La biosphère - Vladimir Vernadsky - E-Book

La biosphère E-Book

Vladimir Vernadsky

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Beschreibung

La face de la Terre, son image dans le Cosmos, perçue du dehors, du lointain des espaces célestes infinis, nous paraît unique, spécifique, distincte des images de tous les autres corps célestes.

La face de la Terre révèle la surface de notre planète, sa biosphère, ses régions externes, régions qui la séparent du milieu cosmique. Cette face terrestre devient visible grâce aux rayons lumineux des astres célestes qui la pénètrent, du Soleil en premier lieu. Elle reçoit de tous les points des espaces célestes un nombre infini de rayonnements divers, dont les rayonnements lumineux visibles pour nous ne forment qu’une part insignifiante...

La biosphère est la région unique de l’écorce terrestre occupée par la vie. Ce n’est que dans La biosphère, mince couche extérieure de notre planète, que la vie est concentrée ; tous les organismes s’y trouvent et y sont toujours séparés de la matière brute ambiante par une limite nette et infranchissable. Jamais organisme vivant n’a été engendré par de la matière brute. Lors de sa mort, de sa vie et de sa destruction, l’organisme restitue à La biosphère ses atomes et les lui reprend incessamment, mais la matière vivante pénétrée de vie puise toujours sa genèse au sein de la vie elle-même.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Vladimir Vernadski naît en mars 1863 à Saint-Pétersbourg, dans l'Empire russe, au sein d'une famille d'origine russe et ukrainienne. Son père, descendant de cosaques ukrainiens, fut professeur d'économie politique à Kiev puis à Saint-Pétersbourg, et sa mère venait d'une famille noble russe (Vernadski se considérait lui-même comme russe et ukrainien, et avait quelques notions d'ukrainien).

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La Biosphère

La Biosphère

Première partie

LA BIOSPHÈRE DANS LE COSMOS

1. — La biosphère dans le milieu cosmique.

La face de la Terre, son image dans le Cosmos, perçue du dehors, du lointain des espaces célestes infinis, nous paraît unique, spécifique, distincte des images de tous les autres corps célestes.

La face de la Terre révèle la surface de notre planète, sa biosphère, ses régions externes, régions qui la séparent du milieu cosmique. Cette face terrestre devient visible grâce aux rayons lumineux des astres célestes qui la pénètrent, du Soleil en premier lieu. Elle reçoit de tous les points des espaces célestes un nombre infini de rayonnements divers, dont les rayonnements lumineux visibles pour nous ne forment qu’une part insignifiante. Nous ne connaissons jusqu’à présent qu’un petit nombre des rayonnements invisibles. Nous commençons à peine à nous rendre compte de leur variété, à comprendre combien nos représentations du monde de ces rayonnements qui nous environnent, nous pénètrent dans la biosphère, sont défectueuses et incomplètes, à nous rendre compte de leur importance fondamentale dans les processus ambiants, importance presque insaisissable pour notre esprit habitué à d’autres tableaux de l’Univers.

Non seulement la biosphère, mais tout espace pouvant être embrassé par la pensée et lui étant accessible, est pénétré par les rayonnements de ce milieu immatériel. Ces rayonnements, dont les ondes varient entre des dix millionièmes de millimètre et des longueurs exprimées en kilomètres, se propagent autour de nous, en dedans de nous, incessamment, partout et en tout lieu, ils s’entre-choquent, se succèdent, se rencontrent.

Tout l’espace en est rempli. Il est difficile et peut-être impossible de nous faire de ce milieu une image nette, milieu cosmique de l’Univers, dans lequel nous vivons, et où nous apprenons en perfectionnant nos méthodes d’investigation, à distinguer et à mesurer au même endroit et à un même instant des rayonnements toujours nouveaux.

L’alternance perpétuelle de ces rayonnements qui remplissent l’espace distingue nettement ce milieu cosmique dénué de matière, de l’espace idéal de la géométrie.

Ce sont des rayonnements de divers ordres. Ils révèlent les changements du milieu et la présence de corps matériels qui se trouvent dans ce milieu. Une partie de ces rayonnements se manifestent sous forme d’énergie, par la transmission des états. Mais, à côté de ces rayonnements un autre rayonnement s’effectue dans le même espace cosmique, qui se propage souvent, avec une vitesse du même ordre, rayonnement des particules qui se meuvent rapidement et dont les plus étudiées, outre les particules matérielles, sont les électrons, atomes d’électricité, éléments constitutifs de la matière et de l’atome.

