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Un jour, le véhicule d’un notaire est retrouvé abandonné dans un sentier forestier, ses portes avant ouvertes, la boîte à gants fouillée, avec son portable en mode avion et des papiers éparpillés, il semble avoir disparu sans laisser de trace. Malgré les battues organisées en vain, l’enquête piétine, et son frère aîné, Pierre, se lance dans une quête personnelle pour découvrir la vérité. De surprise en surprise, il s’improvise enquêteur et fait des découvertes étonnantes dans le monde opaque de la promotion immobilière. Pierre nous entraîne dans un récit palpitant, ponctué de rebondissements, où un lanceur d’alertes révèle des pratiques douteuses qui enflamment la région et suscitent une guerre du béton. Entre suicide, disparition volontaire et enlèvement, cette affaire inspirée d’une histoire vraie ne manquera pas de vous captiver jusqu’à son ultime dénouement.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Juriste-pénaliste, Philippe Fuzellier transporte ses lecteurs dans des récits captivants, parfois inattendus, mais toujours absorbants. En stimulant leur curiosité, il les invite à participer à la quête de la vérité, ponctuée de rebondissements. Il signe ici son quatorzième roman.
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Seitenzahl: 284
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Philippe Fuzellier
L’étrange disparition
de Maître Brocard
Roman
© Lys Bleu Éditions – Philippe Fuzellier
ISBN : 979-10-422-7488-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À mon fils David
Je tiens tout particulièrement à remercier Madeleine de La Boussinière, artiste-peintre, pour l’illustration de la couverture de ce roman.
La présente fiction reste une œuvre de création et ne prétend à aucune exactitude factuelle ou historique. Les évènements ou personnages, parfois les lieux, ont été modifiés pour les besoins de la narration.
Les personnages de fiction n’ont aucun lien avec des personnes qui porteraient un patronyme identique ou similaire, toute ressemblance à cet égard serait purement fortuite.
Le récit est tiré de faits divers authentiques mais par respect pour les victimes et leurs proches, les noms et certaines circonstances ont été volontairement modifiés. Les émotions et les sentiments prêtés aux personnages, les dialogues sont purement fictionnels et ne peuvent être attribués aux protagonistes de ces faits divers. Ils sont l’œuvre de l’auteur.
La vérité n’a pas de maître.
Pierre Brocard, c’est mon nom, je suis le frère aîné de Fabrice, il est plus jeune d’une vingtaine d’années que moi, on a toujours eu tous les deux des affinités plus proches que vis-à-vis de nos autres frères et sœur. D’autant que notre famille s’est plus ou moins déchirée à la suite d’un banal divorce de Marc, notre frère cadet, qui avait réussi à nous diviser. Le motif de la mésentente tenait au fait que Marc nous avait tous interdit de poursuivre des relations familiales avec son ex-femme. Il exigeait que nous partagions sa haine envers celle avec laquelle il avait eu quatre enfants, deux, fruits d’une adoption, les deux autres, des faux jumeaux, issus de la fécondation in vitro. La garde de ces enfants étant conjointe après leur séparation, notre frère nous demanda quelque part de ne plus voir ses enfants puisqu’on ne pouvait les rencontrer que chez son ex-femme. Cette forme d’égotisme avait réussi à créer entre toute cette fratrie deux clans, l’un partisan de ne pas s’opposer aux exigences de Marc, l’autre celui de continuer à voir son ex-belle-sœur et donc ses enfants. Fabrice et moi-même avions refusé cette division familiale et cela nous avait rapprochés d’autant que nous étions éloignés géographiquement. En effet, Fabrice avait ouvert un office notarial à Montigny-lès-Metz et une annexe à Paris dans le XVIIe arrondissement. Quant à moi, ayant eu une carrière dans l’éducation nationale, ex-prof d’anglais et d’histoire-géographie, je coulais, veuf, octogénaire, une retraite apaisée à Charleville-Mézières dans les Ardennes. Partagé entre la lecture et l’entretien d’un jardin fleuri, ma vie était devenue un long fleuve tranquille. Admiratif de l’ascension professionnelle de mon frère cadet, j’avais à cœur de suivre sa vie de notaire mais aussi celle d’un investisseur dans l’immobilier. À 58 ans, tout lui avait réussi, et quand j’en parle en tant que citoyen ayant du mal à joindre les deux bouts avec ma maigre pension de retraité, je ne le fais pas d’un air envieux mais plutôt avec un sentiment de fierté. Nous venions tous les deux d’un milieu modeste et Fabrice, avec beaucoup de ténacité et de pugnacité s’était hissé dans l’univers notarial avec compétence, réussissant à se faire un nom.
