La crêche aux mille enfants - Gérard Baudoing-Savois - E-Book

La crêche aux mille enfants E-Book

Gérard Baudoing-Savois

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Beschreibung

Un parisien qui s'égare en Drôme Provencale, un retraité et u facteur, tous deux facétieux, lancent une provocation qui se retourne contre eux. D'une discussion au sujet des fermes aux 1000 vaches, nos deux compères vont, malgré eux, provoquer une réalisation extravagante sortie du cerveau d'un personnage à l'imagination débordante. Le projet d'une crèche aux 1000 enfants s'avère donc réalisable, dans l'air du temps, et s'appuie sur le gigantisme pour réduire les coûts et engranger les profits. Rien n'arrête < le pointu> dans son projet fou. A travers cette histoire(visionnaire) faite d'un mélange d'Intelligence Artificielle, d'algorithmes, de recherches sur le cerveau humains, de brevets industriels convoités par l'armée, et d'une pincée d'amour, l'auteur nous fait réfléchir sur l'économie,l'écologie, le poids de la laïcité, le politiquement correct, et non correct, la nature et le bon sens...mais qui aura le dernier mot?

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Que jamais nos pitchounettes et pitchounets ne connaissent pareille crèche !

REMERCIEMENTS

J’adresse un grand remerciement à celle qui gomme, efface, redresse, corrige… Celle qui suit le fil de ma pensée ; l’arrête quand il faut ou la complète quand c’est nécessaire. Bref, celle qui rend mon texte audible et lisible pour le présenter aux lecteurs.

Dois-je vous donner le nom de cette dame ? Un indice, cependant, son prénom est Myriam !

Vous pouvez en savoir un peu plus sur elle sur son site internet : ecoute-ecrit.fr.

Elle travaille avec Emma Coulon qui a réalisé la couverture de ce livre et dont vous pouvez voir les réalisations sur le site internet : zulfygraphik.com

Qu’elles soient toutes les deux remerciées !

DU CÔTE DE DIE

Ambroise se réveilla. Le jour entrait par la fenêtre, dépourvue depuis très longtemps de volets, qui restaient en permanence ouverts, bloqués par de solides têtes de bergères.

Son réveil matin était posé sur une étagère de la penderie qui se trouvait dans le couloir. Voici bien longtemps que son propriétaire ne l’alimentait plus. Le soleil dictait le rythme de vie du seul habitant de la maisonnée.

Pas besoin des panneaux solaires, qui lors de leur remplacement soulageraient Ambroise de plusieurs billets d’euros et coûteraient énormément à la société pour les détruire à défaut de pouvoir les recycler en totalité.

L’été, la journée débutait tôt et s’éternisait jusqu’au lever des étoiles, de la lune, et du ballet des chauves-souris, pipistrelles mini-chasseuses redoutables pour les moustiques et autres ravageurs de la vigne, des murins et des petits rhinolophes et mini-coléoptères.

Par la chance du coquin de sort, de mémoire de Diois, jamais un seul vampire ne hanta nos cieux.

Ambroise vivait au rythme du soleil, et adressait un beau pied de nez, chaque début de journée, à ces changeurs d’heures d’été, puis d’hiver.

Lorsque le bel astre du jour songeait à se reposer, Ambroise faisait de même. Il abandonnait les longues promenades pour aller saluer sa voisine qui se trouvait à l’est, dans un village déserté par les vivants.

La lecture occuperait ses longues soirées d’hiver, sans oublier la musique. Bien sûr Brassens, Anne Sylvestre, Jeanne Cherhal lui tenaient compagnie, mais il aimait aussi le jazz et la musique classique. Il écoutait les concertos, les symphonies, les opéras italiens et français. Il était sensible à Verdi, Rossini, Puccini, Chausson, Messiaen, Berlioz. Il se laissait transporter par les Siciliennes de Fauré, les Vêpres siciliennes de Monteverdi, Debussy joué au piano par un Nelson Freire, avec le fameux Children’s corner. Il « picorait », selon son expression, un mouvement de la septième de Beethoven – le troisième qu’il préférait – ou encore une Gymnopédie de Satie, et il « partait » avec Lagoya jouant du Bach qu’il écoutait sans jamais s’en lasser.

