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Lucie Des Ages

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Beschreibung

 La pauvre innocente portait au cou une médaille d'or sur laquelle était inscrit son nom : Sarah Alain, et la date de son baptême. Comment ce bijou avait-il échappé à la rapace convoitise de son grand-père ? Lorsqu'il s'était trouvé l'unique protecteur de l'enfant, il avait, il est vrai, essayé de s'emparer de cette médaille ; mais Sarah s'était révoltée, et cédant à ses pleurs, il s'était contenté de prendre, pour la vendre, la chaîne à laquelle elle était suspendue. Un matin, en s'éveillant, la petite fille l'avait trouvée remplacée par une ganse, ce dont elle avait été étonnée. La présence de la médaille l'avait pourtant consolée de cette disparition, et depuis, Nicolas avait oublié le fragile souvenir qu'elle gardait comme un talisman.

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table des matières

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 1

Le jeune docteur Martelac, les deux mains dans ses poches et les yeux fixés sur les pavés inégaux entre lesquels une pluie d’orage venait de laisser des plaques d’eau jaunâtre, descendait une longue rue en pente comme il y a tant à Poitiers. Cette ville, dont une partie est sur une hauteur, est séparée des coteaux connus sous le nom de dunes, qui l’entourent presque entièrement, par des faubourgs étalés sur les rives du Clain. Des rues, partant du plateau sur lequel s’élèvent ses principaux édifices, vont aboutir aux boulevards qui longent la rivière et forment une ceinture trop souvent poussiéreuse à la vieille cité.

Robert Martelac marchait depuis dix minutes et atteignait une ruelle peu éclairée quand un jeune officier, venant d’une rue opposée, se trouva subitement en face de lui, le regarda un instant avec hésitation et parut disposé à l’arrêter. La rue était déserte, étroite ; les trottoirs attestaient plus d’ambition que d’espace, le ruisseau coulait encore lentement et reflétait les étoiles, à présent visibles dans le ciel redevenu clair.

Il était difficile aux deux jeunes gens de passer ensemble, à pied sec du moins ; il fallait que l’un des deux s’effaçât contre le mur pour faire place à l’autre. Mais le nouveau venu s’était carrément installé devant Robert et paraissait oublier l’urbanité française au point de lui barrer le chemin. Le docteur, ayant levé les yeux, parut étonné de cet arrêt imposé à sa promenade par un inconnu.

— Voulez-vous me faire place ? demanda-t-il.

Celui à qui il s’adressait était petit et mince. Son képi enfoncé sur ses yeux et les ténèbres de la rue, fort mal éclairée par de rares becs de gaz dont la lumière était énergiquement secouée par le vent, ne permettaient guère de distinguer ses traits. Il parut ne pas entendre cette parole, demeurant immobile devant Robert comme s’il eût cherché à le reconnaître.

— Que demandez-vous ? reprit ce dernier, non sans une certaine impatience.

L’officier continua à le regarder en murmurant.

— C’est sa voix, sûrement !

— Enfin, parlez ! s’écria le docteur ou laissez le passage libre. Si votre costume, sur lequel je distingue il me semble les galons d’un grade, ne me rassurait, cette singulière insistance me ferait croire à une attaque nocturne. Toutefois, si vous vous êtes posté là pour demander la bourse ou la vie, vous vous adressez mal. Ma bourse, assez légère en ce moment, ne peut tenter personne ; de plus, je compte la garder pour mon usage personnel. Quant à ma vie, j’y tiens plus encore qu’à ma monnaie et je suis prêt à la défendre bravement.

Le premier mouvement d’irritation éprouvé par Robert était passé, et ce petit discours, prononcé d’un ton railleur, prouvait combien le jeune homme prenait peu au sérieux cette attaque nocturne et ses propres paroles.

À vrai dire, les silhouettes des deux interlocuteurs (si toutefois on peut donner ce nom au silencieux personnage qui n’avait encore rien fait pour le justifier) eussent facilement fait comprendre l’inutilité de la lutte, s’il eût dû y en avoir une. Autant le docteur était grand et fort, autant celui auquel il parlait était grêle et délicat.

— Je n’en veux ni à l’un ni à l’autre, dit enfin ce dernier, mais je vous prierai, s’il n’y a aucune indiscrétion à vous adresser pareille demande, de venir avec moi sous ce réverbère.

— Pourquoi ?

