L'Insurgé - Jules Vallès - E-Book

L'Insurgé E-Book

Jules Vallès

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Beschreibung

« J'ai toujours été l'avocat des pauvres, je deviens le candidat du travail, je serai le député de la misère ! La misère ! Tant qu'il y aura un soldat, un bourreau, un prêtre, un gabelou, un rat-de-cave, un sergent de ville cru sur serment, un fonctionnaire irresponsable, un magistrat inamovible ; tant qu'il y aura tout cela à payer, peuple, tu seras misérable ! »

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table des matières

1

C’est peut-être vrai que je suis un lâche, ainsi que l’ont dit sous l’Odéon les bonnets rouges et les talons noirs. Voilà des semaines que je suis pion, et je ne ressens ni un chagrin ni une douleur ; je ne suis pas irrité et je n’ai point honte.

J’avais insulté les fayots de collège ; il paraît que les haricots sont meilleurs dans ce pays-ci, car j’en avale des platées et je lèche et relèche l’assiette.

En plein silence de réfectoire, l’autre jour, j’ai crié, comme jadis, chez Richefeu : « Garçon, encore une portion ! » Tout le monde s’est retourné, et l’on a ri.

J’ai ri aussi – je suis en train de gagner l’insouciance des galériens, le cynisme des prisonniers, de me faire à mon bagne, de noyer mon cœur dans une chopine d’abondance – je vais aimer mon auge !

J’ai eu faim si longtemps !

J’ai si souvent serré mes côtes, pour étouffer cette faim qui grognait et mordait mes entrailles, j’ai tant de fois brossé mon ventre sans faire reluire l’espoir d’un dîner, que je trouve une volupté d’ours couché dans une treille à pommader de sauce chaude mes boyaux secs.

C’est presque la joie d’une blessure guérie à chatouiller. Toujours est-il que je n’ai plus le teint verdâtre et l’œil creux ; il traîne souvent de l’œuf dans ma barbe.

Je ne la peignais pas autrefois, cette barbe; mes doigts la fourrageaient et la maltraitaient, lorsque je songeais à mon impuissance et à ma misère.

À présent, je la lisse et l’égalise… j’en fais autant pour ma tignasse, et l’autre dimanche, devant le miroir, en laissant tomber mes derniers voiles, je me suis surpris, avec une pointe d’orgueil, une pointe de bedon.

Mon père était plus courageux, et je me rappelle avoir vu luire de la haine dans ses yeux, quand il était maître d’étude, lui qui ne jouait pas au révolutionnaire cependant, qui n’avait pas vécu dans les temps d’émeute, qui n’avait jamais crié aux armes, qui n’avait pas été à l’école de l’insurrection et du duel !

J’en suis là – et j’ai trouvé dans ce lycée la tranquillité de l’asile, le pain du refuge, la ration de l’hôpital.

Un des vieux de Farreyrolles, qui avait vu Waterloo, nous contait, à la veillée, que le soir de la bataille, avant qu’elle fût finie, passant devant un cabaret, à deux pas de la Haie sainte, il s’était abattu contre une table de bois, avait jeté son fusil et refusé d’aller plus loin.

Le colonel l’avait traité de lâche. « Lâche si vous voulez ! Il n’y a plus de Bon Dieu, plus d’Empereur… J’ai soif et j’ai faim ! »

Et il avait cherché sa vie dans le buffet de l’auberge, au milieu des cadavres ; et jamais, disait-il, il n’avait fait repas meilleur, trouvant la viande savoureuse et le vin frais. Puis il s’était étendu, faisant un traversin de son sac, et avait ronflé au ronflement du canon.

Mon esprit à moi s’endort loin du combat et loin du bruit, le souvenir du passé ne vibre plus dans mon cœur que comme peut vibrer, à l’oreille d’un fugitif, le roulement de tambour qui s’éloigne et qui meurt.

