La beauté en toute circonstance - Lyne Quiin - E-Book

La beauté en toute circonstance E-Book

Lyne Quiin

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Beschreibung

Ce manuscrit propose pour la première fois une approche globale des Alpilles, massif mythique du cœur de la Provence. Sa formidable barre calcaire, aux crêtes blanches et déchiquetées émergeant des plaines, en fait malgré sa faible altitude (498 m), une véritable montagne, même si son caractère propre et son identité la distinguant de Lure, du Ventoux ou du Luberon.

Les Alpilles ont un milieu naturel et à ses paysages, à ses ressources d’hier et d’aujourd’hui – agriculture et tourisme tout particulièrement, à son histoire, à ses sites, à son architecture antique, médiéval et moderne, à son patrimoine immatériel et à ses traditions, à sa place dans la littérature et les arts aux bourgs et villages enfin qui vivent dans ses piémonts.

Au total un vrai manuscrit aux multiples entrées, magnifiquement indispensables pour pénétrer les secrets de cette montagne renommée – souvent considérée comme le cœur de la Provence – et pour envisager son devenir. Un livre de référence pour ses habitants et pour ses hôtes et pour tous ceux, randonneurs et visiteurs, qui sont à la recherche d’une terre façonnée par l’homme, reflet de son ingéniosité et de son inspiration poétique.


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Seitenzahl: 176

Veröffentlichungsjahr: 2024

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LyveQuiin

La Beauté en toute circonstance

AVANT-PROPOS

Seize communes sont rattachées territorialement au Massif des Alpilles. Par temps clair, on peut les apercevoir ou les situer depuis la Tour des Opies, le plus haut sommet du pays qui culmine à 493 mètres d’altitude à la verticale du village d’Aureille.

Fils, petit-fils de montagnards dans les Préalpes helvétiques, j’ai donc gravi les pentes abruptes de ce « Mont-Blanc provençal », le souffle devenu un peu court depuis mes jeunes années, pour apprécier depuis ce nid d’aigle la sacrée tâche que Vincent m’a confiée…

Dois-je avouer que je n’ai pas attendu que la neige recouvre ce sommet comme ce fut le cas en janvier 2010, même si Vincent m’a donné carte blanche ! Je me doute tout de même qu’il me guette au détour d’un sentier muletier pour me remettre dans le droit chemin…

De nombreux poètes, de grands écrivains ont célébré avec talent cette Provence, plus particulièrement les Alpilles qui m’accueillent depuis plus de vingt ans. Leurs ouvrages sont lus dans le monde entier et jusqu’en Suède… qui a honoré le Félibrige de Frédéric Mistral en lui décernant le prix Nobel.

Il faut être inconscient, même un peu « fada » d’accepter un tel challenge. Que dire, qu’écrire après Alphonse Daudet, après Marie Mauron, après Yvan

Audouard et bien d’autres ? C’est comme si, peintre, je devais faire aussi bien qu’un autre Vincent, Antoine Serra ou Yves Brayer !

Que dire, qu’écrire à l’époque de l’Internet où, en une fraction de seconde, un truc américain abominable, « Google », vous livre le site de la commune, son histoire, ses photos jusqu’au jour de ramassage des poubelles, la parcelle du voisin qui empiète sur votre champ ! Décidément, j’envie les auteurs du temps passé qui, chemin faisant, avaient tout loisir de narrer des histoires vécues ou imaginées. Mistral n’a-t-il pas mis sept ans pour écrire son poème « Calendal » ?

En parcourant ces sites, j’ai constaté que depuis un quart de siècle, les Alpilles ne sont plus ce qu’elles étaient au temps jadis. Des centaines d’hôtels, de restaurants, d’agences immobilières font la une de ce portail satanique. La culture de la terre est en crise, « ça eut payé, mais ça ne paie plus », disait Fernand Raynaud, les mas se transforment inexorablement en résidences secondaires que des nantis venus du nord colonisent à prixfort.