Ce sont deux faces du même phénomène ; il existe des transitions. La transmission des états, c’est la manifestation du mouvement des ensembles, quanta, électrons, charges. Le mouvement de leurs éléments séparés est déterminé par leurs ensembles ; ils peuvent par eux-mêmes rester sur place.

Le rayonnement des particules est la manifestation de la transmission des éléments séparés des ensembles. Ces particules ainsi que les rayonnements déterminés par la transmission des états peuvent passer à travers les corps matériels qui bâtissent l’Univers, Ces particules mobiles peuvent devenir des sources de modification des phénomènes que nous observons dans le milieu où ils pénètrent, sources de modifications aussi puissantes que les formes d’énergie.

2. — Nos connaissances à ce sujet laissent beaucoup à désirer, et nous pouvons pour le moment, ne pas tenir compte du rayonnement des particules dans le domaine des phénomènes géochimiques de la biosphère.

Mais nous devons, dans toutes nos constructions, prendre toujours, en considération les rayonnements des transmissions des états que nous considérons comme des formes d’énergie. Suivant la forme des rayonnements, en particulier suivant la longueur de leurs ondes, ces rayonnements se manifesteront soit comme lumière, soit comme chaleur ou électricité, et transformeront de diverses façons le milieu matériel, notre planète et les corps dont elle est composée.

En prenant l’étude de la longueur de l’onde pour point de départ on découvre une immense région de ces rayonnements. Cette région embrasse actuellement quelque 40 octaves. Nous pouvons nous faire une exacte idée de ce nombre en remarquant que la partie visible du spectre solaire ne forme qu’une seule octave.

Il est évident que cette conception ne permet pas encore d’embrasser l’univers entier, de connaître toutes ces octaves. Mais par la marche de la création scientifique, la région des rayonnements devient toujours plus étendue. Or, jusqu’à présent, seul un petit nombre de ces 40 octaves, dont l’existence est indubitable, a pénétré notre pensée, nos représentations scientifiques habituelles du Cosmos.

Les rayonnements cosmiques interceptés par notre planète (qui, nous le verrons, créent sa biosphère), ne correspondent qu’à 4 octaves 1/2 des 40 octaves connues. L’absence des autres octaves dans l’espace mondial paraît absolument improbable ; nous la considérons comme illusoire et l’expliquons par l’absorption des rayonnements dans le milieu matériel raréfié des hautes régions de l’atmosphère terrestre.

On distingue pour les rayonnements cosmiques les plus connus, ceux du Soleil, une octave de rayonnements lumineux, 3 octaves de rayonnements thermiques et une demi-octave de rayonnements ultra-violets. Il paraît indubitable que cette dernière demi-octave est un petit reste des rayonnements non retenus par la stratosphère.

3. — Les rayonnements cosmiques déversent éternellement sur la face de la Terre un puissant courant de forces, qui prête un caractère complètement nouveau et particulier aux parties de la planète qui confinent à l’espace cosmique.

La structure de la biosphère reçoit par suite de ces rayonnements cosmiques, des propriétés nouvelles, singulières, inconnues pour la matière terrestre. La face de la Terre qui lui correspond dans le milieu cosmique y révèle un tableau nouveau de la surface terrestre, surface transformée par les forces cosmiques.

La matière de la biosphère pénétrée de l’énergie communiquée, devient active : elle amasse et distribue dans la biosphère l’énergie reçue sous forme de rayonnements, et finit par la transformer en énergie libre, capable d’effectuer du travail dans le milieu terrestre.

Ainsi, cette couche terrestre extérieure ne doit pas être considérée comme le domaine de la matière seule ; c’est une région d’énergie, une source de la transformation de la planète par des forces cosmiques extérieures.

Ces forces transforment la face de la Terre ; dans une large mesure elles la moulent. Cette face n’est pas seulement le reflet de notre planète, la manifestation de sa matière et de son énergie : elle est en même temps une création des forces extérieures du Cosmos.

En raison de ce fait, l’histoire de la biosphère, se distingue nettement de celle des autres parties de la planète et son rôle dans le mécanisme de celle-ci est absolument exceptionnel.

La biosphère est tout autant (sinon davantage) la création du Soleil que la manifestation de processus terrestres. Les intuitions religieuses antiques de l’humanité qui considéraient les créatures terrestres, en particulier les hommes, comme des enfants du soleil étaient bien plus proches de la vérité que ne le pensent ceux qui voient seulement dans les êtres terrestres la création éphémère, le jeu aveugle et accidentel de la modification de la matière et des forces terrestres.