— Pour que je puisse vous voir.

Un éclat de rire résonna dans le silence de la rue, où ne se faisait entendre que le bruit des gouttes d’eau, tombant à intervalles de plus en plus éloignés des toits encore ruisselants. Poitiers est une ville paisible, et le quartier où se rencontraient les deux jeunes gens était éloigné du centre, seul endroit où le mouvement se prolonge après la tombée de la nuit.

— Parbleu ! Il ne sera pas dit que je vous aurai refusé cette satisfaction, si vous y tenez ! répondit joyeusement Robert. Vous désirez, il paraît, avant d’entamer une conversation, savoir si votre auditeur possède une honnête figure ? À votre aise ! Je me prête de bon cœur à l’accomplissement de ce désir ; d’autant que vous me permettrez, je suppose, le même examen de votre personne. Toutefois, laissez-moi vous communiquer ma première impression. Vous ne sauriez être tout au plus qu’un diminutif de brigand ! La voix de Fra Diavolo devait avoir d’autres intonations que la vôtre, dont le timbre doux et caressant me semble propre à soupirer de sentimentales paroles plus qu’à effrayer les passants. Tenez, mon lieutenant, ajouta-t-il en passant la main sur la manche du jeune officier et en comptant les galons d’or qui luisaient sur le vêtement sombre, allez roucouler quelque refrain d’amour, mais ne vous avisez plus de jouer au voleur ! Le rôle ne vous convient pas.

Cette singulière aventure mettait le docteur en gaieté. Complaisamment, il se laissa conduire par l’inconnu sous un réverbère dont la lumière vacillante pouvait permettre de distinguer ses traits.

— Voici ! dit-il en enlevant son chapeau et en relevant légèrement la tête pour laisser la lumière se répandre sur son front et éclairer ses yeux souriants.

— Robert Martelac !

Robert tressaillit et subitement son visage redevint sérieux. Quelque chose comme un son lointain avait frappé son oreille ; il se pencha en avant pour examiner à son tour celui qui était devant lui. Au bout d’un instant, la mémoire lui revenant :

— Jacques Hilleret ! s’écria-t-il.

Ils tombèrent dans les bras l’un de l’autre.

— Toi ? C’est toi qui joues ainsi au voleur ? disait Robert avec bonne humeur. Du diable si je croyais te rencontrer ce soir sur mon chemin ! Si tu ne m’avais poliment prié de me montrer, j’eusse passé près de toi sans te reconnaître, grâce au parcimonieux éclairage de cette rue. Je suis ravi !

En même temps, il serrait chaleureusement les mains du jeune lieutenant.

— Quel bonheur de te retrouver ! murmurait celui-ci, dont la frêle personne semblait secouée par l’émotion.

— Toujours le même ! dit Robert. Aussi profondément touché par l’émotion qu’une femme ou un enfant ! Mon pauvre Jacques, il faut être plus fort.

Ces paroles étaient prononcées sur un ton d’affectueuse remontrance.

— Oui, comme autrefois, répondit l’officier en souriant à ce souvenir, quand tu me disais qu’il fallait apprendre à me défendre contre mes camarades. Je n’ai jamais su !

— Et pourtant, j’en suis sûr, malgré cette nature impressionnable à l’excès, tu feras toujours honneur à l’uniforme que tu portes.

En disant cela, le docteur prenait le bras de Jacques et rebroussait chemin sans que son ami fît aucune résistance.

— Certes ! Je l’espère. J’aime ma carrière avec passion.

— Je n’en doute pas. Le Français est né soldat. L’amour de son pays l’électrise. Les enfants timides et doux eux-mêmes, tels que tu l’étais jadis, rêvent d’exterminer le monde afin de faire plus grande et plus glorieuse la part de leur pays. Tu es en garnison ici ?

— J’arrive aujourd’hui et je n’ai pas encore eu le temps de me découvrir un gîte définitif.

— Alors, je t’emmène chez ma mère.

— Impossible ! À pareille heure, ce serait une invasion que je ne saurais me permettre qu’en pays conquis ! Je n’ai pas l’honneur de la connaître.

— Vous ferez connaissance. Elle accueille toujours très bien les amis de son fils.

Jacques se débattit un instant, trouvant la chose indiscrète de sa part. Mais Robert insista et eut facilement raison des scrupules du lieutenant, trop heureux d’ailleurs de la perspective d’une soirée passée avec lui pour résister longtemps à cette invitation.