Souvent dans le domaine professionnel du droit, certains tirent leur épingle du jeu, en se spécialisant, les clients recherchant parfois une exigence d’excellence. Fabrice disposait de cette aptitude dans le montage juridique et financier de l’investissement immobilier. Et plus qu’un don, il avait une sorte de sens inné dans la créativité. Il avait tout de même réussi à créer son Étude ex nihilo, à partir d’une suractivité immobilière sur la région mosellane, jusqu’à se faire une réputation d’homme d’affaires. On disait de lui qu’il concentrait le talent, la frénésie et la folie d’entreprendre jusqu’à réussir à se créer une image plus d’investisseur que celle de notaire. Et son sens des affaires avait fait de lui un homme envoûtant, rassembleur, à donner l’envie et l’aisance d’entreprendre avec lui.
Ce serait une gageure de raisonner un entêté, d’autant que son audace l’avait conduit à acquérir une aisance sociale. Pour tout dire, il était devenu riche sur le plan patrimonial.
Et avec son épouse, Elsa, envers laquelle il se montrait aimant, du moins dans les apparences, voilà deux ans avant sa disparition, ils avaient réalisé un vieux rêve, celui d’acquérir une maison de maître sur plusieurs hectares à la sortie de Bourbon l’Archambault, dans l’Allier. Ils l’avaient baptisée la Potinière, un domaine dans lequel ils prirent des habitudes de reclus. Leur choix avait été guidé par les origines d’Elsa. Elle y avait passé son enfance. Ses parents agriculteurs, version polyculture-élevage, y possédaient un domaine de 200 hectares.
Ils avaient choisi ce retour à l’atmosphère bucolique, à la suite du départ naturel de leurs enfants. Sébastien, leur fils de 28 ans (les chiens ne faisant pas des chats) avait été contaminé lui aussi par la fibre juridique, en tant qu’avocat d’affaires à Paris dans le XVIIe arrondissement. Quant à Émilie, elle allait sur ses 22 ans, au moment de cette migration en territoire bourbonnais, ingénieure agronome, elle s’était destinée à la recherche biologique chez Bjorg, à Saint-Genis-Laval, près de Lyon.
Avec Elsa (sa femme ne travaillant plus depuis des lustres), ils avaient acquis cette maison de maître du XVIIIe siècle aux faux airs de château de Moulinsart, visible de loin depuis la route. Des dépendances avaient été édifiées tout le long du domaine qui s’étendait sur plusieurs dizaines d’hectares. Un verger d’une centaine d’arbres recouvrait une bonne partie du jardin au bout duquel Fabrice avait fait édifier une chapelle dans laquelle il avait prévu que ses cendres y soient déposées, le dernier jour venu. Il avait d’ailleurs obtenu, m’avait-il confié un jour, une dérogation préfectorale et communale pour y placer une sépulture.
Une élégante grille forgée de lys et de croix de Jérusalem, au détour d’un chemin privé caché, ouvrait sur l’altière gentilhommière. Érigée à flanc de coteau, protégée des vents du nord, façade noble plein sud, dominant la vallée au-dessus, depuis prairies et bois, le domaine s’étendait jusqu’à perte de vue. La réserve possédait encore, ordonnés autour de sa cour, tous les bâtiments nécessaires à la vie en autarcie. À la grande demeure d’origine XVIIIe, symétrique, parée de pierre claire et couverte de tuiles, s’harmonisait en couleurs l’Orangerie, en retour d’équerre, plus récente, en pisé, couverte d’ardoise. Elle abritait la piscine. La grange en continuité à l’est, arrivait jusqu’au chai à magnifique charpente quatre-pans. En face, à l’ouest, un charmant pigeonnier aménagé, et en contrebas le lavoir, devant recevoir l’eau de la source qui chantait dans son bassin de lave devant les communs. La demeure s’étendait sur 368 m² habitables : deux grands escaliers permettaient d’accéder aux niveaux partagés en deux parties communicantes.
Attenante, l’Orangerie abritait quant à elle une piscine chauffée. Une grange-écurie à charpente et toiture récentes rappelait l’existence passée d’un univers équestre. Quant au chai, c’était un beau bâtiment typiquement régional en pisé, exposant sa charpente quatre-pans. Le pigeonnier aménagé typique lui aussi faisait partie de ceux qui subsistent encore entre le Bourbonnais et l’Auvergne, en pisé paré de briques. Il révélait un sympathique intérieur contemporain.
