La Loi des pyramides : L'héritage de Zac - Philippe Dumont - E-Book

La Loi des pyramides : L'héritage de Zac E-Book

Philippe Dumont

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2072. La loi des Pyramides, qui exclut les « inutiles » de la société, tyrannise déjà l’EuropeChami n’est pas encore née... Zac, lui, vient d’avoir seize ans et il est convoqué par le notaire de son grand-père. Ce dernier, décédé il y a quelques années, a laissé un héritage qui doit être transmis à Zac le jour de son anniversaire... Enfin, transmis... Un bien grand mot, car c’est une énigme que Zac reçoit, sans même savoir ce qui l’attend au bout de l’étrange jeu de piste que son grand-père lui a préparé. Par contre, ce dont il est sûr, c’est que cet « héritage » intéresse au plus haut point tant le comité d’éthique que le ministère Sciences de Progrès, car les deux instances ont lancé des agents à ses trousses, qui ne lésinent pas sur les moyens (y compris la violence) pour tâcher de le doubler dans sa quête. Zac va se retrouver par deux fois dans des « réserves ». Supposées être des havres de repos, les réserves abritent les personnes trop âgées selon la loi pour rester dans la société active. Ce sont en fait des ghettos, dépourvus du moindre confort et souvent situées dans des zones qui ont été contaminées par des expériences chimiques ou radioactives. Et les « vieux » n’y sont pas seuls. Zac y rencontre aussi des dégénérés mentaux, résultats peu probants des premiers tests pour des implants neuronaux de pointe. Avec l’aide de résistants écossais qui luttent pour que leurs ancêtres aient droit à une vieillesse entourée de leur famille et pas isolée dans des no man's land, Zac parviendra à retrouver la lettre que lui a laissée son grand-père et qui lui explique de quelles expériences scientifiques a été entourée sa naissance. Il découvrira avec effroi que la recette de la jeunesse éternelle a été découverte, testée sur 52 rats (de Zac-1 à Zac-52), puis sur un premier bébé, lui-même, Zac-53. Il ignore par contre que, quelques années plus tard, un deuxième bébé fera office de cobaye, une fille, cette fois, Zac-54, appelée Chami...Découvrez sans plus tarder la suite passionnante de Chami Chikan !EXTRAITBruxelles, le 5 Mai 2071, vers 4 heures du matin.— J'espère que vous avez une bonne raison de m'appeler à une heure aussi matinale, fit la voix à demi réveillée d’Osborn. Le conseil du Comité d’Éthique s’est terminé très tard et j’ai demain une réunion de la première importance avec la famille Chabrière.— Une excellente raison, répondit la voix dans le haut-parleur. Vous m’aviez bien chargé de surveiller les faits et gestes du professeur William Carmichael ?— Oui, et alors ?— Eh bien, vous pouvez considérer que ma mission prend fin.CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE- "'(...) Cette trilogie est la première œuvre romanesque de Philippe Dumont. Une réussite. Nous attendons le troisième tome avec impatience" - Coup de coeur LibbylitÀ PROPOS DE L'AUTEURNé en 1965 en région parisienne, Philippe Dumont est ingénieur électronicien. On le définit comme quelqu’un d’optimiste et réaliste, volontaire et opiniâtre. Une de ses citations favorites : « Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce que l’on a ». Il aime les plaisirs rustiques tels qu’une veillée au coin du feu, une nuit à la belle étoile en montagne, ou encore une partie de pêche en rivière. Chami Chikan est son premier roman ; il entame la trilogie de La Loi des Pyramides, dont le deuxième volume, L'héritage de Zac, est également disponible.

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À Kiki et à sa bonne étoile. À Émilie, Lisa, et à leurs aïeux.

À Papou l’O.M, qui m’a inspiré le grand-père facétieux, à son chien Ref, qui n’aurait pas démérité dans le rôle de Prof.

« On ne peut donner que deux choses à ses enfants: des racines et des ailes. »

Anonyme.

EXTRAIT DU COMPTE RENDU DE LA COMMISSION DES ÉQUILIBRES DÉMOGRAPHIQUES EUROPÉENS DU 26 OCTOBRE 2071 :

—   Âge moyen de procréation : 43 ans

—   Taux de Fécondation In Vitro : 97%

—   Âge moyen du prélèvement de gamètes : 20 ans

—   Taux de natalité : 0,7 %

—   Taux de mortalité : 1,9 % réparti comme suit :

•   66 % accident

•   29 % maladie

•   5 % raison inconnue

—   Âge moyen de la population : 47 ans

—   Âge légal maximum : 100 ans

—   Population des zones d’exclusions : non comptabilisée

—   Recommandations :

•   Poursuite de la politique de support à la procréation

•   Maintien de la loi des Pyramides

Première partie

Héritage

1.

Coup dur

Bruxelles, le 5 Mai 2071, vers 4 heures du matin.

— J’espère que vous avez une bonne raison de m'appeler à une heure aussi matinale, fit la voix à demi réveillée d’Osborn. Le conseil du Comité d’Éthique s’est terminé très tard et j’ai demain une réunion de la première importance avec la famille Chabrière.

— Une excellente raison, répondit la voix dans le haut-parleur. Vous m’aviez bien chargé de surveiller les faits et gestes du professeur William Carmichael ?

— Oui, et alors ?

— Eh bien, vous pouvez considérer que ma mission prend fin.

La voix ne laissait transparaître aucune émotion. Les faits, rien que les faits, sans état d’âme ni jugement, avec la froideur de ceux qui sont habitués au pire. Le président du Comité d’Éthique se frotta le visage en se demandant s’il rêvait toujours ou si l’appel sur son HC l’avait effectivement tiré du lit.

— Vous démissionnez ? demanda-t-il incrédule.

— Pas exactement.

— C’est bien ce qu’il me semblait : vous n’êtes pas le genre d’agent à laisser tomber une mission à la première difficulté, n’est-ce pas ?

Son interlocuteur marqua un temps d’arrêt avant de répondre.

— En effet, mais là n’est pas la question. Comme vous le savez, il m’était devenu impossible de récolter la moindre information sur le professeur depuis plusieurs semaines.

— Si je me souviens bien, votre dernier rapport mentionnait que Carmichael ne sortait plus de son laboratoire et n’entretenait plus aucun échange avec ses confrères ou amis.

— Précisément. Cela étant, je ne lui connaissais que peu d’amis, et pour ainsi dire aucune famille proche.

— Aurait-il imaginé de nouveaux axes de recherche encore plus inquiétants que les précédents ?

— À vrai dire, peu importe …

— Comment ça, « peu importe » ? coupa Osborn en réprimant un bâillement. Vous devriez connaître son pouvoir de nuisance !

— J’en suis parfaitement conscient, Monsieur le Président, reprit la voix toujours aussi calme. Et si j’ai pris la peine de vous contacter de si bon matin, c’est que je me trouve actuellement face au professeur William Carmichael. Il m’avait accordé un rendez-vous.

— À trois heures du matin ?

— Vous connaissez comme moi l’excentricité de notre homme. Notion très relative du bien et du mal, vague idée de ce qui distingue le jour de la nuit, mépris absolu des convenances mais, à côté de cela, un pur génie.

— Un pur génie du mal, marmonna le président. Comment se fait-il que vous parliez à haute voix devant lui ? Ne peut-il entendre notre conversation ?

— Ça lui est devenu impossible.

Osborn fronça les sourcils en comprenant ce que son agent n’exprimait pas clairement.

— Il est donc mort ?

— Affirmatif. Il gît actuellement sur le sol de son laboratoire.