— Je n’espérais pas te trouver ici en ce moment, reprit M. Hilleret, quand il eut enfin consenti à se laisser diriger vers la maison de madame Martelac. Je te croyais à Paris, où ta réputation grandit malgré ta jeunesse et c’est pourquoi j’ai hésité à t’arrêter.

— Non pas à m’arrêter, mon ami, car tu l’as fait avec une crâne désinvolture, il faut l’avouer ! Tout au plus as-tu hésité à me questionner pour t’assurer de mon identité. Je bénis le hasard qui me fait te rencontrer justement le jour de ton arrivée ici quand moi-même j’y suis pour quelques heures seulement. Je retourne après-demain à Paris, mais je viens voir ma mère toutes les fois qu’il m’est possible de m’arracher à mes occupations.

Les deux jeunes gens avaient tout en causant remonté la rue. Robert s’arrêta devant une vieille maison à laquelle on arrivait par un perron de trois marches, profondément usées au milieu par les pas de nombreuses générations. De chaque côté une rampe en fer offrait un appui pour les gravir. Le docteur sonna, et se tournant ensuite vers Jacques, il lui dit :

— Sois le bienvenu dans cette chère demeure qui m’a vu naître après avoir abrité un nombre considérable de Martelac, peu fortunés, je crois, si j’en juge par l’aspect de la maison qu’ils m’ont léguée.

Cette maison, en effet, ne pouvait donner une haute idée de la fortune de ses propriétaires passés et présents. Humblement retirée, un peu en arrière de l’alignement de la rue, elle semblait faire timidement place à deux constructions neuves qui s’étaient élevées de chaque côté d’elle et l’écrasaient de leur jeunesse arrogante. Son toit affaissé était couvert de tuiles brunies par le temps et ses fenêtres s’ouvraient, les unes larges au-delà de l’ordinaire, les autres longues et étroites comme des meurtrières, suivant le goût capricieux de l’architecte chargé de la construire. La lumière tremblotante des becs de gaz revêtait sa façade noircie d’une teinte jaune, tandis qu’elle faisait briller par instants la blancheur neuve de ses voisines.

Madame Martelac était venue habiter là aussitôt après son mariage ; son fils y était né, son mari y était mort et pour rien au monde elle n’eût consenti à abandonner cette demeure imprégnée de ses souvenirs.

Nos pères avaient l’amour de la maison, l’amour du chez soi, et ils s’en trouvaient bien. Les générations se succédaient entre les mêmes murs, en face des mêmes horizons. Elles grandissaient dans le même milieu, transformé lentement par le temps, et s’attachaient instinctivement à ces habitations dans lesquelles leurs ancêtres avaient eu leurs joies et leurs peines, comme elles-mêmes à leur tour y avaient les leurs. Elles retrouvaient là les traces de leurs ascendants et les exemples sur lesquels elles cherchaient à former leur vie. L’amour du changement est venu, amenant le besoin de locomotion et emportant du même coup cette austère recherche des leçons du passé. Nous secouons au vent des excursions lointaines les souvenirs au milieu desquels nos prédécesseurs s’enfermaient pieusement.

En valons-nous mieux parce que le cercle de nos connaissances s’est agrandi ; parce que nos yeux se reposent sur un horizon plus étendu et que, dédaigneusement, nous abandonnons l’humble toit sous lequel dormaient nos pères pour aller au loin bâtir des demeures destinées à ne garder aucun de nos souvenirs, sortes de caravansérails des grandes villes, abritant l’une après l’autre les familles voyageuses dont aucune ne saurait s’y dire chez elle ?

Le jeune docteur avait appris de sa mère à aimer la vieille demeure des Martelac, et appuyé sur la rampe de l’escalier, il jeta sur elle un regard d’affection.

— Elle est laide, vieille et pauvre d’apparence, dit-il en souriant, trois qualités avec lesquelles on ne réussit guère en ce monde ! Et pourtant, je l’aime, car c’est pour moi la maison.

La porte, en s’ouvrant, empêcha Jacques de répondre. Il suivit son ami dans le long corridor étroit et sombre qui servait de vestibule et dont la lumière tenue par la domestique ne pouvait éclairer les profondeurs lointaines.

Le salon, ouvrant sur ce corridor, était d’une simplicité presque monacale. Il était grand, assez bas d’étage et entouré de sièges raides et froids sous leurs housses de bazin gris rayé de rouge.

