L'eurosceptiscisme au sein du parlement européen - Nathalie Brack - E-Book

L'eurosceptiscisme au sein du parlement européen E-Book

Nathalie Brack

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Beschreibung

Alors que l’Europe traverse une nouvelle période de crise et que la légitimité des institutions européennes demeure vacillante, il s’agit de comprendre comment les acteurs eurosceptiques agissent une fois élus au Parlement européen. À travers une étude approfondie des stratégies et pratiques des députés eurosceptiques, l’ouvrage participe à une meilleure compréhension de ce que s’opposer à l’Europe au cœur de l’UE veut dire. Cette situation n’est pas sans poser de nombreuses tensions tant pour ces acteurs que pour l’institution et, de façon plus large, pour le régime politique européen. Comment les parlementaires se comportent-ils au sein d’une institution et d’un régime qu’ils critiquent ? Comment gèrent-ils les tensions entre les discours d’opposition sur la base desquels ils ont été élus et les missions et attentes découlant du mandat représentatif ? Comment le Parlement européen a-t-il géré la persistance de ces voix d’opposition ? La présence d’une opposition antisystème au cœur de l’UE constitue un enjeu, voire un atout pour sa légitimation. Contribuant à la représentativité du Parlement européen et à la politisation des questions européennes, les résistances à l’Europe ne doivent pas être systématiquement vues comme des obstacles à la construction européenne, mais aussi comme des ressources pour l’affirmation de l’UE en tant que système politique démocratique, ouvert à la conflictualité.

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© DBIT s.a. département Promoculture-Larcier 2014Membre du Groupe Larcier7, rue des 3 CantonsL-8399 Windhof

Tous droits réservés pour tous pays.Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

ISSN 2309-0073

EAN : 978-2-87974-676-0

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe Larcier. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

Remerciements

Cet ouvrage est le résultat de ma recherche doctorale, menée à l’Université libre de Bruxelles entre octobre 2007 et décembre 2012. Tout au long de cette recherche, j’ai pu compter sur le soutien de nombreux collègues et amis, que je remercie.

Je tiens tout particulièrement à remercier Olivier Costa, Jean-Michel De Waele, Jean-Benoit Pilet, Kris Deschouwer et Simon Usherwood pour leur lecture attentive et leurs suggestions sur des versions antérieures du manuscrit.

Ma recherche n’aurait pas pu se faire sans l’aide et la disponibilité de nombreux députés européens, assistants et fonctionnaires du PE, qui ont accepté de m’accorder du temps malgré leur agenda chargé. Je les en remercie.

Merci égélement à Julien Danero, Sharon Weinblum, Fanny Sbaraglia, Katya Long, Yann-Sven Rittelmeyer pour leur relecture de parties de cet ouvrage ainsi que pour leurs conseils. Je remercie aussi Corinne Torrekens, Ramona Coman, Amandine Crespy, Emilie Van Haute, Cristina Stanculescu, Clarissa Dri et Léa Roger pour leur soutien et les échanges stimulants sur différents aspects de cette recherche.

Ma gratitude va également à Philippe Poirier, Rui Henriques et Nathalie Flohimont au sein des éditions Promoculture Larcier pour leur aide dans la réalisation concrète de cet ouvrage.

Je remercie la Fondation Wiener Anspach pour son soutien financier permettant mon séjour à l’Université d’Oxford lors de la finalisation de cet ouvrage ainsi que Kalypso Nicolaïdis pour ses suggestions et son accueil chaleureux au sein du Centre d’études européennes.

Enfin, je suis très reconnaissante envers Karel, Lou et Blagovesta pour leurs encouragements, leur aide, leur complicité et leur patience.

Avant-propos

La marque d’un grand chercheur est de savoir se pencher sur des phénomènes remarquables avant que leur importance ne s’impose à tous. Nathalie Brack est de ceux-là pour avoir, dès 2005 – si l’on se réfère à ses premiers travaux universitaires sur la question – saisi les enjeux heuristiques, théoriques et méthodologiques d’une étude des membres eurosceptiques du Parlement européen.

La présence d’acteurs hostiles à l’intégration européenne au sein même de son assemblée n’est pas récente, puisqu’elle remonte au milieu des années soixante, lorsque les élus gaullistes ont choisi de former leur propre groupe pour dénoncer le tropisme fédéral de la construction européenne. Elle s’est progressivement renforcée, avec la constitution en 1974 d’un groupe communiste, puis l’élargissement de la palette des partis représentés au Parlement européen à l’occasion de la première élection directe des députés européens (juin 1979). Depuis le milieu des années 1990, le phénomène a pris de l’ampleur, en conséquence de la montée en puissance de divers registres de contestation de l’intégration européenne et des élargissements successifs de l’Union. Curieusement, personne ne semble y avoir prêté attention. Or, il y a là un phénomène fascinant à bien des égards : qui sont les députés eurosceptiques ? Comment perçoivent-ils leur mandat ? Comment se comportent-ils au Parlement européen ? Quel est l’impact de leur présence sur le fonctionnement et l’image du Parlement ? Comment interpréter la présence au sein même des institutions européennes d’acteurs hostiles à leur action, voire à leur existence ? Comment cette présence est-elle appréhendée par leurs pairs ? Les eurosceptiques ont-ils contribué à diffuser des idées au-delà de leurs rangs ?

Le manque de curiosité pour cette problématique est commun aux spécialistes du Parlement européen et à ceux de l’euroscepticisme.

Le désintérêt des premiers s’explique par la routinisation de leurs travaux, qui sont depuis vingt ans largement focalisés sur la question du comportement des députés les plus intégrés au fonctionnement de l’assemblée et sur l’action des principaux groupes parlementaires. Les spécialistes se soucient avant tout de savoir comment les députés des « grands groupes » mettent en œuvre leur mandat, et de démontrer que le Parlement européen connaît un processus de bipolarisation. Dans cette perspective, l’étude des députés eurosceptiques ne présente pas d’intérêt. Cette carence de la recherche est aussi le produit d’une certaine normativité : de nombreux spécialistes du Parlement européen semblent considérer que la présence à Strasbourg et Bruxelles de députés hostiles à l’intégration européenne résulte d’un détournement du scrutin européen de ses fins légitimes, et qu’elle n’a aucun sens. Ils estiment, en quelque sorte, que les citoyens sont mal inspirés d’envoyer siéger au Parlement européen des candidats eurosceptiques, que ces derniers n’y remplissent pas les fonctions qui sont attendues d’un député européen, et que leurs activités sont en conséquence dépourvues d’intérêt. Incidemment, le manque de goût des chercheurs pour l’étude des députés eurosceptiques tient aux difficultés que celle-ci pose, compte tenu du comportement atypique de ces élus, de leur faible implication dans le fonctionnement courant de l’assemblée et de leurs réticences à se prêter au jeu de l’enquête en sciences sociales. Au final, les experts du Parlement européen sont conduits à sous-évaluer à la fois le nombre et l’influence des eurosceptiques, et à occulter les enjeux d’une analyse de cette population.

Du côté des spécialistes de l’euroscepticisme, le cas des membres eurosceptiques du Parlement européen n’a pas suscité davantage d’intérêt, en raison de leur focalisation sur les arènes nationales. Ce tropisme est avant tout disciplinaire : l’euroscepticisme a été essentiellement étudié par des spécialistes des élections, des partis et de la vie politique, qui mènent leurs recherches dans un cadre national. Ils ont ainsi analysé les manifestations, les causes et les conséquences de l’euroscepticisme dans les États membres, sans prêter attention à ses manifestions à l’échelle supranationale. Par ailleurs, ils considèrent que les institutions de l’Union sont, par nature, composées d’acteurs favorables à l’intégration européenne, et que son rejet provient essentiellement de la base et des partis. Cela reste pourtant à vérifier, les institutions européennes d’aujourd’hui n’ayant plus grand-chose à voir avec celles des années 1960 ou des années 1980.