Le président du Comité d’Éthique marcha nerveusement vers la fenêtre de sa chambre. La situation pouvait s’avérer très grave, voire incontrôlable.

— Selon vous, est-il mort de mort… naturelle ?

— Difficile à dire. Il a pu être empoisonné, ou être terrassé par une réaction allergique fulgurante, ce qui expliquerait son visage boursouflé. Il est méconnaissable ! À moins qu’il ait joué les cobayes et testé une de ses inventions sur sa propre personne. Et que l’essai ait mal tourné.

— Des traces de lutte ?

— Désolé d’être tout aussi imprécis sur ce sujet. De nombreux objets jonchent le sol, mais ce n’est pas forcément le résultat d’une bagarre. Le professeur a très bien pu être pris de spasmes et les faire tomber lui-même. L’enquête de police devrait nous éclairer.

— Vous plaisantez ! Pas question d’attendre la police. Faites un prélèvement de son ADN pour confirmer qu’il s’agit bien du professeur Carmichael. On ne peut pas se contenter de suppositions dans une affaire aussi importante.

— C’est déjà fait, répondit l’agent. Le professeur s’est coupé en tombant et j’ai prélevé un échantillon de sang. Le résultat de l’analyse vient de me parvenir, d’où mon appel. Il n’y a aucun doute, il s’agit bien de William Carmichael.

— Alors prions pour que sa mort soit naturelle et que personne ne se soit emparé du fruit de ses travaux, conclut Osborn avant de mettre fin à la communication.

2.

Héritage

Paris, le 5 Mai 2072, à 17 heures.

Maître Vandetti examina attentivement son client. Le jeune homme qui se tenait devant lui était de taille moyenne, élancé, plutôt beau garçon, avec un corps musclé sans excès. Son teint de poupée tranchait avec la dureté de ses traits et son menton volontaire témoignait d’un tempérament jusqu’au-boutiste. Cachés sous des arcades proéminentes, ses yeux bleus brillaient comme deux petites perles que de brefs mouvements des paupières dissimulaient à intervalles réguliers. Son grand-père Théo, s’il avait été encore de ce monde, n’aurait pas manqué d’évoquer, selon une de ses formules préférées, les « yeux de fouine » de son petit-fils. À son habitude, sa mère aurait joué les choquées, façon fille de bonne famille en s’exclamant : « Papa, tout de même ! »

Dans la pièce faiblement éclairée, un diffuseur répandait une odeur subtile de fleur d’oranger. Assis sur le sol parqueté, le chien du jeune homme se tenait droit, tout comme son maître, et son attitude concentrée suggérait que rien de ce qui allait se dire au cours de l’entretien ne lui échapperait. Maître Vendetti se demanda presque s’il devait s’adresser au garçon ou au chien lorsqu’il entama son discours, et il s’étonna à peine que tous deux relèvent la tête simultanément.

— Nous allons donc pouvoir procéder à la remise de l’héritage que vous a légué votre grand-père.

Silence. Le notaire reprit sa respiration. Il ne se sentait pas dans son assiette. Était-ce ce chien bizarre qui le perturbait ? Ou peut-être l’impression amère laissée par ce mystérieux appel téléphonique, le matin même. Osborn, le président du Comité d’Éthique en personne, ne voulait rien moins que connaître le contenu de l’héritage du jeune homme. Ben voyons ! Président ou pas, il n’en avait rien su. En cinq générations de Vandetti qui s’étaient succédé à ce poste, aucun n’avait jamais failli à son devoir. Ce n’était pas à deux ans de céder sa place qu’il allait remettre en cause leur réputation d’incorruptibilité. Quand le président avait interrompu la discussion, il lui avait laissé cependant la désagréable impression qu’il n’en resterait pas là.

« Et dire qu’il s’agit simplement d’un instrument de musique », pensa-t-il. Pas de quoi fouetter un chat. En quoi le Comité d’Éthique pouvait-il être concerné par le legs d’un instrument de musique ? Probablement une erreur !

Le chien leva une oreille comme pour manifester son impatience. « Voilà que le chien me met la pression ; ils doivent faire un numéro de cirque, ces deux-là ! », pensa maître Vandetti en se levant.

— Comme je vous l’expliquais, votre grand-père maternel a sollicité mon office il y a de nombreuses années pour que vous soit remis un colis le jour de votre majorité. Je crois qu’il est mort lorsque vous aviez neuf ans, n’est-ce pas ?

— C’est exact.

La fébrilité du notaire n’échappa pas au jeune garçon. Le front de maître Vandetti brillait d’une sueur froide d’autant plus suspecte que l’office bénéficiait d’une climatisation particulièrement bien réglée. Il était souffrant, probablement. Ou alors très inquiet, ce qui aurait expliqué sa poignée de main moite. Pourquoi son grand-père Théo avait-il choisi de le convoquer ici, chez un notaire, alors qu’il aurait suffit de passer par l’intermédiaire de ses parents ? Théo avait quatre-vingt-dix-neuf ans lors de la rédaction du testament. À cet âge, il lui était possible, pour ne pas dire vivement conseillé, de léguer tous ses biens à ses enfants. Cet héritage était-il l’ultime facétie d’un vieil original qui ne pouvait décidément rien faire comme les autres ?

Le notaire balaya la pièce du regard et reprit:

— Théodore avait une grande estime pour notre famille et lui portait une confiance absolue. C’est pourquoi il a fait appel à moi pour cet acte qui semblait énormément compter à ses yeux. Je dois vous avouer que, malgré ses extravagances, j’appréciais beaucoup votre grand-père.

Le jeune homme afficha une moue incrédule. Le notaire avait dit « Théodore » ! Il avait mentionné le prénom comme pour détendre l’atmosphère et créer de l’intimité avec le garçon qui demeurait figé, attentiste, son chien asservi à ses mouvements. Il avait dit « Théodore » ! Peut-être l’appréciait-il, mais certainement pas au point d’être un proche car personne dans l’entourage du grand-père ne se serait risqué à l’appeler autrement que Théo. C’était d’ailleurs un des rares points communs qu’il avait avec sa fille. Leïla-Clara ne supportait pas non plus son prénom. Trop exagéré, trop voyant, trop long, trop tout. Elle se faisait appeler Claire et supportait tout juste que son mari la surnomme Lola en privé, sachant pertinemment qu’une fois sur deux il prendrait un malin plaisir à rajouter Clara, rien que pour la faire enrager.

L’apparente passivité du garçon masquait en réalité une vive impatience. Voilà que, sept ans après sa disparition, son grand-père lui adressait un message d’outretombe. Et quel message ! Le notaire avait bien précisé lors de la convocation : « N’en parlez à personne, pas même à vos proches. Vous seul devez être informé. Au besoin, inventez un prétexte pour vous rendre à notre étude. Votre grand-père y tenait tout particulièrement. » Allait-il hériter d’un cadavre dans le placard ? Un legs établi dans le plus grand secret ! Théo pensait-il gagner un morceau d’éternité en agissant sur le monde par-delà le trépas ? Une façon sans doute d’accéder à l’immortalité. Quel pouvait bien être cet héritage qui nécessitait autant de discrétion ? Un trésor rapporté de ses voyages lointains et qu’il aurait destiné à son unique petit-fils ? Il est vrai que, dans ce cas, il avait bien fait de court-circuiter ses parents, car il ne faisait aucun doute que le jeune homme n’aurait jamais reçu ce cadeau intact. Non pas que ses parents fussent d’une moralité douteuse, mais ils auraient probablement monnayé le trésor et placé les deniers ainsi récoltés sur un compte convenablement rémunéré. Le charme des taux bancaires aurait ainsi balayé d’un trait d’écriture comptable le romanesque des pièces d’or et des pierres précieuses conservées pendant des siècles dans quelque grotte oubliée. À ce côté très terre-à-terre, en totale contradiction avec l’originalité de son grand-père, venait s’ajouter l’éternelle querelle qui opposait Théo à sa fille Leïla-Clara. « C’est donc ça ! », se persuada le jeune homme. Un cadeau dont il allait pouvoir profiter seul, sans que son plaisir puisse être gâché par la censure parentale. Sacré grand-père Théo. Il devait sentir que son petit-fils aurait un jour besoin de liberté, besoin de respirer en dehors de l’étau familial, besoin de quitter la voie toute tracée de la réussite jusqu’à la direction de l’entreprise Chabrière & Co pour trouver son propre chemin.