Gibier de garni, obligé, pendant des années, d’accepter n’importe quel trou pour alcôve, et de ne rentrer dans ces trous-là qu’à des heures toujours noires, de peur de l’insomnie ou de la logeuse ; échappé de campagne, à qui il fallait plus d’air qu’aux autres, et qui n’a pu renifler que des miasmes, dans des hôtels à plombs ; affamé qui n’a jamais mangé son comptant, alors qu’il avait une fringale et des dents de loup – c’est ce gaillard-là qui, un beau matin, se trouve sûr du pain et du lit, sûr de la nappe sans ordures, du sommeil sans punaises, et du lever sans créanciers.

Et Vingtras le farouche n’a plus la rage au cœur, mais le nez dans son assiette, une serviette avec un rond, et un beau couvert de melchior.

Même il vous dit le Benedicite tout comme un autre, avec un air de componction bien suffisante, et qui ne déplaît pas aux autorités.

Le repas fini, il remercie Dieu (toujours en latin, glisse la main au dos de son gilet pour défaire la boucle, lâche un bouton par-devant, et recroise là-dessus sa redingote – ramassée dans l’armoire du mort et arrangée pour sa taille, à la papa. Puis, les tripes emplies, la lèvre grasse, il prend, avec la division qu’il dirige, le chemin de la cour des grands, qui domine le pays, ainsi qu’une terrasse de château féodal.

Sur cette hauteur-là, à de certaines heures, le ciel me fait l’effet d’une robe de soie tendre, et la brise me chatouille le cou comme un frôlement d’ailes.

Je n’ai jamais eu, devant moi, tant de douceur et de sérénité. Le soir.

La petite chambre qui est au bout du dortoir, et où les maîtres d’étude peuvent, à leurs moments de liberté, aller travailler ou rêver, cette chambre-là donne sur une campagne pleine d’arbres et coupée de rivières.

Dans l’haleine du vent arrive un parfum de mer qui me sale les lèvres, me rafraîchit les yeux et m’apaise le cœur. À peine il palpite, ce cœur-là, à l’appel de ma pensée, comme le rideau contre la fenêtre sous un souffle plus fort.

J’oublie le métier que je fais, j’oublie les moutards que je garde… j’oublie aussi la peine et la révolte.

Je ne tourne pas la tête du côté où mugit Paris, je ne cherche pas, à l’horizon, la place fumeuse où doit être le champ de bataille – j’ai découvert dans le fond, tout là-bas, une oseraie et un verger en fleurs, sur lesquels je fixe mon regard humide et que je sens plus doux.

Oui, ceux de l’Odéon avaient raison : Sacré lâche ! Quand je sors du collège, je me trouve dans des rues tranquilles et endormies, et je n’ai que cent pas à faire pour arriver à un ruisseau que je longe en ne pensant à rien, en suivant d’un œil assoupi un branchage ou un paquet d’herbes que le courant, emporte, et qui a des aventures en route.

Au bout du chemin est une guinguette, avec un chapelet de pommes enfilées pour enseigne ; moyennant quelques sous, je bois du cidre qui a une belle couleur d’or et me pique un brin le nez.

Ah ! oui ! Sacré lâche ! Mais aussi, je n’ai pas eu de chance…

Par un hasard bourgeois, ce lycée est plein d’air et de lumière ; c’est un ancien couvent, à grands jardins et à grandes fenêtres ; il tombe dans les réfectoires des disques de soleil ; il entre dans les dortoirs, quand les croisées sont ouvertes, des échos de feuillage et des tressaillements de nature déjà rouillée par l’automne, avec des tons chauds de bronze et de cuivre.

Je n’ai pas déplu à ces collégiens, habitués à être surveillés par des novices à peine sortis des bancs, ou par de vieux pions à brisques, plus bêtes que des sergents de chambrée.

Ils m’ont accueilli un peu comme un officier d’irréguliers en détresse, que la mort de son père – un régulier à chevrons – a rappelé par hasard ; puis, j’ai mon auréole de Parisien. C’est assez pour que je ne sois pas haï par ce monde de jeunes prisonniers.

Mes collègues aussi m’ont trouvé bon garçon, quoique trop sobre, eux qui enferment leurs heures de liberté dans un petit café humide et sombre, et s’y abrutissent à boire de la bière, à siroter des glorias, et à caleçonner des pipes. Je ne bois pas et ne fume point.