L’étude de l’euroscepticisme s’est ainsi longtemps heurtée au paradoxe du réverbère. Les spécialistes du PE, qui étaient mal équipés pour étudier les députés eurosceptiques, d’un point de vue tant théorique que méthodologique, ont préféré les tenir pour quantité négligeable et se focaliser sur les députés des grands groupes. Les spécialistes de l’euroscepticisme, qui étaient pour leur part peu rompus à l’étude de l’Union européenne elle-même, ont développé leurs travaux à la seule échelle nationale, sans prêter attention à des phénomènes aussi manifestes que l’élection d’un nombre croissant de députés européens sur des listes plus ou moins eurosceptiques.

Ce livre constitue la première monographie envisageant de front le phénomène de l’euroscepticisme au sein du Parlement européen. Il arrive à point nommé : la perspective de voir un grand nombre d’eurosceptiques élus en 2014 agite en effet les acteurs du landernau européen et les commentateurs de la vie politique et de la construction européenne. Cette problématique, qui pouvait sembler très marginale il y a un an encore, mobilise désormais fortement toutes les personnes – citoyens, journalistes, praticiens ou chercheurs – qui s’intéressent à l’intégration européenne. La perspective d’un afflux massif de députés eurosceptiques donne lieu aux spéculations les plus hasardeuses et aux commentaires les plus divergents, compte tenu du mystère qui entoure ces élus : qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Quelles sont leurs stratégies ? Quelle est leur influence ? Toutes ces questions trouvent une réponse dans cet ouvrage.

Étudier un objet aussi complexe et inédit ne va pas sans difficultés, et exige de relever de nombreux défis : identification de la population à étudier, prise de contacts avec des acteurs globalement peu coopératifs, problématique des députés absents, cadrage théorique de la notion d’opposition à l’Europe, application à l’Union du concept de parti antisystème et de divers cadres théoriques et outils méthodologiques. Tous ces défis ont été relevés avec succès dans ce remarquable ouvrage.

La recherche se fonde principalement sur l’approche motivationnelle des rôles. Celle-ci est en effet particulièrement propice à l’identification et à l’analyse des divers rôles que les eurosceptiques endossent au sein du Parlement européen. Le grand apport de ce travail est de souligner la diversité de ces rôles et d’expliquer quelles sont les variables – personnelles ou institutionnelles – qui l’expliquent. Ce faisant, il rend compte tout à la fois des profils et motivations des eurosceptiques au Parlement européen, et de leurs activités concrètes.

Nathalie Brack appuie sa démonstration sur une littérature très vaste et variée, et sur un travail empirique d’une ampleur considérable. Elle établit des ponts entre méthodes qualitative et quantitative, études européennes et législatives, travail sociologique et réflexion théorique, et fait dialoguer avec succès différentes approches. Pour ne rien perdre de l’analyse, l’ensemble est rédigé dans une langue d’une grande clarté, aucunement jargonnante, qui permet au lecteur de suivre pas-à-pas la démonstration et d’en apprécier chaque nuance.

Au final, la recherche de Nathalie Brack ne permet pas seulement de mieux comprendre le fonctionnement du Parlement européen et d’analyser les enjeux de la montée de l’euroscepticisme. Elle nourrit aussi la réflexion sur les conditions de la légitimation de l’Union européenne, système politique pour l’heure peu ouvert à la logique d’alternance et à la conflictualité politique, pâtissant de l’image d’un tout bureaucratique et unanimiste, où le débat n’a pas sa place. Elle renouvelle également la pensée sur la place des acteurs antisystème dans les démocraties contemporaines, à l’heure où un nombre croissant d’États sont confrontés à la présence dans les rangs de leurs chambres d’élus extrémistes ou régionalistes, désireux de contester les fondements mêmes des institutions auxquelles ils appartiennent.

Cet ouvrage est un bon exemple de ce que la science politique d’aujourd’hui devrait être. Non pas un processus de réplication de schéma théoriques, paradigmatiques et méthodologiques éprouvés à de nouveaux objets, tendant à valider sans cesse les mêmes hypothèses, mais une entreprise de construction intellectuelle ambitieuse d’un dispositif de recherche, fondé sur divers méthodes, approches et littératures, propre à apporter des réponses nouvelles à des questions de recherche inédites.

Olivier CostaDirecteur de recherche au CNRS,Centre Emile Durkheim, Sciences Po BordeauxDirecteur des études politiques et administratives,Collège d’Europe, Bruges

Préface

« Êtes-vous sûrs, lorsque vous votez au sujet de n'importe quel texte ici même, que cette affaire doit être résolue justement dans cette salle et non plus près des citoyens, donc dans les États européens ? (…) En l'absence de “demos”, de peuple européen, la solution ne consiste pas dans un renforcement du rôle du Parlement européen. »

Vaclav KLAUS, Président de la République tchèque de 2003- 2013, Discours tenu le 19 février 2009 devant le Parlement européen à Bruxelles.

À la veille de toute élection européenne, les médias dramatisent souvent ce scrutin en recourant à la figure de l’« euroscepticisme », du « populisme » et parfois même du « souverainisme » pour mieux conjurer le fait qu’il est en réalité une consultation de « second ordre »1 et montrer d’une certaine manière en creux le déficit démocratique « réel » ou « supposé » de l’Union européenne. De plus, loin d’admettre que les mouvements politiques ainsi labellisés concourent « à leur manière » à la légitimité par la conflictualité du système politique de l’Union européenne et de son institution la plus « palpable » pour les citoyens, le Parlement européen, les autres partis politiques européens, fondateurs du régime politique de l’Union, notamment l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, le Parti populaire européen et le Parti socialiste européen, les construisent comme une « extériorité » dont la pérennité ne saurait être garantie à mesure de l’approfondissement culturel, économique et politique de la Construction européenne.

C’est malheureusement un double sophisme au regard de l’analyse des résultats des élections européennes depuis 1979, date du premier scrutin au suffrage universel direct pour la désignation du Parlement européen et de l’étude des référendums sur le Traité de Maastricht, sur le feu Traité constitutionnel européen et sur le Traité de Lisbonne, au Danemark, en France, au Luxembourg et en République d’Irlande.

En premier lieu, les forces politiques définies comme « eurosceptiques » fortement hétérogènes dans leurs conceptions institutionnelles et économiques en confrontation du fonctionnement de l’Union européenne, ont toujours été présentes et ont souvent réussi à constituer des groupes parlementaires sous diverses appellations et qui plus est se sont renforcées, particulièrement depuis le « grand élargissement » de l’Union européenne en 2004, au sein du Parlement européen2. En second lieu, lesdits partis, qui font désormais l’objet d’une large littérature quant à leurs causalités et identités en politique3, sont des acteurs importants dans leurs systèmes politiques nationaux respectifs dont l’enracinement électoral ne se limite nullement au scrutin européen pour la majorité d’entre eux. Non seulement ces mouvements ont déterminé ou inspirent la composition et la politique de plusieurs gouvernements en Europe4, mais aussi ils participent de la définition et de la stabilisation du régime politique de l’Union européenne en soulignant certaines de ses incongruités ou faiblesses, notamment en ce qui concerne sa politique économique5. Et si l’on croit les études prospectives publiées à la veille des élections européennes de mai 2014, ces mouvements regroupés au niveau européen dans des organisations multiples et concurrentes au sein de l’Alliance des conservateurs et réformistes européens, de l’Alliance européenne pour la liberté, du Mouvement pour l’Europe des libertés et de la démocratie et du Parti de la gauche européenne, dont on n’insistera jamais assez sur le caractère hétéroclite identitaire et idéologique, pourraient obtenir pour la première fois de leur histoire, le nombre record de 200 députés au sein du Parlement européen6.

Si les forces politiques de l’euroscepticisme sont des plus composites quant à leurs traditions politiques nationales de référence, aux solutions institutionnelles et économiques qu’elles proposent au niveau de leurs États et de l’Union et au niveau des réformes sociétales qu’elles soutiennent ou réfutent, elles rejettent toutes sans distinction la méthode communautaire comme principe directeur de la Construction européenne. Cette conception commune entre tous les partis dits « eurosceptiques » renvoie aux éléments jugés essentiels dans l’acceptation de la politique moderne, à savoir la souveraineté nationale et la souveraineté populaire. Pour ces mouvements, la Construction européenne ne peut être que le fruit de la coopération entre des États souverains d’une part et d’autre part aucun des États européens ne doit renoncer à être l’acteur social et économique prééminent de sa société nationale. Dans ces conditions, les États ne devraient déléguer aux institutions européennes que des « compétences révocables, subsidiaires et subordonnées » et sont les seuls habilités au contrôle de dévolution. Il n’appartient pas à la Cour de Justice de l’Union européenne d’être l’arbitre du contrôle de subsidiarité et de proportionnalité, principes qu’ils contestent d’ailleurs et qu’ils jugent impraticables en réalité7.

