que son complice du moment, le prince Saïd Ali Kemal. Ils avaient en commun cette fibre patriotique comme personne ne l’a encore aussi bien exprimé qu’ils ne l’ont déjà fait.

C’est ainsi que prit forme l’idée d’organiser une conférence à Paris, en décembre 1995, après s’être rassuré de la résolution de la crise. Avec l’aide de ses amis, Saïd Hilali parvenait à rassembler presque toutes les tendances politiques ainsi que divers prétendants aux élections présidentielles, à la seule exception d’Abbas Djoussouf (1942-2010) qui n’y voyait vraiment pas l’intérêt, car on lui aurait fait croire qu’il avait la préférence de Paris. Il avait certainement déjà les assurances de ses nombreux amis en France, ceux qui avaient fait dire à Hilali de le prévenir pour qu’il condamne immédiatement le coup de Denard de septembre 1995. Parmi eux, il y avait ceux qui ne cherchaient que les moyens de redistribuer de nouvelles cartes.

Si l’objet premier du sommet de Paris était de permettre aux antagonistes réfugiés à Paris de rentrer au pays, mais il était aussi évident que tous les deux étaient encore encadrés par de notoires mercenaires. Ceux qui ne disaient pas leurs noms et surtout ceux sur qui Hilali ne pouvait d’ailleurs guère miser. C’est ainsi que Saïd Hassane Saïd Hachim adressait le 7 décembre 1995 de l’Hôtel Concorde à Paris où il logeait, un message de remerciement à Foccart, pour l’intérêt constant qu’il porte sur les Comores et de l’avoir reçu aussi longtemps en vue de la préparation des élections. Il venait d’ailleurs l’informer de leur report en mars 1996 avec une précision des dates bien arrêtées.

C’était bien sur la recommandation de Michel Bongrand qu’un rendez-vous avec Foccart fut aussitôt organisé. Pour cela, Saïd Hilali avait exceptionnellement été reçu par Jacques Foccart, le Haut Conseiller du Président Chirac tout en étant bien installé à son domicile du XVIIearrondissement de Paris pour des raisons de santé. Désormais, ce dernier n’officiait plus que de chez lui mais il est aussi certain qu’il s’était déjà entretenu avec tous les candidats comme pour savoir lequel d’entre eux respecterait le mieux ses engagements propres. De cette rencontre, il n’en est sorti que des encouragements et pour cause, ceux pour qui il venait plaider la possibilité du retour sans contrainte, étaient déjà tous les deux tenus par des engagements que lui seul avait la maîtrise.

Il lui recommanda si justement de ne surtout rien négliger qui puisse s’opposer à la réconciliation nationale et surtout des antagonistes comoriens et parmi eux il y avait évidemment Mohamed Saïd M’Changama. Pour cela aussi, il n’avait pas manqué de saluer la démarche probablement encore en sachant que d’une manière ou d’une autre, ce serait un de ses nombreux poulains qui en serait le vainqueur. Mieux il serait élu, mieux cela serait notamment pour la redistribution des toutes nouvelles cartes. Ce fut ainsi et sur les fondements d’un dialogue national que tout reposait mais aussi pour d’autres nécessités que pour des raisons de stabilisation des Comores.

Un pacte d’entente était enfin obtenu entre les différents candidats et il imposait à celui qui arriverait en bonne position de pouvoir bénéficier de la manière la plus adéquate, juste et acceptable du soutien de tous les autres signataires. Nombreux aussi étaient ceux qui avaient fait le déplacement et parfois depuis Moroni et parmi eux comptaient bien évidemment Saïd Hassane Saïd Hachim, Mohamed Moumine ou même Saïd Ali Youssouf qui apparaissaient ainsi tels les garants politiques de la bonne conduite pour leur ancienneté que pour leurs expériences. Ils étaient évidemment tous en faveur de Mohamed Taki. Alors que Saïd Ali Kemal avait misé de s’appuyer des progressistes, Ibrahim Halidi et Bourhane Rachidi, beaucoup plus jeunes sans doute et encore peu expérimentés à la chose publique. Ces derniers avaient au moins en commun en eux, cette fibre nationaliste qui avait été interrompue brutalement avec la mort d’Ali Soilih.