Malgré ce constat, hélas réaliste, je ne vais pas chercher midi à quatorze heures, celle de la sieste ou du bronzage au bord de la piscine olympique ! Mon canevas est trouvé, je vais, malgré tout, écrire sur la ruralité, sur cette terre prospère plantée de milliers d’oliviers, de milliers de fruitiers, de milliers de sarments, produisant des milliers de champs cultivés. Je vais narrer des souvenirs, des anecdotes, des contes que l’on colporte de ville en village. Je vais écrire sur la transition entre le siècle passé et le deuxième millénaire. Car depuis neuf ans, le « Festival des Alpilles » a acquis ses lettres de noblesse en invitant des artistes, des groupes musicaux du monde entier qui interprètent la « Musique de la Terre » tout autour du massif des Alpilles.

Cap sur Tarascon

Je suis né en Helvétie, dans une ferme située au bord de la « rivière » le Rhône, au lieu dit le « Vieux Rhône », peu avant qu’il plonge et se noie dans le lac Léman, non loin du célèbre Château de Chillon. Comment ne pas être fier de cette rivière qui dévale les vallées depuis le glacier du Saint-Gothard, à deux mille mètres d’altitude, sillonne le Valais, se faufile entre les vignes, arrose les terres de mon père lorsque le föhn, ce vent chaud, assèche ses prairies ?

À Genève, au bout du lac, le Rhône saute hors de l’eau tel un serpent de mer, passe la frontière à la barbe des gabelous et le fleuve - c’est ainsi qu’on l’appelle désormais - s’en va vers le sud jusqu’en Camargue, se jeter, se perdre à jamais dans lamer.

Dans mon enfance, au cours des soirées d’hiver au coin du feu qui crépitait dans l’âtre de la cuisine, ma grand-mère me lisait des contes, des légendes qui se déroulaient très loin vers le sud, à proximité des Alpilles. Elle m’a dit aussi que l’on m’avait appelé Olivier en souvenir d’un parent disparu, un grand-oncle qui avait émigré en Provence, ou peut-être plus loin, dans les colonies, de l’autre côté de cette mer qui engloutit notre Rhône dans ses flots. J’ai appris également que l’olivier est un arbre fruitier comme le sont chez nous le pommier, le poirier ou l’abricotier, que ses fruits, les olives, se récoltent à la fin de l’automne puis sont portés au moulin qui en extrait de l’huile vierge.

« L’huile d’olive », me dit-elle, « c’est l’or de la Provence que les Provençaux utilisent en cuisine comme chez nous le beurre du lait de nos vaches ! » J’étais tout de même étonné que l’on m’ait donné le nom d’un arbre que je ne connaissais pas, qui produit des fruits que j’ignorais…

J’ai découvert avec ravissement les contes d’un certain monsieur Daudet, écrits de son moulin à vent perché sur une colline. Chez nous, le moulin à blé est situé au bord du Rhône dont le courant actionne une grande roue à aubes, quel que soit le temps. L’histoire qui m’a passionné pardessus tout est celle de Tartarin de Tarascon qui a remonté ce Rhône mythique pour découvrir les Alpes. En Helvétie, il est arrivé mille aventures rocambolesques à ce personnage fantasque. Alors je me suis juré qu’une fois devenu grand, je me laisserais voguer le long du Rhône sur la barque de pêche de mon père, découvrir le pays de Tartarin et ses oliviers. Ce qui m’interpelle le plus, par analogie avec les Alpes, ce sont les Alpilles, un massif dont je ne connais pas la signification.

Maintenant que j’ai atteint mes 19 ans, je décide que le moment est venu d’accomplir cette expédition. J’ai compris qu’il est difficile de descendre le Rhône avec une embarcation. Passe encore la traversée du lac Léman, me disent mes compatriotes, mais au-delà, le fleuve n’est pas navigable jusqu’à Lyon, à moins de naviguer à bord d’un kayak. Je ne vais tout de même pas m’identifier à un Indien des Amériques dans la descente du Potomac ! Inconscient et téméraire, j’ai, ces derniers jours, bricolé ma petite barque, la « Jeannette », j’ai dressé un mât de misère auquel j’ai accroché une bâche qui me servira de tente la nuit. Aujourd’hui, me voilà en route, vogue la galère !

