La médecine du futur - Philippe Coucke - E-Book

La médecine du futur E-Book

Philippe Coucke

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Beschreibung

La robotisation et l'intelligence artificielle devraient à l'avenir modifier la médecine et la relation médecin-patient. Comment et à quel point ?

L’influence de la technologie sur notre société et l’évolution ultrarapide de celle-ci ouvrent un nombre grandissant de questions auxquelles nous ne savons pas encore répondre. Comment peut-on imaginer que, dans un environnement largement automatisé et robotisé, truffé d’intelligence artificielle, le secteur des soins de santé reste inchangé ? Comment évolueront le métier de médecin et la relation au patient dans les prochaines années ? Le médecin est-il voué à disparaître ou, au contraire, pourra-t-il se concentrer sur ce qui constitue les vraies valeurs de son métier, à savoir l’écoute, l’éducation et l’accompagnement du patient ? Et si l’avenir de la médecine se jouait là, maintenant ?

Cet essai sur la médecine et les technologies s'interroge sur le rôle à venir du médecin et l'amélioration possible de l'intelligence humaine et relationnelle grâce à l'aide de l'intelligence artificielle.

EXTRAIT

Le principe de mesure en continu permet d’évoquer un autre changement majeur de paradigme. Comme soignants, nous nous contentons aujourd’hui des données que nous obtenons au moment de ce fameux « colloque singulier » entre le soigné et le soignant. Nous estimons que cela nous suffit pour prendre des décisions plus qu’importantes concernant le traitement en cours, en particulier quand il s’agit de maladies chroniques. N’est-il pas paradoxal, par contre, que nous portions finalement plus d’attention à la bonne santé de nos voitures qu’à notre propre santé ? En effet, quand nous allons au garage, le technicien branche un ordinateur qui lui permet de saisir une multitude de données provenant des divers capteurs dispersés sur la voiture. Il obtient ainsi un historique entre les « deux visites ». Il effectue, sur la base du profil enregistré et analysé, des réparations et, si nécessaire, il entreprend des actions préventives pour éviter des problèmes mécaniques ultérieurs. Avouons humblement qu’en médecine, nous n’en sommes pas là. Nous n’avons que très peu de données du patient qui illustrent objectivement son état entre deux consultations espacées dans le temps. Ce manque de données est immanquablement délétère pour une prise en charge optimale et nous empêche d’aborder réellement le virage de la médecine préventive et prédictive. N’oublions pas non plus que les paramètres physiologiques que l’on mesure pendant ce colloque singulier peuvent être fortement influencés par le stress provoqué par la blouse blanche.
Heureusement, la mesure en continu de paramètres physiologiques devient une pratique de plus en plus courante. Elle a fait irruption auprès des consommateurs d’abord dans le monde du bien-être et du sport, sous forme par exemple de montres connectées qui donnent à l’utilisateur diverses informations en continu (activité journalière, qualité du sommeil, fréquence cardiaque, etc.). Par la suite, cette pratique a migré de plus en plus vers le monde médical.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Chef du service de radiothérapie au CHU de Liège et professeur en radiothérapie à l’Université de Liège, Philippe Coucke est également membre du conseil de gouvernance du Département de Physique Médicale et du Centre Intégré d’Oncologie. À travers ses interventions publiques, il fait régulièrement le bilan des changements technologiques et sociétaux qui touchent le monde de la santé.

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La médecine du futur

Philippe A. Coucke

La médecine du futur

Ces technologies qui nous sauvent déjà

Avant-propos

La collection « Santé en soi » évolue pour vous aider à devenir un acteur clé de votre santé.

Le temps est révolu où le patient n’avait que peu de ressources pour appréhender la maladie dont il souffrait. Même si les rapports entre le monde professionnel de la santé et le patient changent, le temps consacré à l’information manque régulièrement. De plus, sous la pression politique et dans un souci d’efficience économique, les institutions de soins développent des alternatives à l’hospitalisation et aux soins classiques. Il devient donc nécessaire pour toute personne d’acquérir plus d’informations pertinentes et d’autonomie face à la maladie.

Depuis sa création, dans chacun de ses ouvrages, la collection « Santé » des éditions Mardaga relève le défi d’apporter, sous une forme très accessible, une information médicale de grande qualité. Elle vise à offrir à tout lecteur des ouvrages qui traitent des questions qui animent aujourd’hui tant la communauté scientifique que la société autour de la santé dans sa définition la plus large.

