L’énigme du pigeon qui valait 2 400 000 euros - Marie-Claire Cardinal - E-Book

L’énigme du pigeon qui valait 2 400 000 euros E-Book

Marie-Claire Cardinal

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Beschreibung

Un colombophile mondialement connu et apprécié vient de réaliser la vente colombophile du siècle pour 2 400 000 € pour une pigeonne olympique exceptionnelle, un must en Wallonie, en Belgique et dans le monde. Étrangement, après une conférence, il disparaît quelques heures en un lieu inconnu. Il se crashe sur l'autoroute Bruxelles-Charleroi de manière suspecte, le soir même. Des traces d’un poison mystérieux dans les veines, on subodore un crime bien organisé dans et par les milieux colombophiles. Une journaliste prête main-forte à son amie d’université, commissaire divisionnaire à Charleroi, pour élucider le mystère. Le monde des amateurs de pigeons ayant ses codes, ses secrets, un modus vivendi propre et sale, ses arcanes, il faut connaître son vocabulaire, ses manières de fonctionner ; c'est ce que ne peut percer la ravissante commissaire sans l’aide de son amie, l’auteure.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Universitaire et partenaire du magazine La Colombophilie Belge, Marie-Claire Cardinal est une passionnée de colombophilie. Auteure de Chers pigeons paru en 2015 et de Meurtre au colombier paru en 2017, elle nous propose aujourd’hui ce polar colombophile L’énigme du pigeon qui valait 2 400 000 €.

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Marie Claire Cardinal

L’énigme du pigeon qui

valait 2 400 000 euros

Roman

© Lys Bleu Éditions – Marie Claire Cardinal

ISBN : 979-10-377-1905-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Avertissement au lecteur

Les personnages de ce livre sont bien entendu imaginaires, aucun colombophile ne peut se reconnaître dans ces personnages fictifs. Si pourtant, certains croient y déceler des concordances, qu’ils se détrompent. Toute ressemblance avec des personnes réelles, à part ma famille et moi est bien entendu fortuite.

Dernière précaution cardinale, pas de graines de braunii pour les pigeons, cela ne les dopera pas, mais risque de les tuer !

Trois heures du mat, j’ai des frissons…

Marie sursauta quand la sonnerie de son GSM retentit à 3 h du mat.

Elle tendit un bras paresseux vers l’intrus qui la haranguait de plus belle.

« Allô, madame Cardinal ? 

— Mais franchement, vous savez quelle heure il est ? Qui êtes-vous ? 

— Monsieur Cheng, madame Cardinal, désolé d’interrompre votre nuit, mais j’ai besoin d’un conseil. » Je ris… jaune.

Pourtant, jamais au grand jamais, Cheng ne se serait permis de m’appeler à cette heure incongrue si un événement extraordinaire ne se tramait dans le monde colombophile. Ce Chinois d’Oxford connaissait les bonnes manières et sa politesse frôlait parfois le pédantisme, tant elle était exacerbée.

« Vous connaissez le pigeon olympique de cette année ?

— Je ne suis pas dans le secret des dieux, monsieur Cheng, non, pas encore, la fédération internationale doit révéler le grand vainqueur ces jours-ci il me semble, mais pourquoi ? 

— J’achète ce pigeon, et vous pouvez être mon auxiliaire de vente sur cette affaire, vous aurez votre com bien entendu.

— Monsieur Cheng, je ne suis pas vendeuse de pigeons encore moins acheteuse, juste une petite journaliste colombophile dans un petit journal très confidentiel, je ne veux pas de com et je ne me charge pas de pareilles transactions, adressez-vous à de vrais vendeurs professionnels, cela ne manque pas dans notre petite terre colombophile, et puis vous ne savez même pas qui va ceindre les lauriers olympiques, alors !

— Si, je le sais et vous serez étonnée. On n’a jamais eu un pigeon avec un si bas coefficient (le pigeon olympique est celui qui a obtenu le plus petit coefficient !), jamais dans l’histoire des olympiades colombophiles, c’est un record absolu, il me faut ce pigeon ! 

— Oui, c’est possible, mais encore faudra-t-il valider le titre attribué par la fédération colombophile internationale, vérifier les performances et faire des tests ADN et de dopage, vous le savez, qui est l’heureux élu ? »

— Qu’importe, je veux ce pigeon au coefficient le plus bas depuis le début de la colombophilie. 