Peu après Genève, voici qu’un mur en béton se dresse devant moi, me barrant la route. Le barrage hydraulique de Verbois coupe le Rhône en deux, m’obligeant à amarrer mon esquif à un ponton de fortune. Je vois s’approcher un homme à l’air sympathique, un géant occupé à ouvrir ou à fermer les vannes du monstre, réguler le débit de l’eau actionnant les turbines de ce moulin gigantesque.

–Je m’appelle Denis, me dit-il. Nous avons ce qu’il faut, on va te sortir de là, hisser ton bateau sur une remorque, le remettre à l’eau de l’autre côté, après les tourbillons de la chute. Monte au village, va chez Fernand le viticulteur, il a des chambres en location et un petit blanc sec, le « Russin » ! C’est l’époque des « effeuilles » de la vigne, je reste trois jours à aider monhôte.

Denis Forestier, dit le grand Sapin, m’explique qu’à quelques lieues de là, deux autres barrages situés en France sont munis, l’un d’un déversoir, l’autre d’un toboggan !

Plus j’avance, plus le fleuve devient large, grossi par ses affluents, torturé par des remous qui maintes fois manquent me jeter par-dessus bord, m’engloutir dans son eau boueuse. Depuis Montélimar, le mistral souffle parfois si fort qu’il est tout près de me retourner comme une crêpe. Je ne vous conterai pas le bon mois de navigation bringuebalante qu’il m’a fallu vivre, enfin atteindre les rives de Tarascon !

De loin, à bâbord, - un langage de marin - j’aperçois une imposante bâtisse de pierres qui grossit à vue d’œil, devenir un château médiéval qui, comme celui de Chillon, est planté sur un rocher à fleur d’eau. Je ne suis pas très doué en histoire, cependant j’ai appris que le bon Roy René, le souverain de Provence, y a séjourné.

Ces deux forteresses, cependant, sont dissemblables d’aspect : à la rondeur de celle de Tarascon, façonnée de pierres calcaires de Tarascon et de Fontvieille, s’oppose l’âpreté de celle de Chillon, construction anguleuse, granitique surmontée de toits pentus semblables à des rochers. Toutes deux ont tour à tour servi de résidence seigneuriale, l’une aux comtes de Provence, l’autre aux comtes de Savoie, chacune pourvue d’un logis pour sa garnison, de sa prison, de ses oubliettes.

On dit à tort que le château de Tarascon est l’œuvre du Roy René alors qu’en réalité, il n’a fait que terminer les aménagements intérieurs d’une construction commencée cinquante ans auparavant par son père, Louis II d’Anjou ! Si sa mémoire est aussi vive dans le cœur des Tarasconnais, c’est sans doute parce qu’il a remis au goût du jour le rite antique des Fêtes de la Tarasque, créé l’Ordre des Tarascaïres. À tout seigneur, tout honneur !

Une fois débarqué avec armes et bagages, je trouve refuge au Mas du Sauveur, à la sortie de la ville, sur la route de Vallabrègues. Le père Honoré, un cultivateur truculent, m’accueille, m’engage aussitôt à la récolte des melons contre le gîte, le couvert et quelques pièces. J’entends enfin, de vive voix, l’accent provençal d’un Fernandel, alias Don Camillo, ou d’un Raimu dans les films de Pagnol.

–Je connais ton pays, me dit-il. Vers la fin de la dernière guerre, ma compagnie, fuyant l’armée allemande, s’est présentée à la frontière du côté du Jura. On nous a désarmés, habillés de vêtements civils, placés en tant que réfugiés chez des agriculteurs aux fins de remplacer les appelés helvétiques postés aux frontières.