Le livre que vous vous apprêtez à lire répond à un seul but : vous aider à devenir cet acteur bien informé et incontournable tant de votre santé que de vos soins médicaux. En effet, face à la multitude de sources d’informations consultables sous toutes les formes (réseaux sociaux, blogs, web, podcast, conférences, télévision, magazines), il est difficile de déterminer si les contenus sont fiables, validés par des experts ou douteux. Retrouver son chemin et un esprit critique dans cette infobésité qui nous pousse à appréhender beaucoup de données dans un temps de plus en plus court est parfois bien ardu.

Notre collection se veut être votre fil d’Ariane dans ce labyrinthe de surcharge informationnelle. Vous aider à apprendre et à comprendre tous les éléments utiles, sans pour autant les simplifier à outrance, est notre principale préoccupation.

Dans cet objectif, la collection évolue et évoluera encore avec la volonté d’offrir, si le sujet s’y prête, des approches plus dynamiques telles que des questions-réponses, des entretiens ou encore des contro­verses, tout en gardant un haut niveau de rigueur académique.

Au nom de toute la maison d’édition, je remercie les auteurs du présent ouvrage d’avoir répondu avec brio à cette approche dynamique de l’entretien avec un expert dans le domaine.

Je vous invite maintenant à lire ce livre, à le faire résonner dans votre quotidien et surtout à bien prendre soin de vous !

Professeur Frédéric Thys, Directeur de la collection

Ce livre a été rédigé à la mémoire de mon frère Jean-Luc, mort en 2013 à la veille de ses 50 ans, d’un cancer dont la prise en charge fut tout, sauf optimale...

Je le dédie également aux deux femmes qui comptent plus que tout dans ma vie, mon épouse Linda et ma maman. Toutes deux ont fait preuve d’une patience sans limites, tout d’abord pour m’écouter, ensuite pour me lire afin d’éviter toute entorse à notre si belle langue française et afin de s’assurer que le sujet traité soit accessible à tous les lecteurs.

Préface

Cet ouvrage est une passionnante immersion dans l’univers des nouvelles technologies et une fantastique anticipation de la métamorphose qu’elles opèrent, discrètement encore, de notre monde quotidien, pour ressaisir sous sa forme émergente, la médecine du futur. Il fallait oser relever le défi – et le Professeur Philippe Coucke y parvient remarquablement – de faire voir à travers ses modalités les plus habituelles, les plus simples et les plus fondamentales à la fois – telles que l’habitat, la mobilité, le travail, et bien entendu la médecine – combien et comment notre monde est sur le point de basculer dans une configuration brutalement inédite. Basculer, le terme peut sembler fort, voire présomptueux. Pourtant, nous assistons bien, sans le voir, à l’éclosion d’un environnement, ou mieux, d’un écosystème, où s’intriquent et convergent un ensemble de technologies (les nanotechnologies, les biotechnologies, les sciences de l’information, les sciences cognitives – rassemblées sous l’acronyme NBIC –, l’impression en trois dimensions, etc.), qui concrétisentun peu plus chaque jour une rupture par rapport à l’environnement que nous connaissons et dans lequel nous avons tissé nos repères.

De ce point de vue, il n’est pas anodin que l’ouvrage débute par l’esquisse romancée d’une future journée banale qui nous semble irréelle et qui n’est pour autant pas fictive : chacun de ses traits, chacune de ses composantes renvoie à des techniques, des dispositifs qui sont d’ores et déjà réalité en certains points de la planète, en projet très avancé ailleurs. Pour s’en convaincre, il suffit de songer à l’application récente de l’impression en trois dimensions à la construction rapide de maisons et de bâtiments ou à l’avènement des transports autonomes sans conducteurs. Cette réalité future nous paraît irréelle, et nous nous comportons avec elle comme s’il s’agissait d’une (science-) fiction, d’un scénario inventé par quelque Asimov ou quelque Orwell selon qu’on soit féru de robots ou amateur de dystopie. Si l’imaginaire peut nous aider à anticiper le réel, il n’a pas la charge de nous faire éluder les traits dont la réalité se pare déjà. En ce sens,La médecine du futurconstitue une invitation et une alerte, un appel à la prise de conscience. Si l’ouvrage utilise, à l’instar des romans de science-fiction et des dystopies, l’effet du panoptique (cette vision à 360 degrés d’une réalité, inventée par le philosophe anglais Jeremy Bentham et son frère Samuel), c’est pour permettre la représentation d’une convergence de technologies qui aboutit à une transformation intégrale du réel1.