Comme une seule force pour le changement d’autres personnalités telles que Salim Ahmed Abdallah ou encore Saïd Ali Mohamed et Mohamed S. M’Changama entre autres les avaient aussitôt rejoints. Hilali bénéficiait du soutien et des conseils de son ami parisien Alain Gouttman (1942-2014) pour l’organisation de la conférence. Malgré l’engouement des intéressés, il trouvait cependant qu’ils manquaient cruellement de responsabilité. Il avait même fait le déplacement à Moroni, en observateur averti de l’évolution politique du pays dont il suivait les rebondissements depuis fort longtemps. Il en revenait fort désabusé et ne manquait pas de répéter que les Comores méritent mieux.

Toutefois, dès le retour de la droite au pouvoir, Foccart reprenait aussi du service, celui qui le sied le mieux, du vrai patron de la Cellule africaine de l’Élysée. Il connaissait ses rouages et depuis des décennies, il côtoyait les politiques comoriens et le prince Saïd Ali Kemal pour avoir été le premier Ambassadeur des Comores à Paris, après avoir passé un pacte avec Ahmed Abdallah pour le coup d’État de mai 1978, celui qui a servi à ramener Denard aux Comores. Il connaissait encore mieux Mohamed Taki et probablement depuis plus longtemps encore, car il était celui qui l’avait introduit auprès de certains services et notamment ceux du président Gabonais Omar Bongo, celui qui l’a aidé dans le montage financier de sa campagne de 1990 et sans doute aussi pour cette dernière.

Néanmoins au lendemain de l’Opération Azalée, Abbas Djoussouf avec l’aide de ses amis avait exceptionnellement émergé comme étant l’homme de Paris. Les temps avaient changé et il fallait un homme nouveau, qui ne soit pas trop impliqué avec la bande des mercenaires que ceux qui se projetaient déjà sur les Comores depuis le débarquement de Denard avec l’opération Eskazi de septembre 1995. Il était encore perçu comme celui qui avait bien su respecter les consignes qui consistaient à ne pas s’engager plus, dans la voie du coup d’État, qui était pourtant en préparation, depuis un certain temps déjà et en collaboration avec des amis bien français et d’autres encore aussi bien introduits à Paris.

Il était, rien que pour cela, celui qui devait bénéficier des faveurs du Quai d’Orsay et s’il y en avait un et à travers elles, probablement aussi avec la bienveillance de Didier Ferrand, l’Ambassadeur de France à Moroni. Il était pour cela tout aussi bien soutenu bien que discrètement par Michel Dupuch, dont l’opposition aux habitudes fort anciennes du Haut Conseiller Foccart venait à être dévoilée. La rivalité qui s’était installée à la cellule africaine n’était d’ailleurs plus le secret le mieux gardé. Elle s’invitait aussi dans les choix politiques et le destin des Comores n’en échappait guère.

Foccart savait jouer mieux que quiconque de ses vieilles cartes, trop jaunies certes mais jamais ternes, car il les manipulait méticuleusement pour toujours les adapter avec méthode et surtout sans scrupule à la manière de ceux plus particulièrement en Afrique francophone dont la charge politique incombe. Un peu novice en la matière, Abbas s’était aussi laissé aller aux conseils auprès du haut conseiller comme tous les autres également et c’était là que le bât blesse, car il ne pouvait comprendre le gap qui séparait les deux politiques de la même cellule africaine.