Il me prête sa bicyclette afin de me rendre à la ville où je découvre les ruelles, les bâtisses anciennes de Tarascon, le marché de Provence sur le cours Aristide Briand. Arrivé le dernier week-end de juin, j’ai le plaisir d’assister aux fêtes de la Tarasque. Ce monstre marin aurait bien pu m’envoyer au fond du Rhône si Sainte-Marthe n’avait pas délivré le pays de ce cruel dragon.

À l’occasion de cette manifestation burlesque, je fais enfin la connaissance de Tartarin, de ses acolytes qui paradent sur la place. Ce personnage rubicond à la petite barbiche noire me semble tout droit sorti du roman de Daudet ! Il se vante de ses exploits en Afrique après une héroïque chasse au lion. Son fusil fume encore… sans doute d’une cartouche à blanc qu’il vient de tirer, manière d’ameuter la foule des badauds. À entendre le sosie du célèbre héros narrer ses épopées exotiques au cœur de l’Atlas, la réalité semble dépasser la fiction !

Depuis quelques décennies, Tartarin est de toutes les fêtes tarasconnaises alors qu’à la publication du livre, en 1872, les habitants furent indignés qu’un des leurs fût tourné en ridicule par Daudet. Car pour écrire cette histoire farfelue, il s’est inspiré de son cousin, Henri Reynaud, le chef des chasseurs de casquettes. Avec les fines cartouches du pays, il battait la campagne environnante, faute de lapins, ces gais lurons lançaient leur casquette en l’air, tiraient au vol ! Il n’y a pas de fumée sans feu, le cousin Reynaud devait être lui aussi un joyeux drille.

Tel un flibustier en goguette, Tartarin m’aborde de toute sa hauteur et me crie :

Encore une histoire imaginaire à la Daudet, me suis-je dit. Eh bien non, durant une nuit sans lune, je me suis rassasié de Country Music, des groupes se succédant à d’autres musiciens venus de la lointaine Amérique dans un délire de décibels, de guitares, de violons, de banjos, de contrebasses, de washboard ! Mes tympans en résonnent encore. Demain, le chant métallique des cigales me rappellera que je suis en Provence !

Bien qu’il sache que j’ai débarqué dans le but de parcourir le massif des Alpilles, le bon père Honoré essaie de me retenir au domaine durant tout l’été. Cependant, il me faut partir, rejoindre Fontvieille puis, du village d’Alphonse Daudet, prendre le train à vapeur qui sillonne le sud du massif jusqu’à Salon-de-Provence.

–Que me dis-tu là, mon garçon ? Il y a bien longtemps que la ligne ferroviaire n’existe plus, ils l’ont démontée dans les années cinquante, ne conservant qu’un tronçon de Fontvieille à Arles. Chut ! c’est presque top secret, objectif militaire : il paraît que la Marine l’utilise pour venir enfouir sa mitraille, sa poudre, ses obus dans les entrailles d’une ancienne carrière. En été, des amoureux du rail mettent en service un petit train touristique. Ta carte d’État-major date du 19e siècle… je vais t’en donner une récente.

–Alors là, mon brave Honoré, cela me pose problème : comment vais-je poursuivre mon voyage ?

–À pied, comme au temps jadis, tes jambes sont encore jeunes ! J’ai une idée, tu prendras mon âne, Pomme, c’est un Gris de Provence, une race rustique, docile, le pied solide pour cheminer le long des « drailles ». On le reconnaît à la croix de Saint-André noire qu’il porte sur ledos.

J’ai la larme à l’œil, lui aussi lorsqu’il me serre dans ses bras au moment où je prends le chemin de Fontvieille avec mon âne bâté, sanglé d’une sorte de double couffin pouvant supporter, de chaque côté, une banaste d’osier. Pomme me prend vite en sympathie, trottinant d’un bon pas à mes côtés. Aux abords d’un verger de pommiers, il me tire sur le côté, tenté de goûter au fruit défendu ! Il est bien élevé, ce bourricot gourmand, il ne mâchonne que les pommes tombées.