En effet, les NBIC comme l’impression en trois dimensions, et leurs hybridations, ne constituent nullement des technologies qui viendraient prendre sagement leur place dans la réalité sans la bousculer, en modifier la texture et l’ordonnancement.

L’ethnologue André Leroi-Gourhan et le philosophe Gilbert Simondon à sa suite, pour ne citer que les auteurs les plus célèbres, ont montrécombien l’outil et les dispositifs techniques transfigu­rent l’homme aussi bien que son milieu là où nous continuons de croire, dans une superbe illusion de maîtrise et de contrôle, que nouslesutilisons pour transformer notre environnement sans en être affectés et modifiés en retour2Or les innovations développées sont d’une telle nature et d’une telle ampleur qu’elles vont bouleverser l’ordre habituel de notre monde, et avec lui, corrélativement,nos manières d’être et de faire, de savoir et d’agir, de sentir et d’inter­agir. D’un point de vue épistémologique, la raison en est simple : la con­vergence et l’intrication dont ces technologies sont porteusesleursont intrinsèques, participent de leur logique de développement et depropagation internes. Elles forment, pour l’exprimer selon les termesde la seconde cybernétique (mouvement intimement lié à l’apparition de l’intelligence artificielle), des systèmes auto-organisateurs et auto-productifs qui font émerger, presque par-devers nous, un nouvel écosystème3.

Se représenter ces innovations comme les germes disjoints d’un futur lointain et indéfini nous laisserait aussi impréparés que démunis. Pourtant, il nous faut voir la reconfiguration du monde dont ces innovations sont les véhicules si nous voulons pouvoir accompagner ces évolutions4, donner un sens à ce nouveau réel et orienter notredestin collectif. C’est là l’ambition et la volonté de cet ouvrage. La conscience des changements est d’autant plus importante que,comme le rappelle Philippe Coucke s’appuyant sur les cycles de Schumpeter-Kondratiev, le rythme des évolutions techniques et l’intensité de celles-ci, s’est considérablement accéléré et ne cesse de croître : les révolutions se font à une allure toujours plus vertigineuse de sorte que le temps de réaction et d’adaptation collectives est toujours plus réduit. Nous devons donc nous familiariser avec ces techniques, nous former mieux et plus diligemment aux possibilités qu’elles contiennent. C’est une condition impérative pour conserver une maîtrise démocratique collective sur notre destin et dessiner un à venir qui soit davantage qu’un avenir contraint par la convergence technologique ou par divers intérêts particuliers : un avenir désiré, capable de rencontrer les défis cruciaux qu’il nous faut affronter parmi lesquels l’écologie, l’alimentation, la santé, et ce sans sacrifier l’humain à la technique, l’automatisation ou la robotisation.

Sans céder au pessimisme posthumaniste, agiter les pronostics les plus noirs, il faut convenir qu’il ne sera pas aisé pour l’homme de trouver sa place et de gouverner son destin face à des machines dotées d’une incroyable puissance computationnelle, bientôt capa­bles de dépasser l’humanité dans quantité de domaines qu’elle se pensait réservés, c’est-à-dire bientôt capables de la redéfinir, elle, objectivement.

À cet égard, les innovations biotechno-scientifiques, qui pénètrent le monde médical à un rythme quasi quotidien, présentent des particularités qui génèrent tantôt l’enthousiasme tantôt l’inquiétude. Elles vont, en effet, modifier de part en part le champ de la santédans ses diverses composantes, depuis les pratiques professionnellesen passant par les institutions de soins, l’industrie du médicament et des dispositifs médicaux, les mutualités et les assureurs, jusqu’aux autorités qui déterminent et financent les politiques de santé publique. Afin de montrer l’amplitude de la révolution qui guettela médecine de demain, en ébaucher les traits par un descriptif aussicomplet qu’érudit, Philippe Coucke a opté pour une approche dont il faut louer l’intelligence et l’efficace : suivre le protocole habituelde la démarche médicale. Cette manière de procéder permet de prendre appui sur un processus dont les séquences principales (anamnèse ; examen clinique, test et diagnostic ; décision thérapeutique, administration des soins ; adhésion thérapeutique ; suivi et organisation des soins, réglementation) sont connues de tout un chacun, de sorte qu’on peut apercevoir les transformations qui s’opèrent déjà et qui s’amplifieront toujours davantage en fonction de l’apparition de nouveaux dispositifs.