— Mais ce quotient si bas n’est-ce pas suspect ?

— C’est pour cela que j’ai besoin de vous, vous pouvez collationner tout ce que vous trouverez sur le pigeon, son pédigrée, son ADN, le colombophile et me tenir au courant. Dès que la décision sera connue, je proposerai un prix au propriétaire, mais j’ai besoin de tous vos renseignements avant de faire une offre, la plus prestigieuse jamais émise, je vous assure !

— Jusqu’à combien iriez-vous pour acquérir cette merveille si elle était clean ? »

— Je verrai, d’autres seront acquéreurs, mais je ne lâcherai pas cette fois, je doublerai le prix de Golden King ! »

Je m’étranglai d’étonnement.

« Doublez le prix de Golden King ? Mais il est parti à 500 000 euros, vous iriez jusqu’à UN MILLION D’EUROS ? »

Aucune seconde d’hésitation :

« OUI !

— À condition bien entendu qu’il soit clean. 

— Of course. »

Mon Dieu, pensais-je in petto, un million d’euros ! Même les Khalifes omeyyades, fous de pigeons, n’auraient jamais donné pareille somme, quoiqu’il faille calculer plus historiquement les dires des chroniqueurs arabes en cette matière. J’étais pantoise et ulcérée par le montant, pourtant j’avais assez écrit à ce sujet, je croyais que le summum avait été atteint avec Golden King et voilà que Cheng doublait la mise des Sud-Africains, incroyable quand même. Je ne voyais pas d’emblée le pigeon qui galvanisait ainsi l’intérêt de mon Pékinois.

« Échange de bons procédés, je veux bien aller glaner les infos sur votre pigeon, à qui appartient-il ? 

— À un tandem colombophile, Chassart et fils de Courcelles en Belgique.

— En effet, d’excellents colombophiles wallons en plus, mais je ne connais pas leur palmarès de mémoire, je sais qu’ils jouent en fond, il me semble. »

— Les vitessiers ne m’intéressent pas, mais ce pigeon-là a trusté tous les prix qui me fascinent ! »

En effet, je me souvenais… de cette pigeonne !

« Mais, monsieur Cheng vous savez qu’il s’agit d’une pigeonne ?

— Évidemment ! Pourquoi, vous devenez sexiste ? Vous avez toujours prétendu que les jeux avec les pigeonnes sont plus passionnants, qu’elles sont plus rapides, plus sécures, plus constantes que les mâles.

— Oui, en effet, c’est ma philosophie colombophile et féministe, mais jamais on n’aura vendu une femelle à ce prix, les grandes ventes concernent toutes des mâles, à ce jour.*

— J’ai depuis des années acquis la conviction que l’hérédité chez les pigeons passe bien plus par la femelle que par le mâle et je puis le prouver par des tests que nous avons commandités dans une université américaine, mais je me fiche de ces études, j’en suis intimement convaincu, vous devriez le savoir, nous en avons déjà discuté lors de vos visites en Chine. 

— Oui, je me le rappelle, je crois avoir eu vent de votre étude.

— Je veux TOUT ce que vous trouverez sur le tandem et sur l’ADN, vérifiez les concours, les classements, les rapports de doping, je veux tout ! Ne lésinez pas, vous me compterez ce que vous estimez avoir droit pour ces recherches, vous savez que je ne discute pas ! J’oubliais de vous dire… VITE ! Dès que le pigeon olympique sera connu, les transactions vont commencer en coulisses, vous le savez. Je serai à Bruxelles après-demain, au Métropole, ma suite habituelle, venez dès que vous aurez les infos, je vous invite au Belgian Queen à côté, votre resto favori si je ne m’abuse ? 

— Comment savez-vous cela ? Nous n’avons jamais déjeuné ensemble en Belgique. »

— C’est que je lis vos livres, chère madame.

— En effet, demain j’irai à la fédération internationale, je n’y suis pourtant pas en odeur de sainteté.

— Je me fiche de la position officielle des instances colombophiles, il me faut ce pigeon si tous les critères sont cautionnés ! Ah ! Par ailleurs que les officiels vous détestent, je m’en fous, c’est presque un honneur.