Les créatures terrestres sont le fruit d’un processus cosmique long et compliqué, et forment une partie nécessaire, soumise à des lois déterminées, d’un mécanisme cosmique harmonieux dans lequel, nous le savons, il n’existe pas de hasard.

4. — C’est la conclusion à laquelle nous amènent aussi nos représentations de la matière, dont la biosphère est construite, représentations qui, ces dernières années, se modifient profondément. En les prenant pour base nous sommes obligés d’y voir la manifestation du mécanisme cosmique.

Ce n’est nullement là une conséquence du fait, qu’une partie de la matière de la biosphère, peut-être la plus grande, d’origine non terrestre y ait pénétrée du dehors, des espaces cosmiques. Car cette matière étrangère, poussière cosmique et météorites, est impossible à distinguer dans sa structure interne, de celle de la matière terrestre.

Le caractère imprévu de la matière terrestre, que nous commençons à découvrir, demeure en beaucoup de points obscur et incompréhensible. Nous n’en avons pas encore de notion nette et entière ; cependant nos notions subissent à ce sujet de si grandes transformations et bouleversent tellement toute notre compréhension des phénomènes géologiques qu’il est absolument nécessaire de nous y arrêter, en abordant ce domaine des phénomènes terrestres.

Il est certain que l’identité de structure de la matière cosmique qui parvient jusqu’à nous, avec celle de la terre, n’est pas réduite aux limites de la biosphère, mince couche extérieure de la planète. Cette structure est identique dans toute l’écorce terrestre, dans l’enveloppe de la lithosphère, dont l’épaisseur atteint 60 kilomètres, et dont la partie supérieure — la biosphère — se confond avec elle d’une façon indissoluble et graduelle.

Il est certain que la matière des parties plus profondes de la planète se distingue aussi par le même caractère, bien que sa composition chimique soit différente. Elle ne semble cependant jamais pénétrer en masses tant soit peu considérables jusqu’à l’écorce terrestre. C’est pourquoi on peut la négliger en étudiant les phénomènes observés dans la biosphère.

5. — On a longtemps considéré comme un fait indubitable que la composition chimique de l’écorce terrestre était déterminée par des causes purement géologiques, qu’elle était le résultat de l’action réciproque de nombreux et divers phénomènes géologiques, les uns grandioses, les autres insignifiants.

On cherchait à expliquer cette composition par l’action réunie des phénomènes géologiques que nous observons encore actuellement dans le milieu ambiant, par l’action chimique et dissolvante des eaux, de l’atmosphère, des organismes, des éruptions volcaniques, etc. L’écorce terrestre paraissait devoir sa composition chimique actuelle, quantitative et qualitative, à l’action réunie de processus géologiques immuables durant tous les temps géologiques, jointe à l’immuabilité des propriétés des éléments chimiques dans tout le cours de ces temps.

Une telle explication présentait de nombreuses difficultés ; en même temps qu’elle, se répandaient des idées plus compliquées encore de modifications imprimées à la composition de l’écorce à travers ces mêmes temps par divers phénomènes géologiques. On tenta de considérer cette composition comme un reste des anciennes périodes de l’histoire de la Terre, dissemblables de celles d’aujourd’hui ; on commença à tenir l’écorce terrestre pour une scorie transformée de la masse jadis fondue de notre planète, scorie formée à la surface terrestre conformément aux lois de la distribution des éléments chimiques auxquelles ces masses fondues sont soumises, quand elles commencent à se consolider par suite de la baisse de la température. Pour expliquer la prédominance d’éléments chimiques comparativement légers dans l’écorce, on se référait à ces périodes encore plus anciennes de l’histoire de la Terre, antérieures à la formation de l’écorce terrestre, aux périodes cosmiques, et on estimait qu’à ce temps de la formation de la masse fondue de la Terre, issue d’une nébuleuse, les éléments chimiques plus lourds s’amassaient près du centre.

Dans toutes ces représentations, on rattache la composition de l’écorce terrestre à des phénomènes géologiques. Les éléments chimiques y prennent part par leurs propriétés chimiques lorsqu’ils peuvent donner des composés ; par leur poids atomique à des températures élevées lorsque tous les composés deviennent instables.

6. — On commence à établir actuellement des lois concernant la composition chimique de l’écorce terrestre qui sont en contradiction flagrante avec ces explications. En même temps l’aperçu général de la composition chimique de tous les autres astres découvre une complexité, une diversité et une régularité de cette composition dont on ne se doutait même pas jadis.

