L’ombre et l’éclat - Narriaa - E-Book

L’ombre et l’éclat E-Book

Narriaa

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Beschreibung

Yuel, nécromancien·ne au caractère solaire, est envoyé·e à Vemna pour endiguer une invasion de morts vivants. Iel ne s’attend pas à y découvrir un marécage en fleurs, et encore moins à y rencontrer un Éclat, entité nourricière d’ordinaire positive, avec une aura aussi lugubre. Litha cherche-t-iel à l’empêcher de mener à bien sa mission ou, pire, est-iel la cause du mal qui ronge Vemna ?

Pour public averti

À PROPOS DE L'AUTEUR

L’esprit de Narriaa tend à naviguer sur un océan tempétueux de rêves perpétuels. Il y façonne des paysages intangibles, fomente des coups d’états et y conquiert le cœur d’un démon… Vous cherchez trace de ces créations ? Fouillez les recueils d’YBY ! Et pour les autres merveilles à venir, la dragonne les couve encore précieusement, laissant mûrir le drame et la magie…

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DÉDICACE

À Alyx, qui a toute ma reconnaissance pour son soutien inestimable et intarissable.

Je te souhaite ce qu’il y a de mieux, et un peu plus encore.

AVERTISSEMENT RELATIF AU CONTENU

Cette œuvre comporte des contenus ou passages pouvant heurter la sensibilité du public.

– Principaux : cadavres, dépression, médica­tion, mort, zombies.

– Ponctuels : alcool, asphyxie, automutilation, brulures, deuil, nausées, nécrose, psychophobie, suicide.

– Mentions : addiction, harcèlement, éduca­tion toxique, commerce d’enfants, ivresse, moqueries, noyade, peine de mort, séques­tration, violences infantiles.

NOTE DE LA MAISON D’ÉDITION

Le terme agenre désigne une absence d’iden­tité de genre, ou le fait de ne se reconnaitre dans aucune identité de genre en particulier. Être agenre peut toutefois être relié, pour certaines personnes, à une forme d’identité de genre neutre ou non-binaire. Yuel et Litha utilisent ainsi le pronom iel et des accords dits inclusifs (comportant un point médian), mais les pronoms et accords peuvent varier d’une personne à l’autre.

NOVELLA

Vemna n’est pas à l’image de sa réputation. J’y suis envoyé·e pour une invasion de zombies, et je trouve le lieu en fleurs. Les milieux humides ont toujours regorgé de vie, mais, ici, l’air est chargé du parfum sucré des inflorescences colorées ainsi que des trilles des passereaux. Ils masqueraient presque les effluves des eaux stagnantes et le claquement de mes talons sur le ponton de bois pourri. Alors que je cherche à m’habituer à l’environnement impossible dans lequel j’évolue, j’écoute distraitement ma guide expliquer que les locaux ont préféré les flancs de la colline voisine aux boues du marécage pour y établir leurs habitations. Quézure est davantage un archipel de hameaux esseulés qu’un village à proprement parler, cependant, aux yeux de la mairesse, il s’agit d’une bourgade à part entière dont elle est la fière propriétaire. Cet individu est le dernier élément logique auquel je me raccroche dans ce décor : il embaume l’orgueil et l’avarice. C’est une signature coutumière chez l’Humain. Une fragrance familière, réconfortante.

— Vous comprenez, Entité, que la situation exige une remédiation rapide. Je ne peux pas tolérer que mes gens tombent entre les griffes de quelque mort affamé quand ils viennent récolter nos fruits.

Je détaille les cerisiers et pêchers aux branches bourgeonnantes. Une myriade d’insectes y bourdonnent. Pourtant, en dépit de l’avancement de l’été, pas une baie n’y murit.

— Vos arbres donnent tardivement, je note poliment.

— Ah, ça… soupire-t-elle d’agacement. Demandez donc à l’Éclat. Il va de sa responsabilité de faire prospérer nos plantations, mais, cette année, ses services laissent à désirer !

Je cille et ravale difficilement ma curiosité, forçant mon visage à conserver son aimable impassibilité.

Ma guilde a mentionné la présence d’une telle personne à Quézure, mais j’imaginais un guérisseur, pas un cultivateur. Au moins cela explique-t-il la maladie que j’ai humée chez les paysans. Les arcanistes des soins tendent à traiter tous les maux du corps et de l’esprit qu’ils rencontrent, sans distinction, et ce à longueur de temps… De la pneumonie à l’ongle incarné, du patient chronique à l’enfant qui a trébuché, ils laissent dans leur sillage des relents stériles déstabilisant mon odorat sensible.