De manière plus précise, le vocable d’« euroscepticisme » aurait été d’abord revendiqué par des Conservateurs et des Travaillistes britanniques après l’adhésion du Royaume-Uni au Marché commun en 1973. Ces derniers auraient progressivement adopté un agenda politique des plus critiques quant aux modalités de la décision en politique au niveau des Communautés européennes, aux montants des financements et aux objectifs de politiques publiques européennes dans le cadre du Marché commun et en particulier de la Politique agricole commune. Sa cristallisation aurait été opérée par le gouvernement de Lady Thatcher (1979-1990). Si la feue Première ministre ne prononça jamais le terme d’euroscepticisme dans son allocution désormais célèbre de Bruges en 19888, elle en fixa toutefois les quatre valeurs cardinales. L’euroscepticisme, d’abord anglo-saxon puis continental, principalement dans les États d’Europe centrale et orientale (notamment avec l’Občanská Demokratická Strana de l’ancien président tchèque Vaclav Klaus et le Prawo i Sprawiedliwość (PiS) du feu président polonais, Lech Kaczyński)9, est une idéologie qui croit dans la supériorité des instruments nationaux de gouvernance économique et monétaire et dans une plus grande efficacité des institutions démocratiques nationales, au regard notamment de l’importance qu’ils accordent à leur régime parlementaire d’origine. Il souhaite également la reconnaissance de l’autonomie et de la compétitivité fiscale des États membres et la mise en place d’une nouvelle organisation européenne se substituant à l’Union, qui serait une sorte de « confédération des États européens »10.

L’euroscepticisme anglo-irlandais aurait connu une nouvelle étape par la création de l’UK Independence Party en 1993 et le mouvement Libertas, d’abord irlandais puis pan européen, de Declan Ganley fondé à l’occasion des élections européennes de juin 2009. Si le premier prône désormais ouvertement la « sortie de l’Union européenne » pour la Grande-Bretagne, le second considère que l’Union européenne était tout sauf le meilleur moyen pour répondre à la globalisation économique que les deux mouvements soutiennent par ailleurs11. Il est important aussi d’attirer l’attention au développement d’un euroscepticisme libéral au niveau des régions d’Europe porté par des mouvements « classiquement » régionalistes et situés à droite comme le Christlich-Soziale Union en Bavière et la Lega en Italie et dont les revendications sont développées avec encore plus d’ampleur par la Conférence des Assemblées Législatives Régionales d’Europe (CARLE) depuis la Déclaration d’Oviedo en 1997 et celle de Madère en 200112. En plus de l’« agenda de Bruges », les régions à pouvoirs législatifs et constitutionnels devraient être reconnues dans les futurs traités européens comme « les organes et les institutions représentatives des peuples de l’Union européenne, en tant que véritables administrateurs de la souveraineté et des identités régionales »13.

L’euroscepticisme a été aussi porté par des mouvements dits « d’initiatives populaires » dans les États du Nord de l’Europe qui ont contesté avec succès à l’adhésion aux Communautés et à l’Union (en 1972 et en 1994 en Norvège), avec échec (au Danemark en 1972) et contre l’euro en 2003 en Suède et qui par la suite ont toujours concouru aux élections européennes (Folkebevægelsen mod EF/EU & JuniBevægelsen mod Union au Danemark et Junilistan en Suède)14. Ces mouvements étaient plutôt situés au départ à la gauche des partis sociaux-démocrates scandinaves. Ils considéraient que le modèle social européen, vanté notamment par la Commission Delors (1983-1995), était en réalité bien inférieur à ceux de leurs États respectifs, par l’existence même de l’Acte unique européen en 1986 et du Traité de Maastricht en 1993. Dans les cas spécifiques de la Norvège et du Danemark s’est aussi ajouté un agenda proprement souverainiste économique concernant leurs réserves halieutiques et pétrolières et les revenus qu’ils en tirent15. À la fin des années 90, ces mouvements ont toutefois décliné électoralement pour être remplacés par des partis politiques ancrés cette fois-ci à la droite de la droite, (Dansk Folkeparti au Danemark, Perussuomalaiset en Finlande, Sverigedemokraterna en Suède), dont les préoccupations sont semblables à celles de leurs prédécesseurs avec en plus un agenda anti-immigration interne et externe à l’Union et une volonté très forte de promouvoir les identités culturelles et linguistiques scandinaves. Dès les années 80, les partis d’extrême droite et de droite nationale en Belgique, le Vlaams Belang en Belgique, le Front National en France puis par la suite le Nacionālā Apvienība VL – TB/LNNK en Lettonie et le Jobbik en Hongrie, ont su également coupler leur politiques de différencialisme culturel avec un euroscepticisme institutionnel, économique et social, renforçant indéniablement leurs emprises sur leurs systèmes politiques nationaux.

Ce vertige « social national »16 ne se limite plus à la gauche scandinave et/ou aux droites nationales et extrêmes. Depuis les campagnes référendaires sur le Traité constitutionnel européen, des partis socialistes ou travaillistes, membres du Parti socialiste européen ont adopté un agenda eurosceptique en matière de politique économique et sociale. Ainsi, le Parti social-démocrate d’Autriche (SPÖ), à la suite du premier vote irlandais sur le Traité de Lisbonne, en juin 2008, milite désormais pour l’organisation d’un référendum si le modèle fiscal et social autrichien serait remis en cause fondamentalement par les traités européens à venir. Le Parti de la gauche européenne, qui rassemble des partis anticapitalistes, communistes, néo-socialistes, et altermondialistes depuis les campagnes référendaires de 2005, se veut lui aussi le parangon d’une « Europe des peuples et solidaires », qui est une solution autre que celle de l’Union… par nature « néolibérale » et « antidémocratique »17. La série de protocoles et de traités sur la Gouvernance économique de l’Union européenne depuis la crise de la zone euro en 2009 (Semestre européen, Pacte europlus, Six Pack, Traité sur la stabilisation, la coordination et la gouvernance économique européenne, etc.) et l’introduction de plans d’ajustements structurels économiques en Espagne, en Grèce, en Italie, au Portugal et en République d’Irlande, ont clairement renforcé le caractère eurosceptique de l’ensemble de cette fédération de partis européens. Le Synaspismos tis Rizospastikis Aristeras (SYRIZA) en Grèce en serait la meilleure des illustrations.

Au-delà de ce foisonnement idéologique, les premières modélisations à la fin des années 90 ont distingué également un euroscepticisme « dur » d’un euroscepticisme « soft »18. Des partis refuseraient carrément l’intégration européenne en elle-même (le « dur ») au regard de leur attachement au modèle de l’Etat nation dans une perspective réaliste des relations internationales et de coopération. D’autres formations politiques (le « soft ») le feraient pour préserver une politique publique particulière nationale au sein du Marché commun et/ou le mettrait en avant de manière stratégique et momentanée lors d’une négociation sur tout ou une partie d’un Traité européen, à l’exemple du Fianna Fáil en Eire, de Forza Italia en Italie ou du Labour Party en Grande-Bretagne. C’est aussi une revendication identitaire commode pour rompre l’isolement politique dans lequel se trouvent momentanément des dirigeants politiques et/ou pour acquérir facilement une légitimité pour un nouveau mouvement politique dans un système politique national19 (l’un des exemples serait Jacques Chirac en 1979 lorsqu’il prononça son appel de Cochin pour d’une part dénoncer la politique européenne du président Valery Giscard d’Estaing jugée alors « trop favorable » aux intérêts allemands et pour lancer le Rassemblement pour la République).