Si Mohamed Taki bénéficiait du soutien indéfectible de Foccart et de son alter ego Wibaux, il lui fallait pour autant rassurer Dupuch d’avoir changé et abandonné les méthodes anciennes que ni l’Élysée, ni le Quai d’Orsay ne voulaient perpétuer. Pour Taki, ce ne pouvait pas être simple, car trop longtemps habitué à la relation ancienne tout en sachant qu’elle pouvait être explosive tant les intérêts se croisent et ceux qui les exécutent peuvent se montrer brutaux et parfois sans foi. Ils se connaissaient tous si bien, mais bien plus des limites du leader comorien. C’était à partir de là que commençait l’autre politique pour une autre figure sur lequel Abbas devait reposer.

Pour Saïd Hilali aussi, l’essentiel était ailleurs, tant sa détermination était d’abord d’aider les Comores à forger sa stabilité, sans doute animé par une certaine crédulité car ne pouvant pas imaginer la force de l’engagement dans laquelle Taki s’était impliqué. Mais il faudra aussi reconnaître que tous mesuraient assez mal la place qu’occupent les Comores dans cet échiquier particulier. D’autant que pour Hilali, la politique n’a jamais été une fin en soi, il s’était depuis un temps déjà investi ailleurs, en s’associant à un ami anglais David Mitchell travaillant pour le géant du transport maritime, pour servir l’archipel. Il savait au moins, pour cela, combien une situation politique incertaine peut précariser une opération, même celle d’une telle envergure. Pour la première fois, les îles Comores étaient dotées d’un service régulier et performant de transport maritime venant désenclaver l’archipel en les positionnant à travers le réseau de distribution des ports de l’Océan Indien.

Il prit aussitôt conseil auprès de son vieil ami, Michel Bongrand, appelé autrement le pape de la Communication, un compagnon de la résistance du Général de Gaulle, qui savait tant mettre ses idées au service de la communication pour donner l’élan à l’action. C’était aussi à travers cette expression et de son engagement à aider les Comores qu’il avait fait envoyer de l’Élysée, entre les deux tours à travers une lettre signée du président français Jacques Chirac et adressée au candidat Mohamed Taki. Pour Michel Bongrand, c’était d’abord un choix démocratique, car il savait combien Taki était populaire. Pour le reste, il fallait savoir l’entourer pour éviter toute autre faiblesse.

Mais cela était avant tout l’expression de l’engagement de tous les autres également. Il avait ainsi su jouer sa détermination, bien avant d’en informer Saïd Hilali de l’envoi de la lettre à Taki, par le courrier diplomatique. Il lui demanda aussitôt de prendre contact avec l’ambassadeur de France, pour s’en assurer. Le diplomate confirma bien la présence de la lettre avant de se confondre en excuses de ne l’avoir pas fait parvenir à temps à son destinataire. Il formula le prétexte selon lequel ses services ignoraient son adresse. On ne peut toutefois qu’y voir l’embarras de celui qui se prononçait certes avec discrétion pour l’adversaire Abbas Djoussouf. Celui qui incarnait encore pour certains le changement voire celui de toute une génération. On peut aussi aisément comprendre cette hésitation à exposer publiquement Chirac, quand on connaît sa volonté et la force de son engagement pour débarrasser les Comores des mercenaires. Il mesurait sans doute la relation qui s’y préparait et la destination finale d’un tel message en pareille circonstance.

Saïd Hilali lui demanda à son tour, après quelques courtois échanges de bien vouloir la faire déposer au domicile du destinataire. Mais il lui annonça sur le coup de l’émotion non feint, que ce soutien était inespéré et venait conforter le camp du destinataire, sans même n’avoir pu évaluer aucune autre conséquence, que celle qu’elle pourrait servir à le crédibiliser. Avant de lui rappeler qu’aucun chauffeur de la chancellerie, comme aucun Comorien ne peut ignorer cette résidence située à la sortie de la capitale, peu avant d’atteindre l’aéroport international. La lettre fut illico presto déposée au lieu-dit à l’attention du candidat Mohamed Taki. Il ne lui restait plus qu’à en faire un bon usage. À l’annonce du soutien, elle fit l’effet tant escompté et le tour était aussitôt joué lors de son meeting de Mutsamudu. Hilali commençait alors à un peu mieux comprendre la situation et à connaître le sentiment politique des Anjouanais. Il pria alors le candidat de livrer en public le contenu de la lettre, qui donna immédiatement le sens de l’orientation telle l’aiguille de la boussole.

