L'hombre de Anna - Christine Bages-Limoges - E-Book

L'hombre de Anna E-Book

Christine Bages-Limoges

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Beschreibung

"J'ai froid. Je sais qu'il me suffirait d'un geste infime dans sa direction pour qu'elle soit de nouveau là et me réchauffe mais je ne veux plus".
Et c'est ainsi qu'Anna, 30ans, nous entraîne dans le sillage de ses souvenirs. Une mère trop occupée par son métier de psychiatre. Des compagnons d'enfance haut en couleur. Un père inconnu. Un bois trop sombre. Une princesse dans la cour des miracles.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Née en 1964, époque préhistorique d'après ses enfants, l'auteur fait partie de cette génération qui "apprenait l'orthographe". Elle se souvient, jeune institutrice, afficher en gros sur la porte de la salle d'art plastique: "J'ai emprunté tous les sciseaux".
Hombre fait partie de ces mots rebelles.
Christine Bages-Limoges, exprime tous ses talents de romancière dans ce second ouvrage où elle nous transporte dans l'univers d'Anna...


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L'Hombre de ANNA

Christine Bages-Limoges

A Mme Josserand

dont le métier est de mettre en lumière les Hombres.

Une histoire de rouge à lèvres.

Une stupide histoire de rouge à lèvres. Il n'avait pas remarqué que j'avais changé de nuance. Nous étions dans le couloir, prêts à sortir. Je le lui ai reproché sèchement.

Il a tenté de désamorcer la bombe :

-OK, OK, je n'ai pas vu, au temps pour moi, s'est-il excusé en levant les bras.

Puis il a continué en riant et en m'attrapant par la taille :

-Mais maintenant que tu me le dis, c'est vrai que ce rouge carmin me donne envie de te manger les lèvres.

Je l'ai repoussé violemment. Les mots se précipitaient hors de ma bouche :

-Carmin ! Mais … Rouge ? Tu délires ! C'est rouge intense. Tu ne fais pas la différence entre du rouge, du rouge carmin et du rouge intense ?

Son visage s'est fermé.

- Écoute, Anna, on ne va pas s'engueuler encore. Pas pour du rouge à lèvres ! Ce n'est pas grave, c'est bon, on passe à autre chose.

- Je gueule pour ce que j'ai envie et si j'ai envie ! Tu es qui pour décider ce qui est grave pour moi ?

- Arrête, Anna, arrête ! Je n'en peux plus. Je ne te comprends pas. Je ne sais plus quoi dire, je ne sais plus quoi faire ! Tu es impossible !!

- Et bien, si je suis impossible, pars ! Qu’est-ce qui te retient ?

Il m'a regardée longuement. Je n'ai pas fait un pas vers lui.

Il a mis quelques minutes pour rassembler les affaires qu'il avait accumulées chez moi durant ces trois semaines de vie commune. Je suis restée debout, immobile.

« Au revoir. » a-t-il seulement dit en passant devant moi, chargé de son gros sac de sport. La porte a claqué.

Je n'ai pas bougé.

J'ai 30 ans.

De nombreuses aventures amoureuses, mais aucune que je n'aie su garder plus de trois mois.

J'entends encore ses bruits de pas s'éloigner dans le couloir de l'immeuble, mais je sens qu'elle est déjà sortie de la pièce où elle se tenait depuis quelque temps. Elle prend à nouveau possession de l'espace, tranquillement, sans triomphalisme aucun. Je suis debout devant la porte d'entrée close. Elle s'approche de moi, douce. Elle est maintenant contre mon dos et sa respiration fait onduler mes cheveux. Je désire sa présence rassurante et dans le même temps je l'exècre. Son odeur, elle aussi, a envahi l'espace. Elle m'entoure de ses bras, m'enveloppe tendrement. Je frémis, je voudrais hurler, mais elle sait qu'aucun son ne sortira de ma bouche. Je ferme les yeux. Elle me contourne, elle est maintenant face à moi. Elle pose ses lèvres étrangement froides et soyeuses sur ma joue.

NON !

Tout mon corps s'est raidi et lâche ce cri. Je la repousse violemment du bras. Je lis dans ses yeux, reflet des miens, une stupeur incrédule. Elle s'est toute reculée dans l'angle du couloir, vers la porte. Sans me lâcher du regard, elle s'affaisse sur le sol. Elle paraît encore plus pâle qu'à l'habitude.