Maître Vandetti se dirigea vers une armoire blindée située derrière lui. Il s’immobilisa et en fixa le judas jusqu’à ce qu’un clic discret annonce l’ouverture de la porte. Puis il sortit un long cylindre enveloppé d’un simple papier kraft et le posa sur son bureau.

— Eh bien, voilà, jeune homme, le contenu de votre héritage.

Un tube ! Un long tube ! Le garçon s’en empara, le tourna, le retourna et le soupesa. « Densité d’un dixième », pensa-t-il. Autant dire plein de vide ! Aucune chance qu’il contienne la moindre pièce d’or ! Aucune importance. Si l’idée d’un trésor lui avait traversé l’esprit, il se doutait bien que la réalité serait différente. En le manipulant, il déclencha un mouvement à l’intérieur, accompagné d’un bruit discret. Comme le cliquetis de graines évoquant un son de gouttelettes. Un son de pluie. Un bâton de pluie ! C’était donc un bâton de pluie africain. Tout ce tralala pour un instrument de musique ?

Le notaire le sortit de ses pensées.

— Si vous voulez bien vous authentifier…

Le jeune garçon plaça sa main à plat sur le scanner en continuant de se demander pourquoi son grand-père avait fait tant de mystère autour d’un instrument aussi rudimentaire.

La voix douce sortie du scanner annonça: « ZAC CHABRIÈRE, NÉ À PARIS LE CINQ MAI DE L’AN DEUX MILLE CINQUANTE-CINQ, DE MADAME LEÏLA-CLARA MAISONNEUVE ET DE MONSIEUR HIPPOLYTE CHABRIÈRE. »

Le notaire reprit:

— Nous sommes le cinq mai deux mille soixante et onze, jour de votre majorité. Vous avez seize ans révolus, j’ai donc l’honneur de vous déclarer légataire officiel de ce paquet. Le courrier de votre grand-père précise qu’il s’agit d’un instrument de musique très ancien.

— C’est ce qui m’avait semblé, en effet, répondit Zac sur un ton neutre.

Pas question de montrer ses sentiments devant un inconnu. Il n’avait pourtant qu’une hâte: gagner un endroit tranquille pour profiter de la magie de cet héritage, et retrouver pour quelques instants son grand-père disparu. Il se leva d’un bond, s’empara du colis et, sans même le déballer, salua le notaire.

— Merci, Maître. Tu viens, Prof ?

Le chien remua la queue et suivit Zac jusqu’à la porte d’où il lança un jappement bref en direction du notaire. Maître Vandetti interpréta un « au revoir ».

— Ah, j’oubliais ! lança-t-il affolé d’avoir omis un détail qui lui semblait aussi bizarre qu’inquiétant.

Il contourna son bureau à la hâte et lut à voix haute la fin de l’acte.

— Votre grand-père avait précisé de vous mettre en garde et vous fait part de trois recommandations. La première : quittez Paris dès que possible. La deuxième : soyez très prudent. Et la troisième : méfiez-vous des faux amis.

3.

Le colis

Paris, le 5 Mai 2071, vers 18 heures.

De retour chez lui, Zac traversa le hall d'entrée en coup de vent et fila directement dans sa chambre. Pas question de mettre les parents dans la confidence. Original, le grand-père Théo l’était. Mais fou, certainement pas. Il avait donc à coup sûr une excellente raison de faire remettre un colis à son petit fils sans autre intermédiaire qu’une étude notariale au sérieux irréprochable. Mais pourquoi ces mises en garde ? Que représentait véritablement ce bâton de pluie ? Et qu’avait à redouter d’un tel héritage un jeune étudiant en biotechnologie ? L’éclairage automatique du couloir étant défaillant, il avança à tâtons jusqu’à ses quartiers. La porte glissa silencieusement dans le faux plafond et le Home-Central détecta immédiatement sa présence.

— BIENVENUE, ZAC. LA JOURNÉE A ÉTÉ BONNE ?

— Merci, HC. Des messages ?

— UN MESSAGE VOCAL DE TES PARENTS ; UN COURRIER HOLOGRAPHIQUE DE BRUXELLES, ÉMETTEUR NONIDENTIFIÉ LE JOURNAL D’ACTUALITÉ ET LA REVUE « NATURE ». PROJECTION ?

— Un courrier de Bruxelles ? Sûrement une erreur. On verra plus tard. Envoie le message vocal.

La voie mélodieuse de Leïla-Clara emplit la pièce, couvrant les bruits de lapements de Prof occupé à se désaltérer. Tout en écoutant, Zac retira lentement le papier kraft dans lequel l’objet légué par son grand-père était enveloppé depuis sept ans.

Bonsoir, Zac.

Ne t’étonne pas de notre absence, nous serons de retour après-demain dans la soirée. Ton père a été convoqué d’urgence au sein d’une commission sur l’avenir des biotechnologies à Bruxelles. Je l’accompagne. Avant de partir, nous avons juste eu le temps de cacher une surprise derrière la trappe d’évacuation incendie de ta chambre. Bon anniversaire, mon grand.

Une fois l’emballage retiré, il examina l’objet : un tube de bambou constitué de deux parties d’égale longueur collées bout à bout. Sur la face externe ornée de décorations symboliques, une main ouverte et un œil représentés au fusain ressortaient du fond blanc. Un bâton de pluie comme il en existait tant d’autres. Examinant l’œil de plus près, Zac découvrit quelques mots en surimpression : « Bâton de vieillesse de grand-père Théo. » Dans la main, une autre inscription: « On ne voit bien qu’avec le cœur. » Une citation du Petit Prince de Saint-Exupéry. Zac remarqua alors un cœur sculpté dans les faces circulaires situées à chaque extrémité du bâton de pluie. L’intérieur du cœur avait été recouvert d’une matière lisse et transparente. « Probablement un morceau d’intestin d’un animal de la savane africaine », pensa Zac en saisissant le bâton de pluie à deux mains pour l’orienter vers la lumière. Lorsqu’il plaça un œil sur l’un des deux cœurs, une pluie de grains multicolores descendit lentement le long de l’instrument, renvoyant des reflets changeant au rythme du bruit de la pluie. Une fois toutes les graines tombées, Zac découvrit ce qu’il suspectait. Une peau, tendue au milieu de l’instrument. Elle comportait un message, une inscription manuscrite en lettres rouge sang.

Hors des eaux et des terres, le vieil homme immobile

Offre en son chefla clef de vie et du tourment

Y parvient le jeune homme, vaillant qui disna ken.

