La deuxième proie - Jean-Philippe de Garate - E-Book

La deuxième proie E-Book

Jean-Philippe de Garate

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Beschreibung

La copropriété n’existe pas. Les juristes ont pu imaginer, par cette construction abstraite, adoucir les rugosités, elles bien réelles, d’un voisinage. Mais, on le sait, la vie se joue des hommes, des femmes… en l’espèce, d’une jolie pianiste, d’un professeur d’histoire, de deux commères et d’un étranger, discret. Qui pourrait penser que dans l’espace clos, limité tel celui d’une robuste maison, puissent – à croire qu’ils sont animés par des lubies d’alchimiste – se mêler les mélodies de Scriabine, les désarrois d’un enseignant, les stratégies sophistiquées des uns des autres, et que la clef de cet embrouillamini ne se trouve pas dans la loi sur la copropriété, mais loin, très loin de nous ?




À PROPOS DE L'AUTEUR




Jean-Philippe de Garate, ancien avocat, puis magistrat, a dirigé la rédaction de la revue Droit & Patrimoine. Il exerce désormais les fonctions de conseiller de la rédaction de diverses revues. Dans son exercice professionnel, il a bien connu les mille et une facettes de la copropriété. Dans ce court et intense roman, il en restitue et en révèle bien des mystères.

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Seitenzahl: 106

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Jean-Philippe de Garate

La deuxième proie

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean-Philippe de Garate

ISBN : 979-10-422-0618-5

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

- Le bonheur, c’est quoi ? (avec Noëlle Bazalgette), essai, Éditions du Grillon, Marseille, 1994 ;
- Couve de Murville (1907-1999), un président impossible, biographie, Éditions L’Harmattan, Paris, 2007 ;
- Trouver la fin, roman, Éditions Mélibée, Toulouse, 20131 ;
- Le menteur, roman, Éditions Amalthée, Nantes, 20152.
- Manuel de survie en milieu judiciaire, abécédaire, Éditions Fortuna, Tournai, 2016 ;
- Bréviaire de la destruction, La justice politique à l’œuvre,récit, Éditions Fortuna, Tournai, 2018 ;
- Du côté de chez Céline, essai, Éditions Portaparole, Arles, 2019 ;
- Le juge des enfants, récit, Éditions Portaparole, Arles, 2019 ;
- Le conférencier, récit, Éditions Portaparole, Arles, 2020 ;
- L’avocat, récit, Éditions Le Lys Bleu, Paris, 2021 ;
- Paris, Covid, roman, Éditions Le Lys Bleu, Paris, 2021 ;
- Trois petits tours, roman, Éditions Le Lys Bleu, Paris, 2022 ;
- Un monde perdu, roman, Éditions Le Lys Bleu, Paris, 2023.

À la mémoire d’Isabel Alvarez de Toledo

Avant-propos

Alors magistrat à Nanterre, je siégeais de nombreux mois au sein de la chambre civile en charge de la copropriété.

Rarement un travail m’a semblé aussi inutile. La copropriété n’existe pas. Il n’existe que des problèmes de voisinage.

Paris, 11 juin 2023

Prologue

Cela a commencé par un banal problème de copropriété. Une question d’escalier ! Pour se simplifier la vie, ma toute jeune voisine avait demandé à bénéficier de l’exercice exclusif d’une partie des escaliers. Ainsi formulée, la demande peut sembler étonnante, puisqu’on n’imagine pas de sectionner un segment d’escalier, une série de marches empruntées par tous ! A fortiori, d’en interdire l’accès ! Mais l’immeuble que j’habite est distribué en appartements de façon si baroque qu’entre autres bizarreries, une courte dérivation des escaliers principaux ne sert déjà qu’à l’usage exclusif de l’appartement de cette voisine. Pour rejoindre l’entrée de son tout petit studio, on est tenu d’emprunter le prolongement d’un palier intermédiaire qui, à mi-pente entre rez-de-chaussée et premier étage, quitte l’escalier principal pour monter en neuf marches le long d’une courbe étroite et ombrée. Un bout d’escalier qui ne conduit que chez elle. Tandis que l’escalier principal continue au-delà de ce court entresol jusqu’aux étages. En un mot comme en cent, on n’en avait rien à faire ! Personne, vraiment personne à l’exception de Masada, puisque tel est le prénom de ma voisine, n’utilise ce passage. Ce fameux bout d’escalier ! Un débat qui semblait devoir se clore avant d’être ouvert et la réponse tomber sous le sens ! Une question dépourvue du moindre intérêt.