J'ai froid. Je sais qu'il me suffirait d'un geste infime en sa direction pour qu'elle soit de nouveau là et me réchauffe.

Mais je ne veux plus.

Le premier souvenir précis de sa présence....

C'était à l'enterrement de ma mère.La cérémonie se déroulait dans la chapelle de l'établissement, comme elle l'avait demandé dans les derniers jours avant sa mort. Le petit bâtiment d'inspiration romane était comble de gens en majorité inconnus. En entrant dans la chapelle, je n'avais vu se détacher de cette masse compacte que la grosse tête du Grand Tienne, notre jardinier.

Nous en étions arrivés au supplice des condoléances.

Je me tenais, raide, devant l'autel, drapée de mon deuil et de cette légère supériorité de ceux qui ne versent pas une larme aux obsèques d'un proche. À ma droite, le directeur de la clinique, plus rouge qu'à l'habitude, trop serré dans son costume des grandes occasions, tentait d'éponger la sueur provoquée par les chaleurs de cet été indien qui se prolongeait.

Deux. Nous n'étions que deux pour recevoir ce flot de platitude et d'affectation. Moi-même, fille et unique membre connu de la famille biologique de la défunte, et le directeur, digne représentant de son autre famille : celle de son travail.

Je serrais une multitude de mains et arrivais parfois à croiser quelques regards. Je n'écoutais pas les mots, mais j'essayais de capter, dans ces contacts furtifs, la vérité derrière les formules de circonstance : le réel chagrin des uns, l'indifférence du plus grand nombre. Et l'hypocrisie de quelques autres : la mort prématurée d'un chef de service arrange les perspectives d'un petit nombre. Parfois, je reconnaissais avec une certaine émotion le visage d'un patient ou d'un soignant et derrière la tristesse des visages, je voyais leurs yeux s'allumer en me voyant.

Cela devait faire une bonne demi-heure que la file s'étirait devant nous quand je levai la tête et la remarquai. Elle se tenait à l'écart, à peine en retrait derrière une colonne. Elle me fixait tranquillement, avec un léger sourire triste.

D'une pâleur extrême, comme je l'ai toujours vue par la suite, elle avait ce jour-là à peine maquillé le haut de ses joues afin de ne pas m'affoler. Ses habits se confondaient avec le gris des pierres de la chapelle.

Elle se glissa alors dans la file qui avançait jusqu'à l'autel et je la perdis de vue.

Et puis elle fut devant moi. Elle approcha doucement son visage du mien. L'odeur... J'ai fermé les yeux. Je connaissais cette odeur ! C'était... C'était mon odeur ! Mon odeur que je sentais sur elle. Pas un parfum. L'odeur de la peau, de l'âme, des pensées les plus intimes qu'exhale un corps, mon corps. Cette odeur, je ne savais pas que je la connaissais, mais je l'ai aussitôt discernée sur cette autre.

Elle m'a effleuré les joues d'un baiser impalpable et quand j'ai ouvert à nouveau les yeux, elle avait disparu.

Le cimetière de la clinique est adossé au long mur d'enceinte qui entoure la propriété. Bordé à l'intérieur par un muret de pierres arrondies, avec ses allées herbeuses impeccablement entretenues, il semble hors du réel. Par un sauf-conduit remontant à une époque royale, la clinique peut encore y enterrer les gens qui le désirent ou qui n'ont plus que ce seul lieu pour accueillir leur dernière demeure. C'est dans ce « cimetière des aliénés », comme l'appellent les gens du pays, que ma mère a souhaité être portée en terre. Elle y côtoie, pour l'éternité, le comte et la comtesse de Tibalde, derniers propriétaires nobles du domaine, qui avaient légué leur demeure et leur immense fortune pour que l'on y soigne les fous. Leur générosité n'était pas totalement désintéressée : la donation stipulait que leur unique fils, arriéré mental profond, finisse ses jours soigné sur la propriété de ses ancêtres. Ma mère est entourée aussi d'indigents oubliés de tous, de quelques-uns de ses anciens patients et du Dokteur Gestört.