L’euroscepticisme pourrait être compris également comme l’une des quatre attitudes partagées par les partis et les électorats au sujet de la Construction européenne. Les Européens et leurs représentants oscilleraient entre des positions optimistes et/ou pessimistes sur l’état et le futur de l’Union européenne et sur l’idée même d’intégration et de coopération européenne. Il y aurait dès lors des électeurs « euro-désillusionnés », c’est-à-dire qui jugent que les institutions européennes et le niveau de développement économique de l’Union est en dessous des promesses des Traités de Rome, de Maastricht et d’Amsterdam. Des « euro-enthousiastes » qui soutiennent tous les développements de l’intégration européenne avec pour projet une union politique et économique sans cesse plus étroite. Des « euro-pragmatiques » qui sont passifs devant son affermissement, voire opposés, mais néanmoins s’arrangent de ses politiques et souvent avec un agenda politique national plus ou moins caché. Des « eurosceptiques » qui favoriseraient la coopération politique en Europe à travers d’autres institutions (Conseil de l’Europe, OSCE, etc.) et soutiendraient en réalité la création et le renforcement d’une zone de libre-échange la plus large possible dont la « méthode communautaire » serait exclue pour en assurer le fonctionnement20.

C’est dans ce contexte que l’œuvre de Nathalie Brack est des plus novatrices dans le domaine des études parlementaires et de sociologie politique car sa recherche porte sur l’euroscepticisme au sein même des institutions européennes et plus particulièrement au Parlement européen. Le terrain d’enquête est d’autant mieux choisi que cette institution, dont la qualité est de représenter les citoyens de l’Union, devrait être a priori un lieu d’investissement « fort » par des élus qui se présentent comme les parangons à la fois de la démocratie parlementaire, impérative et rédemptrice en Europe.

Primo, il faut ici louer le fait que l’auteure débute son travail par une interrogation fondamentale sur le caractère représentatif ou non du Parlement européen et des relations qu’entretiennent les élus avec leurs commettants, leurs systèmes de valeurs, leurs conceptions de l’Europe et leurs régimes politiques nationaux d’origine et inversement. D’une autre manière, la compréhension de l’état de la démocratie européenne et des critiques des plus féroces (parfois justifiées) à son endroit oblige certainement à déterminer en quoi le mode de délégation au Parlement européen et le travail législatif qui y est opéré sont compris par les Européens et assumés de manière différente par les députés, quel que soit leur positionnement idéologique et pratique vis-à-vis de la Construction européenne.

Secundo, le travail est d’autant plus conséquent qu’il s’est agi de classer les parlementaires à proprement parler « eurosceptiques » par une solide revue de la littérature, chose des plus difficiles au regard non seulement de la disparité idéologique et identitaire des mouvements esquissés ci-dessus mais aussi de l’ampleur et des contradictions des travaux en sciences politiques existants sur ces partis et parfois non dénués de jugement de valeurs. La construction de l’objet « eurosceptique » nous oblige constamment à nous assurer d’une part que ces partis et ces élus sont bel et bien porteurs d’une représentation sociale originale, alternative et constante en politique européenne par rapport à la méthode communautaire et d’autre part que ces derniers n’endossent nullement et de manière fortuite et momentanée une posture au sein du Parlement européen ou lors des joutes électorales par simple stratégie en relation à la configuration et à l’état de leurs systèmes politiques nationaux respectifs.

Tertio, alliant méthodes qualitative et quantitative, approches inductive et déductive, Nathalie Brack s’intéresse aux motivations personnelles et aux incitants institutionnels qui conduisent des députés à endosser tel ou tel rôle au sein du Parlement européen. Selon les propres termes de l’auteure, il s’agit, au niveau individuel d’apprécier les représentations et pratiques du mandat électif par les parlementaires eurosceptiques et d’analyser la pluralité des rôles assumés par ces mandataires. Essentiellement, cet ouvrage, qui est le quatrième de la collection Etudes parlementaires que je dirige, stipule que les euro-parlementaires identifiés comme « eurosceptiques » développent quatre fonctions au sein de l’Assemblée : l’absent, le tribunitien, le pragmatique et le socialisé. Ces fonctions dépendent à la fois des règles (formelles et informelles) régissant le fonctionnement du Parlement européen, particulièrement le règlement d’ordre intérieur, la place qui leur est réservée ou non dans les commissions et les débats en plénière, et de leurs considérations au sujet de la Construction européenne et de la méthode communautaire, jusqu’alors son principe directeur. Dans une logique de recherche complémentaire au néo-institutionnalisme sociologique, la méthode d’analyse développée permet d’aller de l’approche du choix rationnel qui privilégie les attentes et les gains recherchés par les acteurs politiques dans d’un système politique et de celle des effets de socialisations et de structuralisme qui conditionnent in fine l’action.

S’intéresser aux parlementaires « eurosceptiques » c’est aussi faire œuvre de compréhension sur la réalité, la légitimité et le fonctionnement du système politique européen, bien qu’il soit nié ou remis en cause par ces derniers. C’est aussi en cela que l’ouvrage de Nathalie Brack est important non seulement pour les études législatives mais aussi les études européennes.

Le Châtel, le 14 avril 2014 Philippe Poirier (Ph.D.), habilité à diriger des recherches, professeur associé de science politique Titulaire de la Chaire de recherche la Chambre des Députés du Luxembourg Directeur de la Collection études parlementaires

1. Sara Binzer Hobolta & Jill Wittrockb « The second-order election model revisited : An experimental test of vote choices in European Parliament election ». In, Electoral Studies. Volume 30, Issue 1, March 2011, Pages 29-40.

2. Philippe Poirier, « Européennes 2009 : forces et faiblesses de la contestation de l’Union européenne ». In Dominique Reynié, Opinion européenne 2010. Paris : Editions Lignes de Repère, p75-127, avril 2010.

3. Robert Harmsen & Menno Spiering, Euroscepticism. Party Politics, National Identity and European Integration, Amsterdam, Rodopi, 2004. Cécile Leconte, Understanding Euroscepticism, Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2010.

4. Depuis 1999, ces partis ont été membres des coalitions gouvernementales ou leurs soutiens étaient indispensables en Autriche, en Bulgarie, au Danemark, en Grèce, en Italie, en Lettonie, aux Pays-Bas, en Pologne, au Royaume-Uni, en République tchèque, en Roumanie, en Slovaquie.

5. Siimon Usherwood & Nick Startin, « Euroscepticism as a Persistent Phenomenon », Journal of Common Market Studies, vol. 51, no 1, 2013, pp. 1-16.

6. PollWatch2014, http://www.electio2014.eu/fr/pollsandscenarios/polls, avril 2014.

7. Philippe Poirier, Les « Anti Méthode Communautaire » et la Convention sur l’Avenir de l’Europe » In Laure Neumayer, Antoine Roger, Frédéric Zalewski, Europe contestée : Espaces et enjeux des positionnements contre l’intégration européenne. Paris : Editions Michel Houdiard, p101-126, août 2008.

8. Bruges Group, Britain & Europe The text of the speech delivered in Bruges by The Rt. Hon. Mrs Margaret Thatcher, FRS, http://www.brugesgroup.com/mediacentre/index.live?article=92#britain, 20th September 1988.

9. Laure Neumayer, « De l’euroréalisme au souverainisme ? Le discours eurosceptique dans trois nouveaux États membres de l’Union européenne : la Pologne, la Hongrie et la République tchèque », in P. Delwit et P. Poirier (dir.), Parlement puissant, électeurs absents ? Les élections européennes de juin 2004, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2005, p. 251-272.

10. Simon Usherwood, « Bruges as a Lodestone of British Opposition to the European Union ». Collegium, no 29, Winter 2004, p. 5-16.

11. Agnès Alexandre-Collier, La Grande-Bretagne Eurosceptique ? L’Europe dans le débat politique britannique, Paris, Editions du Temps, collection « Actualité européenne », 2002. Voir du même auteur, l’« Euroscepticisme » au sein du Parti Conservateur britannique (1992-97), Lille, Editions du Septentrion, 2001.

12. Conférence des Assemblées Législatives Régionales d’Europe, Déclaration des Présidentes et Présidents des Parlements Législatifs Régionaux Européens, Oviedo, 1997.

13. Conférence des Assemblées Législatives Régionales d’Europe, Déclaration de Madère, http://www.calre.eu/documents/Madeira/decl%20CALRE%20Madeira%20fr.htm, 30 octobre 2001.