À chaque fois que je m’y étais rendu avec mon épouse, du temps de son vivant, nous n’avions de cesse de nous émerveiller sans la moindre lassitude, un peu comme des touristes en quête de beau patrimonial. Dans une sorte de complicité, non enviable, nous sourions tous les deux en songeant à notre modeste pavillon de 120 mètres carrés. Dans son bureau privé, je me souviens encore que nous partagions, Fabrice et moi, de longues parties d’échecs ou de billard français.
C’était son côté attachant et très généreux. Bien entendu qu’il était riche, que tout lui réussissait, mais il ne le montrait jamais d’une manière ostentatoire, dans son jeans bleu, décontracté, avec son gilet côtelé sans manches ou ses éternels sweats à capuche de toutes les couleurs. Le visage mal rasé et le crâne à la tonsure coupée très court, il tenait à donner l’image d’un homme encore jeune et dynamique. Il n’avait pourtant nul besoin d’avoir à le montrer, car très sportif, il savait s’entretenir physiquement soit par ses semi-marathons soit en pratiquant régulièrement le tennis.
Un jour, il m’avait relaté cette anecdote qui résumait bien sa personnalité : un client l’attendait dans le hall d’accueil de son Étude, et descendant d’un long escalier de bois en chêne, il tendit la main à ce futur client. Surpris d’avoir à saluer un collaborateur en jeans, très décontracté avec le col de chemise un peu ouvert, le client croyant à un quiproquo lui fit remarquer qu’il avait rendez-vous avec Maître Brocard et pas avec un collaborateur. Et quand Fabrice lui fit remarquer qu’il était ce notaire attendu, le client le regarda à deux fois, s’interrogeant quelques secondes si on était pas en train de lui faire une farce.
Oui, Fabrice a toujours été cet homme toujours pressé, fougueux, envoûtant, ayant toujours besoin d’harmoniser son corps avec son dynamisme intellectuel. Cette énergie, il la puisait dans le footing, en allant courir, souvent dans la forêt domaniale de Messarges, située pas très loin de la Potinière. Jusqu’à ce jour maudit, où à la croisée de chemins vicinaux, sur son vélo il fut projeté par un pick-up de couleur noire, le choc lui fracturant le genou, l’immobilisant deux mois. Depuis ce terrible accident dont l’auteur ne fut pas identifié, il avait tendance à claudiquer et se trouva dans l’incapacité d’exercer toute activité physique. Il porta des béquilles pendant au moins quatre mois. Quand on est un homme pressé, toujours en recherche de déployer toutes ses énergies, cela peut conduire à un état dépressif. Et d’après Elsa, Fabrice, bien que désireux de le cacher, manifesta par la suite un état assez déprimé mais pas dépressif et la nuance est importante. Il n’avait pas consulté et en apparence ne s’était pas fait prescrire de traitement particulier. Mais cet accident pesa lourd dans son moral et dans son quotidien professionnel.
La version des faits, le film de cette journée tragique, je les tiens de ma belle-sœur, Elsa, et de son fils Sébastien qui était de passage ce jour-là sur son itinéraire professionnel. Fabrice s’était levé plus tôt que d’habitude, avait flâné dans le parc du domaine avec son chien Icare, un setter Gordon, qui le collait aux basques comme une moule à son rocher. Elsa se souvient bien d’un mari avec sa tête des mauvais jours, il semblait préoccupé mais elle se garda bien d’en rajouter et renonça à le questionner. Il déjeuna comme à l’accoutumée, un grand bol de café, et croqua tout au plus deux biscottes modérément beurrées. Un signe qu’il s’était probablement levé du pied gauche : le fait aussi qu’il ne caressa pas son chien comme il aimait le faire, sachant qu’Elsa lui faisait souvent observer sur un ton ironique qu’elle ignorait lequel des deux caressait l’autre. Elle racontait qu’entre Fabrice et Icare, il s’était formé une relation fusionnelle. N’empêche que ce matin-là, Icare se montra agaçant, tournicotant sans cesse autour de la grande table de chêne, en mal de caresses oubliées.
Fabrice se leva pour rejoindre le hall d’accueil, enfila une parka à col montant, puis se tournant vers Elsa, lui adressa les premiers mots de la journée.
— Je ne te l’avais pas dit mais j’ai rendez-vous à 10 h 30 avec une psychologue. Elle a son cabinet en centre-ville.