Le temps que j’ai à moi, je le passe auprès du poêle, dans mon étude vide, un livre à la main, ou bien dans la classe de philosophie, un cahier sur les genoux.

Le professeur est le gendre du recteur lui-même, et cela le flatte de voir ce Parisien à l’air crâne, à la barbe noire, assis comme un écolier sur un banc, et écoutant parler des propriétés de l’âme. Elles m’ont joué un tour pour le baccalauréat, il ne faut pas qu’elles me fichent encore dedans pour la licence. J’ai besoin de savoir combien l’on en compte dans le Calvados : six, sept, huit… ou moins, ou plus !

Et je suis les leçons avec assiduité, pour être bien au courant de la philosophie du département. 15 octobre. C’est aujourd’hui l’ouverture de la Faculté des lettres ; le discours de rentrée sera prononcé par le professeur d’histoire. Mais je l’ai déjà vu, ce professeur-là !

C’est lui qui vint au lycée Bonaparte, en qualité de normalien de troisième année, nous faire la rhétorique, au temps où j’étais rhétoricien.

C’était en 1849 – il avait, ma foi, la phrase hardie et révolutionnaire. Je me rappelle, même, qu’il allait au café avec Anatoly, dont il connaissait le frère aîné, et qu’il releva la tête en m’entendant, à une table voisine où l’on se disputait, insulter la lévite de Béranger.

Il m’avait remarqué, sans retenir mon nom ; mais il se souvenait de l’incident, et quand, au sortir du cours, je l’ai abordé, il m’a tout de suite reconnu.

« Et que faites-vous ? J’avais entendu dire que vous aviez été déporté, ou tué en duel. »

Je lui confie à quel point je me sens envahi, résigné à mon sort, heureux de la discipline, content de vivre, la main sur le tirebouchon à cidre ou sur la cuiller à fayots, les yeux sur un flot de rivière.

« Diable, diable ! a-t-il dit, comme un médecin qui entend de mauvaises nouvelles. Venez donc me voir, nous causerons. Cela me fait plaisir de m’échapper quelquefois de ce milieu de niais et de scélérats ! »

Il montrait, du geste, les autorités, et tout le groupe de ses collègues. C’est lui, l’universitaire bien en cour, qui parle ainsi !

Ah ! pourquoi l’ai-je rencontré ! je vivais calme, je me reposais délicieusement ; il m’a remis le feu au ventre, et quand, le dimanche, je dégrafe une boucle au dessert, et me défends contre l’émotion, il me secoue :

« Vous n’allez pas devenir bourgeois, au moins, et engraisser ! Je préfère encore que vous m’insultiez pour ma croix de juin. » Je l’ai insulté, en effet, à propos de sa décoration, le premier jour où je suis allé chez lui, puis je me suis dirigé vers la porte. Il m’a retenu.

« J’avais vingt ans… j’étais avec tout le troupeau de la Normale… Ne sachant pas ce que signifiait l’insurrection, je me suis mis du côté de Cavaignac, que je croyais républicain, et je suis entré le premier au Panthéon, où s’étaient barricadés les blousiers. On m’a envoyé porter la nouvelle à la Chambre et ils m’ont noué leur ruban à la boutonnière. Mais, je vous le jure, loin de faire assassiner un homme, j’ai sauvé la vie de plusieurs combattants au péril de la mienne. Restez, allez ! Vous voyez bien que l’on peut changer, puisque vous avouez que vous n’êtes plus le même… »

Il m’a tendu la main, je l’ai prise, et nous avons été amis.

Je suis devenu aussi le favori de son confrère à cheveux blancs, le père Machar, qui s’est enterré en province, après avoir eu son heure de gloire à Paris.

« Lequel de vous s’appelle Vingtras ? », a-t-il demandé aux maîtres d’étude, rassemblés pour la seconde conférence de l’année.

Je me détache du groupe. « D’où venez-vous ? où avez vous fait vos classes ? … Là-bas ? Vous les y avez terminées au moins, je l’aurais parié ! » Et il m’a fait lire tout haut ma dissertation, mon devoir. « Vous êtes un écrivain, monsieur ! » Il m’a jeté ça à la tête, sans crier gare, et, en sortant, m’a emmené jusqu’à sa porte. Je lui ai conté mon histoire.