Dès ce moment précis, ils étaient tous pris dans une certaine euphorie, des plus hésitants voire les récalcitrants aussi, se détachaient pour l’acclamer avant de tous se rallier à la candidature de celui qui est perçu comme bénéficiant de l’onction de la puissante cellule. Celle qui les guidait voire dirigeait à distance depuis fort longtemps et à laquelle venait s’ajouter le soutien écrit du Président Chirac. C’était du jamais vu, en tout cas pas aux Comores ! C’est aussi cela l’exception de Taki et sans doute son égarement également à vouloir tenir les rênes de deux structures qui ne roulent pas à la même vitesse, tandis que d’autres les dirigeaient déjà et sans qu’il n’ait pris aucune mesure de ce qui les séparait et sans avoir la moindre notion de leur adversité.

Sa politique était dite de Rehemani. Un terme qui trouve sa traduction première dans le texte coranique et qui se traduit par la Miséricorde à laquelle s’ajoute la Clémence de celui qui pardonne. Elle est l’expression du bien-être citoyen en langue locale avec cette origine forte en langue arabe. Elle venait poser en avant-première la volonté de celui qui voulut réaliser son pouvoir dans un esprit équitable mais assez vite rattrapé par ceux qui définissaient déjà sa politique. Ces derniers l’atteignaient avec détermination mais aussi avec les moyens qui les accompagnent. Dès son élection, Libération du 30 mars titrait sur la situation particulière des Comores en les présentant tel le Carrefour de tous les trafics de Mercenaires et les escrocs ont les mains libres sur cet archipel sous influence française. Jacques Foccart était le Monsieur Afrique de la Françafrique mais il était en ces temps encore malade et les clés de son cabinet particulier étaient bien scrupuleusement gardées par l’Ambassadeur Fernand Wibaux. À eux deux, ils avaient le contrôle absolu sur tous les candidats aux élections présidentielles de mars 1996 aux Comores, voire de la situation déjà fort particulière d’Anjouan en raison du projet off-shore que Denard entendait y exploiter.

Si la cellule avait son chef notoire avec ses nombreux bureaux et parfois ses conseillers d’envergure également, elle apparaît tout de même telle une structure non identifiable tant elle demeure pour nombreux un mystère, comme le fut en son temps le Masque de fer sous Louis XIV. L’Ambassadeur Jean-Marc Simon le définit comme étant le centre de l’État et le vrai cœur du pouvoir. Sous la Ve République et surtout au cours de ces premières années, hormis la période des deux septennats socialistes, Jacques Foccart est sans aucun doute la personne la plus controversée, car autant reconnu comme étant l’homme le plus mystérieux et le plus puissant après le Général de Gaulle. Ses services étaient tout aussi incontournables qu’il était irremplaçable et du simple fait qu’il tenait l’Afrique d’une main de fer. Ce fut ainsi que dès l’investiture de Chirac à l’Élysée, la puissante cellule africaine devenait simplement bicéphale. La dernière intervention militaire aux Comores d’octobre 1995 ne pouvait satisfaire tout le monde d’autant que Denard s’est défendu par la suite, en faisant valoir qu’il avait obtenu de la toute-puissance cellule, un feu orange qu’il prenait comme un feu vert.

Si sa révélation s’avère plausible, il ne pouvait lui être accordé que par l’ambassadeur Fernand Wibaux, le meilleur allié et le successeur de Foccart, pour leurs affaires africaines. Ce fut d’ailleurs la raison pour laquelle Abbas Djoussouf avait fait aussi le déplacement à Paris pour un probable adoubement. Il avait aussi ses amis qui leur étaient proches et qui lui voulaient autant du bien. La réalité en était autre, il ne cherchait qu’à s’assurer que rien ne leur échappe et c’est ainsi qu’il avait été reçu par le même Wibaux, celui qui avait déjà informé un émissaire français que celui-ci n’avait pas le poids de son adversaire.