Nous trouvons dans la composition de notre planète, de l’écorce terrestre en particulier, des indications sur l’existence de phénomènes qui dépassent de beaucoup ses limites. Pour les saisir, il faut s’éloigner du domaine des phénomènes terrestres, même planétaires, et diriger nos regards sur la composition de toute la matière cosmique, sur ses atomes, sur leur modification dans les processus cosmiques. Diverses indications, à peine effleurées par la pensée théorique, s’accumulent rapidement dans cette région de l’esprit. On ne fait que commencer à se rendre compte de leur importance. Il n’est pas toujours possible de les formuler avec netteté et précision, et l’on n’en tire habituellement pas les déductions qu’elles comportent.

Mais on ne saurait méconnaître l’immense importance de ces phénomènes. Il faut apprécier les conséquences inattendues découlant de ces nouveaux faits. Nous pouvons dès maintenant nous arrêter sur trois ordres de ces phénomènes : 1o la situation particulière que les éléments chimiques de l’écorce terrestre occupent dans le système périodique de Mendeleeff ; 2o leur complexité ; 3o le manque d’uniformité de leur distribution.

Ainsi, tout d’abord, les éléments chimiques qui correspondent aux nombres atomiques pairs, dominent nettement dans la matière de l’écorce terrestre (M. Oddo, 1914). Nous ne pouvons expliquer ce phénomène par des causes géologiques connues. En outre, il est de suite devenu clair que le même phénomène est exprimé plus nettement encore, pour les seuls corps cosmiques étrangers à la Terre accessibles à une étude scientifique immédiate, les météorites (M. Harkins, 1917).

Les deux autres ordres de faits sont peut-être plus obscurs encore. Les efforts accomplis pour les expliquer par des phénomènes géologiques (J. Thomson, 1921) sont en contradiction avec les faits établis. Nous ne pouvons comprendre l’immuable complexité des éléments chimiques terrestres, les relations déterminées et constantes qui existent en plus de la quantité des isotopes qui en font partie. L’étude des isotopes dans les éléments chimiques des météorites a démontré l’identité de leur mélange dans ces corps, corps absolument différents de ceux de la Terre par leur histoire et leur situation dans le Cosmos.

L’impossibilité d’expliquer la composition de l’écorce terrestre et de notre planète, composition soumise à des lois fixes, par des phénomènes géologiques, par les stades cosmiques de son histoire, ainsi qu’on l’avait cru jadis, devint évidente. Ces phénomènes n’expliquent ni la ressemblance de ces parties plus profondes avec la composition des météorites, ni la prédominance relative qu’on y observe d’éléments chimiques plus légers et de fer comparativement lourd en même temps. L’hypothèse que les éléments se distribueraient selon leur poids — les plus lourds étant plus près du centre, lors de la formation de la Terre à partir de la nébuleuse — ne correspond pas aux faits. Ce n’est pas dans les phénomènes géologiques ou chimiques seuls, ce n’est pas dans l’histoire de la Terre seule, que doit être cherchée cette explication.

Les racines du phénomène sont plus profondes : il faut les chercher dans l’histoire du Cosmos, peut-être dans la structure des éléments chimiques.

Cette manière de voir vient d’être confirmée d’une façon nouvelle et inattendue par la découverte de l’analogie de composition des parties extérieures de la Terre (c’est-à-dire de l’écorce terrestre) et de celle du Soleil et des étoiles. Déjà, en 1914, M. Russel avait noté la ressemblance de composition de l’écorce terrestre et du Soleil (c’est-à-dire de ses parties extérieures, accessibles à notre étude). Ces rapports se manifestent d’une façon encore plus marquée dans les derniers travaux sur le spectre des étoiles. Les recherches de Mlle C. Payne (1925) donnent le tableau suivant de la succession des éléments chimiques stellaires en ordre décroissant :

Si — Na — Mg — Al — C — Ca — Fe (plus de 1 pour 100 ; première décade) ;

Zn — T — Mn — Cr — K (plus de 0,1 pour 100 ; seconde décade).

Une ressemblance nette s’y manifeste avec la succession, soumise au même ordre, des éléments chimiques de l’écorce terrestre :

O, Si, Al, Fe, Ca, Na, K, Mg.

Ces travaux sont les premiers résultats obtenus dans un nouveau domaine étendu de phénomènes, mais nous ne pouvons dorénavant fermer les yeux et ignorer le fait, que ces premiers résultats accentuent plus nettement encore la ressemblance observée dans la composition des couches extérieures de corps célestes profondément différents, la Terre, le Soleil, les étoiles.

Les parties extérieures des corps célestes se trouvent en rapports immédiats avec le milieu cosmique et exercent par leur rayonnement une action réciproque les uns sur les autres.