De son vivant, Théo avait souvent élaboré des énigmes pour son petit-fils qui adorait les résoudre. Avaitil conçu cette dernière afin de lui transmettre des données confidentielles qui ne soient interprétables que par lui, ou était-ce plus prosaïquement un dernier jeu de piste destiné à amuser Zac jusqu’après sa mort ? Sacré grand-père ! Zac était tout juste majeur, et voilà qu’il ressentait la même excitation que lorsqu’il était enfant face à un emballage récalcitrant qui retardait la découverte du cadeau et augmentait d’autant le plaisir procuré.

— Disna ken, Disney ken ? Disney… les studios ? Ça m’étonnerait ! Ce n’était pas le genre de grand-père Théo d’avoir recours à ce type de symbole !

Le jeune homme réfléchit à haute voix.

— Une langue étrangère ? Ken… Quelque chose à voir avec le Manneken-Pis de Bruxelles ? Un dialecte africain ? Chercher les origines du bâton. On verra plus tard. Le jeune ? C’est moi, à coup sûr. Vaillant ? Faut voir ! Hors des eaux et des terres, le vieil homme… Je vois bien un vieil homme, retiré de tout. Un ami de Théo… S’il faut que j’aille voir ce vieil ermite, il va effectivement me falloir une bonne dose de courage étant donné qu’il réside en zone interdite. Tu parles d’un jeu de piste !

— HC, envoie la lettre, s’il te plaît.

L’ordinateur central projeta une lumière bleutée au milieu de la pièce. Un courrier à en-tête officiel du Directoire européen apparut.

Cher Zac,

J’ai très bien connu votre grand-père Théo dont j’étais l’ami. Aussi permettez-moi de vous appeler Zac.

J’ai de bonnes raisons de penser que vous détenez des informations confidentielles qui vous font courir un grave danger. Veillez à les remettre à la personne qui frappera ce soir à votre porte. Il en va de votre vie.

Bien amicalement,

Angy.

Le jeune homme reçut l’avertissement comme un coup de massue. À moins d’un énorme canular, ce dernier courrier ressemblait fort à la preuve tangible qu’un danger le menaçait. Théo ne l’avait pas inutilement mis en garde. Mais de quel danger ? À seize ans, il n’avait connu qu’écoles de management et instituts scientifiques. Alors, comment faire face à une situation aussi inédite ?

Pensif et un peu déboussolé, Zac s’allongea sur son lit. Il était un simple étudiant comme tant d’autres. D’amphithéâtres en téléconférences 3D, il profitait d’ailleurs des meilleures formations dans des domaines qui le passionnaient et pour lesquels il montrait de réelles facilités. Un parcours qui comblait son désir d’apprendre sans toutefois – il fallait bien l’admettre – répondre à toutes ses aspirations. Quelque chose lui manquait, sans qu’il puisse définir de quoi il s’agissait. Peut-être était-ce cette trop grande facilité avec laquelle il franchissait les étapes qui le propulseraient à la tête de l’entreprise familiale. Cette certitude de réussir. Un avenir trop prédictible qui ne laissait pas de part à l’inconnu ou à l’aventure. Afin qu’il se changeât les idées, sa mère lui avait conseillé la guitare à cinq cordes. Elle adorait le chiffre cinq. Il s’était donc mis à la guitare. Son père l’avait incité à pratiquer une discipline sportive. Il avait choisi le ju-jitsu. Hippolyte aurait préféré l’athlétisme, mais enfin… En quelques mots, la vie de Zac s’écoulait tranquillement, sous le contrôle bienveillant de ses parents qui s’assuraient de son confort et de sa réussite. Mais voilà ! En l’espace d’une heure, quelque chose avait basculé, quelque chose de lourd dont il ignorait tout.

Un ami de Théo. Mais pourquoi son grand-père n’en parlait-il pas dans son message ? Était-ce lui, le vieil homme ? Théo avait précisé de se méfier des faux amis. Cet Angy était-il un faux ami ? Un prénom mixte pour tout paraphe ! Angy. Et pas de signature physiologique du message. Étrange ! À moins qu’il ne s’agisse d’un nom d’emprunt ? « Angy, Angy, ène-dji », répéta Zac à haute voix. Cela sonnait comme des lettres, les lettres N et G épelées en Anglais. Des initiales ! Bruxelles. Combien de ministères au Directoire ?

— HC, indique-moi la liste des ministres européens dont les initiales sont November et Golf.

— LES VOICI, ILS SONT TROIS : NOLAN GARIBALDI, FRAU NOLWEN GRINENBERG, ET SIR NICK GOODFELLOW.

Un ami de Théo, on élimine Frau Grinenberg. Nolan Garibaldi ? Nick Goodfellow ? Bonhomme, bon ami, faux ami ?

— DES VISITEURS. DEUX PERSONNES À L’ENTRÉE. ILS N’ONT PAS ACTIVÉ LA SONNERIE. PRÉSENTATIONS ?

— Je t’en prie.

— ROBBY HAUTECLOIE, TRENTE-DEUX ANS, PROFESSION INCONNUE, ET ESTEBAN ROBERTO, TRENTE-TROIS ANS, PROFESSION INCONNUE. ILS S’EN VONT. CE N’ÉTAIT PAS POUR NOUS.

— HC. En cas de visite, je suis absent. Je ne veux recevoir personne ce soir. Quels postes occupent Garibaldi et Goodfellow ?

— RESPECTIVEMENT ENVIRONNEMENT DE 2021 À 2027, ET SCIENCES DE PROGRÈS DEPUIS 2068.

— Un seul en activité. C’est bon, on tient notre supposé bienfaiteur. Nick Goodfellow.

NOS DEUX VISITEURS REVIENNENT. ILS SONNENT.

4.

Fuite

Deux visiteurs, alors que le courrier signé Angy n'en annonçait qu’un seul ! Une raison de plus de se méfier.

— HC, je répète, je ne suis pas là. Télécharge tous les messages sur mon CP, tu veux ?

— C’EST FAIT. ZAC, ILS ENTRENT ! ILS ONT UTILISÉ UN LAISSEZ-PASSER ; JE NE PEUX PAS M’Y OPPOSER. JE LEUR ANNONCE QUE LA MAISON EST VIDE.

— D’où tiennent-ils un laissez-passer ?

— AUCUNE IDÉE. À MA CONNAISSANCE, TES PARENTS N’EN ONT ÉMIS AUCUN. LES DEUX HOMMES SONT DANS LE SÉJOUR.

— HC, la liste des transports pour Briançon au départ de Paris.

— BRIANÇON EST EN ZONE DE RESTRICTION. VILLE AUTORISÉE LA PLUS PROCHE: GRENOBLE. PROCHAIN MAGNÉTO POUR GRENOBLE À 21 HEURES 32 EN GARE DE LYON. JE RÉSERVE ?

— Un aller simple. Prof, viens vite, on y va. HC, pas un mot à qui que ce soit avant mon retour.

Zac s’empara de son sac de sport dans lequel il fourra une veste isotherme légère, quelques barres énergétiques et une paire de lunettes de vision nocturne. D’un coup sec, il brisa le bâton de pluie sur son genou, en retira le message, le plongea au fond de la poche de son pantalon et en verrouilla la fermeture magnétique. Les deux morceaux du bâton atterrirent quant à eux au fond d’une corbeille après un vol plané en travers de la pièce. Surpris par l’efficacité et le sang-froid dont il faisait preuve, il sourit intérieurement. Tout paraissait si irréel et en même temps si palpable ! Comment pouvait-on éprouver simultanément des sentiments aussi contradictoires que la peur et l’exaltation ?

— ILS SONT DEVANT TA PORTE. ILS ENTRENT.