La seule chose importante qui retenait son attention (hormis la musique et la voisine) demeurait l’observation de son baromètre. Il redoutait la dégringolade de l’aiguille qui évoluait entre tempête et grand soleil. Pourtant, jamais il ne se lamentait ou râlait après la météo. La terre avait besoin de tous les éléments ; pluie, vent, neige. Ici, sans le mistral, les maisons de la vallée du Rhône seraient invivables ; l’humidité resterait prisonnière des vieilles pierres. Ici, dans son petit coin, ce vent violent ne le dérangeait pas. Vent routinier, sans fantaisie aucune, finalement. Il se cantonnait à sa vallée, ignorant ostensiblement ce petit coin de la Drôme trop à l’est.

Le seul qui pouvait s’en plaindre restait le Ventoux, solide et imperturbable. Il regardait passer les nuages, les grains, les tempêtes depuis si longtemps que tout ce brouhaha ne le réveillait absolument pas.

Sa modeste maison construite en pierres de taille, patiemment assemblées, possédait un grand sous-sol où dormaient encore sa veille 4 L et sa Ford Mondéo, souvenirs d’un passé lointain où le diesel n’était pas indexé.

Dans un coin de ce garage, qui servait de débarras et de réserve en raison de sa fraîcheur, reposaient tranquillement quelques bouteilles de clairette de la coopérative de Die, ainsi que quelques bouteilles de vins blancs du vignoble du Châtillon. Ce vignoble si particulier couvert de vignes de petite taille plantées à bonne altitude et regardant sur le Vercors, où l’Aligoté reste le cépage originel. C’est un vin vif et frais. Floral. Il vous ravit le palais, sans faire de l’ombre aux vins de la vallée du Rhône, toute proche.

D’autres bouteilles de vins rouges issus de Syrah attendaient sagement une daube rehaussée de quelques zestes d’orange.

Pour d’autres occasions, il « resserrait » (un mot à lui) de bons vins de Mauves, de Saint-Joseph, les vins de Grignan, et les prestigieux de Crozes et les Crozes-ermitage, les Côte-Rotie blondes et brunes, les Gigondas et autres Châteauneuf-du-Pape.

Au premier, une cuisine s’ouvrait sur l’est, agréable en été le matin pour déguster son café à la fraîche. Une belle table rectangulaire en chêne pouvait recevoir six personnes sans aucune gêne pour les convives, qui prenaient place sur de solides chaises en chêne également.

Suivait une salle à manger orientée est-sud-est pour bénéficier de la lumière sans trop avoir de soleil. Elle était grande, sans être immense, pour se sentir bien. L’atmosphère qui se dégageait de cette pièce vous poussait à rester tranquillement assis, loin de l’agitation du monde extérieur.

Le mobilier comprenait une grande table en chêne de style monastère pouvant accueillir douze personnes. Les chaises du même bois offraient un dossier haut et de confortables. Elles étaient habillées de coussins en tissu brodé, procurant confort et moelleux à n’importe quel séant.

Dans un angle, un vaisselier ornait une grande partie du mur situé au sud-est.

Les tiroirs débordaient de couverts en argent, de couteaux affûtés, et lorsque les portes s’ouvraient, de nombreux verres de toutes tailles alignés savamment se tenaient prêts à servir.

Si Ambroise et son épouse choisissaient de beaux verres en cristal extrêmement fin, c’est pour que vos lèvres se trouvent au contact du vin immédiatement. Pas d’épaisseur entre votre palais et le breuvage.

Ils aimaient le galbe d’un verre de bourgogne, la forme tulipe d’un verre à bordeaux, sans négliger les coupes, parce qu’un verre en forme de tulipe ne pouvait concentrer les arômes d’un blanc de blanc ou d’un blanc de noir – lorsqu’ils s’accordaient une entorse à leur clairette.

Ils possédaient aussi de très beaux verres à vin d’Alsace, finement décorés de motifs alsaciens avec leurs pieds de couleur verte si typiques.

Les nappes pendaient sur une barre pour se défroisser entre deux réceptions d’amis.

Sur le guéridon trônait une lampe créée à Moustiers, décorée de fleurs de pomme de terre dans un joli bleu Oreille de souris, ou plus exactement et moins poétiquement, un bleu cobalt. L’abatjour reprenait le même motif, avec un liseré pour en décorer les bords.

La pièce possédait deux larges baies invitant les collines environnantes et contreforts du Vercors à ravir les yeux.