— Je m’y attelle, cela m’amuse de plus. 

— Depuis ce n’est plus le cas voir colophon !

— Vous verrez, madame Cardinal, vous ne le regretterez pas. 

— J’espère que vous non plus, à plus ! »

Un million d’euros ! Ainsi nous y étions arrivés à ce montant mirifique et en deux coups de cuillère à pot ! Simplement en doublant la mise de Golden King, incroyable, quelques mois avaient suffi pour pulvériser un prix déjà mirifique. C’est vrai que les Chinois avaient suivi longtemps les Sud-Africains qui avaient fini par emporter la mise. Je me souviens que j’avais émis des doutes lors de cette vente.

De fait, le pigeon n’avait jamais quitté la volière des VIP des organisateurs de la vente et on jasait beaucoup sur cette transaction. Certains y voyaient une vente fictive qui faisait juste tourner l’argent entre certaines mains. J’avais envoyé un mail à l’heureux acheteur quelques semaines après cette vente. Je devais voir mon fils qui étudiait l’afrikaner au Cap et j’avais très envie de faire un reportage sur Golden King dans son nouvel environnement. Jamais, malgré plusieurs rappels et maintes lettres de recommandation, je n’avais reçu de réponse encore ni d’acquiescement à mes demandes. Les autres journalistes colombophiles y allaient tous de leur thèse personnelle sur cette transaction. Je me mis en quête des informations demandées par Cheng, il aurait pu les trouver seul sur internet, mais je savais aussi que ce service me serait payé au centuple et que Cheng était capable de faire et de défaire les réputations des chroniqueurs, club un brin fermé dont je faisais partie malgré le fait que je sois une femme et que je ne possède aucun pigeon, c’était surtout l’histoire de la colombophilie qui me passionnait plus que les performances des champions ailés, c’est par ailleurs pour cette spécificité que j’étais « tolérée » par un aréopage de vieux machos qui disaient pis que pendre de moi dans leur cénacle stérile, mais me souriaient béatement parce que moi, la béotienne j’avais déjà publié deux livres sur la colombophilie et écrit des centaines d’articles. Tout me paraissait correct, pas de lézard à première vue, ce pigeon en effet présentait un palmarès exceptionnel et un quotient olympique, record mondial et historique, qui ne pouvaient faire de lui que le prochain à ceindre les lauriers olympiques, Cheng ne prenait aucun risque à ce sujet.

Pour le reste, je suis toujours très dubitative sur l’hérédité de ces champions, j’en ai connu beaucoup qui furent, soit de mauvais reproducteurs, soit de mauvais passeurs de gènes. Je me dois de constater aussi que certains firent honneur à leur tête de lignée. J’ai aussi rencontré des champions qui venaient du marché de Lierre en Flandre, renommé pour ses ventes de pigeons sans pédigrées, mais pas sans capacités pour autant. Un détail à ne jamais mentionner dans les articles que vous pourriez écrire, cela équivaut à un bannissement à vie de la presse colombophile !

Mais, cette constatation ne vaut que pour les mâles, alors que je reste intimement convaincue que l’hérédité dans presque toutes les espèces est véhiculée principalement par la mère, théorie que Cheng partageait aussi. La seule grande championne du Marseille en 1959 (la première compétition pour ce concours difficile) était une femelle stérile que son propriétaire Augustin Euvenne ne voulait pas vendre par honnêteté, elle ne pondait pas. Je ne généralise pas, il faudrait faire l’inventaire des championnes qui donnèrent de grands rejetons, mais, je ne m’étais pas attelée à cette tâche, les statistiques n’ont jamais été mon fort, je suis un peu churchillienne, je ne crois qu’aux statistiques que j’aie moi-même trafiquées (rire). Je retrouvai mon acheteur potentiel quelques jours après au Belgian Queen, un restaurant fabuleux du centre de Bruxelles où j’aime parfois me vautrer dans les sofas dignes des Omeyyades (les précurseurs de la colombophilie !) et fumer un havane, comme le Che. Il s’avança vers moi, me prit la main qu’il secoua presque convulsivement.

« Madame Cardinal, alors dites-moi que vous me portez de bonnes nouvelles ? 

— Monsieur Cheng, vous auriez pu les glaner comme moi, vous le savez.