14. Catharina Sørensen, Danish And British Popular Euroscepticism Compared : A skeptical assessment of the concept, Copenhagen, Danish Institute For International Studies, Working Paper no 25, 2004.

15. Milena Sunnus, « Swedish Euroscepticism : Democracy, Sovereignty and Welfare », in Robert Harmsen & Menno Spiering, Euroscepticism : Party Politics, National Identity and European Integration, Amsterdam, Editions Rodopi, 2005, p. 193-205.

16. Dominique Reynié, Le Vertige social nationaliste. La gauche du non et le référendum de 2005, Paris, La Table ronde, 2005.

17. Plateforme du Parti de la gauche européenne pour les élections au Parlement européen de 2009, « Ensemble pour changer en Europe ! L’Europe du XXIe siècle a besoin de paix, de démocratie, de justice sociale et de solidarité », novembre 2008. Disponible sur : http://www.european-left.org/fileadmin/downloads/Electoral_Platform/Plateforme_fr.pdf.

18. Paul Taggart, « A touchtone of dissent: Euroscepticism in contemporary Western European party systems », European Journal of Political Research, volume 33, 1998, p. 363-388. Paul Taggart & Aleks Szczerbiak, « The Party Politics of Euroscepticism in EU Member and Candidate States » OERN Working Paper, no 6, http://www.sussex.ac.uk/sei/documents/wp51.pdf, April 2002.

19. Christophe Bouillaud, « L’euroscepticisme partisan lors des élections européennes de juin 2004 : un premier essai d’estimation et d’explication », in Pascal Delwit & Philippe Poirier, Parlement Puissant, Electeurs Absents ? Les élections européennes de juin 2004, Bruxelles, Editions de l’Université libre de Bruxelles, 2005, p.222-223.

20. Petr Kopecky & Cas Mudde, « The Two Sides of Euroscepticism », European Union Politics, Volume 3, no 3, 2002, p. 319-320. Voir également Jan Rovny, « Conceptualising Party-based Euroscepticism : magnitude and motivations », Collegium, no 29, Winter 2004 p. 31-49.

Liste des abréviations

AFCO

Commission affaires constitutionnelles

AFET

Commission affaires étrangères

AKEL

Anorthotiko Komma Ergazomenou Laou – parti progressiste des travailleurs

AT

Autriche

BdE

Bloco de Esquerda – Bloc de gauche

BE

Belgique

BNP

British National Party – Parti national britannique

CO

Conservative Party – Parti conservateur

CRE

Conservateurs et Réformistes Européens

CY

Chypre

CZ

République tchèque

DE

Allemagne

DF

Dansk Folkeparti – Parti populaire danois

DK

Danemark

DL

Die Linke – La Gauche

ELD

Europe Liberté Démocratie

EMPL

Commission emploi et affaires sociales

ENVI

Commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire

FEMM

Commission des droits de la femme et égalité des genres

FG

Front de Gauche

FI

Finlande

FN

Front national

FPÖ

Freiheitliche Partei Österreichs – Parti autrichien de la liberté

FR

France

GR

Grèce

GUE/NGL

Gauche Unitaire Européenne/Nordic Green Left (Gauche Verte Nordique)

I/D

Indépendance/Démocratie

IMCO

Commission marché intérieur et protection des consommateurs

INTA

Commission du commerce international

IRL

Irlande

IT

Italie

ITRE

Commission industrie, recherche et énergie

J

Juni Bevægelsen – Mouvement de juin

JURI

Commission des affaires juridiques

KSCM

Komunistická strana Čech a Moravy – Parti communiste de Bohême et Moravie

LJ

Junilistan – Liste de Juin

LN

Lega Nord – Ligue du Nord

LPR

Liga Polskich Rodzin – Ligue des familles polonaises

MP

Miljöpartiet de Gröna – Parti de l’environnement, Les Verts

NI

Non-inscrits

NL

Pays-Bas

ODS

Občanská demokratická strana – parti démocratique civique

P

Perussuomalaiset – Vrais Finlandais (ou les Finlandais de base)

PCP

Partido Comunista Português – Parti Communiste Portugais

PCR

Parti Communiste Réunionnais

PE

Parlement européen

PECH

Commission pêche

PiS

Prawo i Sprawiedliwość – Droit et Justice

PJN

Polska Jest Najważniejsza – La Pologne est le plus important

PL

Pologne

PPE

Groupe du Parti Populaire Européen (Démocrates chrétiens)

PPE-DE

Parti Populaire Européen – Démocrates Européens

PSE

Groupe du Parti Socialiste Européen

PT

Portugal

PVV

Partij voor de Vrijheid – Parti pour la liberté

S&D

Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen

SE

Suède

SGP

Staatkundig Gereformeerde Partij – parti politique réformé

SNP

Scottish National Party – Parti national écossais

SP

Socialist Party – Parti socialiste

SoP

Socialistische Partij – Parti socialiste

SYRIZA

Synaspismós Rhizospastikís Aristerás – Coalition de la Gauche radicale

UE

Union européenne

UEN

Union pour l’Europe des Nations

UK

Royaume-Uni

UKIP

UK Independence Party – Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni

V

Vänsterpartiet – parti de gauche

VB

Vlaams Belang – Intérêt Flamand

Verts/ALE

Verts/Alliance Libre Européenne

Sommaire

Remerciements

Avant-propos

Préface

Liste des abréviations

Introduction

CHAPITRE 1

La représentation au-delà du cadre étatique

CHAPITRE 2

Les députés européens au prisme de la théorie des rôles

CHAPITRE 3

L’euroscepticisme au PE comme opposition de principe au régime européen

CHAPITRE 4

Une typologie des rôles joués par les députés eurosceptiques

CHAPITRE 5

Le Parlement européen, un cadre peu propice à la défense de l’euroscepticisme ?

CHAPITRE 6

Expliquer les rôles parlementaires par les préférences relatives à la construction européenne

Conclusions

Annexes

Bibliographie

Introduction

L’intégration européenne est un processus intrinsèquement controversé. Elle a été façonnée par de multiples crises, révélant l’existence de tensions et d’oppositions sur la façon d’organiser la politique en Europe. Longtemps présentées comme marginales, sectorielles ou passagères, ces oppositions, labellisées sous le terme d’euroscepticisme, sont devenues une composante stable de la vie politique européenne1. Il est en effet rare de trouver aujourd’hui en Europe un système partisan où l’euroscepticisme est complètement absent, l’opposition à l’Union européenne (UE) s’imposant progressivement, sinon comme un clivage, au moins comme un enjeu dans les espaces politiques tant nationaux que supranationaux, et comme un thème de débat, voire de conflit, au sein même des partis politiques2. Si les oppositions au projet européen sont aussi anciennes que le projet lui-même3, le constat dégagé depuis les années 1990 est néanmoins celui d’une opposition croissante mais surtout de plus en plus visible à l’intégration et à l’UE. Comme le note S. Usherwood, le développement de l’euroscepticisme est un des traits les plus importants du processus d’intégration ces deux dernières décennies4. On a assisté, avec les campagnes de ratification du traité de Maastricht, à un tournant critique dans l’histoire de l’intégration, marquant la fin du « consensus permissif »5. L’extension continue des compétences de l’UE a multiplié les sources potentielles de tensions, entraînant de nombreuses réactions critiques dans la majorité des États-membres, tant au niveau de l’opinion publique que des élites politiques.6 Les élections européennes depuis lors et les élargissements successifs ont consolidé et diversifié les oppositions au projet européen tandis que le processus de constitutionnalisation de l’UE a engendré un débat public sur la nature et les finalités du régime européen, favorisant la mobilisation d’acteurs eurosceptiques7. Si la page des réformes institutionnelles s’est récemment tournée avec l’adoption du traité de Lisbonne, la crise économique et financière que traverse actuellement l’Europe semble contribuer à l’émergence ou la résurgence de vives oppositions au projet européen8.