La porte s’ouvrit sur une lumière blanche d’une intensité aveuglante. Deux hommes athlétiques vêtus de vestes sombres avancèrent, précédés du faisceau de leur puissante lampe frontale. Agitant devant lui son laissez-passer comme on agite un leurre, le premier balaya la pièce du regard, cherchant en vain d’éventuels occupants. À ses côtés, le deuxième homme secoua son détecteur de présence en fronçant les sourcils. Bien que la pièce fût vide, la composition et la température de l’air ambiant relevées par l’appareil attestaient sans doute possible d’une présence humaine.

— Je n’y comprends rien ! Il devrait être là, grogna-t-il.

— Zac ? appela le premier. Nous savons que tu es ici. Alors, sors de ta cachette !

— Nous ne te voulons aucun mal, ajouta son compère avec un sourire sadique.

— BONSOIR, MESSIEURS, annonça le Home-Central en prenant l’apparence d’une pin-up de lumière au beau milieu de la pièce. DÉSOLÉ, IL N’Y A PAS DE ZAC ICI.

En guise de réponse le deuxième homme dégaina son arme et tira sur le projecteur holographique. Pas une détonation, pas un souffle n’accompagna le tir. Seul le boîtier électronique pris pour cible émit un bruit sourd suivi d’un léger crépitement. La lumière bleue s’estompa et la pin-up s’évanouit dans le néant.

La trappe d’évacuation mesurait quatre-vingts centimètres de large sur un petit mètre de haut. Deux battants en trompe-l’œil dissimulaient un couloir étroit et faiblement éclairé par la peinture phosphorescente dont les parois étaient recouvertes. Aux trois quarts du tunnel, Zac se figea. Une voix masculine venait de l’appeler depuis sa chambre. Ils étaient donc venus pour lui. Son pouls s’accéléra brusquement et il dut respirer profondément à plusieurs reprises pour retrouver son calme. Il n’y avait pas un instant à perdre. Tôt ou tard, les deux hommes découvriraient la trappe de secours et se lanceraient à sa poursuite. Encore quelques mètres. Ne pas faire de bruit. Il rampa en silence jusqu’à la sortie, se redressa et poussa doucement le sas. L’air libre, enfin ! Sans attendre, il lança son sac audehors, posa délicatement le paquet laissé par ses parents à son attention, et s’extirpa de la pénombre. Attiré par quelques réminiscences de rongeurs, Prof tarda à sortir. Dans la chambre de Zac, la trappe d’accès au tunnel grinça et une voix forte résonna. Zac l’ignora.

— Active, Prof ! On décampe.

D’un bond, le border sauta hors du tunnel. Zac le prit immédiatement dans ses bras et franchit en automate les quelques mètres qui les séparaient du bord du bâtiment. Puis, il enjamba le parapet, et sauta dans le vide. Les traits du garçon se tendirent sous l’accélération fulgurante du toboggan d’évacuation d’urgence. Il sentit son dos s’échauffer malgré le revêtement de téflon. Sensation de vertige. La brutale décélération lui coupa le souffle et il chuta sur la chaussée, totalement désorienté. Prof s’ébroua puis grogna en fixant la terrasse située cinq mètres au-dessus d’eux. Un véhicule stationnait devant l’entrée. Tous feux éteints. En l’apercevant, Zac sentit ses jambes se dérober. Passées les premières émotions qu’il avait su gérer avec lucidité, comme par automatisme, son corps flanchait brusquement, ne lui offrant pour seul moyen de fuite que des jambes de coton. Il se raisonna. Le véhicule était vide, le danger derrière lui. Un regard échangé avec Prof et ils se mirent à courir simultanément. Lorsque les deux hommes atteignirent le bord de la terrasse, ils ne virent qu’une rue sombre et déserte. Le dénommé Esteban abaissa calmement une visière infrarouge devant ses yeux et examina la chaussée.

— Ses traces sont encore fraîches. Il n’ira pas loin, annonça-t-il avec conviction.

Son acolyte acquiesça d’un mouvement de tête.

— On descend à la voiture et on le prend en chasse.

5.

Chassé-croisé

Paris, quelques minutes plus tôt.

Naomie enfila une tenue de jogging, ajusta un bandeau lumineux sur ses cheveux bouclés et observa son reflet dans le miroir avec une pointe de satisfaction. Malgré ses trente-sept ans, l’ex-officier commando avait une silhouette certes un peu plus enrobée qu’à ses heures de gloire, mais une musculature entretenue toujours digne des grands sportifs. Une fois enfilée sa paire de running avec amortisseurs, elle fixa un couteau à sa cheville, rabaissa son pantalon par-dessus, ajusta autour de sa taille une besace pleine à craquer et quitta sa chambre de bonne. Dans la rue, elle enchaîna quelques mouvements d’assouplissement histoire de garder les bonnes habitudes, puis s’élança. La maison de la famille Chabrière était située à moins de six cents mètres. Tout juste assez pour l’échauffement de cette retraitée de la légion étrangère reconvertie depuis peu en mercenaire de luxe. Une agence de mode lui avait pourtant proposé une évolution de carrière qui aurait mis à profit ses yeux en amande et son joli minois café au lait. Mais toute cette futilité ne faisait pas partie de son monde et Naomie avait poliment refusé. Après quelques enjambées, elle sauta avec légèreté par-dessus la rambarde de protection des voies piétonnes, grilla la priorité à deux véhicules lancés à pleine vitesse et disparut au coin de la rue devant des passants ébahis. Le long du boulevard Haussmann, Naomie s’accorda une petite pointe de vitesse, juste pour le plaisir. Elle croisa un jeune homme, lui-même en plein effort, s’étonna qu’il fût pieds nus et admira la foulée de son chien parfaitement accordé sur le rythme de son maître. Bien qu’ayant visionné des photographies de chaque membre de la famille Chabrière, elle n’eut pas le temps d’observer son visage et ne reconnut pas Zac. Plus que cent cinquante mètres ! Pas le temps de rêvasser. Elle obliqua dans la rue de la Boétie, et s’arrêta quelques secondes plus tard devant l’hôtel particulier des Chabrière. La porte d’entrée était restée ouverte. Cette situation atypique déclencha chez elle un réflexe de méfiance immédiat. Être attentive à ce genre de détail lui avait maintes fois sauvé la vie. Elle enfila une paire de gants et pénétra en silence dans le hall d’entrée. Nouvelle surprise, aucun HC ne l’apostropha. À coup sûr, quelque chose d’anormal se passait ici. Tous les sens en alerte, elle monta l’escalier jusqu’à l’étage qu’elle savait réservé au fils Chabrière et pénétra dans la chambre où flottait une étrange odeur de brûlé. Comme elle s’y attendait, l’endroit était spacieux et chaleureux. Une grande baie vitrée et trois murs-écrans éclairaient agréablement un bureau central en forme de fer à cheval. « Sacré niveau de vie ! Ça change de mes clients ordinaires », se dit-elle en avançant dans la pièce. Derrière le lit d’une simplicité presque anachronique, elle découvrit l’accès à un dressing et à une petite salle de bains. Dans l’angle le plus proche, un module de projection holographique à demi fondu attira son attention. Voilà d’où venait cette odeur désagréable ! L’inspection du bureau ne lui prit que quelques secondes. Naomie glissa la main sur le plan de travail tactile et la surface lisse s’illumina instantanément, offrant une palette variée de menus. Elle ne s’intéressa qu’à l’historique, qui ne révéla aucune information intéressante. En désespoir de cause elle téléchargea le contenu de la mémoire tampon sur un cristal, qu’elle glissa dans sa poche.

