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Tandis que la France se trouve confrontée au problème des retraites, et que certains responsables politiques se demandent comment financer ces retraites, voici l'histoire d'Antoine Cossu, qui vient d'avoir 75 ans, et qui découvre l'existence d'un certain Pôle Sénior qui vient d'être créé pour faire économiser à l'Etat le plus d'argent possible . Il s'agit pour les fonctionnaires du Pôle de pousser les retraités au suicide en les persuadant de leur inutilité. En cas d'échec, on les oblige à se faire examiner par des médecins qui diagnostiqueront une maladie incurable. Et alors, pendant une opération, un accident est vite arrivé. Découvrez avec Antoine comment des politiques peuvent résoudre certains problèmes insolubles en l'accompagnant dans cette aventure.
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Veröffentlichungsjahr: 2023
Il y a du courrier
A la recherche des secrets de Pôle séniors
Dans l’antre de Pôle séniors
Jusqu’à ce que mort s’ensuive
Une brochure étonnante
Deuxième visite à Pôle séniors
Comment faire une fin ?
En préparant la visite au Service psychologique des séniors
Le service psychologique des séniors
Bilan de mi-mandat
L’opération Mathusalem
Retour à la case départ
Quelle stratégie choisir ?
La mort, toujours la mort
L’unité de court séjour gériatrique
Roger
Visite dans les catacombes
Antoine et l’IRM
Les résultats
Disparition de Roger
Doutes sur le sexe d’Antoine
Catacombes bis
Essayons de comprendre
Antoine se fâche
Retour triomphal à la maison
L’hécatombe
Voyage avec Ghislaine
Découverte du rapport remis au Premier ministre par les responsables de Pôle séniors
L’accident
Revue de la Presse
Les responsables devant la justice
Epilogue
Lorsque Antoine, qui rentrait des commissions, ouvrit sa boîte aux lettres en cette douce matinée d’été, il trouva d’abord un fouillis de catalogues, tracts et autres cochonneries. Il commença méthodiquement à sortir ces papiers un par un, en les expertisant. En effet, on n’est jamais trop prudent : il se peut très bien qu’une lettre importante se camoufle entre deux prospectus, et que vous la jetiez, déclenchant sans le savoir une série d’embêtements regrettables. Antoine savait bien cela, lui qui avait jeté une carte bleue de sa banque, laquelle avait dû finir sa vie de carte dans un incinérateur, à moins qu’elle n’ait atterri sur un tas d’ordures dans une quelconque décharge.
Tout à coup, son attention fut attirée par une enveloppe couleur vert caca d’oie. Il la sortit du tas pour la mettre dans son sac, en vue d’une lecture ultérieure. En effet, il avait lu dans un magazine que, pour fortifier sa volonté, il fallait s’imposer des épreuves de patience. Entre autres exemples, on évoquait la lecture du courrier. Il fallait différer la lecture d’une bonne heure, même si l’on avait reçu une lettre de l’amour de sa vie.
Que pouvait-on attendre d’une enveloppe vert caca d’oie ? Sans doute de la publicité qui avait choisi cette couleur discrète pour se faufiler dans le courrier, pour prendre le lecteur par surprise. Il glissa la missive dans son sac de jute qu’il portait, en bon écolo, toujours sur lui.
Le concierge avait eu la bonne idée de placer sous les boîtes, fixée au mur, une corbeille à papier destinée à recueillir le courrier indésirable. C’est là qu’Antoine fit disparaître le surplus gênant de son courrier.
Il prit l’ascenseur pour monter au quatrième, où se trouvait son appartement. Une voix synthétique féminine l’avertit comme chaque fois qu’il était arrivé au quatrième, ce dont il se doutait.
Il rentra chez lui, referma la porte blindée à double tour, et se rendit dans la cuisine pour préparer son repas.
Il venait d’égoutter ses pâtes et de les mettre dans une assiette creuse lorsque, prenant le bocal de pesto, la couleur verte de la sauce lui rappela l’enveloppe vert caca d’oie.
