L'illusion libérale - Louis Veuillot - E-Book

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Louis Veuillot

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Beschreibung

Sentant l’hérésie… J’ai compris, il y a quelques jours, la vérité et la profondeur de cette expression, en écoutant longuement causer un homme, le plus honnête que l’on puisse imaginer, dévot, occupé de bonnes œuvres, érudit, ardent, plein de belles illusions ; plein aussi, hélas ! de lui-même, et, tout à l’heure, plein de mauvaise foi.
Il s’était proclamé catholique obéissant, mais surtout catholique « libéral ».
On lui a demandé ce que c’est qu’un catholique libéral, relativement au catholique pur et simple, qui croit et qui pratique ce qu’enseigne l’Église ? Il a répondu ou plutôt il a fait entendre que le catholique pur et simple, qui croit et pratique ce qu’enseigne l’Église, est un catholique peu éclairé. On objecta qu’alors donc, à son avis de catholique libéral, l’Église catholique est peu éclairée ? Il ne voulut point articuler cela, mais on vit qu’il le pensait. Il faisait d’ailleurs des distinctions et des confusions assez louches entre l’Église et la Cour romaine. A propos des brefs, lettres latines et encycliques publiés dans ces derniers temps, la Cour romaine venait sur sa langue bien à point pour le tirer d’affaire ; néanmoins, il n’en résultait rien de net.

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L’ILLUSION LIBÉRALE

PARLOUIS VEUILLOT

© 2024 Librorium Editions

ISBN : 9782385746216

L’ILLUSION LIBÉRALE

I

Sentant l’hérésie… J’ai compris, il y a quelques jours, la vérité et la profondeur de cette expression, en écoutant longuement causer un homme, le plus honnête que l’on puisse imaginer, dévot, occupé de bonnes œuvres, érudit, ardent, plein de belles illusions ; plein aussi, hélas ! de lui-même, et, tout à l’heure, plein de mauvaise foi.

Il s’était proclamé catholique obéissant, mais surtout catholique « libéral ».

On lui a demandé ce que c’est qu’un catholique libéral, relativement au catholique pur et simple, qui croit et qui pratique ce qu’enseigne l’Église ? Il a répondu ou plutôt il a fait entendre que le catholique pur et simple, qui croit et pratique ce qu’enseigne l’Église, est un catholique peu éclairé. On objecta qu’alors donc, à son avis de catholique libéral, l’Église catholique est peu éclairée ? Il ne voulut point articuler cela, mais on vit qu’il le pensait. Il faisait d’ailleurs des distinctions et des confusions assez louches entre l’Église et la Cour romaine. A propos des brefs, lettres latines et encycliques publiés dans ces derniers temps, la Cour romaine venait sur sa langue bien à point pour le tirer d’affaire ; néanmoins, il n’en résultait rien de net.

Pressé de trouver un mot qualificatif plus clair que ce peu éclairé, il recommença une digression sur la liberté humaine, sur les changements qui se sont opérés dans le monde, sur les époques de transition, sur les abus et les inutilités de la contrainte, sur la nécessité de ne plus employer la force au profit de la vérité. Il appuya sur le péril d’avoir des priviléges et sur la convenance d’y renoncer absolument… Dans ce verbiage, nous reconnûmes divers lambeaux des doctrines révolutionnaires qui se combattent ou plutôt se bousculent depuis 1830. Le fond était du Lamennais, et il y avait jusqu’à du Proudhon. Mais ce qui nous frappa davantage, ce fut l’insistance avec laquelle notre catholique libéral nous qualifiait de catholiques intolérants.