— Je n’aime pas me montrer à la fédération internationale surtout pour m’enquérir des performances réelles d’un pigeon, cela fait le tour du cénacle et… cela booste les prix de celui sur lequel j’ai jeté mon dévolu. »

Encore une fois, je m’émerveillais de son maniement tellement parfait de la langue de Shakespeare, comme si elle était sa langue maternelle, particularisme rare chez les Chinois.

« Je ne vais pas vous faire languir trop longtemps sur le résultat de mes investigations, oui les nouvelles sont bonnes si vous voulez acquérir ce voilier-là.

— Aucune remarque ? Des lacunes ?

— Non, rien de rien, tout semble clean quoique l’hérédité n’est pas si exceptionnelle, la grand-mère est française, bonne pointeuse, mais rien de fabuleux, il faut dire qu’à Tarbes, on joue peu d’internationaux ! Et les Français n’ont pas de nationaux, vous le savez aussi, donc pas de quoi justifier le prix que vous semblez vouloir consentir. Pour la pigeonne, oui le coefficient est extraordinaire, mais les victoires ne sont pas si glorieuses, monsieur Cheng, vous le savez, première nationale Angoulême 2018, mais sur seulement 4 564 pigeons, seconde nationale Limoges 2018 sur 7 274 et dixième Brive sur 9 126 oiseaux 2019, moi je dis quand même bof-bof, mais je suis exigeante !

— Moi aussi, mais ajoutez quand même premier national as-pigeon sur longue distance de la fédération belge et premier pigeon olympique cette année…

— Oui, je sais, mais d’autres firent mieux sur d’autres lignes ou la talonnent de près.

— Ce ne sont pas ces concours-là qui m’intéressent, toujours la légendaire route du Rhône avec Marseille en apothéose et le coefficient historique jamais atteint !

— Oui, pour ce type de concours, en effet je le reconnais, mais il est loin d’être un all round pigeon.

— Vous savez très bien qu’on n’obtient pas ces performances dans toutes les disciplines de vol, les all round pigeons sont dans la norme sans plus, ils sont bons partout, mais n’approchent la perfection dans rien !

— La perfection colombophile, monsieur Cheng, cela n’existe que dans un livre devenu introuvable, vous le savez.

— Et dont vous possédez un exemplaire, que vous refusez obstinément de me vendre.

— En effet, c’est le seul héritage de feu mon beau-père Albert Stoclet, le créateur du Marseille, votre concours préféré ! 

— Je sais et un exemplaire annoté de la main d’Albert, cela n’a pas de prix, gardez le vôtre. La perfection colombophile, madame Cardinal, moi je vais me l’offrir.

— Du fond, seulement, monsieur Cheng, pas du grand fond ! Vous croyez vraiment que cela vaut le prix que vous m’avez annoncé ? »

J’avais instinctivement baissé la voix et me gardai bien d’énoncer le montant, la tablée qui jouxtait notre emplacement semblait tout ouïe, je pensai in petto que je devenais suspicieusement paranoïaque, pourquoi supputer que tous les pavillons fussent dirigés vers nous ? Cheng avait surpris mes regards furtifs vers les pseudo-écouteurs.

— Vous avez raison, assez discuté, je veux ce pigeon, mais aussi les frères et sœurs de nid, pas de copies éparses dans d’autres colombiers, j’exige toute la lignée. 

— Mais je ne suis pas certaine que le colombophile acceptera votre marché. 

— Il le faut, j’y mettrai le prix, chère madame, tout à un prix, vous le savez ! 

— Sauf l’exemplaire de la perfection colombophile annoté par Albert. 

— Je ne voudrais pas vous en priver, rassurez-vous, je l’ai déjà lu, il n’y a aucun Graal à y découvrir ! 

— Le Graal ? Mais vous savez le Graal c’est cette vérité que vous côtoyez tous les jours et que vous ne voyez plus, c’est ça le Graal, monsieur Cheng.

— Le vôtre sans doute. »

Je pris congé de mon commanditaire qui me mit en main une somme considérable, trop importante pour les quelques recherches sommaires que j’avais effectuées. Je lui dis que mes modestes recherches ne valaient pas ce pesant d’or, mais il balaya de la main mes affres.

« Ne vous inquiétez pas ce sont des frais généreux, chère madame ! »

2 400 000 € pour la vente Chassart !