Sauf que, bien sûr, les choses ne sont jamais acquises… Pourquoi faire simple quand on peut compliquer à l’envi ? Et que la petite jeune que l’on déteste est en position de demande ! Ah ! mes chères voisines ! Les aléas humains d’un immeuble collectif ! La cohabitation, c’est comme l’urticaire ! Certains la supportent grâce à une médecine douce, des soins délicats ou une pommade apaisante, d’autres frotteront jusqu’au sang ! L’assemblée générale des copropriétaires était fixée le 29. Et à l’ordre du jour de la convocation figurait cette aliénation des parties communes, puisque c’est sous ce jargon de juristes que serait évoquée la question.

Masada est venue me voir quatre jours avant, c’est-à-dire le 25 avril. Masada… une jeune femme de vingt-deux ans à peine qui n’a qu’un plaisir : jouer du piano jour et nuit. Pour autant, cela ne gêne personne puisque les murs de l’immeuble, de vraies murailles du dix-septième siècle, assourdiraient le prochain concert d’adieu des Rolling Stones ou la plus hard rave techno, tandis que les cloisons horizontales, des planchers et poutres de soutènement en cœur de chêne, séparées à chaque étage par près d’un mètre de vide, noieraient dans le silence la plus hystérique entrée en scène de Justin Bieber. Enfin ! je me demande bien ce qu’on peut reprocher à Masada… Polie, discrète, souriante… tout le contraire des deux mégères qui, avec leurs appartements larges comme des étables, concentrent une majorité des tantièmes. Dont les lots de copropriété occupent l’essentiel de l’immeuble. Des quinquas qui usent avec délectation de ce vocabulaire qui pourtant pue le placard d’huissier ! le procès-verbal en triple exemplaire ! Mais puisqu’il faut en passer par là, je le dis pour n’y pas revenir : mon appartement enjambe les trois vieilles maisons accolées que nos commères nomment l’immeuble, des maisons qui sont constituées en une unique copropriété. Et mon logis de célibataire se déploie selon l’enfilade des très hautes mansardes qui servaient jadis de greniers à grains et ne sont désormais encombrées que de mes livres d’Histoire. Si on excepte Masada, les deux mégères et moi, on a vite fait le tour de l’immeuble, même si demeure un dernier copropriétaire, un vieil homme discret et retiré, presque muet, monsieur Martin, qui dispose d’un logement à son image, une sorte de loge tout au bout du couloir du rez-de-chaussée. Pour résumer, et employer cette fois une métaphore théâtrale, la pièce se jouerait à cinq : Masada, les deux mégères, le vieux monsieur et moi. Avec une ou deux invitées. Autant te le dire tout de suite, attentif lecteur !

J’aurais mieux fait de me faire porter pâle ! de déclarer forfait ! Encore que… ce n’est pas sur scène que serait donné le spectacle ! Eh oui, c’eût été trop simple !

Nous étions dans mon salon et Masada était tendue, je le voyais bien à sa façon de tenir ses poings serrés sur ses genoux étroitement joints. Je parle de ses genoux. Mais qu’on n’en tire pour autant aucune conclusion hâtive ! Je n’entretenais ni n’envisageais aucun lien équivoque avec ma voisine… n’ai aucun goût pour les post-adolescentes. Et les choses étant ainsi posées sans la moindre ambiguïté, je pouvais exprimer sans réserve combien sa manière d’être me touchait. Le charme, je le constatais, se trouvait avivé chaque fois que j’avais l’occasion de la rencontrer. Flottaient autour d’elle le parfum léger de la jeunesse, mais d’abord cette présence de l’artiste possédée par sa musique. Pourtant, en manière de présence, une femme mince à en paraître presque maigre ! Vraiment la feuille échappée d’un saule, voletant telle une note de piano posée sur une ligne télégraphique ! Nous prenions une tasse de thé chez moi et je l’écoutais m’exposer son souhait d’acquérir ce morceau d’escalier. Après avoir souri de son projet digne d’une héroïne de Balzac, j’observais avec curiosité cet angelot qui voulait jouer les Eugénie Grandet… m’étonnais tout de même du décalage ! son nouveau costume de propriétaire ! Vraiment pas le style de Masada ! Mais bon ! Puisque nous l’avions abordée, autant traiter la question ! Trop à l’étroit dans son tout petit studio, fatiguée de se heurter à des caisses d’osier emplies de partitions, elle n’envisageait que l’aspect pratique des choses. Disposer d’un peu de place ! Respirer ! Pour autant, se risquant dans la matière rugueuse du quotidien plus encore que dans les règles de la vie sociale, Masada me livrait ses doutes, ses interrogations. Et ses craintes face aux mégères. Sans être expert, je savais bien que la privatisation d’une fraction des parties communes, en l’occurrence ces neuf marches d’escalier, déclencherait un de ces sempiternels débats de principe dont notre merveilleux monde cultive le secret ! Avec pour effet principal de tripler la durée de la prochaine assemblée générale des copropriétaires quatre jours plus tard… De quoi décourager plus valeureux que moi ! L’an passé déjà, une question aussi palpitante que celle des menus travaux à effectuer dans l’entrée des caves avait déclenché un concert de vibratos des deux mégères qui, en l’occurrence, avaient conclu théâtralement une alliance entre copropriétaires principales. Puisque c’est désormais ainsi qu’elles se définissaient. En réalité, dans quatre jours, comme l’année dernière, ces éternelles emmerdeuses arriveraient avant l’heure pour poser leurs certitudes et leur postérieur sur les chaises disposées au centre du bureau du syndic. Je les voyais déjà ! Les entendais se rengorger dans leur jeu de rôle ! Leurs aphorismes approximatifs ! Leurs syllogismes ! De quoi détrôner notre grammairien de l’Élysée ! Alors, là, abandonner neuf marches à l’usage exclusif de mademoiselle Masada, c’était pas gagné ! D’autant que le débat se trouvait cette fois aiguisé par une question de droit dont mon juriste de frère avait eu la bonté de me rebattre les oreilles au téléphone, après que, par faiblesse, je lui en avais touché deux mots : pour que la copropriété accepte cette amputation pourtant bien indolore d’un court segment des parties communes, ces neuf marches d’escalier inutiles à tous sauf Masada, l’unanimité était requise. Tous les copropriétaires devaient être d’accord ! Article 26 ! Ma jeune voisine ne pouvait donc se passer de l’aval de quiconque. Et donc, des deux commères. Des femmes qui, Masada le savait, le sentait, ne lui voulaient que du mal.