Le temps d’attente pour développer sa volonté était maintenant écoulé. Il alla chercher l’enveloppe, regarda le logo abstrait qu’il ne connaissait pas et lut : Pôle séniors de PACA.
C’était la première fois qu’il voyait ce nom, Pôle séniors, qui sonnait un peu comme « Pôle emploi ». Il se demanda ce que cela pouvait être. Un organisme chargé de s’occuper des séniors. Peut-être allait-on lui proposer une place dans une maison de retraite, ou un emploi permettant d’améliorer sa pension. Ce pouvait être aussi une invitation à des activités pour les aînés, voire à un dépistage se souciant de sa prostate ou de son côlon.
Le mieux était encore d’ouvrir l’enveloppe pour avoir enfin accès aux informations qu’elle abritait. Cette lettre émanait de Pôle séniors, un organisme dont il n’avait jamais entendu parler. Il était informé sur le Pôle Nord, son opposé Sud, et Le Pôle emploi, appelé ainsi sans doute parce qu’il attirait les sans-emploi.
Au lieu d’ouvrir tout de suite l’enveloppe pour voir de quoi il retournait, il préféra aller se renseigner sur Wikipédia, l’encyclopédie gratuite du web.
C’est ainsi qu’il apprit que l’organisme Pôle séniors dépendait du Ministère de la Santé, et qu’il était chargé de la « gestion des personnes âgées ». L’article ne précisait pas en quoi consistait cette gestion. On pouvait bien se demander à quoi servait ce Pôle, d’autant que, malgré son âge de 71 ans, il n’avait jamais eu affaire à lui et, jusqu’à la découverte de cette lettre à la couleur si peu appétissante, il en ignorait l’existence. N’ayant jamais eu recours à lui, il sentit s’éveiller son intérêt et finit par aller à la recherche de l’enveloppe.
Il l’eut vite retrouvée dans son couffin, dans lequel il l’avait jetée avant d’aller sur le web.
Il ouvrit l’enveloppe avec un couteau de cuisine. La lettre occupait le recto d’une page. En haut, à gauche, le logo comprenait une forme abstraite qui aurait aussi bien pu être une béquille qu’une mitraillette, agrémentée du nom de l’organisme, Pôle séniors, , en écriture plus ou moins artistique.
Il lut le texte :
« Monsieur et cher administré, Vous venez d’avoir soixante et onze ans. Pôle séniors, chargé auprès du ministre de la Santé de la gestion des personnes âgées de plus de 70 ans, aimerait, pour faciliter cette gestion, établir votre profil.
Nous vous invitons à passer à Pôle séniors, muni de votre carte d’identité, dans le courant de la semaine prochaine.
Veuillez téléphoner au 04 91 10 10 10 pour prendre rendez-vous.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de nos sentiments distingués. »
Suivait une signature compliquée et illisible, destinée à rendre impossible toute identification du nom du signataire, les fonctionnaires préférant travailler dans l’anonymat le plus complet pour s’éviter des ennuis.
Pensif, il posa la lettre sur la table de la cuisine. Cette missive brillait par sa concision, son caractère impersonnel.
La formule « Monsieur et cher administré » lui rappela le sous-préfet aux champs d’Alphonse Daudet, préparant son discours, vautré dans l’herbe. Quant au contenu, il ne lui apprenait pas grand-chose. Il se demanda en quoi pouvait bien consister cette gestion des personnes âgées. Le Pôle s’occupait-il de la santé, des finances, des maisons de retraite. Ou peut-être même des problèmes d’héritage, de la fourniture de bandages herniaires voire de l’enterrement des administrés âgés. Il pouvait tout imaginer : que l’on allait lui verser une allocation, lui fournir une place en EHPAD, un enterrement de première classe ou une croisière. Tout était envisageable. Et s’il voulait en savoir plus, il faudrait qu’il aille faire un tour dans les bureaux de Pôle séniors.