Ces oppositions se sont très tôt reflétées au sein du Parlement européen (PE), qui a fourni un forum d’expression pour ces acteurs eurosceptiques. Cette institution, souvent présentée comme un bastion d’europhiles, a compté en son sein, depuis les années 1970, des élus opposés au projet européen ou à sa mise en œuvre9. D’abord intégralement dominée par des élus socialistes, démocrates-chrétiens et libéraux globalement favorables à l’intégration communautaire, de nouveaux groupes politiques ont été constitués afin de représenter les oppositions croissantes de franges de la population envers l’UE. Si l’assemblée est depuis toujours traversée par de multiples clivages, l’axe pro-/anti-intégration a été très tôt particulièrement saillant, et le reste encore aujourd’hui10. Les rangs des eurosceptiques ont été consolidés et diversifiés suite aux élargissements successifs ainsi qu’au processus de réformes constitutionnelles de ces deux dernières décennies.

Ces acteurs se trouvent au cœur d’une situation quelque peu paradoxale : remportant leurs plus grands succès lors des élections européennes, ils doivent ensuite agir au sein d’une institution et d’un système politique qu’ils dénoncent. Leur présence au PE peut non seulement poser des questions existentielles pour ces acteurs mais également avoir de nombreuses implications pour le PE. Les oppositions à l’Europe exprimées au cœur de la seule institution directement élue de l’UE ont singulièrement fait l’objet de très peu de recherches. Ces acteurs restent largement négligés, tant par les études sur l’euroscepticisme que par les spécialistes du PE.

En effet, si une abondante littérature s’est développée pour comprendre les oppositions suscitées par la construction européenne, ces travaux se concentrent avant tout sur les arènes politiques nationales afin d’expliquer la nature et les causes de l’euroscepticisme. Ils délaissent non seulement l’échelon supranational mais aussi l’analyse du comportement des acteurs eurosceptiques dans les assemblées parlementaires. De même, les spécialistes du PE tendent à laisser de côté la composante contestataire de l’assemblée, estimant qu’en l’absence de site institutionnalisé d’opposition, il existe peu d’opportunités pour les eurosceptiques au sein du système européen11. En d’autres termes, ils écartent ces élus de l’analyse au motif qu’ils ne sont pas suffisamment nombreux, organisés ou intégrés au PE pour peser réellement sur son fonctionnement, et estiment que leur présence a une portée purement symbolique.

Pourtant l’existence de cette opposition anti-système au même cœur du PE n’est pas sans poser de nombreuses tensions tant pour ces acteurs que pour l’institution et, de façon plus large, pour le régime politique européen. S’agissant des parlementaires eux-mêmes, comment se comportent-ils au sein d’une institution et d’un régime qu’ils critiquent ? Comment gèrent-ils les tensions entre, d’une part, discours d’opposition sur la base desquels ils ont été élus et les missions et attentes découlant du mandat représentatif d’autre part ? Développent-ils des stratégies hétérogènes ou existe-t-il une stratégie eurosceptique ? En ce qui concerne le Parlement européen, quelles sont les implications de la présence de ces députés eurosceptiques pour son fonctionnement ? Comment a-t-il géré la présence persistante de ces voix d’opposition ? Quel est leur impact sur l’image de l’assemblée ? Enfin, concernant le système politique de l’Union, quelles conséquences la présence des eurosceptiques a-t-elle ? Sont-ils capables de remettre en cause le caractère fondamentalement consensuel de son fonctionnement et de faire émerger un registre plus conflictuel ? La sédimentation de l’euroscepticisme au sein du PE est-elle, pour le système politique de l’Union, un signe d’immaturité ou d’accomplissement, un gage de légitimité accrue ou une remise en cause fondamentale ?

Croisant la littérature sur l’euroscepticisme, les études européennes et les legislative studies, cette recherche vise à contribuer à combler cette lacune en s’interrogeant sur la façon dont les acteurs eurosceptiques, une fois élus au PE, exercent leur mandat représentatif au sein d’un régime qu’ils critiquent, voire auquel ils s’opposent. Elle propose donc de renverser la perspective dominante au sein des études sur l’euroscepticisme en se penchant non pas sur les causes du phénomène, mais sur les pratiques des eurosceptiques et, ainsi, de s’interroger sur les conséquences de leur présence au sein du système institutionnel européen. Ce faisant, elle constitue une réflexion sur deux enjeux très distincts. Premièrement, alors que l’on assiste, dans de nombreux pays européens, à l’émergence de revendications d’acteurs contestant les structures institutionnelles en place, cet ouvrage permet de contribuer à l’étude, encore restreinte, de l’opposition anti-système au sein d’institutions parlementaires. Le PE sert ici de laboratoire privilégié pour l’étude des stratégies de ces acteurs anti-système, à travers une analyse approfondie des pratiques et des conceptions du mandat représentatif que développent les députés eurosceptiques. Deuxièmement, à l’instar des travaux de sociologie de l’intégration européenne, cette recherche repose sur le postulat qu’analyser de façon microscopique un groupe restreint d’acteurs permet de s’interroger, de façon différente, sur le déficit démocratique et de légitimité du régime européen, en déplaçant la focale du niveau institutionnel au niveau individuel. Il s’agit alors d’appréhender les défis de légitimation de l’UE en se concentrant sur les acteurs hostiles à la construction européenne. Une analyse de leurs pratiques concrètes au sein de l’assemblée représentative permet de dégager des pistes de réflexion quant à leur capacité de légitimation, ou au contraire, de délégitimation du régime politique.

1. UNEÉTUDEDESDÉPUTÉSEUROSCEPTIQUESAU PE : QUELSENJEUX ?

1.1 Le Parlement européen comme laboratoire pour une étude des acteurs anti-système au cœur du système

Les oppositions de plus en plus visibles envers la construction européenne depuis les années 1990 se sont accompagnées d’une abondante littérature, reflétant l’intérêt académique croissant pour ce phénomène. De nombreux auteurs se sont attachés à comprendre l’apparente fin des consensus permissif et substantif sur les questions européennes et l’étude de l’euroscepticisme est devenue un sous-champ interdisciplinaire bien établi des études européennes12. Ces travaux ont principalement mis l’accent, d’une part, sur la définition du phénomène, proposant diverses typologies et catégorisations visant à saisir la complexité du phénomène et, d’autre part, sur la recherche des déterminants des positionnements partisans envers le projet européen. Bien que certains travaux soulignent l’importance des facteurs institutionnels, culturels et contextuels nationaux et supranationaux, la controverse principale porte sur l’influence respective des facteurs idéologiques et stratégiques sur les positions de partis à l’égard des questions européennes13.

Ces travaux ont considérablement enrichi notre connaissance de l’euroscepticisme, soulignant l’hétérogénéité et la multidimensionnalité des oppositions des élites politiques à la construction européenne. Toutefois, ils souffrent de deux carences. Premièrement, ils cherchent d’abord et avant tout à saisir la nature et les raisons sous-tendant les positionnements eurosceptiques des acteurs politiques. Comme le relèvent C.B. Jensen et J.J. Spoon, « les études sur la droite radicale et les partis anti-UE tendent à se concentrer sur l’euroscepticisme de ces partis et pas sur leur comportement au parlement »14. Ces études délaissent donc l’analyse des comportements de ces acteurs une fois élus au sein des assemblées parlementaires. Deuxièmement, si l’euroscepticisme continue d’attirer l’attention de nombreux chercheurs, ils examinent essentiellement les sphères politiques nationales, cherchant à comprendre, par des études de cas ou de façon comparative, la nature, l’évolution et les causes des positionnements à l’égard des questions européennes. À l’exception de quelques travaux récents, ils envisagent donc peu l’échelon supranational15.