On l’arrêta là-dessus. Oubliant cette fois la « Cour romaine », il avoua que ce qu’il reprochait à l’Église, c’est son intolérance. — Elle a, dit-il, toujours trop gêné l’esprit humain ; elle a constitué sur le principe de l’intolérance un pouvoir séculier encore plus fâcheux. Ce pouvoir a asservi le monde et l’Église elle-même. Les gouvernements catholiques se sont ingérés d’imposer la foi ; de là des violences qui ont révolté la conscience humaine et qui l’ont précipitée dans l’incrédulité. L’Église périt par les appuis illégitimes qu’elle s’est voulu donner. Le temps est venu, elle doit changer de maximes ; ses enfants doivent lui en faire sentir l’opportunité. — Il faut qu’elle renonce à tout pouvoir coercitif sur les consciences, qu’elle nie ce pouvoir aux gouvernements. — Plus d’alliance entre l’Église et l’État : que l’Église n’ait plus rien de commun avec les gouvernements, que les gouvernements n’aient plus rien de commun avec les religions, qu’ils ne se mêlent plus de ces affaires ! — Le particulier professe à sa guise le culte qu’il a choisi suivant son goût : comme membre de l’État, il n’a point de culte propre. — L’État reconnaît tous les cultes, leur assure à tous une égale protection, leur garantit une égale liberté, tel est le régime de la tolérance ; et il nous convient de le proclamer bon, excellent, salutaire, de le maintenir à tout prix, de l’élargir constamment. — L’on peut dire que ce régime est de droit divin : Dieu lui-même l’a établi en créant l’homme libre ; il le pratique en faisant luire son soleil sur les bons et sur les méchants. A l’égard de ceux qui méconnaissent la vérité, Dieu aura son jour de justice, que l’homme n’a pas le droit de devancer. — Chaque Église, libre dans l’État libre, incorporera ses prosélytes, dirigera ses fidèles, excommuniera ses dissidents ; l’État ne tiendra nul compte de ces choses, n’excommuniera personne et ne sera jamais excommunié. — La loi civile ne reconnaîtra aucune immunité ecclésiastique, aucune prohibition religieuse, aucun lien religieux : le temple paiera l’impôt des portes et fenêtres, l’étudiant en théologie fera le service militaire, l’évêque sera juré et garde national, le prêtre se mariera s’il veut, divorcera s’il veut, se remariera s’il veut. D’un autre côté, pas plus d’incapacités et de prohibitions civiles que d’immunités d’un autre genre. Toute religion prêchera, imprimera, processionnera, carillonnera, anathématisera, enterrera suivant sa fantaisie, et les ministres du culte seront tout ce que peut être un citoyen. Rien n’empêchera, du côté de l’État, qu’un évêque commande sa compagnie de garde nationale, tienne boutique, fasse des affaires ; rien n’empêchera non plus que son Église, ou le Concile, ou le Pape puissent le déposer. L’État ne connaît que des faits d’ordre public.

II

Notre catholique libéral s’animait beaucoup en déroulant ces merveilles. Il soutenait qu’on n’avait rien à lui répondre, que la raison et la foi et l’esprit du temps parlaient par sa bouche. Pour l’esprit du temps, personne n’y contestait. En matière de raison et de foi, on ne laissait pas de lui pousser des objections, mais il haussait les épaules et ne restait jamais sans répartie. Il est vrai que les assertions énormes et les contradictions énormes ne lui coûtaient rien. Il partait toujours du même pied, criant qu’il était catholique, enfant de l’Église, enfant soumis ; mais aussi, homme de ce siècle, membre de l’humanité vieillie et mûre et en âge de se gouverner elle-même. Aux arguments tirés de l’histoire, il répondait que l’humanité vieillie est un monde nouveau, en présence de qui l’histoire ne prouve plus rien ; ce qui ne l’empêchait pas d’exploiter lui-même l’argument historique, lorsqu’il en trouvait l’occasion. Aux paroles des saints Pères, tantôt il opposait d’autres paroles, tantôt il disait que les saints Pères avaient parlé pour leur temps, que nous devons penser et agir comme au nôtre. Devant les textes de l’Écriture, il avait la même ressource : ou il arrachait des textes qui semblaient contraires, ou il fabriquait une glose à l’appui de son sens, ou enfin cela était bon pour les Juifs et leur petit État particulier. Il ne s’embarrassait pas davantage des bulles dogmatiques de la « Cour romaine » : la bulle Unam Sanctam, de Boniface VIII, le fit sourire ; il prétendit qu’elle avait été retirée ou réformée. On lui dit que les Papes l’ont insérée dans le Corps du Droit et qu’elle y est toujours. Il répondit : C’est bien vieux et le monde a bien changé ! Il trouva également trop vieilles la bulle in Cœnâ Domini et toutes les bulles subséquentes : — Ce sont, dit-il, des formules disciplinaires faites pour le temps, et qui n’ont plus de raison d’être aujourd’hui. La Révolution française a enterré ces règles avec le monde sur qui elles pesaient. La contrainte est abolie ; l’homme aujourd’hui est capable de liberté et ne veut plus d’autre loi !