On doit peut-être chercher l’explication de ce phénomène dans l’échange matériel qui se produit entre ces corps et qui semble exister dans le Cosmos.

Les parties plus profondes des corps cosmiques paraissent offrir un autre tableau. La composition des météorites et des masses internes de la Terre se distingue nettement de celle des enveloppes terrestres extérieures.

7. — Ainsi notre représentation de la composition de notre planète et en particulier de la composition de l’écorce terrestre et de son enveloppe extérieure, la biosphère, subit un changement brusque. Nous commençons à y percevoir, non pas un phénomène planétaire ou terrestre seul, mais la manifestation de la structure des atomes et de leur situation dans le Cosmos, de leur évolution à travers l’histoire de ce dernier.

Si même nous ne pouvons expliquer ces phénomènes, nous avons trouvé le chemin pour y arriver ; nous avons ainsi atteint un nouveau domaine de phénomènes, différent de celui auquel nous nous sommes efforcés pendant si longtemps de rattacher la chimie terrestre.

Nous savons où nous devons chercher la solution du problème qui nous est posé et où cette recherche serait inutile. Notre compréhension des faits observés change d’une façon radicale.

C’est dans la pellicule supérieure superficielle de notre planète que nous devons chercher le reflet, non seulement de phénomènes géologiques isolés et accidentels, mais la manifestation de la structure du Cosmos, liée à la structure et à l’histoire des atomes, des éléments chimiques en général.

Les seuls phénomènes qui ont lieu dans la biosphère ne peuvent donner une représentation de cette dernière, si l’on ne tient pas compte du lien évident qui l’unit à la structure de tout le mécanisme cosmique.

Nous pouvons établir ce lien dans les faits nombreux de son histoire.

8. — La biosphère comme région de transformation de l’énergie cosmique. — La biosphère peut, de par son essence, être considérée comme une région de l’écorce terrestre, occupée par des transformateurs qui changent les rayonnements cosmiques en énergie terrestre active, énergie électrique, chimique, mécanique, thermique, etc. Les rayonnements cosmiques qui jaillissent de tous les astres célestes embrassent la biosphère, la pénètrent toute, ainsi que tout ce qui se trouve en elle. Nous ne saisissons et ne percevons qu’une partie insignifiante de ces rayonnements, et, parmi ces derniers, presque exclusivement les rayons solaires.

Mais l’existence d’ondes qui parcourent d’autres voies, qui prennent naissance dans les espaces les plus éloignés du Cosmos est indubitable. Ces ondes pénètrent notre planète. Les étoiles et les nébuleuses émettent continuellement des rayonnements spécifiques. Tout nous fait croire que les rayons pénétrants découverts par M. Hess dans les hautes régions de l’atmosphère, prennent leur origine au delà des limites du système solaire. On cherche cette origine dans la voie lactée, dans les nébuleuses, dans les étoiles du type de Mira Ceti.

L’évaluation de leur importance appartient à l’avenir. Il est toutefois certain que ce ne sont pas eux, mais les rayons du Soleil qui déterminent les traits principaux du mécanisme de la biosphère.

L’étude de l’action des radiations solaires sur les processus terrestres nous permet déjà d’envisager la biosphère en première approximation, d’une manière scientifiquement précise et profonde, comme un mécanisme à la fois terrestre et cosmique. Le Soleil a complètement transformé la face de la Terre, transpercé et pénétré la biosphère. Dans une large mesure, la biosphère est la manifestation de ses rayonnements ; c’est un mécanisme planétaire qui convertit ceux-ci en des formes nouvelles et variées d’énergie terrestre libre, énergie qui change entièrement l’histoire, ainsi que la destinée de notre planète.

Nous nous rendons déjà compte du rôle important que jouent dans la biosphère les courtes ondes ultra-violettes de la radiation solaire, ainsi que du rôle des longues ondes rouges thermiques et des ondes intermédiaires du spectre lumineux visible. Nous pouvons déjà d’autre part, dégager dans la structure de la biosphère les parties qui remplissent le rôle de transformateurs vis-à-vis de ces trois systèmes distincts de vibrations solaires.

Ce n’est que peu à peu, et difficilement, que notre esprit commence à dominer le mécanisme de la transformation de l’énergie solaire en forces terrestres dans la biosphère. Les phénomènes par lesquels ce mécanisme se manifeste et que nous sommes habitués à considérer sous un autre aspect, sont dissimulés à nos yeux par la variété infinie de couleurs, de formes, de mouvements propres à la nature, dont nous-mêmes formons, par notre vie, une partie intégrante.