La plongée au cœur de la médecine du futur nous projette ainsi dans un univers à la fois proche par sa structure et éloigné par sa dématérialisation ou, plutôt, par son autre matérialité : l’utilisation dechatbots, ces programmes d’intelligence artificielle communicants, pour réaliser une anamnèse médicale ; l’emploi d’applicationsmobiles pour établir un « premier » diagnostic – au sens temporel du terme –, parfois plus sûr que celui d’un « vrai » médecin ; le recours à domicile à des tests faiblement invasifs pour une confirmation quasi immédiate de l’hypothèse, changent drastiquement la médecine.

Mais encore ne s’agit-il là que d’exemples prélevés sur une réalité dont la structure séquentielle nous est connue et routinière. Les nouveaux dispositifs NBIC peuvent, en réalité, métamorphoser la médecine jusque dans sa structure même et en subvertir la chronologie et la routine. Ainsi en sera-t-il lorsque le décryptage devenu ordinaire du génome d’un individu permettra de prévenir la majorité des pathologies graves, potentiellement invalidantes ou dégénératives qui peuvent l’affecter, ou lorsqu’il sera possible de réaliser,en vie quotidienne, un suivi constant et contextué des principaux paramètres vitaux via patchs, puces ou tatouages, et corriger immédiatement toute déviation à la norme médicale. Le nec plus ultra, déjà en cours de développement dans la prise en charge du diabète, consistera à avoir des dispositifs intégraux, renfermant aussi bien le dispositif de diagnostic-suivi des paramètres que le dispositif thérapeutique de leur déviance, le premier actionnant le second en cas d’anomalie.

Ces quelques illustrations ne sont qu’une infime partie des gigantesques possibilités techniques qui s’inventent et dont l’ouvrage donne un aperçu étoffé et saisissant. On y pressent la révolution quigronde et les interrogations qu’elle ne peut manquer de soulever. Parmicelles-ci, quel sera le rôle du médecin dans la médecine du futur ? Dans certains domaines, assisté voire remplacé dans l’art diagnostic, assisté voire remplacé dans le projet thérapeutique, se pourrait-il que le médecin du futur, entouré d’intelligences artificielles et de robots, puisse en revenir à l’essence de son métier depuisla nuit des temps : le prendre soin ? Avec cette question s’en imposeune autre : quelle forme pourrait prendre la relation soignant-soignéqui a longtemps reposé sur l’asymétrie de savoir et de pouvoir de ses protagonistes, alors même que le soigné, assisté d’intelligences artificielles et de dispositifs portables, pourra partiellement combler l’écart qui le séparait du professionnel, qui en suivant ses paramètres de santé, qui en initiant un auto-diagnostic confirmé par un test à domicile ? Ces évolutions seront-elles le lieu tenant d’une relation adulte, égale, empathique entre les acteurs du colloque singulier, ou le tenant lieu de sa disparition ?

Les exemples mentionnés jusqu’à présent ne touchaient, si l’on peut résumer les choses ainsi, que le remplacement, la mutation ou la suppression d’actes et de processus qui structurent la médecine actuelle et, par conséquent, son milieu d’exercice et son organisation sociale. Or nous l’avons indiqué plus haut, de par leur nature et leur intrication, les NBIC n’ont pas vocation à s’arrêter, repues, au remodelage des processus médicaux ou à la refonte de la relation thérapeutique. Que du contraire, elles viennent interroger des catégories que l’on croyait robustes et, pour tout dire, presque fondamentales, telles que le concept de patient. Ainsi, le dépistage génétique, qui permet d’établir les prédispositions d’un individu à développer telle ou telle maladie, vient brouiller le sens obvie de ce concept liéà la présence de symptômes repérables, pour lui substituer une chimère,le « patientin waiting », mixte de pathologie future et desymptômes absents5. Ce patient en attente de l’être réellement, comment doit-on se le représenter ? Tel un malade futur qu’il convient déjàde prendre en charge ou comme un être en santé à risque dene plus l’être ? La question n’a rien de rhétorique : de sa réponse dépendl’organisation sociale d’une médecine personnalisée préventive ou correctrice.

Plus essentiellement, comment et jusqu’où ce type de dispositif peut-il affecter non seulement la façon dont chacun se représente lui-même, mais aussi la manière dont chacun fait l’épreuve et l’expérience de soi ? Comment se pressent-on malade ? Avec quelles conséquences s’anticipe-t-on atteint par telle ou telle pathologie ? Dans quelle mesure, ce qui est et n’est qu’une prédisposition ne nousdispose-t-elle pas à exclure certains comportements et à s’en voir prescrire d’autres, de sorte que le champ de liberté initiale que l’on possède, se trouvede factoconcrètement réduit, modifié et conformé par la prédisposition ? Un profilage génomique pourrait-il être imposé ? Avec quels effets sur l’incitation plus ou moins autoritaire à adopter tels comportements et à en éviter d’autres ? Avec quels impacts socio-économiques ou assurantiels ? Aurons-nous le choix de savoir ou non ?