Autour des murs, quelques portraits de famille offraient d’honnêtes et parfois d’intelligentes physionomies des Martelac défunts, braves gens de moyenne condition qui s’étaient fait peindre, fiers et dignes, dans leurs habits de gala. Leurs épouses, en beaux atours, minaudaient, les unes avec une fleur à la main, les autres avec un trousseau de clefs, symbole de leurs attributions de ménagères.

On respirait dans cette pièce cette vague odeur de moisi et de renfermé, particulière aux anciennes maisons de province habitées depuis des siècles par des familles enserrées dans les humbles préoccupations d’une économie obligatoire ou voulue. M me Martelac aérait pourtant l’appartement lorsque son fils venait à Poitiers ; car d’ordinaire le salon restait fermé, la bonne dame se tenant dans sa chambre et y recevant ses connaissances intimes. Mais lorsque le docteur annonçait son arrivée, on permettait au soleil d’entrer et de venir caresser les murs tendus de papier à fleurs bleues que l’humidité faisait tourner au jaune ou au vert en certains endroits.

Connaissant les goûts artistiques de son fils et ayant entrevu le luxe raffiné qui pénètre les plus sévères intérieurs parisiens, elle avait essayé de donner à cette pièce une apparence plus élégante. Sa tâche était difficile, surtout pour elle, dont la vie sévère et uniquement remplie par d’obscurs devoirs l’avait rendue inhabile en ces sortes de choses.

Au-dessus de la cheminée, un grand christ attestait les idées chrétiennes de M me Martelac ; au-dessous étaient suspendues les photographies de son mari et de son fils. Devant la pendule à colonnes recouverte d’un globe, se voyait une petite statue de sainte Radegonde, reine de France et patronne de Poitiers, où son culte demeure populaire malgré la diminution de la foi dans notre temps.

Certainement, l’aspect de ce salon était peu agréable, pour suite de sa nudité mesquine. Mais la paisible physionomie de M me Martelac mettait un rayon adouci au milieu de cette pauvreté.

— Ma mère, je vous présente mon ami, Jacques Hilleret, dit Robert en entrant.

La tête de la maîtresse de maison, penchée sur son ouvrage, se releva et son sourire fut éclairé par la lumière de la lampe près de laquelle elle travaillait. Jacques ne vit plus cette pièce froide et sombre, mais seulement ce sourire bienveillant, et il se sentit immédiatement conquis.

La mère du docteur était une femme de cinquante ans dont le visage presque diaphane laissait entrevoir au regard attentif une partie des privations et des souffrances qu’elle avait endurées. D’un caractère calme et fort, elle avait supporté les longues épreuves d’une vie difficile, non seulement sans se plaindre, mais sans paraître même les remarquer, courageusement, le regard vers Dieu, demandant peu de chose aux autres et beaucoup à elle-même. Bien qu’elle fût très intelligente, elle ne s’était jamais départie du rôle effacé que la plupart des femmes de sa classe jouent dans la famille. Son mari, très inférieur à elle sous le rapport de l’instruction, ne s’en était jamais douté, tant il avait confiance en lui et tant elle savait mettre d’affectueuse humilité à entretenir cette confiance.

— Pardonnez-moi de me présenter à pareille heure, madame, dit Jacques en s’avançant dans le cercle de lumière circonscrit par l’abat-jour de la lampe. Arrivé dans la journée, je me promenais avant d’aller me renfermer dans une chambre d’hôtel lorsque j’ai eu le bonheur de rencontrer Robert. Il a insisté pour m’amener ici et je me suis laissé tenter.

M me Martelac tendit la main au jeune homme :

— Je suis enchantée de vous recevoir, monsieur, et Robert sait combien je suis heureuse de faire la connaissance d’un ami dont je lui ai souvent entendu prononcer le nom.

Elle pria son fils de sonner afin de prévenir Catherine qu’elle eût à préparer la chambre du lieutenant.

— Je ne sais si vous vous trouverez mieux chez moi que dans une chambre d’hôtel, mais, du moins, vous dormirez sous un toit ami.

— Demain, afin de ne pas abuser de votre hospitalité, madame, dit Jacques, je me mettrai en quête d’un logement ; mais je suis on ne peut plus reconnaissant d’échapper ce soir à la banalité de l’hôtel, grâce à votre aimable invitation. Dans notre vie de campements souvent transportés d’une endroit à l’autre, c’est un vrai plaisir pour nous de saisir au passage une soirée de famille.