Ce régime, qui déconcerte vos timidités, poursuivit-il d’un ton sybillin, est pourtant celui qui sauvera l’Église, et le seul qui puisse la sauver. Du reste, le genre humain se lève pour l’imposer, il faudra bien le subir, et cela est déjà fait. Voyez si qui que ce soit peut opposer quoi que ce soit à cette force triomphante, si même on le veut, si même, vous exceptés, quelqu’un y songe. Catholiques intolérants, vous étiez déjà plus absolus que Dieu le Père, qui a créé l’homme pour la liberté ; plus chrétiens que Dieu le Fils, qui n’a voulu établir sa loi que par la liberté : vous voici maintenant plus catholique que le Pape ; car le Pape consacre, en les approuvant, les constitutions modernes, qui sont toutes inspirées et pleines de l’esprit de liberté. Je dis que le Pape, le Vicaire de Jésus-Christ approuve ces constitutions, puisqu’il vous permet de leur prêter serment, de leur obéir et de les défendre. Or, la liberté des cultes y est, l’athéisme de l’État y est. Il en faut passer par là ; vous y passerez, n’en doutez point. Dès lors, pourquoi vous tant débattre ? Votre résistance est vaine ; vos regrets ne sont pas seulement insensés, ils sont funestes. Ils font haïr l’Église et ils nous entravent beaucoup, nous, libéraux, vos sauveurs, en faisant suspecter notre sincérité. Au lieu donc d’attirer sur vous une défaite certaine et probablement terrible, courez à la liberté, saluez-la, embrassez-la, aimez-la. Elle vous sera bonne et fidèle amie et vous donnera plus que vous ne sauriez jamais ressaisir. La foi croupit sous le joug de l’autorité qui la protége : obligée de se défendre, elle se relèvera ; l’ardeur de la polémique lui rendra la vie. Que n’entreprendra pas l’Église lorsqu’elle pourra tout entreprendre ? Combien ne touchera-t-elle pas le cœur des peuples, lorsqu’ils la verront abandonnée des puissants du monde, vivre uniquement de son génie et de ses vertus ? Au milieu de la confusion des doctrines, du débordement des mœurs, elle apparaîtra seule pure, seule affermie dans le bien. Elle sera le dernier refuge, le rempart inexpugnable de la morale, de la famille, de la religion, de la liberté !

 

III

Tout à des limites, et l’haleine de notre orateur trouva les siennes. Comme au bout du compte il nous intéressait, sinon par la nouveauté de ses doctrines, du moins par sa franchise à les exposer, on l’avait laissé aller sans l’interrompre. Ne pouvant plus refaire ses poumons, il s’interrompit lui-même. Quelqu’un en profita pour lui montrer le vide de ses maximes, l’incohérence de ses raisonnements, le néant de ses espérances. Il écoutait avec cette physionomie de l’homme qui s’occupe moins de peser ce qui lui est dit que de trouver à contredire.

Je dois avouer que son adversaire, quoique ferme et plein de bon sens, ne me rassurait pas. Il disait certainement des choses excellentes, irréfutables, et il n’y avait aucun des assistants qui de tout son cœur ne lui donnât raison. Je faisais de même, de tout mon cœur. Mais en esprit j’agrandissais la scène, j’appelais un autre public, et aussitôt je sentais douloureusement la profonde impuissance de cette raison.

En ces matières, c’est la multitude qui prononce, uniquement mue et décidée par des poussées de sentiment. La raison est un poids qu’elle ne peut porter. La multitude obéit à des passions et elle aime le dégât ; elle applaudit quand son instinct devine qu’il s’agit de faire crouler quelque chose. Et quelle chose à faire crouler que l’Église ! Ainsi s’explique le succès des hérésies, toutes absurdes, toutes combattues par des raisons inexpugnables, toutes triomphantes de la raison pendant un certain temps, qui ne fut presque pour aucune de courte durée.