Or, le PE, où siègent une minorité persistante d’eurosceptiques, offre un laboratoire particulièrement propice à l’étude d’acteurs anti-système. Il s’agit de la seule institution directement élue d’un régime en crise de façon quasi-permanente et où sont reflétées les tensions suscitées par les visions divergentes relatives à la nature et à la finalité de l’UE16. Comme le note Y. Mény, en l’absence de vision partagée sur ce que pourrait ou devrait être l’UE, l’intégration est traversée par une tension permanente suscitée par l’incertitude sur la nature de la « bête européenne »17. L’UE constitue un cas de régime politique contesté, dont la légitimité demeure remise en cause et dans lequel les questions constitutionnelles sont nombreuses, récurrentes et perçues comme problématiques18. Il ne s’agit certes pas d’une situation unique, certains Etats-nations ne jouissant plus d’un statut incontesté19. Mais l’UE fournit néanmoins un exemple magnifié de cas où l’existence même du régime est questionnée, où la construction politique d’ensemble est remise en cause de façon récurrente et où le débat ne porte pas seulement sur le type de politique mais également sur le niveau territorial où ces politiques sont élaborées et sur la façon dont les décisions sont prises. En d’autres termes, le projet européen est sous-tendu par un conflit fondamental portant sur la façon dont la politique doit être organisée en Europe20. Plus encore, certains acteurs contestent même toute pertinence à l’idée d’une action publique supranationale, échappant à la logique d’un strict intergouvernementalisme. Ce conflit sur la dimension constitutive du régime se reflète au sein de l’assemblée parlementaire, qui fournit un des rares canaux d’expression pour les voix d’opposition ; c’est précisément sur cette dimension que se situe l’euroscepticisme. Ce dernier doit, selon nous, se comprendre comme l’opposition non pas aux politiques menées ou en référence à l’axe gauche/droite mais comme une opposition systémique, visant le processus d’intégration et le régime politique qui en découle (c’est-à-dire l’UE et ses institutions). Il sort en cela de la « politique normale »21, de l’opposition classique aux politiques publiques et dénote une opposition défiant la dimension constitutive de l’UE22. Les députés eurosceptiques constituent un cas d’acteurs anti-système23, contestant le régime politique (polity) tel qu’il existe, défiant sa légitimité et le fondement même du système de gouvernance.

Cette recherche entend donc se pencher sur les oppositions engendrées par la construction européenne qui s’expriment au sein du PE. À travers une étude approfondie des stratégies et pratiques des députés eurosceptiques, il s’agit de contribuer à une meilleure compréhension de « ce que résister veut dire dans le cadre de l’UE d’aujourd’hui »24 mais également ce que signifie « être un acteur anti-système au cœur du système ». D’une part, alors que l’Europe traverse une nouvelle période de crise et que la légitimité des institutions européennes demeure vacillante, il s’agit de comprendre comment les acteurs mobilisés par le conflit autour de la dimension constitutive du régime politique agissent une fois élus au PE. D’autre part, en paraphrasant R. Davidson25, bien que cette étude ne concerne qu’un groupe restreint d’individus, elle permet de sortir du cadre strict des études européennes pour dégager des éléments de réflexion sur les conceptions et pratiques de l’opposition antisystème au sein des démocraties parlementaires étant également confrontées à des remises en cause profondes de leurs structures.

1.2 Oppositions et légitimation de l’UE

Cette recherche entend également contribuer aux débats sur les défis de légitimation du régime européen en s’interrogeant sur les implications de la présence de voix dissidentes au sein des institutions européennes. Il s’agit de questionner le rôle de ces oppositions et, plus largement, du conflit pour la représentativité du PE et la légitimité de l’UE.

Alors que la théorie politique a démontré le rôle crucial de l’opposition pour la démocratie, les institutions européennes tendent à rejeter le conflit et à recourir à des modes consensuels de prise de décision, valorisant l’expertise et favorisant l’aspect technique au détriment de la politique. L’UE connait peu de sites institutionnalisés pour l’expression des voix dissidentes et repose sur des interactions dépolitisées et consensuelles, fabriquant des politiques publiques sans politisation et constituant une « polity without politics »26. Le régime européen semble en effet avoir manqué la troisième étape importante dans la voie vers des institutions pleinement démocratiques telle qu’identifiées par R. Dahl27, à savoir l’établissement du droit pour une opposition organisée au sein du système d’appeler à voter contre le gouvernement28. De façon plus précise, les citoyens ne disposent pas du droit, ni de la capacité et encore moins de l’arène pour organiser une opposition au sein du système européen29. Cela entraîne une transformation de l’opposition classique, envers les politiques publiques et les dirigeants, à une opposition de principe, dirigées contre le régime, c’est-à-dire l’euroscepticisme30. Comme le note très justement P. Mair, « dès lors qu’on ne peut pas organiser d’opposition dans l’UE, on est presque forcé d’organiser une opposition à l’UE »31.

Les eurosceptiques jouent un rôle primordial à cet égard. Étant élus en partie en raison du manque de conflictualité au sein de l’UE, leur présence au sein du PE peut contribuer à réduire cette impression d’unanimisme du régime européen et à accroître la représentativité du PE, alors perçu comme ouvert à la société dans toute sa diversité et aux oppositions qui s’y expriment. Les élus eurosceptiques concourraient dans ce cas à la légitimation de l’UE et à la réduction l’euroscepticisme électoral, attestant d’une « normalisation » du régime européen. Celle-ci prendrait la forme d’un processus de maturation des institutions européennes qui évolueraient vers un style plus politique et confrontationnel que technocratique. Mais comme le note J. Diez Medrano, il est également possible que leur présence au sein du système européen leur donne davantage d’opportunités d’exprimer leur opposition et contribue à délégitimer l’UE auprès des citoyens, voire à bloquer indirectement le processus d’intégration32. En étudiant les attitudes et pratiques des députés eurosceptiques, on veut contribuer au débat sur les défis de légitimation de l’UE en dégageant des pistes de réflexion sur le rôle du conflit à l’égard de la légitimité démocratique du régime politique européen.

2. LAPROBLÉMATIQUEDELARECHERCHE : APPROCHETHÉORIQUE, QUESTIONSETHYPOTHÈSE

L’ambition de cette recherche est de comprendre comment les élus eurosceptiques, en tant qu’acteurs anti-système, conçoivent et exercent leur mandat représentatif au sein du PE et, ce faisant, d’appréhender les défis de légitimation de l’UE.

Pour ce faire, nous nous basons sur la littérature portant sur la représentation politique33 ainsi que sur les approches et outils fournis par la politique comparée. À la suite de nombreux travaux, cette recherche s’inscrit dans un courant tendant à normaliser les études européennes. Elle part du principe que, s’il importe de tenir compte analytiquement des conséquences de la nature atypique de la représentation supranationale, les députés européens sont avant tout des parlementaires, soumis aux même contraintes et animés par des motivations similaires à celles de leurs homologues nationaux34. Au sein de la littérature sur la représentation, nous mobilisons une approche dynamique à travers la théorie des rôles et plus précisément, l’approche motivationnelle des rôles, qui fournit des outils conceptuels et méthodologiques particulièrement adaptés à l’étude des pratiques et conceptions du mandat que développent les eurosceptiques.

Cette approche propose un cadre conceptuel permettant de saisir la multidimensionnalité du mandat représentatif et de rendre compte de la cohérence de pratiques parlementaires qui paraissent, à première vue désorganisées. De plus, elle permet de prendre en considération la dimension subjective inhérente au processus représentatif. Défini comme une configuration dynamique d’objectifs, attitudes et comportements, caractéristiques d’une personne occupant une position sociale donnée35, le concept de rôle englobe des éléments cognitifs, normatifs et comportementaux. Il permet d’articuler et d’expliquer tant les comportements que les perceptions des parlementaires envers leur mandat, et permet ainsi de rendre compte de la complexité du mandat représentatif.

L’approche motivationnelle place l’accent sur le contenu des rôles afin de comprendre comment les parlementaires agissent et pourquoi ils agissent de la sorte. Elle accorde une attention particulière à leurs conceptions et visions du mandat, qu’elle conçoit comme des indicateurs des principes qui sous-tendent leurs pratiques. Elle nous permet, dans le cas des eurosceptiques, de dépasser l’hétérogénéité apparente de leurs pratiques prises individuellement pour mettre en avant la manière dont s’articulent motivations, attitudes et comportements, et ainsi rendre compte des rôles qu’ils jouent.

