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Jean-Philippe de Garate nous convie à explorer les arcanes de la justice pénale du quotidien, une justice ordinaire mais jamais banale. À travers douze récits, il donne vie à des femmes et des hommes issus de tous horizons : Argentin ou Lorrain, Chinois ou Serbe, médecin, joueur d’échecs, espion, grutier ou fleuriste, évoluant dans des décors variés, des cryptes mérovingiennes aux trains de banlieue. Chaque histoire dévoile, au-delà des rouages insoupçonnés de la machine judiciaire, des vérités humaines troublantes.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean-Philippe de Garate, avocat puis magistrat, a exercé pendant de longues années les fonctions de président et d’assesseur au sein d’un tribunal correctionnel du Nord-Est parisien. Parmi mille audiences, il en a retenu douze, choisies pour nous faire percevoir, avec justesse, la réalité des enjeux et les fondements d’une décision judiciaire.
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Seitenzahl: 89
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Jean-Philippe de Garate
L’assesseur
Récit
© Lys Bleu Éditions – Jean-Philippe de Garate
ISBN : 979-10-422-5703-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.
Le bonheur, c’est quoi
?
Avec Noëlle Bazalgette, essai, éditions du Grillon, Marseille, 1994 ;
Couve de Murville (1907-99), un président impossible
, éditions L’Harmattan, Paris, 2007 ;
Trouver la fin
, roman, éditions Mélibée, Toulouse, 2013
1
;
Le menteur
, roman, éditions Amalthée, Nantes, 2015
2
;
Manuel de survie en milieu judiciaire
, abécédaire, éditions Fortuna, Tournai, 2016 ;
Bréviaire de la destruction, La justice politique à l’œuvre
, récit, éditions Fortuna, Tournai, 2018 ;
Du côté de chez Céline
, essai, éditions Portaparole, Arles, 2019 ;
Le juge des enfants
, récit, éditions Portaparole, Arles, 2019 ;
Le conférencier
, récit, éditions Portaparole, Arles, 2020 ;
L’avocat
, récit, éditions Le Lys Bleu, Paris, 2021 ;
Trois petits tours
, roman, éditions Le Lys Bleu, Paris, 2022 ;
Un monde perdu
, roman, éditions Le Lys Bleu, Paris, 2023 ;
La deuxième proie
, roman, éditions Le Lys Bleu, Paris, 2023 ;
Le dernier mois, chronique picaresque
, éditions Le Lys Bleu, Paris, 2024
3
.
Pour John Campbell Filson,
mon premier maître et James Bloedé,
maître de la Beauté
Et pour Rupert Barclay et Art Baldonado,
mon cher cousin, juge à Los Angeles.
Le juge Bao dodeline de la tête en silence. Il est en présence, pense-t-il, d’un jeune homme pauvre mais intègre qui n’a pas le profil « psychologique d’un meurtrier ».
Shi Yukun, Le juge Bao et l’impératrice du silence,
éditions You-Feng, Hong Kong, Paris, 2005, page 27
Juger est l’œuvre d’un seul. Mais pour le tribunal correctionnel, nombre d’audiences se tiennent à trois. Les deux magistrats qui siègent aux côtés du président sont nommés « assesseurs ». Pendant quinze ans, soit président, soit, assez souvent, assesseur, j’ai pu constater un fait.
Un fait qu’ignore le public. Le public ne voit, et surtout n’entend, que le président, au centre de la grande pièce, la salle d’audience, derrière une longue table surélevée par une estrade. Un président qui, en France, parle beaucoup. Beaucoup trop4.
Ce qu’ignore le public tient en quelques exemples : le jugement est décidé à la majorité des voix. Autrement dit, le président, en certaines occasions, se trouve contraint de prononcer en public une condamnation ou une déclaration d’innocence qu’il désapprouve, après avoir été mis en minorité par ses deux partenaires, moins voyants que lui. Deux juges assesseurs qui, eux, la bouclent durant l’audience publique.
L’assesseur présente une autre caractéristique : pendant que le président est absorbé par les débats, la violence des échanges verbaux, la police de l’audience, l’assesseur demeure libre de ses regards, de ses oreilles. Il voit et entend ce qui peut sembler secondaire, et ne l’est pas. Comme les échanges de regards.
Autre « détail », tout aussi physique : les mains de l’assesseur sont libres. Elles ne sont pas encombrées par ces masses de papiers que manie le président et qui, on l’oublie, ne sont qu’un dossier à charge. Si tel n’était pas le cas, le prévenu – celui que l’on juge – ne serait pas devant le tribunal. Personne n’a jamais expliqué pourquoi le dossier de l’accusation ne se trouvait pas entre les mains de l’accusateur, du procureur. Si la justice française est bancale, elle le doit pour une large part à cette confusion des rôles, en cette occasion précise.
Assesseur aux mains libres, j’ai commencé par griffonner machinalement ; puis je me suis aperçu que ma mémoire s’améliorait en dessinant. Ainsi, je ne peux pas revoir le détail de telle esquisse, l’épaule ou le pied d’un homme imaginé, dessiné, sans que ne me revienne en tête la plaidoirie de l’avocat ou le témoignage d’un tiers, dans une affaire qui ainsi, se précise. Tous les dessins de cet ouvrage ont été réalisés pendant des audiences. Je sais ce qu’en diront les magistrats non-dessinateurs. Qu’ils tentent l’expérience, cela leur évitera d’énoncer une contre-vérité de plus.
Durant quinze ans, j’exerçais au tribunal de Meaux et aussi étrange que cela paraisse, le seul juge résidant sur place. Tous mes collègues vivaient à Paris ou dans sa banlieue immédiate. Ils ne connaissaient pour ainsi dire rien du contexte local, pourtant bien particulier.