Ce dimanche 20 mars, je me suis levée chez moi devant un feu ouvert qui réchauffait judicieusement mon bureau et je m’apprêtais à suivre la vente de Dona. De fait, il s’agissait d’une vente de 178 pigeons soit une moyenne de 13 489 € par pigeon. Cela en dit long. À part la vente totale de deux légendes de la colombophilie, les frères Janssen il y a quelques dizaines d’années, une telle moyenne n’a jamais été atteinte, du jamais vu. La vente avait démarré et après quelques dizaines de minutes Dona avait déjà atteint 300 000 €. Ce ne fut que le début de l’assaut final, plusieurs grands noms de la colombophilie internationale avaient placé des enchères, des colombophiles connus d’Afrique du Sud, des USA, de Chine, des Pays-Bas, d’Allemagne et… de Belgique. Samedi, à l’ouverture des enchères, Dona frôlait les 532 000 €, ce qui était déjà le record pour un pigeon même belge. La lutte dura plus d’une heure jusqu’à l’adjudication à 1 352 000 €. On peut dire sans se tromper que le meilleur pigeon de fond de l’histoire (connu et estampillé !) devenait le pigeon le plus cher du monde à être vendu dans une vente en ligne (en effet, d’autres transactions plus feutrées ne sont pas toujours ni publiques ni connues !). Le précédent record pour les ventes internet à cette date était New Bliksem de Gaby Vandenabeele, Dona le bat de presque un million d’euros.Dans cette vente, sept jeunes de Dona ont aussi été vendus pour un total de 150 900 € soit une moyenne de 21 500 € par pigeonneau. J’attendis l’adjudication qui tomba plus que rapidement, faute de combattants. Comme prévu, Cheng avait acheté Dona, les jeunes, ainsi que les frères et sœurs de nid. Cheng avait poussé jusqu’à s’offrir tout le prestigieux colombier, enfin ce n’était pas une vente totale et Cheng n’était pas certain que le propriétaire n’avait pas « tiré » quelques jeunes qu’il garderait pour lui et pour d’autres compétitions. Je suppose qu’un accord secret serait signé entre les deux protagonistes, 2 400 000 €, je ne sais pas si la colombophilie avait déjà connu pareille vente. Je me souviens d’un colombophile belge notoire, Ernest Duray qui, devant faire face à une faillite, avait vendu quelques-uns de ses cracks en 1935. Cette vente s’était soldée par un montant équivalent à l’achat de dix maisons de maître à Bruxelles dans les années 30. Pour la presse la vente la plus importante jamais enregistrée. Je me suis essayée à quelques savants calculs qu’un ami banquier m’avait communiqués, mais je ne suis jamais arrivée à établir l’équivalence avec les ventes actuelles.

Le retour de Claire

Je n’avais pas revu Claire, ma pote d’université devenue commissaire de police « cheffe » à Charleroi, depuis sa dernière enquête dans laquelle j’avais joué au docteur Watson en lui rancardant quelques tuyaux dans un meurtre qui avait été bien injustement appelé dans la presse « le meurtre au Colombier » (le titre de mon ouvrage précédent.)Nous nous donnions parfois rendez-vous à Charleroi à la Manu, une réalisation époustouflante du fringant, brillant et… classieux bourgmestre de la ville, une ancienne manufacture transformée en lieu chicos où l’on fabriquait le pain, la bière et où on torréfiait le café à l’ancienne. Nous aimions beaucoup l’endroit et nous y devisons allégrement chaque semaine devant un déjeuner carolo c.-à-d. devant un briquet (oui, vous vous rappelez la chanson enfantine, on bat le briquet !).

Elle m’appela pourtant chez moi dès potron-minet et je compris au timbre angoissé de sa voix que cela recommençait.

« Il faut que je te voie à midi à la Manu, ça te va ? 