« Eh ! Eh ! a-t-il dit en hochant la tête, s’il n’y avait que le camarade Lancin et moi, vous seriez reçu licencié en août ; mais resterez-vous seulement jusque-là ? Le proviseur vous gardera-til ? Vous avez l’air d’un homme, il lui faut des chiens couchants…

– Je me fais petit, je suis décidé à être lâche ! – Peut-être, mais on voit que vous ne l’êtes pas, et les pleutres devinent votre mépris. » Il a dit vrai, le vieux maître ! Il ne m’a servi à rien de paraître endormi, et de prendre du ventre, et de réciter le Benedicite !

Les cagots de la Faculté, le proviseur et l’aumônier du collège ont décidé que je sauterais. Mon poil de sanglier, mon œil clair, mon coup de talon, si mou que soit mon pas, insultent leur menton glabre, leur regard louche, leur traînement de semelles sur les dalles.

Ne pouvant me reprocher d’être inexact ou ivrogne, ils ont eu une idée de génie, les jésuites ! Ils ont fait organiser, en dessous, une conspiration contre moi. Minuit. Le dortoir, où je piochais à la chandelle, est devenu le terrain d’embuscade des complotiers.

Il prête à l’émeute par sa construction monacale. Chaque frère avait jadis une cellule à ciel ouvert, chaque élève a maintenant la sienne, si bien que l’on ne voit personne de l’intérieur des boxes ; le maître d’étude entend les bruits, mais ne peut distinguer les gestes.

Un beau soir, il y a eu insurrection entre ces murs de bois : tapage contre les cloisons, sifflets, grognements, cris, et si drôles que, ma foi, j’ai voulu m’en mêler.

Et j’ai, moi aussi, cogné, sifflé, grogné et crié avec des notes aiguës de soprano : « À bas le pion ! » C’est ma première heure vivante depuis mon entrée ici.

Je suis là, en chemise, au milieu de la cellule, cognant le chandelier contre le pot de chambre, faisant le coq et le cochon, glapissant toujours : À bas le pion !

On pousse la porte…

C’est le proviseur lui-même. Il a l’air stupéfait de me voir bannière au vent, les pieds nus sur le carreau, mon vase de nuit d’une main, mon bougeoir de l’autre, et il balbutie d’un air égaré :

« Vous n’en… n’en… n’entendez donc pas ? – ? ? ? – Cette révolte ! … ces cris ! … – Des cris ? … une révolte ? … »

Je me suis frotté les yeux et j’ai pris la mine ahurie et confuse… Oh ! il a bien vu de quoi il retournait, et il est parti, blanc comme la faïence du pot. Il n’y aura plus d’émeute au dortoir : il n’y a pas de danger !

Je me recouche, désolé que le boucan soit fini. Mais je vois bien que je suis fichu. Je vais me payer des fantaisies, avant qu’on me chasse. L’occasion vient de se présenter.

Le professeur de rhétorique est tombé malade. Il est de règle que ce soit le maître d’étude qui remplace le titulaire, quand celui-ci est, par extraordinaire, empêché ou absent.

C’est donc moi qui ferai la classe ce soir, qui monterai à cette chaire. M’y voici.

Les élèves attendent, avec l’émotion que cause tout incident nouveau. Comment vais-je m’en tirer, moi le beau parleur, le favori de la Faculté, le Parisien ?

Je commence. « Messieurs,

« Le hasard veut que je supplée votre honorable professeur, M. Jacquau. Mais je me permets de ne point partager son opinion sur le système d’enseignement à suivre.

« Mon avis, à moi, est qu’il ne faut rien apprendre, rien, de ce que l’Université vous recommande. ( Rumeurs au centre.) Je pense être plus utile à votre avenir en vous conseillant de jouer aux dominos, aux dames, à l’écarté – les plus jeunes seront autorisés à planter du papier dans le derrière des mouches. ( Mouvements en sens divers.)