Le plafond décoré de lames de pins beige rosé et blanc crème vous plongeait dans une douce intimité, un nuage de repos, de paix intérieure.

La question du chauffage pendant les hivers un peu rudes n’était plus un problème. Un coin cheminée diffusait une agréable douceur parfumée aux essences de bouleaux ou de chênes. Ambroise, économe, jetait de belles brassées de charbonnette ou quelques rondins de hêtre, pour réchauffer toutes les pièces à vivre. Parfois, au cours de ses pérégrinations, il ramenait quelques menues branches de noyers qui embaumaient toute la maison et donnait une braise durable vous procurant du repos bien chaleureux pour votre nuit paisible.

Les murs étaient peu décorés. Une photo du Vercors et une pendule murale accompagnaient le vaisselier. Ambroise, un peu maniaque, n’avait nulle inclinaison pour faire la poussière et pour faire le ménage las de devoir soulever bibelots, lampes et décorations et préférait se passer de ceux-là. Qui plus est, son œil redoutait de buter sur des objets déposés sur les meubles. Il voulait que le regard glisse en douceur d’un bout à l’autre d’une table, d’un mur, en ligne droite.

Un couloir desservait trois chambres vastes, claires, où les lambris prenaient place au plafond et sur les murs sous forme de lattes de frêne clair.

Chaque chambre possédait sa douche et des W.-C. indépendants.

Pour abriter la maison, un toit à quatre pans débordant largement vous prémunissait de la pluie du printemps et vous procurait aux beaux jours une ombre salvatrice. Recouvert de belles tuiles provençales rondes et allongées, dans les tons terre cuite allant du beige au presque orange pâle en passant par un dégradé de brun rougeâtre, la toiture délicatement pentue chassait facilement la neige, quand, par hasard, le ciel nous gratifiait de quelques flocons venus tout droit du septentrion, donnant un air de carte postale de Noël au paysage.

Un balcon procurait un peu d’ombre au rez-de-chaussée, et autorisait, en fin de soirée, le plaisir de savourer la douceur de la nuit et le spectacle du ciel étoilé, indemne de la pollution des lumières urbaines.

Sa chambre donnait sur le sud-ouest, lui offrant une belle clarté, du petit matin jusqu’au soir, sauf l’hiver où le soleil paresseux, fatigué d’avoir jeté tous ses feux l’été, tardait à éclairer la grande fenêtre et ne dardait plus assez la pièce de ses rayons ! Qu’importe. Ambroise pouvait rêver un peu plus !

Depuis quelques années, il occupait seul « son antre », selon son expression. Son épouse emportée par une maladie rare trop tardivement diagnostiquée ne l’avait pas accompagné longtemps. Lui qui avait demandé sa retraite dès ses cinquantecinq ans, n’en profita pas avec l’amour de sa vie. Il avait, toute sa vie, favorisé cette vie à deux, sans faire de folies sur les dépenses, plutôt que d’attendre et de gravir quelques échelons pour prendre des points ou des indices rondement rémunérés. Sage et aimant, il savoura tous les moments qu’ils eurent à partager, sans excès, mais sans trop de restrictions non plus.

Depuis le décès de sa femme, aucun progrès tangible n’avait été réalisé et les malades mouraient les reins détruits, le cœur rongé par la maladie, le cerveau diminué par les traitements testés par les médecins.

La vie, la nature, ou le destin firent qu’ils n’eurent pas d’enfants.

L’adoption envisagée un moment fut abandonnée, et Ambroise, aujourd’hui, ne le regrettait pas. Son épouse souffrit longtemps, trop longtemps de la maladie. Il n’aurait pas aimé devoir partager sa douleur, et encore moins reporter sur son ou ses enfants toute son affection qu’il ne donnait plus à sa femme. Il redoutait qu’elle étouffât ses proches plus qu’elle ne leur soit bénéfique. Son épousée reçut la totalité de l’amour d’Ambroise, qui lui ferma les yeux, triste, abattu, mais heureux de cette vie passée ensemble, et s’estimant chanceux, car souvent il vit ses copains mourir plus jeunes ou même perdre un enfant.

La solitude ne lui faisait pas peur, il resta donc seul malgré les demandes de belles dames de son âge, voire plus jeunes. Ses années n’avaient pas porté atteinte à son charme et son caractère enjoué le rendait agréable à vivre, bien qu’il eût le mot dur à l’occasion.