Il a fallu des milliers de siècles pour que la pensée de l’homme ait pu dégager les lignes d’un mécanisme unique et fini sous l’apparence chaotique du tableau de la nature.

9. — La transformation des trois systèmes des radiations solaires en énergie terrestre s’effectue en partie dans les mêmes régions de la biosphère, dont quelques-unes se font cependant remarquer par la prédominance des transformations d’une espèce de rayonnements déterminés. Les appareils de transformation sont toujours des corps naturels absolument distincts pour les ondes solaires ultra-violettes, lumineuses et thermiques.

Certains de ces courts rayonnements solaires ultra-violets sont entièrement absorbés, d’autres le sont en grande partie dans les régions raréfiées supérieures de l’enveloppe terrestre gazeuse — dans la stratosphère, et peut-être dans « l’atmosphère libre » encore plus haute et plus pauvre en atomes.

Cet arrêt des courtes ondes par l’atmosphère, cette « absorption », se trouve en rapport avec la transformation de leur énergie. Sous l’action des rayonnements ultra-violets, on observe dans ces hautes régions des changements dans les champs électro-magnétiques, des décompositions de molécules, divers phénomènes d’ionisation, des créations nouvelles de molécules gazeuses, de nouveaux composés chimiques. L’énergie rayonnante se transforme d’une part en diverses formes de manifestations électriques et magnétiques, d’autre part en de singuliers processus chimiques, moléculaires et atomiques, propres aux états gazeux raréfiés de la matière, processus qui se rattachent à cette énergie. Ces régions et ces corps se manifestent à nos regards sous l’aspect d’aurores boréales, de fulgurations, de lumière zodiacale, de lueurs de la voûte céleste, lueurs visibles seulement dans les nuits obscures, bien qu’elles forment l’éclairage principal du ciel nocturne ; sous forme de nuages lumineux et d’autres divers reflets de la stratosphère et des cadres extérieurs de la planète dans le tableau de notre monde terrestre visible. Nos instruments découvrent ce monde mystérieux de phénomènes, avec leur mouvement incessant et leur variété qui dépasse l’imagination, dans leurs reflets électriques, magnétiques, radioactifs, chimiques et spectroscopiques.

Ces phénomènes ne sont pas le résultat de la modification du milieu terrestre par les rayons ultra-violets solaires seuls. Nous devons ici tenir compte d’un processus plus compliqué. Toutes les formes de l’énergie radiante du Soleil, en dehors des quatre octaves et demie qui pénètrent la biosphère (§ 2), y sont « retenues », c’est-à-dire transformées en nouveaux phénomènes, déjà terrestres. Il est douteux que ces limites soient dépassées par les nouvelles sources d’énergie, c’est-à-dire par les torrents puissants des particules, les électrons perpétuellement émis par le Soleil, ainsi que par les particules matérielles, poussière cosmique et corps gazeux, attirés avec la même continuité par les forces de la gravitation terrestre.

Le rôle important que ces phénomènes jouent dans l’histoire de notre planète commence peu à peu à pénétrer dans la conscience générale. Ainsi leur importance est devenue indubitable pour une autre forme de transformation de l’énergie cosmique, la région de la matière vivante. Il existe des rayonnements absolument funestes pour la vie dans toutes ses manifestations. Les radiations dont la longueur correspond à l’intervalle 180-200 µµ, détruisent tous les organismes. Les ondes plus longues ou plus courtes sont inoffensives. La stratosphère retient intégralement les courtes ondes destructives, et de ce fait, protège les couches inférieures de la surface terrestre, région de la vie.

Il est très caractéristique que l’absorption principale de ces rayons est liée à l’ozone (écran ozoné), dont la formation est déterminée par l’existence de l’oxygène libre, produit de la vie.

10. — Tandis qu’on commence à peine à se rendre compte de l’importance de la transformation des rayons ultra-violets, le rôle de la chaleur solaire, principalement des rayonnements infrarouges, est depuis longtemps reconnu. Ce rôle attire surtout l’attention lorsqu’on étudie l’influence du Soleil sur les processus géologiques et même géochimiques. L’importance de la chaleur solaire radiante pour l’existence de la vie est claire et incontestable. La transformation de l’énergie thermique radiante du Soleil en énergie mécanique, moléculaire (évaporation, etc.), chimique, est également indubitable.

Nous pouvons observer ces transformations à chaque pas, elles ne demandent aucun commentaire, elles se manifestent dans la vie des organismes, dans le mouvement et l’activité des vents ou des courants marins, dans la vague marine et le ressac, dans la destruction des rochers et l’activité des glaciers, dans le mouvement des rivières et leur formation, et dans le travail colossal des dépôts de neige et de pluie.