« Par exemple, messieurs, du silence ! il n’est pas nécessaire de réfléchir pour apprendre du Démosthène et du Virgile, mais quand il faut faire le quatre-vingt-dix ou le cinq cents, ou échec au roi, ou empaler des mouches sans les faire souffrir, le calme est indispensable à la pensée, et le recueillement est bien dû à l’insecte innocent que va, messieurs, sonder votre curiosité, si j’ose m’exprimer ainsi. ( Sensation prolongée.)

« Je voudrais enfin que le temps que nous allons passer ensemble ne fût pas du temps perdu. » Tableau ! Le soir même, j’ai reçu mon congé.

2

Me voilà de nouveau sur le pavé de Paris, n’ayant que quarante francs en poche, et brouillé avec toutes les universités de France et de Navarre.

De quel côté me tourner ? Je ne suis plus le même homme : huit mois de province m’ont transformé.

J’avais vécu, pendant dix ans, tel que l’ivrogne qui a peur de l’affaissement, au lendemain de l’ivresse, et qui reprend du poil de la bête, saute sur le vin blanc dès son lever, et garde toujours une bouteille à portée de sa main qui tremble. Je me soûlais avec ma salive.

Et j’en étais le plus souvent pour mes frais de courage !

Ceux-là mêmes à qui je faisais l’aumône d’une gaieté qui cachait ma peine ou distrayait la leur, ceux-là, plutôt que de comprendre et de remercier, me traitaient d’Auvergnat et de cruel. Pouilleux d’esprit, lâches de cœur, qui ne voyaient pas que je jetais de l’ironie sur les douleurs comme on mettrait un faux nez sur un cancer, et que l’émotion me rongeait les entrailles, tandis que j’étourdissais notre misère commune à coups de blague, ainsi que l’on crève un carreau à coups de poing pour avoir de l’air dans un étouffoir !

C’était bien la peine de se ranger ! Qu’ai-je fait, depuis que je suis revenu de cette province ? … Je ne le sais plus. J’ai vécu à la façon d’une bête, comme là-bas, mais sans la joie du pâturage et de la litière.

Vais-je descendre jusqu’au cimetière en ne faisant que me défendre contre la vie, sans sortir de l’ombre, sans avoir au moins une bataille au soleil ?

Tant pis ! Ils crieront à la trahison s’ils veulent !

Je vais chercher à vendre huit heures de mon temps par journée, afin d’avoir, avec la sécurité du pain, la sérénité de l’esprit.

Après tout, Arnould, qui est un honnête homme, est bien entré à la Ville ; Lisette, que j’ai rencontrée l’autre matin, me l’a dit.

Voici qu’il faut faire apostiller ma demande… Encore un serment à fouler aux pieds ! N’importe !

J’ai été parjure en étant pion – parjure je serai encore en allant mendier la signature de gens qui ont tenté de nous assassiner au Deux-Décembre.

Misérable ! au lieu de gagner du terrain, j’en ai perdu et je viens de me trouver des cheveux blancs !

C’est fait ! – Un général de la Garde, un libraire des Tuileries, un ancien proviseur de mon père, ont donné, chacun, deux lignes de recommandation.

Elles ont suffi. Je viens d’être nommé auxiliaire, à cent francs par mois, dans une mairie qui est au diable et qui a l’air d’une bicoque.

J’y file, monte les escaliers et demande le chef de bureau. Un monsieur à lunettes et un peu bossu me reçoit. « C’est bien. Vous serez aux naissances. »

Il me mène au bureau des déclarations et me confie à un employé qui me toise, me fait signe de m’asseoir et me demande si j’écris bien ( ! !).

« Pas trop. – Faites voir. »

Je plonge une plume dans l’encrier, je la plonge trop fort, et en la retirant, j’éclabousse, d’une tache énorme, la page d’un grand registre que l’homme a devant lui.

Il donne les signes du plus violent désespoir. « C’est juste sur le nom ! … Il faut un renvoi ! » Il se jette à la fenêtre, se penche au-dehors, fait des gestes, pousse des cris. Appelle-t-il au secours ? Sent-il venir l’apoplexie ? Veut-il me faire arrêter ?