— Peut-être trouvera-t-on à te loger dans nos environs, dit le docteur.

— Il y a un petit appartement à louer chez Nicolas Larousse, le marchand de vieux meubles, dit M me Martelac. J’ai vu l’affiche ces jours-ci en passant.

— C’est assez près de nous, au bas de la rue. Si tu veux, Jacques, nous pourrons aller voir ensemble s’il te convient ? demanda Robert.

— Volontiers. Je serai heureux d’habiter dans votre voisinage.

— Mais rien ne presse, reprit la maîtresse de la maison. Restez avec nous jusqu’à ce que vous trouviez à vous caser à votre fantaisie.

À peine les deux jeunes gens étaient-ils dans le salon qu’on sonna de nouveau à la porte de la rue, et un instant après une jeune fille, grande, belle et fraîche comme la jeunesse elle-même, entra dans l’appartement. Elle embrassa M me Martelac en la nommant sa tante, donna une poignée de main à Robert, dont le regard se leva vers elle avec une expression qui n’échappa point à Jacques et salua celui-ci, tandis que la mère du docteur les présentait l’un à l’autre.

Comme vous avez bien fait de venir, Anne ! dit Robert en s’empressant pour lui offrir un fauteuil.

— Mon père m’a amenée en allant à son cercle. Je n’étais pas à la maison tantôt quand vous y êtes venu et j’ai voulu vous voir un moment ce soir.

Le visage du docteur s’illumina à cette réponse, et profitant d’un moment où M me Martelac détournait l’attention du lieutenant en lui adressant une question, il se pencha vers sa voisine et demanda à voix basse :

— Vous êtes venue pour moi, alors ? Merci, Anne.

Celle-ci sourit sans répondre et ses grands yeux bleus se détournèrent du regard reconnaissant qu’ils semblaient refuser de comprendre.

La soirée se passa gaiement jusqu’au moment où M. Duplay vint reprendre sa fille. Anne plaisantait, causait, brillait et paraissait ravie. Les yeux de Jacques s’arrêtaient involontairement sur ce beau visage resplendissant, et la jeune fille, à laquelle n’échappait point cette admiration, semblait l’agréer comme un tribut auquel elle était accoutumée.

— Ma tante, dit-elle tout à coup, mon père consent à m’emmener à Royan cette année. Nous y passerons un mois et je suis en ce moment fort occupée de mes toilettes.

— Ceci est une grave question ! dit M me Martelac en souriant.

— Oh ! très grave, répéta Anne en frappant ses deux mains l’une contre l’autre.

— Ne serez-vous pas toujours la plus belle ? dit Robert, regardant le fin visage auquel la lumière laissait des ombres adoucies et vaporeuses.

Un sourire le remercia de ce compliment échappé à sa gravité habituelle.

— Peut-être ! répondit Anne, avec un doute mélangé pourtant d’une naïve confiance. Toutefois, il faut venir en aide à la nature et j’ai passé de longues heures à combiner mes costumes.

— Et qu’as-tu choisi, chère enfant ?

— Une toilette rose, une bleue et une… Oh ! mais je n’ose pas vous le dire ! Cela va vous sembler absurde.

En disant ce dernier mot, elle parut s’adresser, non pas à M me Martelac, à laquelle elle répondait, mais à Robert. Penché devant elle et paraissant sous le charme, il écoutait à peine le babillage de sa cousine, absorbé qu’il était par la contemplation de sa beauté. Il revint à lui en voyant son regard devenu subitement interrogateur.

— N’est-ce pas, Robert, vous allez blâmer mon goût ?

— Pourquoi cela ?

— Parce que vous êtes la raison même, vous ! dit-elle avec une légère expression de raillerie.

— Eh bien ! la troisième ? demanda M me Martelac.

— La troisième est rouge des pieds à la tête ! Et même au-dessus de la tête, car l’ombrelle est assortie. Robe, chapeau, voile, tout d’un rouge éclatant ! Ce sera délicieux !

— Vous porterez cela ? dit Robert.

— Certainement. Pourquoi ne le ferais-je pas ?

Le docteur secoua la tête.

— Quelle singulière idée de vous habiller ainsi ! dit-il d’un ton de doux reproche.