Néanmoins, on peut aussi reconnaître que de tous, Mohamed Taki Abdoulkarim était de loin celui qui avait une longue expérience de l’exercice du pouvoir. Il avait été plusieurs fois ministre avant l’indépendance, puis président de l’Assemblée nationale avant d’être fait Responsable de l’Action gouvernementale par le régime sortant. Pourtant c’est en occupant ce poste qu’il devenait la deuxième personnalité de l’État, pour une sorte de primature, avec un gouvernement de cohabitation. C’était aussi peu de temps avant la confirmation de sa position de chef de l’opposition, celle qui lui sied si bien et durant une dizaine d’années au moins, avant de prendre le maquis après une tentative de putsch. Mais il était aussi et sans doute celui qui incarnait le plus la complexité de la société comorienne.

Son électorat était au moins majoritaire dans les deux principales îles. D’autant qu’il avait en même temps réussi à obtenir le soutien de la famille Abdallah, celle de son principal adversaire politique en son temps, et que son prédécesseur n’avait pas réussi à obtenir le soutien. Comme ses deux prédécesseurs, leurs descendances les rattachent à la ville de Domoni mais à la différence de son prédécesseur, il avait avec Ahmed Abdallah ce lien bien particulier qui les liait aux mercenaires, certainement sur le fondement de leur relation de longue date avec Jacques Foccart. C’est probablement en cela que se situent son opposition et sa détermination à venir à bout du régime de Saïd Mohamed Djohar qui bien que infiltré craignait encore autant cette présence étrangère au service du plus offrant.

Pour en arriver là, Mohamed Taki s’était bien inspiré en se faisant d’abord entourer par ceux qui croyaient en son projet de société et dès son premier discours, il avait mis l’accent sur les défaillances nombreuses et rappelé les manquements liés à l’indépendance des Comores mal préparée. Il avait ainsi exprimé son souhait de construire une relation de confiance avec la France. Avec l’ancienne métropole pour l’accompagnement qui avait tant fait défaut à la consolidation de l’État archipel naissant. Ce fut ainsi que le président Chirac avait cru en cette déclaration unique en son genre, en lui exprimant son soutien avant même son élection. Mais très vite, la confusion s’invita dans son cercle, venue le plus souvent de tous ceux qui l’avaient rejoint qu’une fois élu, pour faire sortir de l’ornière ceux qui s’en cachaient.

Ces collaborateurs de circonstance étaient sans bienséance. Ceux qui n’avaient aucune accointance avec sa politique du moment mais qui pensaient bien pouvoir uniquement se servir du régime pour parvenir à leurs fins. D’autant que l’infiltration d’éléments extérieurs à ses côtés ne contribua qu’à renforcer la cacophonie. Tout cela faisait porter de lourds préjudices, à celui qui était déjà taxé d’islamiste par ses adversaires politiques. La présence de mercenaires à ses côtés, certes souvent en col blanc d’ailleurs, ne lui laissait guère plus de marge. Leur simple présence ternissait encore plus son régime, tant ils faisaient valoir d’autres intérêts en rapport avec ceux qui exposaient tant le pays, en étant en complète contradiction avec l’enjeu sécuritaire pourtant encore bien défini pour l’Océan Indien.

Il apparaît toutefois que l’émissaire français qui avait prévenu Abbas Djoussouf, bien avant le premier tour, lui avait aussi spécifié que malgré le soutien financier et politique qu’il avait pu obtenir, il ne remplissait pas les conditions de la mission du candidat de la France de Foccart. Cela en dit long et à ce propos, il me revient une anecdote que Bongrand m’avait apprise, alors qu’il était engagé pour la campagne présidentielle du Général de Gaulle. Le slogan qu’il proposait correspondait bien aux attentes du candidat et qu’il avait même été déjà approuvé des gaullistes mais il n’avait pas pu servir, car le candidat en personne considérait que se présenter devant le peuple c’est d’abord « pour un mariage entre lui et la France » et pas autrement. Alors que les candidats aux présidentielles des Comores cherchent encore, non pas le mariage avec le peuple mais pour la préférence de Paris. J’en conçois mais ce genre de mariage doit d’abord respecter les raisons de l’État et l’engagement ne peut être en aucun cas passionnel.