Il avait bien sûr téléphoné pour prendre rendez-vous pour le lundi 10 septembre. Il avait bien essayé d’obtenir quelques renseignements sur cet organisme mystérieux, mais la secrétaire avait éludé toutes ses interrogations : il verrait bien lors de sa visite. On répondrait alors à toutes ses questions. Il fallait donc continuer à gamberger en attendant la révélation.
Il interrogea son copain Louis, qui n’avait que 69 ans et qui, donc, n’avait pas encore atteint l’âge fatidique pour que Pôle séniors s’occupe de lui.
Son ami ne croyait pas du tout à une allocation. Ce n’était pas dans l’air du temps. Depuis l’élection du président actuel, on avait tendance à supprimer ou au moins à diminuer les aides aux personnes les moins riches. Tout ce qui coûtait de l’argent à l’État était donc à éliminer d’office.
Il essaya de trouver des personnes âgées autour de lui. Bizarrement, tous ceux qu’il fréquentait étaient plus jeunes que lui. Et ceux qu’il connaissait et qui avaient plus de 70 ans avaient quitté ce monde. Il ne trouva donc personne qui ait déjà effectué une visite dans ces bureaux mystérieux.
En fin de compte, il allait falloir attendre le jour de l’entrevue pour avoir le fin mot de l’histoire.
Enfin, le grand jour était arrivé. Il allait se rendre au 40 rue Edmond Rostand, où il était attendu à 11 heures.
Il avait mal dormi, en proie à toutes sortes d’interrogations restées toutes sans réponse.
Le matin arrivé, il se doucha, s’aspergea d’eau de toilette pour éviter de sentir le vieux. En effet, l’odeur caractéristique des maisons de retraite le mettait mal à l’aise. Il se souvenait des visites à sa mère, à la Maison de retraite de Sainte-Anne, en particulier de la salle principale où les effluves d’urine le disputaient à ceux des excréments, en dépit de tous les désodorisants et déodorants généreusement dispensés et qui, au lieu de masquer les odeurs nauséabondes, semblaient au contraire les renforcer par contraste.
Heureusement, il n’était pas sujet aux fuites urinaires, et ne portait pas de couche. Il n’y avait aucune raison pour qu’il sentît spécialement le vieillard incontinent, mais mieux valait prévenir que guérir. Il se rasa de près, pour faire bonne impression, car il avait horreur des barbes de trois jours, que certains entretenaient grâce à un rasoir spécial qui, il ne savait par quel miracle technique, ne rasait pas plus que nécessaire pour entretenir cette apparence de baroudeur.
Vint ensuite la question importante des vêtements.
Fallait-il mettre un costume sombre, avec gilet et cravate ou un pull bleu marine accompagné d’un pantalon blanc, sans oublier la chemise à fines stries bleues et le foulard allant avec.
Cela peut paraître futile, mais la présentation choisie peut être déterminante pour la suite des opérations. Si seulement il avait connu le but de cette invitation, le choix aurait été plus simple. Mais voilà, ne le connaissant pas, il fallait trouver une position neutre. S’il s’était agi d’attendrir le fonctionnaire, il aurait mis son pyjama, puis sa robe de chambre, et aurait complété l’image du pauvre petit vieillard indigent en enfilant des charentaises, celles que son chat affectionnait particulièrement, et qu’il avait ruinées en leur livrant un combat quotidien, utilisant ses dents pointues et ses griffes acérées contre les pantoufles sans défense.
S’il avait eu intérêt à se montrer jeune, plein d’allant, l’intelligence en éveil pour prouver qu’il n’avait besoin de rien, alors, il aurait passé un pull bleu marine accompagné d’un pantalon blanc, sans oublier la chemise à fines stries bleues et le foulard gris perle assorti.
Ou alors, pour intimider le fonctionnaire, il aurait mis son costume noir, sa chemise blanche à boutons nacrés, son gilet anthracite qu’il aurait couronnés d’un nœud papillon, genre P.D.G. de multinationale. Il choisit la version qu’il jugeait être la plus neutre : un pull-over bleu marine et un pantalon gris clair. Il renonça à mettre ses souliers bicolores, qui faisaient par trop margoulin.