Je ne sais pas bien pourquoi, j’étais dans une phase joyeuse de ma vie, sans grande occupation. Le dos à la cheminée, où brûlait un bon feu de brindilles sèches qui, reposant sur des branchages un peu verts ramassés dans les bois de Meaux, dégageaient une odeur douce et une fine fumée presque anisée, je regardais cette jeune femme sensible prendre avec délicatesse sa tasse de thé, puis la porter à ses lèvres. Elle me souriait. Et je me suis dit qu’à mon tour, je m’amuserais un peu ! J’ai accepté de consacrer un peu de temps à sa cause. De toute façon, Masada n’avait rien à perdre. Enfin, c’est ce que je croyais… Et moi, le seul homme valide de la maison, de dix ans le cadet des mégères, on me passait tout. Il est vrai que je ne demandais jamais rien, bégayais trois ou quatre mots aux rares assemblées générales auxquelles j’assistais, envoyant neuf fois sur dix un pouvoir de représentation à l’une des deux commères. Pour avoir la paix. Et, comme Masada, je payais sans délai ce qu’on me demandait. Mais autant ma correction de façade faisait croître année après année mon crédit auprès des deux harpies, autant la gentillesse de Masada, pourtant bien plus sincère, ne lui rapportait aucun bénéfice. N’étant pas française, sans doute iranienne, elle alimentait chez les deux quinquas, l’une divorcée, l’autre veuve, tous les fantasmes de départ inopiné, une suspicion de perfidie intrinsèque que rien ne pouvait lever. Ni même atténuer. J’avais beau avoir laissé traîner l’argument pourtant massif que son piano à queue, un magnifique Yamaha entré avec mille difficultés par la fenêtre, ne s’envolerait pas à la cloche de bois… répéter que Masada propriétaire de son studio… de surcroît orpheline, ne disposait d’aucun autre point de chute… rien n’y faisait ! Masada était détestée et je demeurais apprécié.

Il existait une autre raison fondant la bonne opinion que les commères avaient de moi. L’une d’entre elles, veuve de longue date, avait donné le jour à une portée à son image, et le dernier de ses rejetons avait atterri dans une de mes classes, en Terminale. Un élève médiocre et geignard qui avait pu atteindre péniblement le Bac. Non pas en raison de ses mérites, mais grâce aux directives du rectorat. L’essentiel demeurait que la mère m’imaginât derrière ces manigances de l’administration, en ignorant mon insistance à maintenir les notes réelles. Car son grand boutonneux avait une moyenne de huit, huit et demi sur vingt en histoire-géo, la discipline que j’étais censé lui enseigner. Et atteignait dix grâce à l’ajustement rectoral. Voire davantage. Je ne m’en souviens plus. En tout cas, la moyenne. Avec un avis favorable. Toujours est-il qu’il avait décroché son diplôme après rattrapage et encombrait les bancs de je ne sais quelle fac. À la suite de quoi, mes actions auprès de sa mère étaient montées en flèche. Depuis que son fils avait empoché le Bac, elle m’appelait le professeur.

Quant à l’autre mégère, copropriétaire du lot le plus important, plus de deux cents mètres carrés qu’elle occupait seule dans les bâtiments principaux de l’immeuble, le premier étage des deux plus grandes maisons accolées, c’était la pire… Bien que divorcée depuis des lustres et officiellement inconsolée, elle multipliait les retours nocturnes avec une large panoplie de prétendants. S’il y en a bien une qui portait atteinte à l’occupation paisible