La problématique du « patient en attente » constitue une première interpellation quant à la manière dont les dispositifs technologiques sont capables de modifier aussi bien la façon dont les individus se représentent et que celles dont ils se sentent. Mais, il s’agit d’unprocédé qui se borne à révéler en l’objectivant une part insuede notre être sans le transmuer ou l’altérer, sans nous atteindre dansnotre chair en la modifiant, elle. L’incarnation est une part essentielle de notre différence ontologique, de notre humanité : nous ne sommes pas des corps situés dans l’espace et dotés d’esprit et d’âme comme une lecture scolaire de Descartes nous a appris à le croire,mais des êtres incarnés qui s’éprouvent en éprouvant, qui se ressentent en ressentant la joie, le désir, la crainte, la peur. Dans ce « s’éprouver » chacun fait l’épreuve immédiate, primitive et primordiale d’un soi6. Comment considérer et penser les effets sur cet être incarné et ce soi en lequel nous advenons à nous-mêmes, du port d’exosquelettes pour accomplir des tâches « humainement » impossibles, du remplacement de nos organes défectueux par leur copie en trois dimensions, de l’implantation de dispositifs nanotechnologiques ou de la manipulation de nos gènes et neurones, pour faire de nous des êtres réparés, reconfigurés et augmentés ?

Ces possibilités insignes que notre science ouvre et qui se dressent néanmoins simultanément devant nous comme des possibilités qui nous sont étrangères, formidables ou rebutantes, suscitent, comme l’indique Philippe Coucke, d’importants débats autour de l’essence de l’homme dont se font l’écho aussi bien les mouvements transhumanistes7que post-humanistes. Prises entre la volonté, si humaine, de repousser le mal, de s’exonérer des limites au savoir et à l’agir, et l’hybrisfaustien de l’immortalité, les NBIC’s pourraient étancher leur goût du pouvoir avec la finitude de l’homme. Or la finitude n’est pas à la fin mais au départ de la sensibilité, de l’intelligence et de la créativité humaines si bien qu’un paradoxe surgit sans cesse : que perd-on à être augmenté ? Jusqu’où peut-on l’être avant de faire sécession avec ce qui fait l’essence de l’homme ? On finit par aimer et tenir à cette finitude qui fonde la capacité à se dépasser et à s’élever, et dont la perte nous désapproprierait de la part inattendue de nous-mêmes.

Pour autant, il serait absurde – et nul n’y tient – de délaisser les fabuleuses possibilités qu’offrent et le savoir et la science et les techniquesdans la lutte contre la maladie, la douleur, la faim ou la mort lente de la planète Terre. Ni laisser être tous ces possibles ni se priver de ces possibilités revient à dire qu’il faut pouvoir chaque fois déterminer collectivement et démocratiquement quel usage faire de ce que nous avons fait, créé, inventé, et qu’il faut pouvoir chaque fois se déterminer avec au moins autant de liberté que précédemment.Tout écosystème qui nous laisserait de moins en moins de choix individuels et démocratiques serait un écosystème toujours plus contraignant, opérant toujours plus par-devers nous et,in fine, contre nous. C’est cet espace de liberté qu’il nous faudra préserver, par la transformation de nos savoirs, de nos formations, de nos manières d’être et de faire à laquelle nous appelle cet ouvrage… si du moins nous voulons que les possibles ouverts, en médecine comme ailleurs, concrétisent une réalité humaine meilleure.

Dr Valérie Kokoszka

Maître de Conférences – Centre d’Éthique Médicale (ETHICS EA 7446) – Université catholique de Lille

1. Jeremy Bentham, Le panoptique, trad. Ch. Laval, Paris, Éditions des Mille et Une Nuits, 2002.

2. Voir notamment, André Leroi-Gourhan,Milieu et techniques, Paris, Albin Michel, 1945 ; ainsi que Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets tech­niques, Paris, Aubier, 2012. Si le premier auteur montre la co-évolution de l’homme et de la technique depuis le paléolithique, le second fait valoir les moda­lités autonomes de reconfiguration du réel dont les objets techniques sont porteurs.

3. Pour en savoir plus sur la seconde cybernétique et les systèmes complexes auto-poiëtiques (auto-organisés et auto-producteurs), on se référera en particu­lier aux travaux fondateurs de Ludwig von Bertalanffy, Norbert Wiener, Ross Ashby et de Francesco Varelo.