Ce furent ses derniers mots à sa femme. Elsa, très discrète comme elle savait souvent le faire, se garda bien de lui en demander les raisons. Elle me confia par la suite, avec son intuition naturelle, comme une étincelle qui surgit et éclaire tout, qu’elle ne fut pas surprise de cette initiative d’un tel rendez-vous. Connaissant son mari sur le bout des doigts, elle savait qu’à un moment ou un autre, il aurait besoin de parler de ce qui le tracassait, sa femme étant sa plus grande confidente. Sauf que cette fois-là, elle ne sut jamais la raison de cette consultation puisqu’il n’est jamais réapparu. Autre élément singulièrement troublant, il donna une autre version de son emploi du temps à son fils, à qui il fit croire qu’il se rendait chez son dentiste. On verra par la suite que ces deux versions n’étaient que des mensonges.
Une fois parti, autour de la table du petit déjeuner, la mère et le fils échangèrent pour découvrir que le maître des lieux avait fourni deux versions différentes de son départ subit. Cela ne lui ressemblait pas du tout, Fabrice étant un homme de rigueur, très précis dans le détail de ses paroles. Il se trouva que ce jour-là je passais par l’Allier pour un déplacement amical, de retour de Clermont-Ferrand, avec le désir de réaliser une visite-surprise à mon frère. Je parvins à la Potinière vers 11 h 30, trouvant ma belle-sœur et mon neveu sur le qui-vive. Visiblement, ils ne m’avaient pas donné le sentiment d’être sereins. Je me gardai bien d’être intrusif et ce n’est que vers 13 h 30 qu’Elsa résolut d’appeler la Gendarmerie de Bourbon-l’Archambault pour leur signaler la disparition de Fabrice. De son côté, Sébastien téléphona aux commissariats de l’Allier et de la Nièvre limitrophe, ainsi qu’aux différents hôpitaux et cliniques privées, en présupposant qu’un accident aurait pu subvenir, avec un transport à la clef. Vers 16 h 30, l’attente devenant insupportable, je leur proposai de les conduire dans la forêt domaniale de Messarges, là où il avait pour habitude de se rendre, pour se retrouver avec lui-même ou pour courir, du moins avant son accident. Entrés au cœur d’une forêt dense depuis cinq kilomètres, nous aperçûmes l’un des véhicules que possédait Fabrice, en tant que collectionneur quelque peu fanatique. Sa Porsche Cayenne était là, stationnée un peu d’une manière dangereuse à la lisière de la forêt. Extrême singularité, les portes avant étaient restées ouvertes. Nous descendîmes tous les trois dans une précipitation un peu folle, pour constater avec effarement l’absence de Fabrice.
Nous nous regardâmes avec des yeux complètement exorbités par la violence inquiétante de la scène. Personnellement, je fouillai dans la boîte à gants, restée curieusement ouverte, pour en extraire les papiers personnels de Fabrice et son portable. Les clefs de la voiture étaient restées dans le neiman. Elle ne semblait pas avoir été fouillée. Aidé par Elsa qui connaissait la clef d’entrée du portable de son mari, je tentai d’y trouver un début d’explication de ce qui ressemblait à l’évidence à une étrange disparition.
Le trio que nous avions formé s’enquit de marcher plus en profondeur dans la forêt, qui à cette époque de l’année, était jonchée de hautes herbes. Nous criâmes à tour de rôle le prénom du disparu, dans l’espoir que, blessé, il pourrait encore nous répondre. Au bout d’une heure et demie de piétinements inutiles, nous décidâmes de rebrousser chemin, fourbus et envahis par un mélange de peur et de sidération. De retour au véhicule abandonné par son chauffeur, Sébastien désira faire le point du contenu de ce que j’avais trouvé.
— Cartes bancaires au nombre de deux, trois billets de dix euros, son permis de conduire, le certificat d’immatriculation et l’attestation d’assurance, énumérai-je.
— Oui, pas sa carte d’identité ni son passeport, renchérit Elsa, ils sont restés à la maison.
— Et son iPhone, s’interrogea Sébastien.
— Il est en mode avion, précisai-je.
— Ce qui signifie qu’on ne pouvait pas le géolocaliser, mais était-ce volontaire ? se demanda Elsa.