J’inspire longuement. Ma guide elle-même porte un foie en mauvais état, et quel­ques parasites remuent dans ses entrailles.

Voilà qui est moins déroutant que le parfum des orchidées.

La dame semble néanmoins pressée de retourner à son principal sujet d’inquié­tude, aussi je lui assure avec un sourire affable :

— Je me mettrai à l’ouvrage pour vous débarrasser des damnés dès demain…

Au même instant, un mouvement fur­tif capte mon attention, et je m’inter­romps abruptement. Bien que mon odo­rat ne détecte pas d’addition à notre environnement proche, je crois avoir aperçu une ombre glisser d’un tronc à l’autre. Je m’avance sans réfléchir, mais mon pied droit, après avoir quitté le ponton, ne trouve subitement plus d’appui. Mon souffle se bloque quand me vient la sensation de chuter. Cependant, je n’ai pas le temps de glapir qu’une main se referme sur mon avant-bras et me tire en arrière. Les doigts sont glaciaux, décharnés. La poigne n’est pas celle de la femme qui m’accompagne. Le macchabée qui se tient derrière nous est debout, animé d’une volonté propre aux non-morts qui le rend languide et lui donne l’air abruti.

Me rétablissant promptement sur le chemin de bois flotté, je me dégage de l’étreinte et souris. Ma main vient trouver le sommet du crâne décomposé où une poignée de fines mèches blondes persistent vaillamment, vestiges d’une ancienne chevelure d’or.

— Merci, Mishaan. Tu m’as évité un plongeon bien désagréable.

Sous ma paume, la charogne bourdonne de contentement.

Je me retourne et fouille le couvert des arbres du regard avant de me rendre à l’évidence : il n’y a véritablement personne.

À mes côtés, la mairesse me scrute avec incertitude. J’ai remarqué dès mon arrivée que ma créature la mettait mal à l’aise, mais elle s’est exemptée de commentaires et l’a laissée nous escorter.

— Je pensais avoir aperçu quelque chose, je me justifie d’une voix empruntée.

— Personne ne s’aventure ici en ce moment, les fruits n’ayant pas encore muri. Pas même Litha, et c’est là tout le problème… D’autant plus avec ces morts qui rôdent… Venez, Entité, il doit vous tarder de poser bagage.

Elle fait demi-tour, et je l’observe mettre une large distance de sécurité – parfaitement inutile – entre elle et le cadavre. Je lui emboite le pas sans chercher à décrypter ses propos énigmatiques ; ils ne semblaient de toute façon pas m’être adressés.

Le ciel est radieux, le marécage édénique. Ce n’est pas un mauvais début pour ma carrière de nécromancien·ne à Quézure.

J’ignore à quoi ressemble l’Éclat en charge de leurs cultures, toutefois, il ne semble pas faire bonne impression auprès des Quéziens. On croirait qu’ils n’ont jamais rencontré d’Entité et que la curiosité les dévore. Je supposais initialement que les Ombres étaient moins appréciées que nos lointains collègues, pourtant, je suis convié·e au thé, à la chasse, au marché… Quelques villageois restent bouche bée devant le spectacle de mes pantins putréfiés, mais aucun ne se montre impoli. Tous, en revanche, ont des questions sur l’aide que je suis venu·e leur apporter. D’ici combien de jours pourront-ils retourner pêcher dans les lacs et ruisseaux du marais ? Les morts altèrent-ils les herbes médicinales des terres humides ? Courent-ils un danger, ici, à flanc de colline ?

Agacée, la mairesse écourte promptement cet interrogatoire, pré­textant que le voyage m’a été pénible. Elle désigne un jeune homme pour me conduire jus­qu’au terrain qui m’est alloué le temps de ma mission.

Ce guide-ci sent la haine ainsi que l’ingratitude, mais il ne s’agit que des facettes les plus sombres de son cœur, et, tout du long de notre cheminement, ces attributs demeurent en retrait, latents. Il est d’une compagnie agréable en dépit de la gêne aisément perceptible que lui inspire ma présence.

Je ne lui en tiens pas rigueur. Sur le plan morphologique, nous paraissons être de la même espèce. Néanmoins, là s’estompent les similitudes entre Hommes et Entités. Nous seules sommes à même d’altérer la réalité par la force de l’esprit. Pour cette raison, nous sommes enlevées à nos géniteurs dès la naissance pour grandir parmi les nôtres, dans les mausolées et temples sacrés. Travailler la magie qui sommeille en nous nous coupe irrévocablement du commun des mortels. Finalement, une fois que nous revenons vers eux, ils ne ressemblent plus qu’à de lointains cousins, les habitants d’un pays mitoyen, des clients avec lesquels discuter argent, mais rarement des confrères ou amants. Et c’est pour le mieux. L’Histoire nous a appris à maintenir une distance polie, à rester en retrait sans trop nous effacer, sous peine de susciter la peur de l’inconnu et ses violentes conséquences…

— Nous y sommes, Entité, conclut l’humain au terme de notre route, me tirant de mes pensées.