De plus, incorporant les apports des traditions sociologiques et économiques, elle propose une voie médiane dans la façon de concevoir les relations entre l’individu et la structure. L’approche motivationnelle des rôles cherche à dépasser les apories des approches tant sociologiques, focalisées sur l’influence de la structure parlementaire, que stratégiques, centrées sur les préférences individuelles. Contre la vision déterministe des études sociologiques et fonctionnalistes, elle part du postulat que l’action humaine est la clé de voûte de l’explication des phénomènes sociaux, et fait place à l’autonomie individuelle en mettant l’accent sur les motivations des acteurs. Elle permet aussi de dépasser la vision réductrice de l’acteur politique développée par les tenants du courant du choix rationnel en tenant compte non seulement des intérêts et objectifs des parlementaires, mais également de leurs valeurs et représentations. Si l’approche motivationnelle part du postulat que le comportement des acteurs est rationnel, c’est-à-dire orienté vers des fins, elle considère néanmoins qu’il n’est jamais entièrement stratégique et que les acteurs sont guidés par d’autres considérations, telles que les gratifications émotionnelles qu’ils retirent de leurs pratiques. De plus, leurs comportements sont limités par leur vision du monde et influencés par le contexte institutionnel dans lequel ils agissent. Selon cette approche, le cadre institutionnel joue un rôle crucial : les acteurs définissant leurs objectifs et motivations dans un dialogue avec l’environnement institutionnel, les rôles sont ancrés au sein d’une institution et résultent de l’interaction entre règles institutionnelles et préférences individuelles.

Pour toutes ces raisons, l’approche motivationnelle des rôles offre un cadre théorique nous permettant d’analyser, au niveau individuel, les pratiques et conceptions du mandat développés par les députés eurosceptiques, et la façon dont ils établissent leurs priorités au sein du PE. Cette recherche s’articule alors autour de deux questions centrales :

■ Quels rôles les députés eurosceptiques au PE endossent-ils ?

■ Quels facteurs permettent-ils d’expliquer les variations de rôles ?

La démonstration empirique est divisée en deux étapes, permettant chacune d’apporter une réponse à ces questionnements. La première étape repose sur une démarche inductive et interprétative pour proposer une typologie des rôles joués par les députés eurosceptiques. Il s’agit de comprendre les pratiques de ces acteurs en saisissant le sens qu’ils leur confèrent et de repérer des régularités de comportements et d’attitudes afin d’établir des modèles idéaux-typiques de rôle. Cette étape contribuera de façon plus large à combler une des lacunes de la littérature scientifique, tant sur l’euroscepticisme que sur le PE, en fournissant une analyse empirique et détaillée des conceptions et pratiques des députés eurosceptiques au sein de l’assemblée parlementaire. La seconde étape permettra de tester l’hypothèse selon laquelle la variation entre les rôles résulte de l’interaction entre règles institutionnelles et préférences individuelles. Concrètement, l’hypothèse centrale guidant cette recherche postule que le rôle endossé par un député eurosceptique dépend de la combinaison des règles formelles et informelles régissant le fonctionnement du PE et des préférences de l’élu relatives à l’intégration européenne et à l’architecture institutionnelle de l’UE.

Ces deux étapes, une fois menées à bien, nous permettront de dégager des conclusions empiriques et théoriques à l’égard des pratiques et conceptions du mandat des députés eurosceptiques, mais également à l’égard des conséquences de la présence de ces acteurs anti-système pour l’assemblée et les défis de légitimation de l’UE.

3. LAMÉTHODEETLESDONNÉES

3.1 Une méthode qualitative combinant induction et déduction

Cette recherche privilégie une approche individualiste et une méthodologie mixte, mettant l’acteur et sa subjectivité au cœur de l’analyse. Elle repose sur une combinaison de méthodes inductive et déductive, ainsi que sur un ensemble éclectique de données empiriques afin de rendre compte des pratiques et conceptions du mandat développées par les députés eurosceptiques. La combinaison de méthodologie qualitative et quantitative permet de comprendre les comportements des acteurs en saisissant le sens qu’ils confèrent à leurs actions tout en saisissant les mécanismes expliquant la variation des rôles endossés par les acteurs.

Afin d’identifier les rôles joués par les députés eurosceptiques, une méthode inductive et interprétative a été privilégiée. En effet, les rôles tels que proposés par l’approche motivationnelle se fondent sur la façon dont les parlementaires conçoivent leurs tâches et leurs motivations. Ils ne sont pas dictés par des cadres descriptifs construits a priori, mais reflètent l’univers de sens des acteurs. La méthode inductive permet au chercheur de réduire les données brutes afin d’en extraire le sens et, passant du spécifique au général, d’aboutir à une idée par généralisation, et non par vérification d’un cadre préétabli. Sur la base de cette méthode, le concept de rôle est opérationnalisé au cours d’un processus cyclique et itératif entre données et objectifs de la recherche. Comme le notent J. Morse et ses collègues, « la recherche qualitative est itérative plutôt que linéaire, de sorte qu’un bon chercheur qualitatif procède par aller-retour entre la conceptualisation et la mise en œuvre […] les données sont systématiquement contrôlées, la concentration est maintenue et l’ajustement entre les données et le travail conceptuel d’analyse et d’interprétation est testé et constamment confirmé »36. L’analyse des données a permis d’établir des indicateurs renvoyant à des idéaux-types de rôle. Ces indicateurs ont été ensuite affinés par des « allers-retours » entre données et travail de conceptualisation afin d’aboutir à des catégories récurrentes de rôles constitutives d’une typologie. Basée sur un processus inévitablement subjectif et créatif, elle repose sur un autre type de vérification37 et permet une analyse fine de la complexité du mandat parlementaire et des aspects subjectifs de l’action humaine.

Afin de répondre à notre seconde question de recherche et de déterminer les facteurs explicatifs de la variation des rôles endossés par les députés eurosceptiques, nous adopterons une démarche déductive. Il s’agit de tester l’hypothèse selon laquelle cette variation relève d’une combinaison de facteurs institutionnels (les règles formelles et informelles du PE) et des préférences des acteurs relatives à l’intégration et à l’architecture institutionnelle de l’UE. Nous procéderons d’abord à une analyse qualitative systématique de l’évolution des règles institutionnelles formelles et informelles, à travers une étude des réformes des dispositions du règlement intérieur de l’institution relatives aux prérogatives des députés individuels, aux droits des élus non-inscrits, à l’organisation des débats en séance plénière et à l’encadrement du comportement des députés. Il s’agit d’identifier les contraintes et ressources découlant du cadre institutionnel qui influencent la marge de manœuvre des élus eurosceptiques et leur perception de la réalité institutionnelle. Ensuite, nous examinerons dans quelle mesure les préférences individuelles des élus à l’égard de la construction européenne, les facteurs socio-biographiques, la nationalité et le mode de scrutin affectent les rôles joués par les eurosceptiques. Pour ce faire, nous avons opté pour des tableaux de contingence : cet outil autorise la combinaison d’une analyse qualitative et quantitative, nous permettant, d’une part, d’observer des régularités au sein de l’échantillon et, d’autre part, de déterminer l’existence d’une relation entre les idéaux-types et les différents facteurs examinés.

Grâce à cette approche mixte, nous serons en mesure de fournir une analyse fine des rôles endossés par les députés eurosceptiques et de leurs ressorts, en mettant en avant les facteurs affectant la variation entre les rôles et en dégageant des mécanismes généraux expliquant le choix d’un rôle par ces acteurs.

3.2 Une pluralité de données empiriques

Cet ouvrage revendique la pluralité de ses sources. Il repose sur un ensemble diversifié de données : un corpus de près de 100 entretiens semi-directifs avec des députés européens, des assistants parlementaires et des administrateurs du PE ; une étude des sources secondaires sur les députés ; les données relatives aux activités parlementaires des élus eurosceptiques au cours des 6e (2004-2009) et 7e législatures (2009-2011) ; une analyse qualitative du contenu des questions parlementaires posées par les élus interviewés à la Commission européenne au cours de deux années ; une analyse qualitative de leur comportement de vote ; une analyse quantitative du comportement de vote de l’ensemble des députés au cours de la 6e législature (2004-2009) sur les textes relatifs à l’intégration et à l’avenir de l’UE ; une analyse des discours des élus eurosceptiques lors des débats en séance plénière sur ces textes ; des séances d’observation des réunions des groupes ELD et GUE/NGL entre juillet 2009 et février 2010 ; des données socio-biographiques ; enfin, l’analyse de l’évolution du règlement intérieur du PE depuis 1979. Chacune de ces sources contribue à sa mesure au versant empirique de cette recherche et nous permet de fournir une analyse détaillée, approfondie et fine de la situation des députés eurosceptiques au PE38.

4. STRUCTUREDEL’OUVRAGE

Cet ouvrage se divise en sept chapitres.