Il ne possédait qu’un lit à une place, « à la Françoise Dorin » comme il disait (en référence à un titre de ses livres) une table de chevet ainsi qu’une belle longueur d’étagères où les livres s’accumulaient au fil de ses lectures, ainsi que des CD au fil des découvertes.

Il parcourait les alentours avec son appareil photo en bandoulière, s’émouvant devant une abeille butinant une jolie fleur, un oiseau ou une nouvelle perspective de « son Ventoux ».

Le paysage portait l’empreinte de l’homme qui changeait d’avis ; les haies, les clôtures ne barraient plus l’horizon de son regard. Quelques troupeaux paissaient tranquillement dans les prés de semi-altitudes ; des vaches adaptées à la moyenne montagne, des Abondances, des Tarines aux jolis yeux qui semblent être maquillés de khôl noir.

Les moutons gagnaient du terrain. Ici et là on pouvait voir de rares troupeaux de chèvres dont aucune n’avait connu monsieur Séguin !

Les fromages fabriqués ici étaient faits de manière artisanale et provenaient essentiellement du lait de chèvres ou de brebis. Pour avoir du fromage de vache, le passage dans le département voisin s’imposait. Les Hautes-Alpes recelaient de nombreux troupeaux de plaine ou d’altitude.

Toutes les laitières portaient un prénom, et celle ou celui qui en avait la charge les connaissait tous. Pas une ne ressemblait à sa congénère. Un détail, une forme de tâche, une corne implantée de façon bizarre permettait de les différencier.

Tout ce petit monde vivait au rythme des saisons, de la montée en alpage, des vêlages, de la confection des tommes et autres délices des fermes, les fromages frais crémeux, le rare catcha du haut Verdon (une variante du brou de vache) ou encore, un peu plus à l’est, le bleu du Queyras.

La liste ne serait pas complète sans la cachaille parfumée différemment selon les producteurs, un peu rudes au goût. Cette préparation fromagère, typique de la région, est un mélange de fromages râpés et de fromage frais, relevé avec du poivre, un filet d’huile d’olive et une once d’eau de vie. C’est pas pour les snobs ou les palais délicats !

Ambroise adorait ces produits élaborés dans le respect de la nature et des animaux, la proximité entre les producteurs et les consommateurs, loin de la pollution des grandes villes et métropoles gigantesques. Il regardait, avec gourmandise, le retour des petits marchés locaux un temps délaissés au profit des supers et hypermarchés qui rendaient nombre de services, mais ne distribuaient pas beaucoup de produits exempts de pesticides ou de traitements phytosanitaires, judicieusement absents de la liste visible des ingrédients, ou présents sous la forme d’un langage abscons.

Un peu plus bas vers Buis, le tilleul retrouvait une nouvelle jeunesse. Les ramasseurs, les cueilleurs, les installateurs de planches dans les branches ravivaient l’odeur douce et miellée de la fleur de l’arbre.

Ambroise revoyait la promenade des Princes de Monaco le long de l’Ouvèze et son vieux pont roman. Ces images du passé, il les aimait, mais ce qu’il aimait par-dessus tout était de revoir la belle place du marché envahie par les ballots de fleurs de tilleul qui grisent légèrement.

2013 lui apporta de la joie. Il se rendit à Buis pour l’inauguration par le Prince de Monaco d’une unité de santé. Il parcourut la promenade des Princes tout en admirant les boulistes, à l’ombre des platanes, se retrouver pacifiquement autour du « petit » qu’il ne faut pas trop étouffer !

LE POINTU

Son habitation, loin de toute route, accueillait parfois un touriste trompé par le magnifique enrobé qu’Ambroise, soucieux de ne pas patauger dans la boue, fit poser pour se rendre chez lui.

Il suffisait que le voyageur indique sur son GPS un nom d’une commune ou d’un village, et il se retrouvait chez Ambroise ! Perdu, en colère parfois, il finissait toujours par le saluer et lui demander poliment son chemin. Avec un grand sourire dans les yeux, le sage-homme le remettait sur le bon chemin, non sans lui avoir offert un café ou une boisson rafraîchissante, selon le moment.