— Oui, je peux descendre vers 13 h »

J’étais sur les lieux avant elle, je choisis une table proche de la porte pour ne pas rater son entrée. La dernière fois, elle était arrivée en Harley Davidson et si elle avait pu faire entrer son bolide dans l’établissement elle l’eut fait sans vergogne, cette fois, ce fut moins fracassant mais aussi visuel ! Dès qu’elle entra, tous les regards convergèrent vers elle, elle ressemblait plus à Bonnie de Clyde qu’à madame la Commissaire de police « cheffe » de Charleroi. Ses longs cheveux relevés en un chignon à la Bardot (il y a longtemps), ses yeux de biche aux abois, son déhanchement suggestif qu’elle accentuait encore volontairement et son port de seins (no bra !), un port de reine du porno (rire). À faire bander tous les mâles de la salle ! Elle me rejoignit et s’assit dévoilant ses jambes de gazelle, qu’elle garda à portée de vue de tous, sa jupe noire de soie moire frôlant le sol, échancrée presque jusqu’à la cuisse dévoilant un galbe parfait sans une once de cellulite. Le temps n’avait pas été que clément dans son cas, il avait été bonificateur. Je n’eus pas envie de lui dire qu’elle était belle et rebelle, le silence médusé autour de nous suffisait à la complimenter.

J’entrai dans le vif du sujet avant que nous ne nous égarions dans nos nostalgies de vieilles écervelées de Louvain-La-Neuve, une université catholique bon teint d’où nous étions sorties toutes deux multi -diplômées dans des matières bien différentes, elle en journalisme-criminologie, moi en journalisme et études européennes et… athées toutes les deux , grâce à dieu ! Le temps avait passé, mais elle était restée une complice adorable et omniprésente dans ma vie.

« Mais Claire, qu’est-ce qui recommence ?

— Les meurtres colombophiles ! 

— Ce n’était pas un meurtre colombophile, on y a assez travaillé sur cette énigme, tu t’en souviens ? 

— Non pas celui-là, tu sais le pigeon à plus d’un million d’euros ?

— Quoi, il est mort ? 

— Non pas lui, son propriétaire. 

— Monsieur Cheng ?

— Mais non, monsieur Chassart, de fait, désolée, mais il n’est pas encore mort, l’hôpital l’a placé en coma artificiel pour maintenir ses fonctions vitales, mais cliniquement, il y a peu de chance qu’il puisse reprendre conscience.

— Oh ! Pas encore eu d’écho, comment es-tu au courant ?

— Ses enfants sont venus déposer plainte, il a été assassiné selon eux, enfin pas « assassiné » de fait puisqu’il n’est pas encore décédé, mais ils prétendent qu’on l’a forcé à ingurgiter un poison pour provoquer sa mort au volant.

— Et le pigeon, il était toujours dans son colombier ? 

— Non, il est dans un colombier du site de vente en ligne, ils le gardent avec ses congénères, le trajet est trop risqué pour des volatiles de ce prix, toute la colonie est dans un pigeonnier sécurisé, mais c’est le colombophile qui est mourant.

— De quoi ?

— Accident de voiture, mais les enfants prétendent qu’il a été drogué, il s’est crashé hier sur la A54.

— Mais, c’est un accident de voiture ?

— Oui, mais suspect, il a passé une partie de la soirée avec des amis colombophiles au Homing Pigeon Club à Bruxelles. Il n’avait pas bu dixit les témoins, puis un trou dans sa soirée, sans doute un rancard galant, on ne sait pas et quelques heures plus tard il se plante sur l’autoroute qui le ramène chez lui. Le médecin légiste a relevé des traces de substances toxiques indéterminées dans le sang. J’attends un rapport plus fouillé, mais il y a de fortes chances qu’il ne se soit pas crashé spontanément, les experts ont relevé des traces de freinage suspectes aucun témoin. Je crois vraiment qu’il s’agit d’une tentative d’assassinat bien préméditée si tu veux mon humble avis.

— Bref, tu n’as rien de concret à c’t heure, même pas un vrai meurtre ?

— Non, mais de très fortes suspicions tu penses, j’attends le verdict du juge d’instruction et des scientifiques, je reviendrai vers toi si tu veux dès que j’aurai plus de précisions !

— Cela devient une habitude, je ne suis pas le docteur Watson, Sherlock.

— Mais cela va recommencer. Tu sais, je ne connais rien aux mœurs colombophiles malgré ton écolage il y a quelques années. Les fils me parlent d’un pigeon que Chassart aurait vendu il y a quelques semaines pour plus d’un million d’euros. Je sais, mais moi j’en suis restée à Golden King à 500 000 €, quelle inflation galopante !