Elle s’empressa d’appeler à nouveau la Gendarmerie. Instruction leur fut donnée de ne toucher à rien et de les attendre sur place. Une heure plus tard, ils débarquèrent à trois et se firent remettre les objets personnels du disparu. L’adjudant-chef, avant de déclencher toutes recherches, requit de pouvoir accéder à l’ordinateur personnel de Fabrice. Il ordonna à ses deux accompagnants de procéder à une fouille dans un cercle d’un kilomètre du lieu où avait été abandonné le véhicule. À la famille, il confia que c’est très majoritairement dans ce rayon qu’on peut retrouver un disparu. Entre-temps, il se rendit à la Potinière pour inspecter l’ordinateur et vérifier que le passeport et la carte d’identité de Fabrice s’y trouvaient bien. Et l’adjudant-chef ne repartit pas bredouille. Fort de l’identifiant et du mot de passe de Fabrice, communiqués par Elsa, il put entrer dans la boîte-mail de son propriétaire. À 7 h 33, le matin de sa disparition, soit donc une heure avant de quitter la Potinière, il s’était adressé de sa boîte mail professionnelle à sa boîte personnelle, un courriel qui en disait long sur ses intentions. Le courriel, accompagné d’un texte enregistré sur Word, avait pour titre : pour en finir avec la vie. Il décrivait que son accident l’avait considérablement affaibli et qu’il n’avait plus la force de faire face aux défis professionnels auxquels il était confronté, sans en dire plus sur le détail de soucis graves. L’adjudant appela Elsa pour qu’elle en prît elle-même connaissance.
— Je reconnais bien là le style d’écriture de mon mari et des mots choisis, ce sont bien les siens. Sur la forme, je suis d’accord sans ambiguïté, mais sur le fond, j’ai du mal à croire à un suicide.
— Quels sont les faits précis qui vous rendent aussi affirmative, questionna l’officier de police judiciaire ?
— Sa conception de la vie, et même du suicide qu’il qualifiait de lâcheté et non d’une forme de courage. Mon mari était un battant, un winner1 comme il disait souvent. C’est vrai que cet accident l’avait beaucoup affecté mais en attendant de pouvoir remarcher, il s’était remis au vélo, pour ne pas se démuscler.
— Certes, mais vous avez vu la fin de son mail ? Il écrit comme dernière volonté d’être placé dans la chapelle de votre domaine.
— Je suis désolé, ce n’est pas lui ça, il parle de ses cendres alors qu’il a toujours été contre l’incinération. Pour lui, cette forme de disparition lui rappelait les fours crématoires. Nous avions visité ensemble le site historique d’Auschwitz, ça l’avait rendu malade. Vous savez adjudant, on a tous un jour, un soir, une nuit, des coups de spleen avec l’envie de mourir. Ce sont des moments fugaces d’égarement. Et Fabrice a toujours eu cette posture d’écrire à soi-même comme pour libérer ses souffrances. Et le lendemain, c’est un grand matérialiste, il repart au charbon, dévoré aussi par ses ambitions. Je ne crois pas du tout à un suicide.
Cette conviction de ma belle-sœur, je la partageais dans toute sa plénitude. Elle ne collait pas du tout au personnage, entrepreneurial, bâtisseur, fonceur. Un autre détail m’avait aussi sauté aux yeux, et les faits ont la dent dure, celui de s’adresser à soi-même ce message. Si l’on veut laisser une trace de son geste pour l’expliquer, un peu pour ne pas être jugé post-mortem, on le fait par-devant notaire ou sur la forme d’un testament déposé chez quelqu’un devant être votre témoin. Et puis ma belle-sœur avait suffisamment insisté pour nous convaincre que Fabrice n’était pas dépressif et ne suivait aucun traitement tout simplement parce qu’il n’avait jamais consulté. Je pris pour ma part bonne note des coordonnées de la prétendue psychologue qu’il avait dit devoir consulter. Et je pris rendez-vous avec elle le lendemain après-midi.
Son Cabinet se trouvait en haut de Bourbon-l’Archambault, juste à la fin d’une assez grande avenue, dans laquelle beaucoup de rhumatologues ont posé leur plaque, ville de thermes oblige. Elle me reçut avec beaucoup d’empathie mais quand elle me demanda quelle était la raison de ma consultation, je fus surpris de sa réponse.
— Vous me demandez ni plus ni moins de trahir le secret professionnel car si je vous réponds de savoir si Mr Fabrice Brocard est venu ou pas me consulter le 14 mars dernier, je vous révélerais que ce monsieur a de potentiels problèmes psychologiques.
— Ce n’est pourtant pas cela, je ne veux pas savoir de quoi il souffre mais simplement si vous l’avez reçu ou pas le 14 mars à 10 h 30.