Pourtant rien n’était encore acquis, car ceux qui soutenaient la candidature de Mohamed Taki Abdoulkarim ne pouvaient être favorables à cet engagement nouveau. Ils se sentaient d’un coup, dépassés par cette expression soudaine du président Chirac. Ceux-là connaissaient bien son opposition à leurs dérives et à leurs manipulations à des fins autres comme celles impliquant des mercenaires sur le territoire national. Le candidat Taki devenait pour l’occasion un islamiste proche des milieux intégristes que ceux-là dénonçaient avec véhémence pour mieux semer la confusion. Le soutien de Chirac venait leur faire grincer des dents d’autant qu’ils le considèrent tel l’Africain pour sa proximité et son attachement particulier en faveur de ce continent et de la culture orientale. Il venait d’ailleurs de s’en prendre aux services de sécurité israéliens qui assuraient une protection un peu trop rapprochée à son goût alors qu’il voulait juste serrer aussi les mains des Arabes israéliens à Jérusalem en octobre 1996, pour prouver son attachement au peuple palestinien et sans doute sa cause également. De cette visite mouvementée, son expression de colère en langue anglaise dans le texte demeure dans les annales : « You want me to take my plane and to go back to France ? » Après cela, il ne manqua pas l’occasion de se rendre à Ramallah où une rue à son nom est inaugurée quelques années plus tard. Sans oublier qu’il est encore pour les Arabes l’homme du Non à la guerre contre l’Irak en 2003.

Avec l’élection de Taki, la rumeur de son islamisme prenait encore plus d’ampleur surtout après qu’il eut fait l’introduction de pratique religieuse dans les affaires de l’État, comme les récitations coraniques avant ses déclarations publiques ou la référence à la charia dans ses interventions. Ses dispositions nouvelles lui auraient-elles été conseillées par ses amis qui lui voulaient tant de bien ? Il s’est avéré être tout sauf un fervent religieux mais probablement un de ceux qui croyaient pouvoir montrer à travers sa pratique religieuse, qu’il parviendrait à des fins acceptables pour tous et pour mettre un peu d’ordre dans ce qui n’en avait plus depuis longtemps. Il tenta le rapprochement des Comores par la coopération avec l’Afrique et avec le Moyen Orient avec qui il entretenait lui-même déjà depuis fort longtemps de bonnes relations. Ceux-là mêmes qui sont encore, les meilleurs partenaires de la France et dont la présence à Mayotte est devenue au cours du temps incontournable notamment pour assurer le contrôle du passage stratégique du Canal du Mozambique.

Néanmoins, Mohamed Taki était aussi ce jeune homme assez curieux d’apprendre, qui apparaissait en 1962, aux côtés de Louis Massignon (1883-1962), l’islamologue français auteur entre autres l’œuvre de Hallāj, qui situe son enseignement dans les grandes lignes des études de l’islam orthodoxe. Tout en prenant soin de lui accorder une dimension mystique qu’il reconnaît l’avoir essentiellement rencontré dans l’expression de l’islam sunnite. Celui qui était en l’occurrence taxé dans les années vingt, pour sa méfiance des Salafistes, ces leaders du mouvement né en Égypte en réaction à la domination intellectuelle et politique à la croisée de l’Europe et du monde musulman.