— Oui, c’est vrai, moi-même j’en suis baba d’autant plus que j’aie un brin participé à cette vente. Entre nous, il s’agit de plusieurs pigeons dont un seul s’est arraché à 1 352 000 €, un record jamais atteint. De fait, je dirai même que ce pigeon vaut 2 400 000 euros parce que l’acheteur a acheté tous les représentants ascendants et descendants de cette souche, ces pigeons-là, ne valaient certainement pas les sommes concédées pour se procurer tous les porteurs d’une même hérédité.

— Tu as participé comment à la vente ?

— L’acheteur m’avait demandé un devis, une expertise si tu veux avant l’achat qui s’est fait en ligne comme souvent dans ces cas de prix très élevés, c’est étrange par ailleurs tu sais, tous ces pigeons qui partent à des prix de sots, c’est toujours sur internet.

— Je sais, j’ai passé toute la nuit à potasser ce phénomène, un de mes amis m’a affirmé que ces ventes cachaient d’autres transactions moins clean, j’ai diligenté une enquête aussi en la matière à un spécialiste des arnaques en ligne, je te dirai.

— Cherche pas ma poule, tu ne trouveras rien et si tu trouves, faudra que tu engages quelques gardes du corps, je m’y suis déjà essayée, on m’a conseillé d’avaler mon stylo !

— T’interdire c’est te stimuler non ?

— En effet, mais franchement je n’ai pas trouvé grand-chose sinon qu’on peut être étonnée que le fisc belge se montre si peu regardant et n’impose même pas de TVA sur les ventes de pigeons, mais bon je ne vais pas leur souffler ça à l’oreille !

— Cela intéresserait certainement mon pote Marco Van Hees du PTB, tu le connais ?

— Bien sûr, tu ne te souviens pas qu’il a toujours été une de mes admirations notoires.

— Si ! Je me le rappelle, même d’un article que tu avais écrit sur un de ses bouquins concernant notre copain Albert Frère, non ?

— Sur sa femme de ménage plutôt, il avait démontré que la bonne d’Albert Frère payait plus d’impôts que le richissime Gerpinnois !

— Je dois quand même te demander quelques explications sur ces ventes de pigeons. J’attends confirmation de l’analyse des scientifiques, mais je ne serais pas surprise que notre brave colombophile ait quitté la route sous le coup d’un poison qu’il aurait ingurgité avant, je ne puis pas ignorer la plainte des enfants. Mais le mobile, je n’en découvre pas ou un bien trop commun pour le retenir, l’intérêt des héritiers, enfin notre brave Chassart n’est pas tout à fait mort, mais il a peu de chances de se sortir de ce bel imbroglio !

— Je t’arrête immédiatement, tu vas me demander qui hérite du pigeon s’il mourait ?

— Un pigeon à ce prix-là c’est un beau mobile non ?

— J’ai écrit pas mal d’articles à ce sujet, pour répondre à bien des interrogations des colombophiles, le dernier pour défendre une veuve spoliée par ses beaux-fils qui avaient mis la main sur un colombier d’un grand maître, laissant à la veuve, leur belle-mère bien entendu des broutilles. Le notaire avait évalué à 50 € pièce des pigeons de lignages exceptionnels qui, au bas mot, en valaient mille fois plus, pour ne soi-disant pas payer trop de droits de succession. La colombophilie depuis quelques dizaines d’années en Belgique devient un commerce de marchands fort lucratif et opaque à souhait, les prix des pigeons belges ont été boostés, à mon avis, gonflés abusivement. Avant on ne s’interrogeait même pas sur la valeur d’un pigeonnier en succession, mais les choses ont changé avec les prix de certaines lignées.

— Tu sais si je n’avais pas travaillé avec toi en la matière, je n’y aurais prêté aucune attention, mais ici, je suis bien obligée de constater que cette vente est une fameuse opportunité, un mobile de crime parfait.

— Qui des fils a déposé plainte ? Tous, je crois qu’ils sont deux ?

— Oui, un qui jouait en tandem avec son père, l’aîné Noé et le plus jeune Pierrick. La seconde épouse du défunt et ne s’est pas associée à la plainte, mais elle peut encore s’y joindre !