— Je m’interdis de répondre à cette question trop inclusive. En revanche, et sans même trahir le secret professionnel, je puis vous informer que le 14 mars, j’étais en congé.
— Merci, madame, j’en sais suffisamment.
Donc, il était clair que Fabrice avait menti. Il s’était donc senti obligé de louvoyer avec sa femme pour se rendre dans cette forêt, là où précisément il avait l’habitude d’aller courir. J’informai ma belle-sœur du résultat de mes démarches en lui précisant que je me sentais moralement obligé d’approfondir ma petite enquête en marge de la police. La vraie question centrale qui restait posée était de savoir ce qu’il cachait pour devoir à en arriver à biaiser avec sa femme et son fils.
Elsa n’avait pas manqué d’informer les membres de la famille de Fabrice et son tout premier cercle d’amis. Ils débarquèrent tous au nombre de 23, tous avec l’envie d’en découdre avec la végétation luxuriante de la forêt pour effectuer une battue. Puisque les autorités n’avaient toujours pas, trois jours après la disparition, entrepris de fouilles, la famille et les amis proches se rendirent sur les lieux de la Porsche Cayenne qu’on n’avait toujours pas déplacée. La plupart avaient pris la précaution de prendre des vêtements appropriés ainsi que des bottes hautes pour faire face à une battue qui s’annonçait difficile. Aucun voisin du domaine ne s’était joint du seul fait que le couple Brocard vivait un peu en autarcie dans son domaine.
Chacun y allait de sa version des faits sur les différentes pistes possibles de cette disparition. L’un d’entre eux, de formation militaire, un ami de longue date de Fabrice, avait pris avec lui une grande page de papier, arrachée d’un paperboard, pour dessiner un plan d’attaque. Il dessina un grand cercle représentant un axe de 500 mètres qu’il fallait parcourir en plusieurs quartiers sous forme de fromages. Chacun fut convié à se placer en ligne horizontale pour avancer dans une forêt qui s’annonçait plutôt dense. L’atmosphère, lourde, à l’idée de buter sur un corps coincé dans des herbes hautes, n’empêchait pas certains de s’interroger sur la présence d’un cadavre dans le rayon recherché. D’aucuns se demandèrent même si le disparu n’avait pas été transporté ailleurs, peut-être très loin du véhicule abandonné. Et ce qui chagrinait certains résidait dans un détail plutôt étrange, celui des portes restées ouvertes. Chacun avait beau retourner dans sa tête cet élément resté accessoire, personne ne réussissait à échafauder une hypothèse.
Munis, tous pour la plupart, de grands bâtons, ils rencontrèrent très vite des obstacles difficilement surmontables en raison de tapis de ronces et de hautes fougères. La forêt, peuplée surtout de châtaigniers, se montra très hostile pour retrouver un corps, si corps il y avait. Malgré le courage et la ténacité de tous, force fut de capituler au bout de trois heures de vaines recherches. Tous se replièrent au domaine, la mine un peu déconfite. Elsa leur servit une soupe à l’oignon et des plats chauds, aidée par un traiteur.
Je fis partie de la battue, à mon rythme et à ma cadence, et au fur et à mesure de mes pas, grandissait mon hypothèse que la disparition de Fabrice n’était pas la conséquence d’un suicide. Fut-il pris d’un malaise ? Puis se réfugiant dans la forêt pour chercher de l’aide et à bout de force, il aurait succombé et se serait alors noyé dans l’étang de Vesvres à proximité ? Une telle hypothèse pourrait ainsi mieux expliquer pourquoi les portes avant étaient restées ouvertes et pourquoi il avait laissé ses affaires personnelles dans la boîte à gants. Mais on pourrait m’objecter qu’il lui eût été plus facile de démarrer sa voiture pour trouver de l’aide. Sauf que la distance du véhicule stationné, au domaine de la Potinière, est de l’ordre d’une demi-heure, et que ce laps de temps est très long dans le cadre d’un AVC par exemple ou d’une attaque cérébrale. J’imagine qu’en débutant sa marche au cœur de la forêt, on part avec l’espoir de trouver rapidement une âme sœur et que le réflexe est de ne pas faire machine arrière. Alors on s’enfonce, on s’enlise de plus en plus à en perdre ses forces.
*
Même si Fabrice avait ressenti une subite faiblesse, en raison de son récent accident, sa condition physique lui permettait encore des distances non négligeables. Nous étions plusieurs à nous interroger, de savoir s’il n’avait pas largement dépassé tout bonnement, le cercle géographique de nos recherches. Un début d’explication au fait qu’on n’avait pas encore retrouvé son corps. On ne doit pas perdre de vue que mon frère cadet appartenait à la race des grands fauves, de ceux qui possèdent en eux une force physique et mentale un peu hors du commun.