Il s’éclipse en hâte, me laissant à la tête d’une courte procession de défunts, sur le seuil de ma nouvelle demeure baignée dans l’ocre du crépuscule.

L’endroit n’est pas désagréable. La terre y est davantage gorgée d’eau, ce qui explique surement l’abondance de plantes carnivores. Les sarracénies et dionées me tiennent lieu de pelouse. Je devine que, par le passé, il s’agissait d’une grande villa. Aujourd’hui, la bâtisse en pierre blanche est à demi effondrée, et certains de ses murs disparaissent, dévorés par des mousses verdoyantes. Les villageois ont toutefois aménagé la partie la plus préservée de l’habitation pour qu’elle fasse office de demeure, et veillé à alimenter le garde-manger. Je découvre une chambre sobre, mitoyenne à la cuisine. La lumière qui filtre depuis le verre vieilli de la lucarne tamise l’atmosphère. Le lit de bois sombre au matelas fatigué me semble plus accueillant que jamais, après l’effort du voyage. La salle d’eau, elle, donne sur un jardin intérieur où s’écoule une maigre source jusqu’à un bassin d’ablution. Au terme de mon exploration, je découvre une pièce d’étude au mobilier sommaire. Les glyphes et souillures qui décorent le sol de pierre nue m’amènent à penser que je ne suis pas la première Ombre à occuper l’endroit.

C’est austère et humide, mais l’ensem­ble répond amplement à mes attentes. La place est essentielle pour accom­moder la demi-douzaine de cadavres qui m’accom­pagne perpétuellement, et, ici, j’en ai à profusion. Les Quéziens ont également installé un enclos accolé à la bâtisse effondrée. Il saura se révéler utile pour confiner certains de mes serviteurs aux limites de mon domaine en mon absence. Son toit de chaume, fixé à même la palissade de bois, permettra également de soustraire mes protégés aux charognards qui les prennent pour cible. Même les trépassés ont leurs prédateurs, et je ne m’évertue pas à les maintenir sur pied pour qu’ils se fassent tourmenter par une légion de corneilles comme de vulgaires buffets à volonté.

Dans l’immédiat, je les laisse libres de découvrir la parcelle pendant que je m’affaire à ranger les bagages qu’ils ont transportés pour moi. Les morts aiment déambuler. Je les préfèrerais immobiles, parfois. Après tout, une partie de l’énergie qu’ils consument est la mienne. En même temps, cela les rend attendris­sants : ils ressemblent à des enfants curieux du monde.

Cela les rend aussi passablement agaçants lorsqu’ils viennent à s’égarer. Au matin, échappant aux brumes d’un sommeil plus lourd que je ne l’avais escompté, je n’en compte que sept. Tyon est introuvable. Mon don les incite généralement à rester à proximité, j’espérais donc une première nuit sans accroche. J’aimerais autant ne pas porter préjudice à mes toutes nouvelles relations en soumettant les Quéziens, stressés par l’apparition des damnés de Vemna, à la visite nocturne de l’un de mes zombies apprivoisés…

Je prends Mishaan avec moi avant de me mettre en route, essayant tant bien que mal de discerner la piste de mon disparu dans la terre retournée par ses autres congénères. À mon soulagement, les traces nous éloignent du village, et nous gagnons en altitude.

Nous découvrons le champ de fleurs alors que l’aurore perce à l’horizon. Sous mes yeux ébahis, le monde s’enflamme d’or. Je reste figé·e, contemplant la prairie où s’étendent des herbacées parsemées d’étoiles jaunes qui resplendissent sous les premières lueurs du jour. Des éclats chatoyants dans un océan d’émeraude.

Comme portés par le vent qui enfle dans mon dos, mes pieds s’avancent d’eux-mêmes vers le spectacle jusqu’à ce que je bute contre un obstacle. Baissant les yeux, je trouve Tyon avachi au sol, à quelques pas des inflorescences que j’oublie momentanément.

Mon protégé n’a pas rendu son dernier souffle. Enfin, pas définitivement du moins – pas encore. Je le sens qui s’agrippe à moi de manière immatérielle, comme le font tous mes pantins. Son corps ne présente aucune blessure externe, il n’a donc pas été attaqué par un charognard affamé ou un prédateur peu regardant. Il parait simplement paralysé.