— Cela va compliquer la répartition de l’héritage si Chassart décède, tu penses, l’aîné va toucher beaucoup plus puisqu’il joue en tandem avec le vendeur, à mon avis il a droit à la moitié de la vente, le second n’aura droit qu’à sa part sur la moitié ce qui diminue fortement la somme dans son cas.

— C’est le fils aîné donc qui aurait le mobile le plus sérieux pour… tenter d’assassiner son père !

— D’autant plus si je me souviens bien qu’il était avec lui à sa conférence du Homing Pigeon Club à Bruxelles, la dernière dans le lieu mythique du restaurant le Cygne, Grand-Place qui est fermé depuis hier, c’était la dernière soirée de cette prestigieuse institution où se côtoyèrent Hegel, Marx et… Victor Hugo !

— La dernière soirée de Chassart aussi sans doute, la mise à mort du cygne ?

— Tu ne crois pas si bien dire, la noble institution est en sérieux redressement judiciaire depuis, mais ce n’est pas le sujet ici. Oui, note que les futurs héritiers peuvent encore annuler la vente, enfin celui qui s’avère lésé, les pigeons sont toujours au pigeonnier et n’ont pas encore été livrés à ton copain chinois.

— Pas si simple de fait, Cheng ne renoncera pas à une vente qu’il a commanditée de main de maître et lui ne peut être soupçonné de la tentative de meurtre sur Chassart.

— Pourquoi il était à Bruxelles quelques jours avant la vente ? 

— Comment le sais-tu ? »

Je ne me rappelais pas lui avoir mentionné mon déjeuner avec Cheng.

« J’ai déjà eu Cheng au téléphone et c’est lui qui m’a confirmé qu’il déjeunait avec toi ma belle, dans ton resto préféré le Belgian Queen. »

J’éclatai de rire, un rire tonitruant qui me secoua de spasmes pendant quelques minutes au grand désarroi de nos voisins de table qui me lancèrent un regard courroucé.

« Et tu comptais me le dire quand ? » lui demandai-je quand j’eus récupéré l’usage de mes cordes vocales.

« Je ne dévoile jamais toutes mes cartouches.

— Je sais, tu me soupçonnes ? Après tout je m’étais renseignée sur la vente, je connaissais l’acheteur, le vendeur est mon voisin pour ainsi dire et je connais même sa femme, Sophie qui est une de mes amies et tout cela tu le savais déjà !

— Non, je t’assure, tu n’as même pas de pigeons et tu es la journaliste la plus désintéressée que je connaisse !

— À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, je suis la SEULE journaliste que tu connaisses encore !

— Ce n’est pas faux ! »

Son téléphone portable se mit en branle de façon tonitruante. Elle s’excusa d’un regard et décrocha illico.

« Oui… vous êtes certain ? Je contacte le juge d’instruction… »

Elle releva une mèche rebelle qui l’obligeait à souffler sur ses cheveux pour éviter qu’ils n’assombrissent son visage de piéta qui s’était déjà fermé ostensiblement depuis l’appel.

« C’est bien une tentative de meurtre, mais chose étonnante, on n’arrive pas à déterminer le poison exact, inconnu au bataillon, un mystère de plus, mais la mort, si elle survient n’est certes pas naturelle, il a dû perdre le contrôle de son véhicule à la suite de l’ingestion d’un poison qui se délite lentement dans le corps sans manifestations apparentes.

— Un poison à effet retard ?

— Oui, rare, mais pas impossible, en tout cas l’origine criminelle ne fait aucun doute.

— À moins qu’il n’ait ingurgité un poison retard de sa propre volonté, un suicide quoi !

— Très peu probable, quand tu viens de réaliser la vente du siècle en colombophilie, tu n’es pas candidat au suicide. »

Elle se leva, mettant fin à notre entretien, comme d’hab elle me laissa régler la note, alors que c’était à sa demande que je m’étais carapatée à la Mu, mais je ne lui en fis pas grief, elle se prétendait une petite fonctionnaire de police et pour elle, j’étais une fortunée journaliste colombophile qui se faisait un pognon d’enfer en transactions pigeonnières, ce qui n’était bien entendu qu’une fable parmi tant d’autres qu’on raconte dans les cénacles colombophiles (rire).

Nous nous promîmes quand même de nous tenir au courant des événements qui n’allaient pas tarder à pimenter notre quotidien, je ne croyais pas si bien dire !