Qui lui répond ? Est-ce le médecin, le commissaire ? Non. C’est un charbonnier, un marchand de vin et une sagefemme qui, cinq secondes plus tard, se précipitent dans le bureau et demandent, avec effroi, « ce qu’il y a ? »

« Il a que monsieur, que voilà, a débuté par envoyer une saloperie sur mon livre, et qu’il faut maintenant que vous signiez tous, en marge, pour que l’enfant ait un état civil. »

Il se tourne vers moi avec fureur. « Vous entendez ? un é-tat ci-vil ! Savez-vous au moins ce que c’est ? – Oui, j’ai fait mon droit. – J’aurais dû m’en douter ! » Et il ricane. « Ils en sont tous là… Les bacheliers, c’est la mort aux registres ! » Encore des miaulements et un bruit de gros souliers, encore une sage-femme, un charbonnier et un marchand de vin. Mon collègue me lance en plein danger. « Interrogez vous-même la déclarante. » De quelle façon vais-je m’y prendre ? que dois-je dire ? « Madame, vous venez pour un enfant ? … » Il hausse les épaules, fait mine de jeter le manche après la cognée. « Et pour quoi diable voulez-vous qu’elle vienne ? … Enfin, vous serez peut-être capable de constater ! Assurez-vous du sexe. – M’assurer du sexe ! … et comment ? »

Il rajuste ses lunettes et me fixe avec stupeur ; il semble se demander si je ne suis pas arriéré comme éducation et exagéré comme pudeur au point d’ignorer ce qui distingue les garçons des filles.

J’indique par signes que je le sais bien. Il pousse un soupir d’aise, et s’adressant à l’accoucheuse : « Déshabillez l’enfant. Vous, monsieur, regardez. Mais de làbas vous ne voyez rien, approchez donc ! – C’est un garçon. – Je vous crois ! » fait le père en se rengorgeant, avec un coup d’œil au charbonnier. Me voilà nourrice, ou peu s’en faut.

Je suis bien obligé, par politesse, d’aider un brin à ouvrir les langes, à retirer les épingles, à désemmailloter le moutard, et à lui faire une petite chatouille sous le menton, quand il crie trop fort.

Heureusement, la pension Entêtard m’a donné une manière et mon coup de main devient célèbre, dans l’arrondissement, autant que jadis mon tour de chemise. À moi le pompon !

Ils ne sont guère forts, mes collègues, mais ce ne sont point de méchantes gens. Il n’y a pas en eux ce levain de fiel et de chagrin qui fermente chez les universitaires constamment jaloux, peureux, espionnés.

Ils ne me font point sentir trop cruellement mon infériorité ; mon copain n’a pas rechigné, ni ronchonné, plus de deux jours.

« Sommes toute, que vous a-t-on enseigné au collège, Le latin ? Mais c’est bon pour servir la messe ! Apprenez donc plutôt à faire des jambages, des pleins et des déliés. »

Et il me donne des conseils pour la queue des lettres longues et pour la panse des lettres rondes. Nous restons même après la fermeture des bureaux, pour soigner mon anglaise, sur laquelle je sue sang et eau.

Un jour, à travers la croisée, un ancien camarade m’a vu, un de la bande des républicains. « Tu faisais des émeutes autrefois ; tu fais des majuscules maintenant ! » Eh bien, oui ! mais, mes majuscules faites, je suis libre, libre jusqu’au lendemain.

J’ai ma soirée à moi, – le rêve de toute ma vie ! – et je n’ai qu’à me lever aussi tôt que les ouvriers pour avoir encore deux heures de frais travail, avant de venir vérifier le sexe des mioches.

Je les démaillote, mais je me suis démailloté aussi, et je pourrai montrer que je suis un homme à qui voudra regarder. Enterrement Murger. J’ai demandé congé pour suivre le convoi d’un illustre. Je veux voir les célébrités qui accourront en foule ; je veux entendre aussi ce que l’on dira sur sa tombe. On a pleurardé, voilà tout.

On a parlé d’une maîtresse et d’un toutou que le défunt aimait bien, on a jeté des roses sur sa mémoire, des fleurs dans le trou, de l’eau bénite sur le cercueil ; – il croyait en Dieu ou était forcé de paraître y croire.