— Vous cherchez quelque chose ? fit une voix nasillarde derrière elle.

Elle ragea intérieurement. Comment avait-elle pu se laisser surprendre ? Veillant à se retourner très lentement, elle aperçut le sourire narquois de son interlocuteur. Seul son visage était visible à travers la trappe d’évacuation d’urgence. Son visage… et son arme.

— Reculez doucement et sortez de votre poche ce que vous venez de voler.

Sans un mot, Naomie retira la mémoire de sa poche et la laissa tomber sur le sol.

— C’est bien, ma chérie. Maintenant, ne bouge plus, je vais m’occuper de ton cas.

— Même pas en rêve ! aboya l’ex-commando alors que l’agent s’extrayait du tunnel.

Tel un fauve, elle se détendit, retomba à sa hauteur, et, sans lui laisser le temps de réagir, lui décrocha un atémi au visage. L’homme lâcha son arme et s’écroula inconscient. « Un Magnum ZG7 », reconnut Naomie, l’arme des services secrets par excellence. Elle était bien placée pour le savoir. Sa mission s’avérait riche en surprises. Un peu trop riche, même ! Dans quel pétrin s’était-elle fourrée ? Son esprit percutait à cent à l’heure. Se méfier ! Les agents travaillaient toujours en binôme. Un autre homme était forcément là, caché quelque part. Était-il derrière son collègue, dans le tunnel d’évacuation ? La confirmation lui vint hélas sous la forme d’une douleur intense. Tiré presque à bout portant, le flux thermique dessina un sillon de la longueur d’une main et profond de plus d’un centimètre dans son épaule gauche. Étouffant un cri, elle s’affala sur le sol moquetté et sentit le sang chaud couler le long de son teeshirt. « L’artère n’est pas touchée », se dit-elle en palpant la région sous-clavière. Pas d’hésitation à avoir: elle comprima la plaie et roula sur le côté. Au fond du tunnel, une ombre rampait vers elle. Se lever. Elle hésita un instant à neutraliser cette nouvelle menace – elle en avait encore la force – mais jugea cela inutile. D’un geste sûr, elle arracha de sa ceinture une minuscule capsule de verre et la jeta sur le sol. En se brisant, la capsule libéra dans la pièce un épais brouillard de fumée blanche. Une fumée que Naomie savait inodore et non toxique car acquise auprès d’accessoiristes d’un studio de cinéma, mais extrêmement efficace pour protéger ses arrières. Elle se sauva, satisfaite de son stratagème. Ne pas se faire prendre. Jamais ! Ne pas faire des morts inutiles non plus. Pour ça, elle avait déjà donné. Rentrer à couvert et se soigner. Ensuite, elle aurait probablement une petite discussion avec son commanditaire. Certes, il payait bien, mais ce n’était pas encore assez si les services secrets étaient dans le coup. Vraiment pas assez ! Naomie sortit aussi calmement que possible dans la rue en maintenant sur sa plaie une compression permanente. Un geste effectué à la perfection mais néanmoins insuffisant pour stopper les saignements. Entre ses doigts, le liquide chaud s’écoulait abondamment jusqu’à saturer sa veste qui gouttait à son tour. Naomie comprit qu’elle ne pourrait regagner son logement sans une mesure appropriée et rapide. Encore quelques minutes et elle s’affaiblirait au point de risquer la syncope. Elle héla un taxi qui haussa les sourcils en voyant sa veste sanguinolente et passa à sa hauteur sans ralentir, vraisemblablement peu disposé à salir les sièges de son véhicule pour une course à l’hôpital. « Vive la fraternité », songea l’ex-commando en remontant l’avenue d’un pas de plus en plus lent. « Clinique vétérinaire de la Boétie » : l’imposant panneau coiffait une porte automatique entièrement vitrée à laquelle Naomie laissa à peine le temps de s’ouvrir. Elle déboula dans le hall, et se planta devant l’assistante qui apparemment assurait seule la permanence. Sans regarder la nouvelle venue, cette dernière lui indiqua les sièges de la salle d’attente et, joignant le geste à la parole, lui signifia de ne pas trop faire de bruit car elle était occupée à répondre à un appel extrêmement important.

— HC, fin de la communication, gronda Naomie.

Interloquée, l’assistante vétérinaire leva les yeux sur le visage livide de sa cliente. Son animal devait être dans un état très préoccupant. L’animal. Mais où était-il ? Ni chien ni chat dans les parages, pas de kennel ni de sac. Étrange situation. En tout cas, ce n’était pas des manières que de couper une communication de la sorte !

— Le HC ne répond qu’à la voix des...

— Des ?

— Des… membres du personnel, balbutia-t-elle en découvrant horrifiée l’épaule sanguinolente de Naomie.

— Alors, coupez-le immédiatement et soignez-moi, ordonna l’ex-commando en retirant sa veste.

Ses larges épaules musclées impressionnèrent l’assistante plus encore que sa plaie. Cette femme était bâtie comme une armoire à glace ! Elle devait faire de la muscu tous les jours pour… Le visage de la jeune assistante se figea. Une idée venait de lui traverser l’esprit : cette grande métisse au corps d’athlète venait de s’évader de prison ! Une évidence. Quelque gardien bien inspiré lui avait tiré dessus, l’avait atteinte mais pas assez gravement pour l’arrêter dans sa fuite. Elle se leva avec raideur. Pourquoi fallait-il que cela tombe sur elle ? Jugeant inutile d’expliquer qu’elle n’était qualifiée pour soigner un être humain, elle ouvrit un placard et en tremblotant, en sortit un flacon de Bétadine, quelques compresses stériles et un filet élastique portant l’inscription « gros chat ».

— Voilà déjà de quoi nettoyer la plaie, bredouilla-telle d’une toute petite voix.

L’ex-commando sourit à la jeune assistante. Une blondinette de tout au plus vingt-deux ou vingt-trois ans qui lui rendit son sourire mais Naomie ne fit que le deviner car déjà sa vue se brouillait. Trop de sang perdu, il fallait faire vite pour ne pas finir aux urgences, faute de quoi elle ferait l’objet d’un signalement et se ferait arrêter. Son business exigeait une absolue discrétion. À la première erreur, elle devrait se reconvertir. Et, quoi qu’en pensent les publicitaires, elle ne se voyait vraiment pas en égérie d’une marque de prêt-à-porter. Elle empoigna le flacon de désinfectant et s’en aspergea l’épaule. Puis elle essuya grossièrement la plaie à l’aide de la partie de sa veste non souillée. Le sang coulait toujours. Sa tête lui tournait et son pouls semblait avoir accéléré brutalement en réaction au froid de la solution. Elle dut s’appuyer un instant sur le rebord d’un plan de travail afin de reprendre ses esprits et, une fois calmée, chercha elle-même dans les autres placards de quoi se recoudre.

— Le nécessaire est au bloc, dit l’assistante qui venait de deviner ce que sa cliente cherchait.

Elle voulut expliquer que le bloc opératoire se trouvait au sous-sol, qu’un médecin et son assistante s’y trouvaient en pleine intervention, mais que, compte tenu des circonstances, elle n’hésiterait pas à les déranger.

— J’en ai pour une minute…

— Pas le temps, souffla Naomie en sentant ses forces l’abandonner.

Fébrile, elle contourna le bureau d’accueil et l’examina. Chance ! Parmi les divers accessoires de secrétariat, elle repéra un tube de colle Superglu à peine utilisé. Elle le déboucha, en versa le contenu sur les lèvres de sa plaie, et plaqua les chairs de toutes ses forces. La douleur fut presque plus intense que celle générée par la décharge du pistolet thermique.