C’est ainsi que ce « Pointu » se trouva assis à la table d’Ambroise où se trouvait déjà le facteur qui sirotait son café

Les politesses passées, Ambroise lui demanda s’il avait entendu parler de la ferme aux mille vaches.

Oui, bien sûr, venues d’Amérique, elles ont fait école en Allemagne et arrivent en France, où tout le monde crie au scandale. Ah, les Français, toujours effrayés par le progrès et la modernité !

Heureusement, nous avons des agriculteurs plus lucides que les culs-terreux du fin fond des campagnes où il n’y a rien, pas d’internet, ni fibre, ni câble, rien !

Le voyageur n’avait pas encore remarqué l’endroit où il se trouvait. Il était encore à la capitale, dans sa tête. (Et y restera peut-être tout son séjour…) Les « culs terreux » habitués à ces Parisiens avaient décidé d’en rire. Ernest, pour blaguer, affirma qu’il devait bientôt « monter à Paris ». « J’ai une idée qui peut révolutionner votre microcosme. Une crèche aux mille enfants, pour pallier le manque de structures. Chaque fois que je vais assister à un congrès pour une CTPC, mes collègues ne parlent que de ce problème : pas de crèche, pas de nourrice, pas de place en maternelle, trop cher, et nos épouses ne peuvent pas, avec nos traitements de misère, rester à la maison pour garder les enfants. La solidarité ? Impossible. Trop d’éloignement entre nos diverses habitations. Nos parents ? Restés ou repartis en province. Vous devriez creuser cette idée peut-être. Il y a des enfants par milliers, et des parents qui travaillent loin de chez eux, qui bataillent quotidiennement dans les bouchons de l’A 104, du périphérique, de l’A 15, l’A 16, l’A 4 et j’en oublie !

— Quand vous « monterez à Paris », venez me rendre visite ! Je suis en relation pour mes affaires avec plusieurs municipalités de Paris et de sa banlieue. Je serais heureux de vous voir. Je retiens cette idée de crèche, et je suis partant pour vous inclure dans l’étude pour réaliser un tel projet. Merci, futur partenaire ! Merci pour le café, et à bientôt à Paris !

Depuis un certain nombre d’années, les articles imprimés dans les différents journaux locaux (souvent, appartenant au même groupe) déprimaient Ambroise autant qu’ils le faisaient enrager.

Ici, il ne disposait pas d’internet, aussi demanda-t-il à son facteur, qui lui rendait des visites amicales, s’il pouvait lui procurer des articles sur ces monstrueuses fermes de 1 000 vaches.

— En dehors du fait que, bientôt, on ne pourra plus rien faire sans un ordinateur pour effectuer les formalités administratives, l’achat de billets de train, etc., je vis heureux sans. Pas de bug, pas de cheval de Troie, de virus sournois arrivés par malheur. Je me demande parfois si les vieux ne seraient pas un peu poussés vers la tombe ! Comment de pauvres retraités agricoles, percevant une retraite honteuse, réussiraient-ils à choisir entre manger, s’habiller et investir dans du matériel informatique qui fonctionnerait très mal dans ces régions escarpées, nichées au fond d’étroites vallées ? Ici point de relais polluants ou non polluants. C’est un désert où je coule de beaux jours heureux.

— Pas de soucis, Ambroise. Je vous porterai ça la semaine prochaine ou à l’occasion quand j’aurai du courrier pour vous.

— Merci, Ernest. Tu me rends un grand service. Bon, portez-vous bien ! À la revisto !

Ambroise lut avec attention l’article du journal.

Comment des « Chtis » pouvaient-ils installer une ferme usine ? Et pour produire quoi ? Avec quel argent ce projet sera-t-il réalisé ? Combien cela coûtera-t-il ? Combien de personnes seront employées ? Quel intérêt ? Et les vaches, ont-elles été consultées ?

Les interrogations se pointaient, se bousculaient dans son cerveau, mettaient son crâne à rude épreuve, et les maux de tête devraient suivre à tout ça.

LES FERMES AUX MILLE VACHES

Heureusement, l’article racontait que nombre de Français s’élevaient contre cette folie, ce projet insensé, inutile. Mais pour le reste, ce n’était qu’hérésie. La qualité de vie, le goût, le respect de l’animal et des producteurs brillaient par leur absence dans ces articles. Profit, Lactalis, absence de risque de listeria. Sus au fromage cru ! Et vive le lait pasteurisé, thermisé, atomisé !