4. Voir à ce sujet Alain Loute et Jean-Philippe COBBAUT, « What ethics for tele­medicine ? », in The Digitalization of Healthcare : new challenges and oppor­tunities, Palgrave MacMillan, 2017, p. 399-416.

5. Voir à ce sujet, Stefan Timmermans et Mara Buchbinder (2010), « Patients-in-Waiting : Living between Sickness and Health in the Genomics Era », inJournal of Health and Social Behavior, 51(4), p. 408-423 ; Xavier Guchet,La médecine personnalisée, Paris, Les Belles Lettres, 2016.

6. Avec Edmund Husserl, son fondateur, toute la philosophie d’inspiration phénoménologique a mis en évidence le rôle de l’incarnation dans ce qui nous fait être homme et nous fait nous recevoir d’emblée sous la forme d’un soi qui éprouve, comme être incarné, si bien que nous n’avons pas de la joie, nous sommes joyeux, nous n’avons pas froid, nous ressentons le froid, etc. Voir à ce propos, la phénoménologie radicale de Michel Henry, Incarnation. Une philosophie de la chair, Paris, Seuil, 2000.

7. Terme inventé par le philosophe allemand Peter Sloterdijk, en 1999. Le transhumanisme s’inscrit dans la tradition humaniste et porte sur les conditions éthiques de l’augmentation de l’homme, de l’homme augmenté, tandis que le post-humanisme s’érige en rupture avec l’humanisme classique et, plus généralement, avec toute centralité de l’homme au sein du vivant.

Introduction

Il est 6 heures du matin. Mon assistant vocal vient de me réveiller en douceur, me rappelant une réunion importante où ma présence physique – et c’est devenu plutôt exceptionnel depuis la généralisation des conférences multipartites par« téléconférence »–est requise. Il me rappelle, par la même occasion, les probiotiques qu’il faut que je prenne et ce à titre purement préventif, car on a démontré depuis quelques années l’importance du« microbiome intestinal », la constitution bactérienne de la flore intestinale, en particulier sur la genèse des maladies, mais également son impact sur la réponse aux traitements médicamenteux.

Nul besoin de se précipiter !Cela fait bien une dizaine d’années que le mot« embouteillage »a été rayé des dictionnaires de langage usuel. Il nous est difficile de concevoir aujourd’hui qu’il y a encore peu de temps, des gens perdaient tous les jours un temps précieux en essayant de se faufiler–tant bien que mal–dans une marée de véhicules personnels vers leurs lieux de travail. Tout d’abord, la plupart d’entre nous n’en voient plus l’utilité depuis l’hécatombe des métiers d’une part et, d’autre part, la généralisation du travail à domicile pour les seuls travaux qui restent. Plus personne aujourd’hui n’imagine acheter son propre véhicule !Elle est loin, l’époque du gâchis écologique qui consistait à fabriquer une multitude de véhicules dont la principale tâche était de rester garés à longueur de journée sur un parking. Illustration–s’il en fallait une–de l’inefficience générale de la société humaine, du moins à cette époque…

La transition et la transformation profonde de la société n’ont pas été sans peine. Cela a commencé avec des mouvements sociaux–souvent violents – qui ont surgi un peu partout à l’avènement des balbutiements de ces nouvelles formes d’activité économique, telles que Uber®, Lyft®et BlaBlaCar®, pour ne citer que des exemples dans le secteur du transport individuel. Progressivement, les mouvements de mécontentement se sont calmés, entre autres par le fait que le débat est devenu rapidement obsolète, dès le moment où le chauffeur a été éliminé de l’équation. Il a bien fallu se rendre à l’évidence, les moyens motorisés conduits par des humains ont laissé place aux véhicules autopilotés, d’abord les navires transporteurs de fret, suivis par les camions et finalement les voitures. Tous les moyens de transport y sont passés, en ce compris les drones volants !