On se rend habituellement moins compte du rôle d’accumulateur et de distributeur de la chaleur que jouent les parties liquides et gazeuses de la biosphère ; leur rôle dans la transformation de l’énergie radiante et thermique du Soleil. Ce travail est produit par l’atmosphère, l’océan, les lacs, les fleuves, les pluies et neiges. L’Océan mondial, en raison des propriétés thermiques de l’eau, propriétés spécifiques spéciales, probablement déterminées par le caractère des molécules, remplit le rôle de régulateur de chaleur, rôle important qui se fait sentir à chaque pas dans les phénomènes innombrables du climat et des saisons et des processus de la vie et de l’altération superficielle qui s’y rattachent.

L’Océan se réchauffe vite par suite de sa grande chaleur spécifique, mais ne restitue que lentement la chaleur accumulée en raison de sa faible conductibilité thermique. Il transforme la chaleur rayonnante absorbée, en énergie moléculaire par l’évaporation ; en énergie chimique par la matière vivante dont il est pénétré ; en énergie mécanique par ses brisants et ses courants marins. Le rôle thermique des fleuves, des météores, des masses aériennes, de leur réchauffement et de leur refroidissement est d’un ressort et d’une échelle analogues.

11. — Les rayons ultra-violets et infrarouges n’exercent qu’une action indirecte sur les processus chimiques de la biosphère. Ce n’est pas en eux que résident les sources essentielles de son énergie. C’est l’ensemble des organismes vivants de la Terre, la matière vivante, qui transforme l’énergie rayonnante du Soleil en énergie chimique de la biosphère (dans sa forme active). La matière vivante crée dans la biosphère, par la photosynthèse, par le rayon solaire, un nombre infini de nouveaux composés chimiques, des millions de différentes combinaisons d’atomes. La matière vivante recouvre incessamment la biosphère avec une vitesse inconcevable d’une épaisse couche de systèmes moléculaires nouveaux, donnant facilement de nouveaux composés, riches en énergie libre dans le champ thermodynamique de la biosphère ; ces composés sont instables et se convertissent sans cesse en nouvelles formes d’équilibre stable.

Ce mode de transformateurs est un mécanisme absolument particulier en comparaison des corps terrestres, champs de la transmutation des courtes et longues ondes de la radiation solaire. Nous expliquons la transformation des rayons ultra-violets par leur action sur la matière, sur les systèmes atomiques formés indépendamment des rayons ultra-violets ; en ce qui concerne les transformations des rayonnements thermiques, nous les rattachons aux constructions moléculaires, créées en dehors de leur influence immédiate. Mais la photosynthèse, telle qu’elle se fait connaître dans la biosphère, est liée à des mécanismes particuliers compliqués, créés par la photosynthèse elle-même. Cependant cette photosynthèse ne peut fonctionner que moyennant la manifestation et la transformation simultanées dans le milieu ambiant des rayonnements ultra-violets et infrarouges du Soleil en énergie terrestre active.

Les organismes vivants, mécanismes transformateurs d’énergie, sont des formations d’une espèce particulière nettement distinctes de tous les systèmes atomiques, ioniques ou moléculaires, qui bâtissent la matière de l’écorce terrestre hors de la biosphère, ainsi qu’une partie de la matière de la biosphère.

Les structures des organismes vivants sont analogues à celles de la matière brute, bien que plus compliquées. Mais en raison des changements que les organismes vivants effectuent dans les processus chimiques de la biosphère, on ne peut les considérer comme de simples ensembles de ces structures. Leur caractère énergétique, tel qu’il se manifeste dans leur multiplication, ne peut être comparé au point de vue géochimique aux structures inertes qui bâtissent la matière brute, ainsi que la matière vivante.

Le mécanisme de l’action chimique de la matière vivante nous est inconnu. Il semble cependant qu’on commence à se rendre compte du fait que la photosynthèse, au point de vue des phénomènes énergétiques, s’effectue dans la matière vivante non seulement en un milieu chimique particulier, mais aussi dans un champ thermodynamique particulier, distinct de celui de la biosphère. Les composés qui étaient stables dans le champ thermodynamique de la matière vivante, deviennent instables lorsqu’ils pénètrent, après la mort de l’organisme, dans le champ thermodynamique de la biosphère, où ils forment une source d’énergie libre{1}.

12. — Généralisation empirique et hypothèse. — Il semble qu’une telle compréhension des phénomènes énergétiques de la vie, en tant qu’ils se manifestent dans les processus géochimiques, donne une expression à peu près juste des faits observés. Mais on ne saurait l’affirmer en raison de l’état particulier de nos connaissances dans le domaine des sciences biologiques par comparaison avec celui des sciences relatives à la matière brute.