Il était aussi considéré en tant que tel et ses adeptes critiquaient la stagnation de la pensée islamique, pour au contraire plaider en faveur de la sécularisation de ses élites et pour la réinterprétation des textes fondamentaux de l’islam pour les mettre en équation avec la gouvernance libérale. Mohamed Taki avait fait à cette occasion la lecture de la sourate Ahl Al-Kahf (Les gens de la Caverne) N° 18 du Coran lors du pèlerinage islamo-chrétien de Bretagne sur les Côtes-d’Armor, qui est dédié aux Sept Dormants d’Éphèse. Cette rencontre avait été initiée et voulue par l’orientaliste, celui qui est reconnu par ses pairs pour être « le plus grand musulman parmi les chrétiens et le plus grand chrétien parmi les musulmans », selon les paroles d’Ibrahim Makdour de l’Académie arabe du Caire lors de l’hommage funèbre qui lui est rendu le 20 décembre 1962.

À son élection le 16 mars 1996, Mohamed Taki savait dès lors qu’il pouvait compter au moins sur deux grandes personnalités en France. Il avait certainement déjà Jacques Foccart comme parrain, cependant il était déjà bien affaibli physiquement par la maladie et depuis peu, il savait qu’il pouvait aussi compter sur Michel Bongrand qui n’avait ménagé aucun effort pour tenter de lui façonner une nouvelle image. Il souhaitait faire de Mohamed Taki l’homme de la restauration tout en tentant de le rapprocher de Chirac et de la cellule active de l’Élysée placée sous l’autorité de l’Ambassadeur Michel Dupuch.

Cependant, il apparaît aussi que l’autre Monsieur Afrique de Chirac, à savoir l’Ambassadeur Fernand Wibaux, mais plus connu pour être déjà le bras droit de Foccart, s’était rendu à Moroni dix jours seulement après l’investiture, non pas officiellement mais bien plus pour une courte rencontre des plus mystérieuse que rien n’était sorti des quatre murs. Cela étant dit, ce ne fut que pour un bref passage de quelques heures seulement avant de repartir à bord de son avion à destination du Gabon. Comme par hasard, Moroni se retrouve sur le chemin entre Paris et Libreville. Mais il semble que la question sécuritaire n’avait même pas été évoquée, cela allait de soi, elle n’avait pas besoin d’un tel déplacement. En revanche, Taki a eu la présence d’esprit et n’avait pas tardé à demander à Paris de prolonger la présence du contingent militaire qui stationnait aux Comores depuis l’intervention de l’opération Azalée et qui l’avait vu partir quelques mois plus tôt s’exiler plusieurs mois à Paris.

À cela, sa politique prêta à bien des égards à la confusion, entre la politique exprimée de son premier cercle et celle appliquée avec le tiraillement de certains que pour sa coopération avec ce genre de collaborateurs, aguerris à la violence de l’action pour n’être pour la plupart d’entre eux que des mercenaires, même s’ils se disaient convertis pour d’autres missions avec des références autres. Ils le demeuraient aussi probablement pour un genre nouveau. Les premiers prenaient sans hésitation des positions souvent exprimées avec arrogance et véhémence contre la politique passéiste des seconds, celle dont la nation a été trop longtemps nourrie pour en être la première victime.

Cette même volonté s’exprimait également lors des interventions à l’international, comme à Ouagadougou lors du dix-neuvième sommet franco-africain de décembre 1996 ou bien encore à Durban lors du sommet des Non-alignés de septembre 1998, où le ministre des Affaires étrangères Salim Himidi n’avait ménagé aucun effort pour dénoncer la politique passéiste de l’adversaire désigné. Toutefois, même en condamnant la politique de l’ancienne puissance coloniale, il s’assurait de son maintien dans le cercle du pouvoir en même temps que les personnes qu’il accusait pour leur appartenance à ces milieux. La même politique revenait sans changement à être pratiquée avec les mêmes méthodes. Mais il arrivait souvent qu’il se perde dans sa contradiction, en même temps qu’il manquait de réalisme nécessaire pour son orientation. C’est ce genre de comportement qui a semé la confusion, tout en brouillant la politique locale également. Avec le manque de vision, de ce genre de personne, a fait que les concernés ne pouvaient que se décharger de toute responsabilité, pour ne les faire porter qu’à la seule France. De ces engagements contradictoires, ils n’ont réussi qu’à tenir un peu plus, éloigné celui qu’ils prétendaient servir tout en le discréditant, chaque jour un peu plus.