— Voyez-vous ! s’écria Anne. Je savais bien que vous alliez me blâmer. Nos goûts sont si différents !

Une nuance de tristesse parut sur la physionomie de Robert.

— Il est sûr que cela est bien voyant, dit M me Martelac.

— Sans doute ! Au bord de la mer, tout le monde adopte les couleurs voyantes. C’est pittoresque.

— C’est possible ! Mais tenez-vous à poser pour les paysages ? demanda le docteur, devenu sérieux.

— Pourquoi pas ? répondit la jeune fille en riant.

— Tout le monde aura les yeux fixés sur vous.

— Tant mieux ! J’aime qu’on me regarde !

Anne dit cela d’un air de défi jeté à son cousin. Évidemment le blâme apporté par lui au choix de cette toilette lui déplaisait et elle tenait à l’en faire repentir.

Heureusement, M me Martelac mit promptement fin à cette légère escarmouche entre eux et la fit oublier en changeant la conversation qui reprit un tour amical. La jeune fille parut elle-même chercher à effacer le mécontentement passager éprouvé par Robert, et la magie de ses regards eut facilement raison de la gravité un peu triste amenée par ses paroles sur le visage de son cousin.

Ce petit incident n’eut aucune suite, et le docteur, redevenu gai, raconta à Anne sa rencontre avec Jacques. Il mit tant de verve spirituelle dans son récit que M lle Duplay rit aux éclats. La présence d’Anne le transfigurait et son sourire heureux laissait lire l’amour dont son cœur était rempli, amour profond, sérieux comme l’âme qui l’avait conçu et auquel celle qui en était l’objet semblait presque indifférente, ce dont le lieutenant ne pouvait se rendre compte.

Il n’osa interroger son ami. La visite d’Anne, attribuée par elle-même au désir de le revoir, avait rempli le cœur de Robert du joyeux espoir d’être aimé et avait un instant fermé ses yeux sur les véritables sentiments de sa cousine, sentiments que parfois pourtant, quand s’accentuaient les différences existant, comme elle venait de le constater, entre leurs goûts, le jeune docteur craignait de deviner.

Chapitre 2

Nicolas Larousse, dont avait parlé M me Martelac, habitait une grande maison située au bas d’une de ces rues populeuses qui descendent jusqu’aux boulevards. Changeant de nom deux ou trois fois sur son parcours, cette rue conserve à peu près partout son même aspect et des troupes d’enfants sales et déguenillés l’encombrent pendant la belle saison, à l’heure où l’école les rend à leurs familles. Si je ne craignais d’accuser à tort l’édilité poitevine, je soupçonnerais cette rue de n’être guère nettoyée que grâce à sa pente rapide, lorsqu’une averse orageuse vient la changer en torrent. Alors, l’eau emporte les débris de toute sorte dont la jonchent sans scrupule les ménagères peu soigneuses qui l’habitent.

La rue habitée par Nicolas conserve plusieurs monuments anciens et historiques, et à l’endroit où elle quitte le nom de Saint-Michel pour prendre celui de Saint-Étienne, on montrait encore au commencement de notre siècle une pierre sur laquelle Jeanne d’Arc, logée à l’hôtel de la Rose, mit le pied pour monter à cheval lorsqu’elle quitta Poitiers, où elle avait été amenée, en 1428, afin d’y être interrogée par les docteurs de la faculté.

À ce moment, la cité poitevine était une ville importante, où était le parlement, où siégeait le conseil et où se trouvaient les membres de l’Université de Paris demeurée fidèles à l’héritier de Charles VI. Ce jeune prince, doutant de la mission de Jeanne d’Arc, lui fit subir à Poitiers une épreuve solennelle. Elle fut interrogée par les docteurs les plus autorisés de l’Église et de l’État. À la suite de cet interrogatoire, qui dura trois semaines et auquel elle répondit de façon à ce que ces doctes personnages fussent grandement ébahis, dit la chronique, par la sagesse de ses paroles, ils conclurent en sa faveur. Ces juges intègres reconnurent n’avoir trouvé en elle, après une sérieuse enquête, que « bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplesse ». Tout ce qui rappelle le souvenir de notre grande héroïne doit être pieusement conservé ; aussi cette pierre rendue précieuse par la tradition est aujourd’hui déposée à l’hôtel de ville.