Sur le chemin de Fontvieille

Je zigzague à travers une plaine aussi plate qu’un aérodrome, prenant des chemins de terre qui séparent des plantations de salades, courgettes, tomates, des champs cultivés bornés, au loin, par un semblant de collines et de rochers.

Sur la droite, sur un monticule entouré de rizières, j’aperçois une énorme bâtisse plantée au milieu de rien, entourée de quelques arbres épars. Est-ce une forteresse ou plutôt un monastère froid, lugubre, qui ne donne aucun signe de vie, peut-être un couvent abandonné depuis des siècles par je ne sais quelle congrégation ? Un ouvrier agricole m’apprend qu’il s’agit de l’abbaye de Montmajour construite sur une île, au 10e siècle, par des moines bénédictins. Ma boussole, positionnée sur la carte du père Honoré, m’indique que je dois prendre la direction nord-est pour rejoindre le village d’Alphonse Daudet.

On s’arrête, on casse la croûte avec Pomme dans le parc des Cordes où ont été creusés des hypogées, des sépultures souterraines qui datent de 4000 ans. Il me remercie de l’avoir débâté, de lui frotter le dos avec un bouchon de paille. En une matinée, nous sommes devenus de vieux complices ; à quelques mois près, nous avons le même âge. Cheminant vers Fontvieille, il me fait des confidences… Son patron Honoré l’attelle une fois l’an à la fête des vanniers à Vallabrègues. Il charge la charrette de dizaines de banastes, de corbeilles, de paniers de toutes formes qu’il a confectionnés durant l’hiver avec de l’osier, des rameaux souples qu’il coupe le long du Rhône. Pomme me dit d’un air mélancolique :

–Olivier, nous sommes tous deux du même âge, pourtant dans la famille des ânes, je suis un vieux que l’on ménage, qu’on laisse pâturer à longueur de journée. Ce n’est plus l’époque, hélas, où je fréquentais les jeunes ânesses du pays. Quelle chance tu as d’avoir toute la vie devant toi, de pouvoir séduire les belles Arlésiennes ! Il me semble que je rajeunis en trottant avectoi.

Arrivé aux environs du bourg, je cherche à gauche, à droite, sans apercevoir ce célèbre Moulin qui m’a fait rêver durant mon enfance. Je pénètre dans la cour d’une ferme où sont rassemblés des chevaux Camargue.

C’est une vision totalement inconnue, irréelle de découvrir en chair et en os les fils, plutôt les petits-fils ou les cousins de « Crin-Blanc », le héros du film d’Albert Lamorisse que j’ai vu au ciné-club. Je rencontre les éleveurs de cette race rustique, sauvage, à la robe blanche, grise ou mouchetée. Quelques rares mulets, deux, trois ânes font pâle figure à côté des fiers chevaux Camargue.

L’un de ces hommes medit :

–D’où viens-tu ? De Suisse, sans doute, d’après le fanion rouge à croix blanche fixé sur le bât de ton bourricot. Ton âne, il est d’ici, je le reconnais, c’est Pomme, l’étalon de mon voisin Honoré. Mon garçon, vois-tu cette ânesse et son ânon ? C’est la fille et le petit-fils de Pomme !

Je reste bouche bée ; en une seconde j’ai fait connaissance avec la progéniture de Pomme qui, ne restant pas impassible à cette rencontre fortuite, se met à renifler la croupe de sa fille. Le lien du sang, pardi !

–Tiens, mon garçon, voici le fanion de Provence, fixe-le à côté du tien, il t’ouvrira toutes les portes des gens d’ici.

Non sans fierté, je hisse les couleurs or et sang, geste que Pomme approuve d’un signe de tête de haut enbas.