Pourtant, de cette faiblesse, nul ne peut lui renier cette volonté exceptionnelle à rassembler. Mohamed Taki avait pour ce fait appelé à former dès son élection un gouvernement d’union nationale. Il invitait même ses anciens adversaires à le rejoindre mais encore une fois c’était bien de cette généreuse volonté pourtant si nécessaire en ces temps surtout pour ce petit pays. En conséquence de cela, émanaient aussitôt des éléments plus audacieux et aux convictions douteuses, souvent contradictoires aux siennes pour définir la politique gouvernementale. Parmi eux se retrouvaient des notables de la première heure aux côtés de révolutionnaires en papier qui n’avaient rien fait d’autre que de chercher à instrumentaliser le régime avec des idées progressistes souvent inspirées des régimes totalitaires mais savamment exprimés avec témérité. Ceux-là ne cherchaient qu’à conserver leurs acquis nouveaux, en faisant porter des responsabilités de leurs défaillances à un adversaire bien particulier et sur qui tout reposait. La France devenait par sa présence à Mayotte, l’alibi et le responsable de toutes ces défaillances.

Ce fut de cette expression que dès le mois de mai suivant, pour dire que quelques jours seulement ont suffi pour que Lucien Edward Forbes, le patron d’une firme américaine appelée Forbes & Co, venait à signer avec les Comores un projet pharaonique pour Anjouan. Un accord qui avait tout pour froisser les anciens partenaires des Comores et la France en particulier. D’autant que le projet est bien introduit par Éric Denard, le fils naturel du mercenaire de même nom qui avait déjà élu sa résidence permanente à Moroni et cela dès l’élection de son tonton Mohamed Taki.

Cependant, il se murmurait déjà que celui-ci sillonnait encore, même les parties privées de la résidence présidentielle où il s’était vu tisser des relations étroites avec l’équipe présidentielle et tout particulièrement avec le directeur de cabinet le Dr Mouhtar Ahmed Charif mais aussi avec Hassan Harouna le chef du cabinet militaire de la présidence. Sans jamais mesurer la conséquence d’un tel engagement, Taki s’exposait en confrontation directe entre les anciens mercenaires avec leurs méthodes de barbouzes et ceux qui cherchaient à rétablir l’ordre républicain dans la relation qui les lie encore à cette ancienne colonie de l’Océan Indien, vingt ans après son indépendance.

Le fils de Denard prenait bien évidemment la relève de son père pour devenir le porteur de deux projets phares du régime de Taki. D’abord comme intermédiaire de Lucien Forbes, l’homme d’affaires américain, qui n’était rien d’autre qu’un aventurier, qu’il ne faut surtout pas confondre avec le magnat des affaires du même nom. Avec ce contrat en main, Forbes se voyait attribuer l’autorisation de l’exploitation du territoire national maritime. La société ainsi créée avait le droit d’opérer dans les eaux territoriales pour leur surveillance, que pour la délivrance de licence de pêche, d’exploitation, de forage et de chargement pétrolier, etc.

Un gigantesque projet qui n’avait pas manqué de susciter de nombreuses interrogations plus particulièrement du côté de l’autorité française, pour qui la question de l’extra-territorialité se pose déjà du fait de la position de Mayotte se trouvant encore sous son administration. Mais avec bonne foi, on peut qu’y voir la volonté de freiner une dangereuse aventure tout simplement. Pourtant, de l’intérieur, toute responsabilité voudrait que chacun s’interroge sur la portée d’un tel engagement aussi gigantesque soit-il sans que ce marché si lucratif n’ait fait l’objet d’aucun appel d’offres.