La demeure de Nicolas se trouvait à l’angle de la rue, sur le boulevard ; elle était formée d’un grand bâtiment en ruines et conservant l’apparence recueillie et calme d’un couvent, car il avait autrefois fait partie d’un vaste monastère qui étendait ses dépendances jusqu’au bord du Clain. Les habitants de la rue se hasardaient rarement de ce côté dès que la nuit arrivait, et vous n’eussiez pas trouvé dans cette population besogneuse une femme ou un enfant pour faire une commission chez Nicolas, lorsque sa maison n’était plus éclairée que par sa petite lampe de cuivre. On disait qu’il y revenait et peut-être le vieillard entretenait-il ce bruit afin d’éloigner les curieux.

Il vivait seul avec sa petite-fille, une enfant de dix ans, chétive et pâle, qu’on s’étonnait de voir grandir, si lentement que ce fût, au milieu de la vie triste et sans air qu’il lui faisait. Sarah sortait rarement ; elle ne jouait jamais avec les autres enfants de la rue. Un jour, peu de temps après son arrivée à Poitiers, elle avait voulu se mêler à un groupe d’entre eux ; une fillette à laquelle elle tendait la main pour prendre part à une ronde s’était retirée avec un geste d’effroi à cette parole de son frère :

— Laisse-la, c’est la petite-fille du juif !

Ces mots firent le vide autour d’elle ; tous s’éloignèrent en la regardant avec une curiosité maligne.

Depuis, Sarah n’essaya jamais d’adresser la parole à aucun d’eux ; elle mit une sorte de fierté inconsciente à ne pas solliciter ce qu’on lui refusait. Pourquoi la repoussait-on ? Elle l’ignorait. Juive ? Elle ne l’était pas, elle savait à peine ce que signifiait ce mot.

La pauvre innocente portait au cou une médaille d’or sur laquelle était inscrit son nom : Sarah Alain, et la date de son baptême. Comment ce bijou avait-il échappé à la rapace convoitise de son grand-père ? Lorsqu’il s’était trouvé l’unique protecteur de l’enfant, il avait, il est vrai, essayé de s’emparer de cette médaille ; mais Sarah s’était révoltée, et cédant à ses pleurs, il s’était contenté de prendre, pour la vendre, la chaîne à laquelle elle était suspendue. Un matin, en s’éveillant, la petite fille l’avait trouvée remplacée par une ganse, ce dont elle avait été étonnée. La présence de la médaille l’avait pourtant consolée de cette disparition, et depuis, Nicolas avait oublié le fragile souvenir qu’elle gardait comme un talisman. La petite-fille de M. Larousse avait donc été baptisée aussi bien que lui-même, quoique en réalité le vieil avare se souciât assez peu de savoir à quelle religion il appartenait. Lorsqu’ils étaient venus, lui et Sarah, âgée de six ans, s’installer dans le quartier qu’ils habitaient, ne le voyant jamais mettre les pieds à l’église et lui reconnaissant les instincts rapaces propres à la race maudite, les voisins l’avaient surnommé “le juif”. Il n’avait jamais rien essayé pour empêcher ce titre de lui demeurer.

Sarah formait toute sa famille ; du moins, personne ne lui connaissait aucun autre parent et personne n’en avait jamais vu aucun autre passer le seuil de sa porte. Il n’était point du pays. Quand il s’était décidé à se fixer à Poitiers, ce n’avait été qu’après différents changements de résidence. Les gens qu’il aurait pu intéresser à un titre quelconque devaient avoir perdu sa trace, grâce à cette vie errante ; mais le vieux marchand ne semblait pas souffrir le moins du monde de son isolement, et bien que l’enfant eût seule droit à son affection, il n’en était pas plus tendre à son égard, l’unique attachement dont il parût capable étant sa passion de l’or. Il était riche, mais il vivait en pauvre afin de pouvoir lésiner à son aise sous le couvert de son apparente pauvreté, et il exploita le plus tôt possible la précoce intelligence de sa petite-fille. L’activité enfantine de celle-ci lui épargna de bonne heure les gages d’une femme de service.

Nicolas était marchand d’antiquités et Sarah était chargée de mettre de l’ordre dans le magasin, formé par le rez-de-chaussée entier de cette grand maison. Il y avait là cinq pièces d’inégales grandeurs, reliées entre elles par des couloirs étroits et noirs. À l’extrémité de l’un d’eux se trouvaient des marches usées et suintant l’humidité, sur lesquelles le pied glissait au premier abord. Elles conduisaient à une sorte de petit parloir que Nicolas avait consacré à son usage particulier.