Il fallut attendre quatre jours après sa disparition pour que la brigade de recherches de Moulins, commandée par le major Jean-Michel Orsine, saisie de l’enquête par le Parquet, commençât ses investigations. Orsine, un flic expérimenté, de la trempe des vieux routards des filatures en tous genres, pas très moderne dans la conduite de ses enquêtes mais avec un flair de maître-chien. À l’image de sa moustache à la Errol Flynn, et une coupe de cheveux plutôt rase et des rouflaquettes flanquées sur ses joues lui donnant un style d’un autre temps. Les moyens mis à disposition furent à la hauteur de la complexité de la mission. Quinze gendarmes furent dépêchés, renforcés par deux équipes de plongeurs ainsi qu’un drone. Ils se mirent à fouiller avec minutie et pugnacité un environnement très hostile à la recherche de la vérité. Cette première équipe, au terme de 12 heures de marche éreintante, revint bredouille.
Deux jours plus tard, une nouvelle battue fut ordonnée, faisant appel à une vingtaine de militaires aguerris, dont certains à cheval pour dominer les hautes herbes et les fougères. Le cercle de sectorisation s’agrandit de 500 à 1500 mètres autour de l’endroit où on avait retrouvé la Porsche Cayenne. Six plongeurs issus des brigades nautiques de Villefranche-sur-Saône et Saint-Pierre-des-Corps examinèrent à nouveau les fonds de l’étang des Vesvres. Des chiens du centre d’instruction cynotechnique de Guines dans le Loiret furent aussi mobilisés. Deux chiens malinois après avoir flairé le véhicule immobilisé se lancèrent dans ce qui ressemblait à un véritable maquis et fouinèrent sur plusieurs kilomètres dans la densité de la forêt. Je tiens du maître-chien que les conditions de l’environnement compliquèrent considérablement les recherches, en raison de la végétation bien trop avancée pour identifier un corps. Mais aussi en raison des carences de connexion pour les téléphones portables et les talkies-walkies qui n’arrêtaient pas de bugger2.
Il était convenu entre tous les acteurs de la fouille de crier à la moindre découverte mystérieuse, sauf qu’on ne pouvait s’entendre à plus de 300 mètres. Au final, ils se replièrent tous, un peu désœuvrés, et sans la possibilité d’être porteurs de bonnes ou de mauvaises nouvelles. Le major Orsine n’eut pas d’autre alternative que celle de proposer au Parquet d’arrêter, en l’état, tout déploiement de force. On aurait pu continuer à drainer tous les environs, force était de constater un échec cuisant et surtout épuisant.
Elsa fut tenue parfaitement informée de toutes ces recherches ainsi que de l’enquête de voisinage, se limitant à deux voisins, propriétaires eux aussi d’un domaine d’hectares importants, ce qui expliquait l’absence de communication étroite entre eux. Un détail d’importance apparut dans les prémisses de l’enquête. Une voisine avait entendu, le jour du drame, un coup de feu vers 11h45 mais avait déclaré être dans l’incapacité de géolocaliser l’endroit d’où il serait parti.
Elsa, interrogée par les enquêteurs au domaine de la Potinière, leur indiqua où son mari logeait son 9 mm, dans un tiroir de son secrétaire Empire, en noyer, dessus de marbre. Le major Orsine chercha à en savoir plus sur la présence d’une arme de poing semi-automatique dans le domicile privé d’un notaire.
— Mme Brocard, ce n’est pas commun pour un notaire de posséder pareille arme. Auriez-vous été victimes tous les deux d’une tentative de cambriolage ou d’un fait qui serait de nature à une protection renforcée ?
— Non, Dieu soit loué, jamais ! Mais mon mari possède une fortune personnelle, des objets de valeur et notamment des voitures de collection qui sont entreposées dans une grange au fond de notre propriété. J’ignore pourquoi il en avait fait l’acquisition.
— Comment vous expliquez-vous que cette arme ne soit plus à sa place et qu’on ne l’ait pas retrouvée dans la boîte à gant ?
— Excusez-moi, major, mais c’est plutôt à la police de rechercher pourquoi ! Si je puis me permettre, c’est votre boulot !
— Avez-vous constaté la disparition de cette arme avant le jour de sa disparition ?