À cet instant, je me sens déjà un peu Provençal dans l’âme. Je caresse la longue crinière d’une pouliche d’un blanc grisonnant. J’admire à ses côtés son poulain revêtu d’un pelage laineux gris souris, virant sur le beige. Une dame, la propriétaire intriguée par mon intérêt pour ses chevaux, s’approche et m’explique qu’en vieillissant sa robe deviendra identique à celle de sa mère. Je lui apprends la raison de ma présence à Fontvieille, mon désir de voir le moulin de Daudet. De bonne grâce, elle m’oriente :

–Il est caché par les pins sur cette colline pierreuse que l’on aperçoit au-dessus de la place principale, au centre du village.

Je m’engage aussitôt en direction de ce moulin légendaire. Après quelques minutes de route, je vois le soleil décliner à l’horizon, illuminer ce semblant de tour surmontée d’un chapeau de tôle brune. Pas un brin de vent qui actionne les ailes du moulin. D’ailleurs, me dit-on, de mémoire d’homme, on ne les a jamais vues tourner. À mon grand désarroi, le moulin de mon enfance est devenu un site que visitent les touristes ! J’apprends également que ce n’est pas le « vrai » Moulin où Alphonse Daudet a écrit ses Lettres, si tant est qu’il les ait écrites dans un moulin !

Son inauguration et celle des nouvelles arènes, en 1935, ont donné lieu à de grandes fêtes en présence du ministre socialiste Edouard Herriot. Afin d’éviter un incident diplomatique… le fils d’Alphonse, Léon Daudet, député royaliste, s’est tenu à l’écart des manifestations officielles !

J’ai tout de même la confirmation par le gardien que le moulin où le poète aurait écrit ses contes a bien existé, mais ailleurs, au-dessus du domaine de Montauban.Voué en partie à la pioche des démolisseurs qui prélevaient les pierres servant à construire leurs demeures, destin de la plupart des moulins de Provence, dès lors que les machines à vapeur puis à l’électricité prenaient le relais. À cette époque, on n’avait cure de la notion de protection du patrimoine !

De retour à la ferme, Joëlle, la dame à la pouliche blanche, me propose de faire halte dans son mas pour la nuit afin que Pomme puisse gambader dans sa prairie en compagnie de ses chevaux Camargue et de son âne Galopin. J’accepte son offre avec reconnaissance. Nous donc voilà en route vers le Mas du Soleil.

Apprenant que j’adresse chaque quinzaine ma chronique de voyage au journal : « le Nouvelliste du Rhône » qui paraît dans le canton du Valais, Joëlle m’avoue qu’elle aussi écrit. Elle me lit alors quelques pages de son roman : « Terres Alpilles » décrivant sa passion des chevaux et de la Provence.

Je suis assez fier qu’un journal m’accorde sa confiance et publie le récit de mes pérégrinations dans les Alpilles. Ce n’est pourtant pas le bout du monde chez les Helvètes, je ne progresse pas en Terra Incognita ! Le jour de mon départ à bord de mon frêle esquif, on a sans doute voulu m’encourager, j’ai fait la une du quotidien !

Le lendemain, le maire de Fontvieille a l’amabilité de me recevoir. Il se fait un plaisir de me parler de la gloire locale, Alphonse Daudet :

–Lors de ses séjours au village, peu avant son décès en 1897, l’écrivain résidait au château de Montauban dont le propriétaire était un cousin de l’écrivain. Daudet cite cette superbe bâtisse en ces termes : « Maison bénie, que de fois je suis venu là, me reprendre à la nature, me guérir de Paris et de ses fièvres » . Ce château a ceci de particulier qu’il s’agit d’une construction à l’italienne adaptée à l’ancien mas des Ambroy. C’est peu de dire qu’il faisait appel à son imagination fertile afin de concevoir ses contes, ses légendes, même parler de sa vie. Raison pour laquelle les historiens ne sont pas tous d’accord sur la réalité des faits. Personnellement, je suis convaincu qu’il a puisé son inspiration dans la région, qu’il a noté quelques traits sur place. Peut-être a-t-il rédigé ses célèbres Lettres de mon Moulin



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