Je connais bien cet endroit calme, irradié chaque matin par les premiers rayons de soleil. Enfant, j'aimais venir jouer en ce lieu.

J'emmenais mes quelques poupées et chaque tombe était une de leur maison. Mes poupées, contrairement à moi, avaient une vie sociale très développée : elles s'invitaient les unes chez les autres, organisaient fêtes, réceptions et mondanités. Ma gouvernante ne voyait pas d'un très bon œil que je prenne un cimetière comme terrain de jeu, mais ma mère m'ayant donné son autorisation, elle le tolérait de mauvaise grâce.

Pour la mise en terre, ma mère avait exigé la « plus stricte intimité », sans plus de précision. Je me suis souvent demandé, par la suite, si elle voulait être seule pour ce moment ultime, mais le directeur avait décidé que lui et moi, représentions la « plus stricte intimité ». Pourtant, au-delà du muret, je voyais les silhouettes furtives de certains patients tourner au loin. Sans doute, eux aussi, se sentaient-ils dans le cercle familier de ma mère. Ils avaient raison : elle les connaissait beaucoup mieux que moi et si elle m'avait donné, ne serait-ce que quelques miettes du temps qu'elle leur consacrait, j'aurais été la plus heureuse des enfants...

Nous avons jeté chacun notre poignée de terre sur le cercueil, les pompes funèbres ont mis en place la pierre tombale, le directeur m'a serré la main de sa paume moite tout en m'assurant de son soutien et il a filé, sans doute mettre un costume plus adapté à son embonpoint.

Un silence soulagé descendit sur le cimetière.

J'avais 23 ans, plus aucune famille et cette sensation d'une chape de plomb qui me tombait sur les épaules.

J'allai marcher dans la propriété.

Neuf ans que je n'avais pas foulé ces lieux ! Après mon départ en internat et le choix de ma mère de prendre un appartement « en ville », je n'avais jamais provoqué l'occasion de revenir. Je reconnusavec émotion chaque arbre, chaque courbure d'allée, chaque vallon. Rien ne semblait avoir changé et je compris que ce lieu m'avait manqué, bien au-delà de ce queje m'étais laissé croire. J'arrivai à la maison que nous avions habitée. Je sentis derrière moi une présence. Quand je me retournai, seuls les grands arbres m'observaient.

Je pénétrai, émue, dans le périmètre délimité par le mur. Les volets étaient clos et bien que l'herbe fût tondue, il y manquait les fleurs, les rires d'une enfant et une gouvernante sur le seuil. Je me demandai si le Grand Tienne avait toujours ce même génie pour agencer les massifs. Je regardai la façade aux 12 fenêtres closes.

Pour la première fois, je trouvai cette maison austère.

Je n'étais pas certaine de vouloir aller plus avant, mais mes pas s'approchèrent de l'entrée. La porte me résista. Je fis le tour, pour tenter ma chance à l'entrée de service sur l'arrière de la maison. La poignée tourna silencieusement et il me suffit d'un léger coup d'épaule pour que la porte s'ouvre. Le bruit du bois raclant le sol sembla se répercuter dans toute la maison. La vaste cuisine était vide, la salle à manger que je voyais par la porte ouverte parfaitement déserte et le couloir nu aussi. Je reculai au-dehors et me mis à trembler. Et pour la première fois depuis la mort de ma mère, je pleurai. Le vide de la maison venait de faire écho à son départ.

Je pleurai des larmes silencieuses et amères, des larmes qui ne me soulagèrent pas.

Je sentis alors une main sur mon épaule. Je me retournai.

C'était elle, la jeune femme de la chapelle.

Elle me regardait avec tendresse. Elle avait toujours ce sourire avec cette infinie mélancolie.

Dans ses yeux, je lus la peine et le désarroi qui m'habitaient et je lui en fus reconnaissante. Elle me prit dans ses bras et me serra avec douceur.

Je fermai les yeux et laissai couler des larmes douloureuses contre son épaule. Quand je les rouvris, j'étais seule.

Quelqu'un avait refermé la porte de service, mais dans l'enceinte du jardin, il n'y avait personne. Mes larmes s'étaient apaisées, pourtant je ressentais un profond vague à l'âme, une rivière souterraine où il aurait été si tentant de m'endormir.