— Figurez-vous, major, que je n’ai pas pour habitude de fouiller dans les affaires personnelles de mon mari.
— Quel était le genre de vos relations avec votre mari ?
— Tout à fait normales. Si vous tenez à savoir si nous avions des relations orageuses, vous allez être déçu. Mon mari est un homme aimant, attentionné avec sa femme. C’est un homme passionné, fougueux et assez ambitieux. Donc, il est souvent absent, par monts et par vaux.
— Vous lui connaissiez des ennemis en particulier ?
— Ennemis, non, ce n’est pas le terme exact. Vous savez dans le monde des affaires, et particulièrement de l’immobilier, la réussite crée inévitablement des jalousies.
— Avait-il à votre connaissance reçu des menaces personnellement ?
— Je ne crois pas. Je pense qu’il m’en aurait parlé, enfin, je suppose.
— Le matin de sa disparition, vous a-t-il semblé comme d’habitude ?
— Disons qu’il avait l’air préoccupé, mais ce n’était pas la première fois. Quand il avait des projets importants et dans lesquels le facteur-temps est stressant, il se montrait un peu plus nerveux. Mais c’était aussi son adrénaline. Fabrice a toujours eu besoin de carburant.
— J’ai vu qu’il possédait plusieurs voitures de collection, très luxueuses, donc très coûteuses. Quelle en était la provenance ?
— Il a beaucoup d’amis dans le star-system du tennis et des partenaires dans l’immobilier. Certains promoteurs en remerciements de bons conseils dans des montages financiers et fiscaux ne se sont pas montrés ingrats. Fabrice leur a fait bénéficier de très gros avantages fiscaux. C’était son job après tout.
— Tout cela est bien légal, bien sûr ?
— Je ne sais pas si vous le savez major, mais dans le notariat, les Études sont contrôlées régulièrement par leurs pairs et si jamais ils trouvent parmi eux une brebis galeuse, croyez-moi, elle ne reste pas longtemps dans le troupeau. En tout cas, après toutes ces investigations, sachez que je ne suis pas rassurée du tout sur le sort de mon mari.
— Sachez que nous avons mis tous les moyens pour le retrouver. Notre enquête va se poursuivre, pour l’instant nous n’avons pas de piste concrète.
— Mais vous penchez plutôt sur quelle hypothèse ?
— Les premières indications nous orientent sur un suicide mais rien du tout n’est arrêté à ce jour.
J’étais resté présent à cet entretien et je voyais bien que ma belle-sœur ne croyait pas un seul instant à cette version d’un suicide. Je me permis d’intervenir sur ce point précis.
— Vous allez me dire, major, qu’on ne peut jamais être certain du comportement d’un proche. Mais si on me demandait parmi une centaine de personnes qui serait susceptible d’attenter à sa vie, Fabrice serait le dernier de la liste. Sans vous commander, major, mais vous seriez bien inspiré de faire un sondage sur la question auprès de ses amis du tennis et tous ceux qui l’ont approché dans le monde des affaires. Et puis après tout, vous avez déjà vu ou entendu qu’un suicidé ne soit jamais retrouvé ? Cela pose question tout de même, c’est du bon sens.
— Vous savez, il n’existe aucune vérité absolue et parfois les gens sont sidérés d’apprendre un jour le passage à l’acte d’un de leurs proches. Parfois on croit connaître parfaitement une personne mais c’est comme les icebergs, il y a toujours une face cachée.
— Mais s’il avait retourné son arme contre lui, vous auriez retrouvé son révolver, n’est-ce pas ?
— Dans le maquis que mes hommes ont traversé, ce n’est pas certain du tout, quand vous pensez qu’on a été contraint d’utiliser des chevaux et des chiens renifleurs pour retrouver le corps, cela pose question. Voilà, Mme Brocard, sachez qu’au moindre élément nouveau d’ordre positif, vous serez la première informée. De votre côté, en cas d’élément nouveau, ne manquez pas de nous relayer l’information.
Elsa raccompagna le major et sitôt la porte fermée, elle se dirigea vers moi et me tendit ses mains que j’acceptai de prendre, tout en me suppliant de lui venir en aide. Elle me parut désemparée.
— Je vais te faire un aveu Pierre. J’ai un sentiment de mauvais augure qu’on ne va pas retrouver le corps de Fabrice et que cette affaire va crouler des années dans les cartons de la brigade de recherches. Et puis après tout, Fabrice n’était pas connu du tout dans l’Allier. Les articles de presse sortis depuis quelque temps sur sa disparition émanent de la République du Centre