Mais, pour souligner son côté intello, il chaussa des lunettes et prit un porte-documents. Pour le remplir un peu, il y mit le journal du matin plié en deux.
Et c’est ainsi vêtu qu’il se rendit à son rendez-vous, au 40 rue Edmond Rostand.
Le rez-de-chaussée était occupé par une agence immobilière, mais il aperçut à droite de l’entrée de l’immeuble, qui abritait quatre étages d’appartements, une plaque annonçant en capitales d’imprimerie : « Pôle séniors », et en lettres plus discrètes, « Ministère de la Santé ». C’était un Pôle qui ne payait pas de mine.
Il sonna. Un ouvre porte nasillard lui permit d’entrer presque immédiatement. Antoine se dit qu’au moins, le fonctionnaire chargé de l’accueil n’était ni vieux ni gâteux, et qu’il prenait soin du visiteur en ne le faisant pas poireauter.
Selon la plaque, le Pôle était situé au premier à gauche. On avait le choix entre un ascenseur étroit, à l’air fatigué, susceptible donc de tomber en panne, et un escalier tout aussi étroit, enlaçant la cage de l’ascenseur de son ruban de marches de marbre.
Pour faire plus sportif, il prit l’escalier, mais en inspirant et en expirant fort, de façon rythmique, comme il le faisait pendant son jogging dominical. Il arriva ainsi assez rapidement, et surtout, sans le moindre signe d’essoufflement, au premier étage. Un fonctionnaire qui faisait honneur au titre de gratte-papier, un homme d’un mètre soixante environ, dégageant le charme d’un pruneau sec avec sa mine renfrognée, le pria d’entrer et le fit asseoir dans une minuscule salle d’attente, dans laquelle attendaient déjà deux personnes, une femme et un homme à l’air souffreteux, plus près de cent ans que de quatre-vingts. L’homme était agité de secousses quasi-permanentes, sans doute dues à la maladie de Parkinson ou à une variante de la danse de Saint-Guy.
Il prit donc place entre les deux personnes. Il essaya bien de discuter un peu avec elles, mais elles avaient l’air bien éteintes, et regardaient fixement devant elles, ou même à l’intérieur d’elles-mêmes. La femme fut appelée la première. Mais comme elle ne réagissait pas à l’appel de son nom, Pruneau sec dut venir la chercher. La soutenant avec fermeté, il la fit sortir de la salle d’attente pour l’introduire dans ce qui devait être un bureau.
Antoine se dit qu’il pourrait peut-être l’interviewer à sa sortie, pour savoir la raison de l’invitation. Il arriverait bien à lui faire dire quelques mots. Mais il n’en eut pas le temps, car une dizaine de minutes plus tard, Pruneau sec, qui apparemment avait déjà fait sortir la petite vieille en toute discrétion, venait appeler le suivant.
L’homme se leva avec difficulté, prenant appui sur sa canne, et se dirigea en flageolant vers le bureau. Antoine avait bien compris qu’il n’arriverait pas à lui tirer les vers du nez à la fin de son entrevue, Pruneau sec se faisant un devoir d’évacuer chacun dès sa sortie.
À peine dix minutes plus tard, le vieux sortit, tremblant comme un grelot, et Pruneau sec vint chercher Antoine qui pénétra enfin dans le fameux bureau, l’objet de ses réflexions et de ses craintes de ces derniers jours.
Pruneau sec lui désigna une chaise au dossier bien vertical faisant face à un bureau chargé de toutes sortes de papiers, cahiers, dossiers ou classeurs et sur lequel trônait un cadre contenant sans doute une photo, que, de sa place, Antoine ne pouvait voir. Il avait du mal à imaginer une femme, voire des enfants, partageant l’existence de ce pruneau vraiment très sec.