En quittant mon appartement au 23eétage, appartement qui a été imprimé en 3D au sommet de la tour, et qui par la suite a été descendu à l’étage souhaité, je me dirige vers la plateforme où le drone que j’ai commandé par l’intermédiaire de mon assistant vocal sera disponible. Il me suffit donc de monter sur ce skyport, au sommet du building (plateforme d’atterrissage qui remplace les héliports), à l’heure qu’il aura lui-même déterminée pour éviter que je sois en retard. Mais contrairement à Bruce Willis dansLe cinquième élément, nul besoin d’être un as du pilotage. Même si, pendant les premières années de l’utilisation civile des drones, certains d’entre nous ont encore eu l’occasion d’apprendre rapidement à voler grâce à la technique initialement développée par les ingénieurs de l’École polytechnique fédérale de Lausanne en 2018, en moins de dix ans – comme pour les voitures–l’humain a été remplacé définitivement par l’intelligence artificielle. On a vite fait le constat qu’il valait mieux, pour la sécurité du passager et des autres usagers de l’espace public, confier les commandes à l’intelligence artificielle.

Comment peut-on imaginer que dans un tel environnement, largement automatisé et robotisé, truffé d’intelligence artificielle, le secteur des soins de santé reste inchangé ?Quel sera le métier demédecin si on essaie de se projeter dans un avenir éloigné seulementde quelques années ?Toute projection lointaine devient excessivement hasardeuse si on ne veut pas verser dans une science-fiction bon marché et bas de gamme.Prédire est toujours un exercice difficile et risqué car, comme dit Bill Gates,« on a tendance à surestimer ce qui se passera à court terme et à sous-estimer largement ce qui se passera à moyen ou long terme ».

Est-ce que cette automatisation et cette robotisation à outrance vontéliminer l’humain dans le secteur des soins ?Je suis persuadé du contraire. C’est une occasion rêvée pour se défaire de toutes ces tâches répétitives et peu valorisantes qui empoisonnent la vie du soignant, à tel point d’être à l’origine d’un épuisement physique et moral dans ce secteur professionnel en pénurie. En effet, le taux deburn-outn’a jamais été aussi élevé.

Le soignant, délivré de toutes les tâches répétitives et souvent ingrates, aura dès lors largement le temps de s’occuper de ce qui constitue les vraies valeurs du métier :l’empathie, l’écoute, l’éducation et l’accompagnement. On a beaucoup trop misé ces dernières années sur les connaissances théoriques et l’acquisition d’aptitudes purement techniques, tout en oubliant les valeurs humaines qui font l’essence même du métier de soignant. Cette remise en question tombe plutôt bien vu l’évolution de la démographie et les nécessités de coordonner plusieurs actes médicaux. Saisissons cette opportunité et acceptons avec bienveillance et intérêt ce chamboulement technologique qui changera totalement le paradigme des soins. C’est dans l’intérêt de notre société et de nos patients.

1

La société de demain

1. La société change à une vitesse vertigineuse

Jamais auparavant, dans l’histoire de l’homme sur la planète bleue, les changements n’ont été aussi profonds et aussi rapides. Toute l’histoire de notre espèce est caractérisée par des vagues successives de changements, qui ont profondément modifié notre vivre ensem­ble. Si nous nous contentons de revoir uniquement l’ère moderne – dite industrielle –, on dénombre trois, ou selon certains quatre, révolutions industrielles successives.

Selon Jeremy Rifkin, auteur très à la mode aujourd’hui et consultant américain reconnu mondialement pour ses livres, entre autres sur« la société au coût marginal zéro »et sur la« troisième révolution industrielle », par ailleurs architecte de la feuille de route pour l’avenir de la région Nord-Pas-de-Calais et conseiller d’un certain nombre de leaders européens dont la chancelière allemande Angela Merkel, ces révolutions sont caractérisées au niveau socioéconomique par des changements issus de la confluence dans les domaines de la production énergétique et de la communication.

La première révolution industrielle démarre avec l’avènement de la vapeur qui alimente l’industrie et le transport. Des changements convergents dans ces deux domaines vont profondément changerla société et provoquer un véritable bond en matière d’information et de communication.La deuxième révolution industrielle est née dela synergie entre la combustion interne et les réseaux électriques. La communication se fait par téléphone.

La troisième révolution industrielle prend son essor grâce aux énergies renouvelables distribuées, par exemple le solaire, l’éolien, la géothermie, et à l’avènement d’un nouveau moyen de communication :Internet.

Pour Klaus Rudiger Schwab, un des pères fondateurs du Forum économique de Davos en Suisse, le forum annuel réunissant les grands de ce monde et qui en est à sa 49eédition en janvier 2019, nous sommes déjà rentrés de plain-pied dans la quatrième révolution industrielle. Elle se caractérise par la convergence entre Internet à l’échelle industrielle, la robotisation, la digitalisation, l’automatisation et les biotechnologies.

Pour bien comprendre l’impact sur nos sociétés, il faut revenir à quelques notions théoriques en matière socioéconomique.