Des pioupious aussi suivaient le cortège avec leurs fusils : le peloton des décorés.

Il avait la croix ; c’était comme une médaille d’aveugle, une contremarque de charité. On ne laisse pas crever de faim les légionnaires ; resté misérable, il avait dû nouer sa gloire, comme une queue de cheval, avec le ruban rouge.

Je suis revenu songeur, et soudain j’ai senti dans mes entrailles un tressaillement de colère. Il m’a fallu huit jours encore pour comprendre ce qui remuait en moi – un matin, je l’ai su.

C’était mon livre, le fils de ma souffrance, qui avait donné signe de vie devant le cercueil du bohème enseveli en grande pompe et glorifié au cimetière, après une vie sans bonheur et une agonie sans sérénité.

À l’œuvre donc ! et vous allez voir ce que j’ai dans le ventre, quand la famine n’y rôde pas, comme une main d’avorteuse qui, de ses ongles noirs, cherche à crever les ovaires !

Moi qui suis sauvé, je vais faire l’histoire de ceux qui ne le sont pas, des gueux qui n’ont pas trouvé leur écuelle.

C’est bien le diable si, avec ce bouquin-là, je ne sème pas la révolte sans qu’il y paraisse, sans que l’on se doute que sous les guenilles que je pendrai, comme à la Morgue, il y a une arme à empoigner, pour ceux qui ont gardé de la rage ou que n’a pas dégradés la misère.

Ils ont imaginé une bohème de lâches, – je vais leur en montrer une de désespérés et de menaçants !
J’aurais voulu partir : il me semble qu’il passe à travers la cloison une odeur qui empoisonne ma pensée ! Je commence à y arriver, mais il fait encore bien sale et bien triste sur le chemin. La femelle d’à côté s’est enhardie ; elle se soûle, maintenant, et amène des hommes qui boivent avec elle. Un jour, un de ces pochards a refusé de cracher au bassinet et a voulu la battre ; elle a appelé au secours. N’arriverai-je donc pas à attaquer mon livre avant le printemps ? Je flâne jusqu’au jour de la réception. La voici ! « Prenez vos trente francs ! » L’homme les a empochés, et a filé. Moi, je me carre dans mon froc de laine. Le moment de l’échéance approche ! Nous sommes au 22, c’est pour le 30 ! Vite, relisons-nous ! … Des ciseaux, des épingles ! Il faut retrancher ceci, ajouter cela ! Oh ! que c’est affreux d’être obscur, pauvre, isolé ! Le quart, la demie ! J’étais resté la main sur mes yeux pour les empêcher de pleurer. Mais il ne s’agit pas de rêvasser. Et ma dette ! Comme mes jambes flageolent en montant l’escalier ! Je sonne. « M. de Villemessant ? – Il n’y est pas. Monsieur est parti depuis une semaine pour la campagne et ne reviendra que dans quinze jours. » Absent ! … Mais alors je suis perdu ! La bonne a dû lire mon désespoir sur ma figure. Elle voit, d’ailleurs, le bout de mon manuscrit roulé, crispé, qui a l’air de se tordre de douleur au fond de ma poche. On me laisse seul pendant un quart d’heure, au moins. Enfin la porte s’ouvre : « Mais ça mord, votre copie, cher monsieur ! » dit un gros homme chauve, en secouant ses doigts en saucisses. Je m’excuse en balbutiant : Attendre ? Ma foi, je lui explique que je ne peux pas attendre. « J’ai une perte de jeux à régler demain, et c’est pourquoi j’ai osé venir tout droit ici. – Tiens, tiens ! vous pelotez donc la dame de pique ? Est-ce que vous tirez à cinq ? » Je ne sais pas ce que c’est de tirer à cinq ; mais il faut bien répondre quelque chose, et d’une voix caverneuse je dis : « Oui, Monsieur, je tire à cinq. – Cristi ! vous avez de l’estomac ! » Beaucoup trop! je m’en suis aperçu souvent ; les jours de jeûne surtout.

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