En Europe, un autre pays commençait à implanter de telles fermes : l’Allemagne, qui trouvait un écho favorable chez une partie de ses agriculteurs qui ne tarissaient pas d’éloges sur ce système d’élevage. Agriculture conjugable avec le mot « vacances ». Fini l’expression « ça va de mal en pis » !

Merci les antibiotiques qui nous terrassent les bactéries !

Une dizaine de jours plus tard, Ernest donna un léger coup de klaxon en se garant devant la maison d’Ambroise qui le salua poliment, un léger sourire aux lèvres.

— J’ai pensé à vous, Ambroise. Je vous fais un cadeau qui devrait mériter un petit geste, lâcha-t-il en riant de bon cœur. Je vous ai porté tout ce que vous m’avez demandé. En sachant que vous possédez un lecteur de DVD, j’ai même enregistré des articles pris sur internet. Vous ne serez pas déçu ! C’est édifiant et inquiétant à la fois ! Votre tension va atteindre des sommets ! Prenez bien vos gouttes et vos pilules, sinon vous ne serez plus ici pour m’offrir un bon café !

— Je te prépare un grand café comme tu l’aimes, et j’ai quelques macarons à la noix de coco que j’ai confectionnés moimême. Tu ne devrais pas être déçu non plus !

Ernest lui raconta les dernières nouvelles « d’en bas », des faits divers de Die, et lui rappela que Pâques arrivait avec sa grande foire.

— Je te remercie pour tout, Ernest. Porte-toi bien ! Je vais être occupé. À la revisto.

— Bonne lecture, Ambroise. Au plaisir de vous revoir et si vous venez à Die, passez me voir !!

Ambroise enleva les tasses, les lava, essuya la table, puis se cala confortablement au soleil de ce début d’avril. Pâques, cette année, terminait presque le mois, mais la température se révélait chaude pour la saison.

Il partait avec son appareil photo en bandoulière, comme toujours. Il fit toute une série de photographies d’espèces d’oiseaux qu’il ne connaissait pas encore, de plantes, de fleurs, de champignons jamais vus jusque-là. Son cerveau constamment sollicité fonctionnait de mieux en mieux, comme un bon muscle régulièrement entraîné, et sa capacité à mémoriser les choses augmentait sensiblement. Ceux qui le croisaient et échangeaient quelques mots avec lui s’étonnaient de sa grande forme.

Au retour de ses pérégrinations, il entama la lecture des documents et articles de journaux portés par Ernest. La lecture du CD attendra un peu.

Les chiffres qu’il découvrait dans l’article l’ahurissaient, le sidéraient, le renversaient. Même à la deuxième lecture les chiffres ne changeaient pas. Il n’en revenait pas.

Une vache à viande donnait 4 litres de lait par jour alors qu’une laitière produisait 28 litres par jour ! Chiffres pour 2018. Le journaliste précisait que cela correspondait à une production pour une année de 6 660 litres de lait !

Pour mémoire, la production annuelle en 2000 n’était, si l’on peut dire, que de 5 700 litres ! Lorsqu’Ambroise lut le nombre de litres produits par une laitière en 1970, ses lunettes lui tombèrent du nez : 3 000 litres.

Il stoppa net sa lecture. Comment et pourquoi produire autant ? Il lui semblait que le lait et sa transformation en beurre avaient été un fait marquant de la PAC1 et de toutes ses dérives en Europe.

Un scandale à la taille de l’Europe, les frigos européens débordants de beurre exporté vers les pays de l’Est. Non pas vendu, mais bradé !

Et puis le reste… les prix maintenus artificiellement à un niveau élevé, la pénurie organisée, les importations de beurre de Noël ! Et « la trouvaille » (les magouilles en réalité) les exportations fictives, en plaçant le beurre dans des magasins sous douane ! Les ristournes accordées aux producteurs, les manipulations frauduleuses, les conditions d’utilisation particulière du beurre coloré pour interdire sa vente au public, mais l'autoriser, sous certaines modalités, par les boulangers et pâtissiers en France et dans toutes les industries de la panification, de la confection des gâteaux, brioches, madeleines vendues en grandes surfaces en France !

L’argent coula à flots, les comptes en banque gonflèrent. Les avoirs à l’étranger et les comptes offshore explosèrent.