Qui était cette jeune femme ? Ce n'était pas une patiente de la clinique que je connaissais, je m'en serais souvenue. À moins que ce ne soit une malade dont ma mère s'était occupée après mon départ, quelqu'un de particulièrement affecté par sa mort à qui on aurait dit qui j'étais... Pourtant son visage ou plus exactement sa présence ne m'était pas inconnue.

Comme une vieille amie que je n'aurais pas revue depuis longtemps, à la fois familière et étrangère.

En franchissant le mur de la maison, je trouvai une vieille connaissance : Mlle Ancer m'attendait en se tordant les mains d'excitation, regardant le sol à droite et à gauche de ses pieds. Elle respirait bruyamment pour tenter de contrôler son émotion. Elle était encore plus menue que dans mes souvenirs. Je l'appelais « une idée derrière la tête », car elle ne regardait jamais son interlocuteur en face et paraissait préoccupée par un événement qui n'en finirait pas de se passer derrière elle.

- Bonjour, Mlle Ancer ! Comment allez-vous ?

J'étais émue et heureuse de la voir.

Mlle Ancer se tournait la tête à se la dévisser, mais je voyais son sourire ravi illuminer son visage.

Je répétai ma question :

- Comment allez-vous, Mlle Ancer ?

- Bien, Mademoiselle Anna, bien, ça fait longtemps, hein ?

Elle me répondit de sa voix grave, aux « A » gutturaux.

Je lui serrai la main avec chaleur.

- Et votre collection de feuilles, Mlle Ancer, elle va bien ?

- Ça va, ça va, ça va bien...

Enfant, j'ai arpenté avec elle de longues heures la propriété de la clinique pour trouver des formes rares, des spécimens inconnus, des tailles différentes pour parfaire la collection infinie de feuilles de Mademoiselle Ancer.

Notre saison préférée était l'automne, où la palette de couleurs donnait à notre recherche une dynamique nouvelle. En hiver, nous ne nous voyions plus. Ma mère m'interdisait d'aller dans les chambres des patients et durant la saison « creuse », Mademoiselle Ancer y passait de longues heures à trier des feuilles, souvent toutes semblables, selon des critères qui défiaient toute logique. Elle les collait dans des cahiers dont le nombre augmentait de façon exponentielle d'année en année.

Elle se dandinait toujours devant moi et tournait la tête de droite à gauche. Un instant, elle leva suffisamment son regard pour que nos yeux se croisent.

Je compris dans ce contact fugace qu'elle n'était pas devant moi pour parler de sa collection de feuilles.

- Vous êtes venue me voir pour ma mère, n'est-ce pas ?

Son éternel sourire s'effaça, elle dodelina doucement de la tête et une larme unique se fraya un chemin sur son visage.

- J'ai beaucoup pensé à vous, Mademoiselle Ancer. Quand vous êtes trop triste, vous savez que vous pouvez aller la voir au cimetière ? Elle n'est pas loin de l'érable aux belles feuilles rouges.

La larme continuait à couler, mais elle souriait de nouveau. Elle se retourna et s'en alla à petits pas, tout en dodelinant de la tête.

Je la regardai s'éloigner.

Je continuai ma promenade dans le parc, me retournant régulièrement avec l'impression d'être suivie. Je n'aurais pu dire si je craignais ou si j'espérais apercevoir à nouveau la silhouette pâle et longiligne que j'avais déjà vue deux fois ce jour-là...

Je me dirigeai d'un pas décidé vers le service des « Sapins ».

La clinique psychiatrique « le Bon Repos » était divisée en trois services, sur un parc de 15 hectares clos par un mur d'enceinte.

Le « Château » était, comme son nom l'indique, une demeure du 17e siècle construite par la famille de Tibalde. On y accédait du portail par une allée majestueuse et sa façade aux grandes fenêtres, orientée au sud, accueillait le visiteur. Deux tours en encorbellement encadraient élégamment le corps principal du bâtiment.Dans ce service cohabitaient des patients en court séjour : dépressifs, personnes en cure de désintoxication...ainsi que d'autres en long séjour pour qui le « château » était avant tout un lieu de vie. Ce second groupe était essentiellement constitué de retardés mentaux. Les résidents du « Château » avaient le droit de circuler librement dans toute l'enceinte du domaine.