Dans les récits qui vont suivre, on retrouvera parfois ce double décalage. J’étais un juge qui dessinait, et surtout, un assesseur du cru, qui décrivait dans ses dessins ce qu’il voyait, ce qu’il ressentait.
La justice, c’est physique. C’est un travail posté. Être assis des heures durant s’avère un supplice, avec des maux de dos en résultant et, dans mon cas, une claustrophobie se développant aussi vite que les sinusites.
Le record de durée est également intéressant : le record s’établit à 3 heures 40 du matin pour une audience immuablement commencée à 13 heures 30. Sans jamais une pause pour le dîner, même frugal. En parler aux collègues amenait immanquablement la même réponse : un sourire gêné. Et cette bêtise se drapant d’une logique apparente :
Encore une contre-vérité ! Chacun sait qu’un repas « restaure » et donc, que la fatigue est moindre, et l’agressivité – « avoir les crocs » – fond dans un bon plat. On juge différemment le ventre plein… Qui l’ignore ? Le meilleur moyen de vaincre son corps est de l’écouter un peu. Autant le dire, l’école de la magistrature – où il n’y a pas de cours de gymnastique ni de diététique – ignore ce genre de « détail ».
Pour rétablir au quotidien mon horloge biologique, je parcourais, deux, souvent quatre fois par jour, le chemin qui mène de mon domicile, lové dans l’ombre de la cathédrale, jusqu’au palais de justice, un bâtiment des années 1980 dont la forme évoque un W… Cela faisait un bon petit tour à pied.
Sortant de mon domicile, je descendais la rue commerçante et parvenais sur la place principale, la place Henri IV, où trônait un manège pour enfants, outre de spacieuses salles de cinéma. Puis, j’empruntais un lacis de ruelles, à commencer par celle des béguines : ici, le temps semblait s’arrêter, il n’y avait plus une voiture. Je marchais au milieu de la chaussée, les murs anciens étaient couverts de lierre, d’arbustes grimpants, de magnifiques travaux d’art et nombre de fissures non réduites dans des immeubles menaçant ruine : Meaux est une ville pauvre, d’un autre temps. Puis, en tournant à gauche, je parvenais dans la rue de l’abreuvoir. À soi-seul, ce mot « abreuvoir », alors que nous longions pour ainsi dire la Marne, était rafraîchissant. On n’y croisait personne, hormis de pauvres gens, lents, parfois un peu perdus. Enfin, passant juste aux abords du petit temple protestant, je terminais par la rue de la coulommière. C’était une marche délassante et onctueuse comme le silence.
La modernité surgissait en fin de course et je débouchais sur l’ignoble radiale fatalement baptisée « Salvador Allende », une vraie autoroute. Il fallait la traverser pour parvenir sur mon lieu de travail. Rien n’était beau dans ce palais, hormis un portrait de Bossuet, une copie de bonne facture de la peinture de Rigaud qui surplombait une banquette devant laquelle, lors des suspensions d’audience, nous pouvions parler de tout et de rien. À commencer par notre métier.
La justice demeure une chose étrange quand on y réfléchit, autant qu’un besoin profond. Comme le disait un collègue humoriste : La justice, c’est comme les chaussettes. Il n’y en a qu’une, la nôtre, celle de l’à peu près, pour ne pas dire – parfois – du grand n’importe quoi… Alors on cherche toujours la seconde. La vraie.
Le même plaisantait du mot « assesseur », avec ses quatre « s ». À rapprocher de la formule : un chasseur sachant chasser doit savoir chasser sans son chien. La réalité était bien plus torve qu’une partie de chasse ! Et le confinement à l’audience m’inspirerait dans un de mes ouvrages5 la formule : « L’assesseur sans cheveux aux chaussettes saucissonnées sortant de l’ascenseur, saucé de sueur ». La justice humaine est un puits sans fond.
Une nuit, je sortais de l’audience. Il était passé onze heures du soir et il faisait un froid de loup. Quels que soient les collègues avec lesquels j’ai siégé, des dizaines de présidents d’audience, aucun ne savait en contrôler la durée. Nombre jouissaient de leur présidence et clairement, s’écoutaient parler… Une circulaire de Marylise Le Branchu, ministre de la Justice oubliée parmi tant d’autres, serait prise en 2001 sur la durée « raisonnable » de l’audience. Pas au-delà de six-huit heures. Elle n’a jamais été appliquée… La république du papier.
Il faisait un froid de loup et on approchait minuit. Je nouais mon écharpe de laine et serrais contre ma gorge les revers de mon manteau. Le silence succédant à ces heures de blabla – dont les trois quarts inutiles – était si doux ! J’avais, par des calculs savants dont j’épargnerai le détail au lecteur, réalisé qu’un juge entend environ cent mille mots par audience de dix heures. Je n’avais plus le courage, ni d’entendre qui que ce soit, encore moins de parler. En dépit de la fraîcheur trop prononcée, cette nuit immobile et muette m’était si douce. Le vent, remontant la Marne, « lavait » mes oreilles et ma tête. Mon corps, contraint à la position assise trop longtemps, se détendait à chaque pas. Profitant de la solitude, j’effectuais sans peur du ridicule de grands mouvements de bras, moulinets, balancements, élongations.
Poursuivant mon périple habituel, je parvenais à portée de vue de la cathédrale. Sa vue me faisait du bien. L’histoire de Maugarni, ce malfaiteur qui donne son nom à une porte, constituait un magnifique pied-de-nez. Quand j’arrivai tout près de chez moi, un homme zigzaguant se déporta pour m’approcher, à me toucher. Il avait une magnifique tignasse hirsute. Pointant son doigt vers mon visage, vraiment à me toucher le haut de la joue, il eut cette phrase, si riche en interprétations :
Je ne lui avais pas dit un mot.