Sarah n’y entrait jamais ; sa vie se passait dans le magasin et, grâce à l’encombrement de celui-ci, elle avait su s’y faire de petites retraites inaccessibles où elle se glissait à travers mille détours pour se livrer en liberté à ses distractions solitaires. Son grand-père ne jugeant pas nécessaire de lui accorder des moments de récréation, elle se dérobait ainsi à sa surveillance. Ce n’était souvent qu’après des appels réitérés qu’il voyait apparaître au-dessus d’une table ou entre deux armoires la figure ébouriffée de sa petite-fille, se levant enfin du coin où elle était blottie, son chat entre les bras, le caressant et le berçant par quelque chant étrange et sans suite, composé de bribes recueillies par elle dans les chants de la rue.

M. Larousse avait installé dans un coin, derrière des meubles massifs, les quelques ustensiles absolument indispensables au ménage. C’était là le domaine réel de l’enfant, tout ce qui représentait pour elle le foyer domestique. Elle y avait pour unique ressource la société du chat, dont elle s’était fait un ami. Nicolas, bien qu’il regrettât la maigre nourriture que cet animal parvenait à soustraire à son avare surveillance, tolérait pourtant sa présence, dans le but d’effrayer les régiments de souris qui dansaient même en plein jour leurs rondes audacieuses au milieu du magasin.

Les salles et les couloirs étaient remplis de meubles précieux mêlés à d’infimes débris ramassés on ne sait où. Bahuts sculptés avec art, tentures à peine flétries, vestiges d’une élégance ruineuse qui avait abouti à une saisie judiciaire, armures, bijoux anciens, tout cela se trouvait, étonné sans doute d’un tel rapprochement, au milieu de meubles modernes et des plus sordides défroques.

Dans ces dernières, Nicolas permettait à l’enfant de se choisir des vêtements, et Dieu sait les singulières toilettes résultant de la permission qu’il lui donnait. La petite fille n’avait pas souvenir d’avoir reçu de son grand-père le don d’une robe neuve, et comme elle était, vu son âge, absolument incapable d’ajuster à sa taille les vêtements parmi lesquels elle pouvait choisir, son habillement offrait un mélange de prétention et de misère qui touchait au grotesque. La mode n’avait rien à voir avec elle. En revanche, plus d’une bonne âme eut senti ses yeux se mouiller en voyant la pauvre petite, accroupie devant un tas de hardes plus ou moins défraîchies, essayant elle-même et seule les loques les moins usées, d’ordinaire beaucoup trop grandes et dans lesquelles se perdait sa taille enfantine.

Nous la trouvons un matin occupée avec son grand-père à examiner un paquet de vêtements et à mettre de côté ceux dont l’état de vétusté est tel que Nicolas, n’espérant rien en retirer, les lui abandonne. Assis, un crayon et un portefeuille crasseux entre les mains, le marchand inscrit les différents objets de toilette achetés en bloc et presque pour rien à une vente à laquelle il a assisté la veille. Sarah soulève un à un ces objets et sa convoitise se trouve excitée tout à coup par une robe d’enfant bleue et blanche, à peu près usée, mais conservant encore une certaine apparence d’élégance. Elle la tient presque respectueusement à la main et admire avec complaisance les dentelles fripées dont elle est ornée.

— Voilà un oripeau qui fera sans doute l’affaire d’une des femmes du voisinage, dit Nicolas. Elles ont toutes la passion de parer leur marmaille comme des idoles et celles qui n’ont pas assez d’argent pour acheter du neuf viennent chez moi. J’en tirerai bien quelques sous.

— Oh ! grand-père, donnez-la-moi.

Habituellement, Sarah n’ose guère formuler ses désirs devant ce vieillard dur et sordide, mais celui-ci l’a emporté sur sa timidité native.

— Qu’en ferais-tu ?

Elle allonge la robe le long de sa taille mince et montre qu’elle semble de bonne grandeur pour elle :

— Je la porterais.

— Toi ? Allons donc ! C’est beaucoup trop élégant pour une fille de…

Il s’interrompit.

— Une fille de quoi ? reprend l’enfant.

Le vieillard fait un geste d’impatience.

— Je m’entends, dit-il, et ça suffit.