— Mais que faites-vous ? cria l’assistante, de plus en plus inquiète. Je vais chercher le docteur…

Naomie lui barra le passage puis s’écroula dans un râle sur le sol carrelé. Elle resta à genoux, prostrée, jusqu’à ce que l’assistante l’aide à se relever.

— Merci, murmura-t-elle sans desserrer les dents. Ne vous inquiétez-pas, c’est un acte de chirurgie classique. Pourriez-vous encore m’aider à passer ceci, demanda-t-elle en extrayant une tenue isotherme de sa besace.

De bonne grâce, l’assistante l’aida à enfiler sa nouvelle tenue. Avec douceur Naomie attrapa ensuite son avantbras et la poussa en arrière.

— Vous ne vous souviendrez de rien, murmura-t- elle. Y compris ce que vous avez fait ce matin. Désolée.

La jeune femme eut juste le temps de sentir une légère piqûre au-dessus du poignet et tomba sur sa chaise, comme vidée de toute énergie. Un claquement de doigts devant ses yeux ouverts confirma à Naomie l’état de conscience hypnotique atteint en une fraction de seconde.

— Il fut un temps où je n’aurais pas hésité à te supprimer, ajouta l’ex-commando, comme pour s’excuser.

L’assistante ne répondit rien et resta béate à fixer le mur droit devant elle alors que Naomie ressortait de la clinique, un sac de cinq kilos de croquettes pour chien à la main. Rien de tel pour passer inaperçue. Lentement, elle traversa l’avenue de la Boétie et remonta vers le boulevard Haussmann. Elle aurait du brouiller les pistes en effectuant quelques allées et venues plus ou moins aléatoires mais elle ne s’en sentait vraiment plus la force. Elle repensa à son commanditaire. Il allait devoir payer beaucoup plus cher pour acheter ses services, cela ne faisait plus aucun doute.

Lorsque la fumée d’artifice s’estompa, les deux agents récupérèrent le module mémoire abandonné par leur visiteuse et dressèrent un constat rapide de la situation. Zac s’était enfui avec son secret. Rien d’alarmant en soi car ils disposaient de moyens largement suffisants pour le localiser. En revanche, l’intervention inattendue de la grande métisse changeait la donne. Si elle essayait, comme eux, de récupérer le dossier de Zac Chabrière, cela voulait clairement dire qu’ils devraient désormais être les plus rapides.

— Un peu de piment dans cette mission ne peut pas faire de mal, fit le plus âgé des deux agents. J’avoue que, depuis mon affectation au Comité d’Éthique, je m’encroûte un peu. Sans parler du contexte de flou permanent qui entoure nos feuilles de route. Avec ces clowns du comité, on ne sait jamais sur quel pied danser.

— Surveille tes propos, Esteban, fit son coéquipier en connectant un module de cryptage à son CP

— Quoi ? Ce n’est pas vrai, peut-être ? Quand on bossait pour la sécurité intérieure, au moins, les choses étaient claires. On me disait de neutraliser un mec gênant et je le faisais. Point à la ligne. Aujourd’hui, on donne dans la mise en scène grotesque mais, au final, le sale boulot est le même.

— Ta gueule, s’énerva Robby, j’appelle le patron.

Une voix rocailleuse sortit du CP fixé à son poignet.

— Osborn. Que me vaut le plaisir de votre appel, Robby ? fit la voix sur un ton véritablement enjoué. Votre mission est-elle déjà terminée ?

— Qu’est-ce que je te disais ! chuchota Esteban. Ces mecs sont complètement inconscients. Que me vaut le plaisir ? répéta-t-il d’une voix exagérément maniérée.

Le dénommé Robby se concentra pour ignorer les propos de son coéquipier et expliqua à son supérieur l’enchaînement des faits.

— Moins brillant, en effet, que j’aurais pu l’espérer, commenta Osborn. Pour l’heure, l’essentiel est de ne laisser aucune trace de votre passage. Je ne voudrais pas donner à la famille Chabrière des arguments pour nous contrer dans les discussions en cours. Ils ne peuvent théoriquement pas s’opposer à notre veto et, quoi qu’en dise l’armée, elle non plus. Hélas, que l’un ou l’autre parvienne à prouver que nous sommes mêlés à une quelconque opération secrète à leur domicile, et le Comité d’Éthique serait désavoué. Autant dire qu’il deviendrait délicat pour nous de nous opposer à la signature du contrat qu’ils préparent.

— Donc ? fit l’agent peu habitué aux longs discours.

— Donc ne laissez aucune trace et reprenez vite la piste du jeune Zac. Il ne manquerait plus qu’il nous échappe !

— Aucune trace… aucune trace ? demanda Esteban cette fois à haute voix.

— Robby, faites-moi plaisir et calmez les velléités de votre partenaire. Ça ne lui a vraisemblablement pas suffi de dégainer à deux reprises quand j’avais expressément demandé de la finesse et de la discrétion, et voilà qu’il imagine déjà mettre le feu à l’hôtel particulier des Chabrière.

Piqué au vif, l’agent secoua la tête et afficha une grimace à hauteur de son exaspération.

— Soyez tranquille, nous n’avons pas l’habitude de laisser nos empreintes et nous avons déjà effacé la mémoire centrale du HC des Chabrière. Reste la grande métisse, reprit l’agent avec flegme. Cependant, je ne pense pas qu’elle représente une menace sérieuse. Non seulement elle n’a rien eu le temps de trouver, mais en plus elle nous a offert un élément fort intéressant.

— De quoi parlez-vous, Robby ?

L’agent leva les yeux au ciel en entendant pour la énième fois son nom et se félicita d’avoir activé le mode de communication crypté.

— Bien que le module que la fille cherchait à récupérer soit partiellement endommagé, il y a encore les traces des derniers échanges, annonça-t-il. Une lettre non signée que mon CP n’a eu aucune difficulté à tracer. Elle a été émise depuis le bureau ministériel d’un certain Sir Goodfellow.

— Ça, c’est la meilleure ! Ce dossier est classé Top secret et moi, président du Comité d’Éthique, suis le seul habilité à en connaître le contenu. Qu’est-ce que le ministère Sciences de Progrès vient fouiner là-dedans ?

Robby s’abstint de tout commentaire. Le hasard ne faisant pas partie de ses hypothèses de travail, il était pour lui évident qu’il y avait eu des fuites au sein même du Comité d’Éthique. De son côté, Esteban se retenait d’éclater de rire. Il souffla une nouvelle fois à son coéquipier sa vision caricaturale de leur employeur.

— Des guignols, je te dis !

Le plus jeune des deux agents lança un regard noir à son coéquipier et fit en sorte de conserver son sérieux.

— Ce sont eux qui nous paient, alors restons professionnels, chuchota-t-il à son aîné.

— Bon travail Robby, conclut le président du Comité d’Éthique. Je vais contacter Sir Goodfellow pour savoir ce qu’il mijote. De votre côté, faites en sorte de retrouver Zac Chabrière au plus vite.

— FIN DE COMMUNICATION, annonça le CP.

Les deux agents échangèrent un regard entendu.

— C’est affligeant, comme à chaque fois, lâcha Esteban avec résignation.

— D’accord, tu as raison, mais on doit faire avec. Ce n’est pas comme si on avait l’habitude de savoir pour quoi on bosse.