Nous savons qu’on a dû également renoncer, dans ces dernières sciences, aux anciennes idées de la biosphère et de la composition de l’écorce terrestre, considérées comme justes, pendant de longues générations ; on a dû rejeter les explications de nature purement géologique, longtemps dominantes.

Ce qu’on avait tenu pour logiquement et scientifiquement nécessaire était en fin de compte une illusion, et le phénomène est apparu sous un aspect inattendu pour tous.

Dans le domaine de l’étude de la vie, la situation est encore plus difficile, car il est douteux qu’il existe un autre domaine des sciences naturelles où les principes fondamentaux mêmes, fussent autant pénétrés de constructions philosophiques et religieuses, étrangères à la science par leur genèse même. Les recherches et les acquisitions de la philosophie et de la religion se font sentir à chaque pas dans nos idées sur l’organisme vivant. Tous les jugements des naturalistes les plus exacts ont au cours des siècles, subi dans ce domaine, l’influence de cet embrassement du Cosmos par des conceptions de la pensée humaine qui, d’une nature parfois étrangère à la science, n’en sont pas moins précieuses et profondes par leur essence. Une grande difficulté s’en est suivie de maintenir dans ce domaine de phénomènes les procédés d’investigation scientifique pratiqués dans les autres domaines.

13. — Les deux représentations dominantes de la vie, vitaliste et matérialiste, sont aussi les reflets d’idées philosophiques et religieuses de ce genre et non de déductions tirées de faits scientifiques. Ces deux représentations entravent l’étude des phénomènes vitaux, et troublent les généralisations empiriques.

Les représentations vitalistes donnent aux phénomènes vitaux des explications étrangères au monde des modèles sous la forme desquels nous élevons par généralisation scientifique l’édifice du Cosmos. Le caractère de ces représentations enlève leur portée créatrice dans le domaine scientifique, et les rend infructueuses. Les représentations matérialistes qui ne saisissent dans les organismes vivants qu’un simple jeu des forces physico-chimiques, ne sont pas moins funestes. Elles restreignent le domaine de la recherche scientifique en empiétant sur son résultat final ; en y introduisant la divination, elles obscurcissent la compréhension scientifique. En cas de divination heureuse, l’élaboration scientifique se serait vite débarrassée de tous les obstacles. Mais la divination était liée trop étroitement à des constructions philosophiques abstraites, étrangères à la réalité qu’étudiait la science. Ces constructions amenaient à des représentations de la vie trop simpliste et détruisaient la notion de complexité des phénomènes. Cette divination n’a, jusqu’à présent pas avancé notre compréhension de la vie.

Aussi nous considérons comme fondée la tendance toujours plus dominante des recherches scientifiques à renoncer à ces deux types d’explication de la vie ; à étudier ses phénomènes par des procédés purement empiriques ; à se rendre compte de l’impossibilité d’expliquer la vie, c’est-à-dire de lui assigner une place dans notre Cosmos abstrait, édifice scientifiquement composé de modèles et d’hypothèses.

On ne peut actuellement aborder avec quelque garantie de succès les phénomènes de la vie que d’une façon empirique, sans tenir compte des hypothèses. C’est la seule voie pour découvrir des traits nouveaux en ces phénomènes, traits qui élargiront le domaine des forces physico-chimiques actuellement connues, ou y introduiront (de front avec les principes constructeurs de notre univers scientifique) un principe ou un axiome nouveau, une nouvelle notion, qui ne peuvent être ni entièrement prouvés, ni déduits des axiomes et des principes connus. C’est alors qu’il sera possible en se basant sur des hypothèses nouvelles, de relier ces phénomènes à nos constructions du Cosmos, comme la radioactivité avait relié ces dernières au monde des atomes.

14. — L’organisme vivant de la biosphère doit actuellement être étudié de manière empirique, comme un corps particulier impossible à réduire en entier aux systèmes physico-chimiques connus. La science ne peut à ce sujet rien affirmer pour l’avenir, mais la chose ne paraît pas impossible. En étudiant empiriquement les phénomènes naturels, nous ne devons pas oublier une autre possibilité : ce problème posé par tant de savants dans la science est peut-être une illusion pure. Des doutes analogues s’élèvent pour nous maintes fois dans le domaine de la biologie.

Dans les sciences géologiques plus encore que dans la biologie, on doit rester sur un terrain purement empirique et éviter les représentations matérialistes et vitalistes.