— Bien sûr… Ce qui me gêne, c’est cet amateurisme qui caractérise nos commanditaires dans le cadre d’un dossier classé au plus haut niveau de sécurité. J’ai surpris une conversation d’Osborn le jour de notre affectation. « La pire crise que l’humanité ait connue depuis l’Ebola en 26 », qu’il a dit. Alors, ça fait froid dans le dos de se dire que ces pantins incompétents pourraient, par leur négligence, tout faire capoter. Crois-moi, on a intérêt à retrouver ce dossier, et vite.

6.

Sueurs froides

Zac s'assit dans le hall de gare en observant nerveusement les allées et venues des voyageurs. Fait du hasard ou d’un quelconque sixième sens, Prof semblait avoir compris l’impérieuse nécessité de rester discret. Exemplaire, il n’avait pas bougé une oreille depuis leur arrivée. Son maître fit glisser la fermeture du sac et ouvrit le rabat pour le caresser.

— T’es un super chien, murmura-t-il. Même pas tenté de grignoter mes rations ? Un vrai supplice, pour un gros gourmand comme toi !

Le border tourna vers Zac un regard implorant, l’air de dire : « je ne serais pas contre me dérouiller un peu les pattes ».

— Désolé, mon vieux, mais je dois encore te laisser enfermé si je ne veux pas nous faire repérer. Les jeunes de seize ans qui se baladent avec un chien border collie dans les rues de Paris, il ne doit pas y en avoir des masses. Alors, encore un peu de patience…

Surpris par des bruits de pas rapide, Zac referma brutalement son sac. Un coup d’œil aux alentours lui confirma que plusieurs voyageurs allaient et venaient dans le hall de gare. Heureusement, personne ne semblait faire attention à lui. Rassuré, il plongea son visage dans le creux de ses mains et songea à l’incroyable situation dans laquelle il se trouvait. Comment aurait-il pu soupçonner, en se rendant chez le notaire, qu’il tomberait dans une telle galère ? Et dire qu’il aurait dû assister, le lendemain matin, à un cours passionnant sur le développement des cellules nerveuses embryonnaires ! Ses copains et les professeurs de l’université s’inquiéteraient probablement de son absence ! Et ses parents, n’en parlons pas ! Sa mère se mettrait encore dans des états insoupçonnables ! À cette idée, il serra les dents avec force, faisant ainsi ressortir ses maxillaires. S’il avait été là, son grand-père Théo n’aurait pas manqué de lui rappeler un de ses préceptes favoris : ne jamais se défiler et toujours affronter la réalité en face. C’est d’ailleurs très exactement ce que Zac s’apprêtait à faire en partant sans délai à la recherche du « vieil homme ». Il avait déjà pris un malin plaisir à semer ses poursuivants. Ces hommes qui avaient pu se procurer un laissez-passer pour accéder à son domicile disposaient sans nul doute de moyens de filature sophistiqués. Zac avait donc habilement effectué quelques trajets en boucle, marché pieds nus, acheté une nouvelle paire de chaussures, et porté son chien la moitié du temps. De quoi dérouter le meilleur des détectives. Restait une inconnue de taille : ces hommes imagineraientils que le jeune étudiant tranquille qu’il était irait jusqu’à prendre le magnéto le soir même pour partir à l’autre bout de la France ? Si tel était le cas, nul doute qu’ils prendraient facilement connaissance de sa réservation et qu’ils le piégeraient au moment du départ. Une voix féminine interrompit Zac dans ses pensées en annonçant le départ imminent du train MHD pour Lyon et Grenoble. En quelques enjambées, il rejoignit le quai numéro cinq et arriva légèrement essoufflé. Le stress pensa-t-il. En un tour d’horizon, il visualisa les voyageurs et repéra un homme et son chien que des policiers zélés semblaient vouloir interroger. Ce ne pouvait être le fait du hasard, se dit-il. À l’évidence, les policiers le cherchaient LUI.

— DÉPART DANS TRENTE SECONDES, fit la voix synthétique dans le haut-parleur.

Sentiment de culpabilité. L’homme rencontrait-il des difficultés du fait de sa ressemblance avec Zac ? Visiblement nerveux, les agents attrapèrent l’homme fermement et le plaquèrent au sol pour scanner sa puce d’identité. Le chien aboya. Du fond de son sac, Prof répondit à son congénère par un grognement sourd. Plus que vingt secondes. Une patrouille entière de policiers se déploya devant les accès aux rames. Panique. Tentant le tout pour le tout, Zac décida de descendre discrètement sur la voie afin de pénétrer dans le véhicule par une porte de service. Erreur ! Les dispositifs de sécurité détectèrent sa présence et déclenchèrent automatiquement une sirène assourdissante. Malgré son effroi il tenta d’en faire abstraction et avança sans se retourner en direction du magnéto-transporteur. Ses tempes douloureuses résonnaient au rythme de l’alarme. Plus que cinq secondes. Déverrouiller la portière.

— DÉPART, annonça le haut-parleur.

Les portes du magnéto se fermèrent dans un claquement métallique et le quai s’anima. Des voix, nombreuses, montaient en intensité. Zac comprit qu’il était question de lui. De son chien aussi. Et de règlement de sécurité. Il entendit distinctement quelqu’un s’exclamer en évoquant une prise de risque inconsidérée. Il se retourna et aperçut la foule. Une multitude d’hommes et de femmes à l’attitude figée, vêtus de façon semblable, l’observaient. Deux hommes le pointaient du doigt. Il sentit alors son cœur se soulever dans sa poitrine au même rythme que ses tempes. Douleur insupportable. Il baissa la tête et comprit trop tard. L’ébranlement du véhicule à sustentation magnétique venait de lui vitrifier les jambes. Horreur ! Un dernier regard pour son chien. Prof avait déjà disparu dans les volutes d’air incandescent.

— Non ! cria son maître, en pure perte.

— Ça va, jeune homme ?

Zac leva la tête. À l’insigne brodé sur sa veste, il comprit qu’il avait affaire à un policier. Il s’obligea à sourire et réprima une envie de jeter un œil en direction de son sac. Prof était-il visible ?

— Vous avez crié très fort, reprit le policier en observant le visage trempé de sueur du jeune homme. Vous êtes fiévreux ?

— Je m’étais assoupi et… je crois que j’ai fait un mauvais rêve, répondit Zac. Ce n’était qu’un cauchemar !

— Alors, tout va bien, conclut le policier à demi convaincu. Bonne soirée.

— Merci. Bonne soirée à vous.

L’agent fit mine de partir puis se retourna.

— À propos, vous allez où ?

Zac hésita une seconde avant de répondre. Fallait-il à nouveau brouiller les pistes en annonçant une destination fictive ? Laquelle, dans ce cas ? Le regard du policier croisa le sien et il sembla à Zac qu’il lisait dans ses pensées. « À quoi bon mentir ! », pensa-t-il. Ne risquait-il pas au con traire d’attirer l’attention sur lui en annonçant un voyage différent de sa réservation ?

— Je vais à Grenoble, répondit-il avec le maximum d’assurance.

Le policier consulta les horaires sur le Central Portable fixé à son poignet. Cela ne dura que quelques secondes, un temps suffisant à Zac pour vérifier que Prof n’avait pas bougé. Brave chien !

— Alors, il était temps de vous réveiller, votre MHD arrive de Grenoble dans moins de cinq minutes, et il ne marquera que deux minutes d’arrêt, annonça l’agent.

Il sembla hésiter, puis lui adressa un salut de la main et s’éloigna en parlant à voix basse dans le micro incrusté dans le col de sa veste.