Ces vagues successives de développements technologiques ont été décrites dans les années 20 par un économiste russe du nom de Nikolaï Kondratiev (1892-1938). Selon lui l’économie capitaliste évolue de façon cyclique, et chacune de ces fameuses vagues a une durée moyenne de 50 à 60 ans. Un économiste et sociologue autrichien du nom de Joseph Schumpeter (1883-1950), ministre des Finances en Autriche en 1919 avant de devenir professeur à la prestigieuse université de Harvard aux États-Unis, a adapté ces courbes de Kondratiev. Il fait deux constats :les vagues ne sont pas uniformes et ne durent pas forcément 50 ans.Ellesont tendanceà se raccourcir, ce qui illustre la rapidité de l’évolution technologique.Par ailleurs, la hauteur de la vague et donc l’ampleur et la complexité de l’innovation augmentent.Il faut souligner qu’après chacune de ces vagues, il y ainévitablementdes creux qui représentent au niveau sociétal des périodes d’instabilité profonde. Schumpeter a aussi introduit la notion de« disruption ». Pour bien faire la dif­férence avec un changement plus« classique », une technologie disruptive représente un tel changement que tout ce que nous faisions précédemment pour améliorer de façon incrémentielle,de façon plus ou moins linéaire, les choses devient totalement–et du jour au lendemain–obsolète.

Certains grands patrons industriels ont commis des erreurs manifestes en sous-estimant ces forces disruptives. L’histoire de la société Eastman, Kodak, leader mondial en films argentiques, est un exem­ple. Il n’est certainement pas le seul en la matière. Les patrons deKodak étaient tellement obnubilés par leur succès commercial qu’ilsn’ont pas vu arriver la digitalisation de la photographie, quand bien même le premier prototype de caméra digitale a été développé par un ingénieur qui travaillait chez Kodak en 1975!Par ailleurs, la firme a investi des millions de dollars dans le développement d’une série de ces caméras digitales.Ce que les dirigeants n’avaient pasanticipé, c’est la deuxième vague disruptive, qui fut fatale à Kodak. Eneffet, aujourd’hui nous faisons des« photographies »avec nos téléphones évolués, lessmartphones, et nous échangeons les images par Internet sur les réseaux sociaux ou entre amis. Il n’est plus question de films argentiques.

Un autre exemple issu de l’industrie, c’est la débâcle de Nokia®.L’entreprise de téléphoniefut quand même le leader mondial en téléphonie portable. La firme a été littéralement balayée par la technologie iPhone®de la société Apple®. Les responsables de chez Nokia®ne pensaient pas un instant que les utilisateurs allaient embrasser la solution d’un écran tactile sur un téléphone. Ils estimaient que les gens tenaient trop profondément à un téléphone à touches. Ce n’est pas – et de loin – la seule raison de la mort de Nokia®. On a aussi évoqué une attitude tyrannique des leaders quise trouvaient à cette époque à la tête de la société.Les niveaux demanagement intermédiaire avaient une peur bleue des grands patrons,à tel point qu’ils n’osaient plus direla vérité aux chefs d’entreprise, en particulier en matière de projet dedéveloppement technologique. Ils se sont tus plus précisément sur les retards accumulés dans le développement du logiciel Symbian, censé permettre à la société de faire face à la concurrence disruptive d’iPhone®.

Retenons bien ces leçons car elles sont forcément utiles dans d’autressecteurs d’activité.

Un troisième modèle est important afin de bien comprendre l’impact que le développement technologique peut avoir sur nos sociétés.Dès le moment où une nouvelle technologie est née, elle va devoir passer par les différentes phases du cycle de Gartner, du nom de l’entreprise américaine de conseil et de recherche. Elle va rapidement atteindre un niveau d’attentes extrêmement élevé. Il s’agit là d’une réelle inflation, parfois peu réaliste et démesurée, des attentesexprimées par les utilisateurs potentiels. Ce sommet d’enthousiasmeest suivi par une descente vertigineuse aux enfers, essentiellement poussée par la désillusion de ces mêmes utilisateurs qui en attendaient beaucoup plus et surtout plus rapidement. La nouvelle technologie va dès lors passer par la« vallée de la mort », fatale pour une grande majorité d’entre elles, avant de connaître enfin la renaissance–une remise dans la lumière–et finalement atteindre le plateau de production industrielle. Il en va de même pour toute forme de développement technologique.

L’accélération de l’innovation nous laisse peu de temps pour l’adopter et l’intégrer. Le changement est toujours déstabilisant et nous faitpeur. Elisabeth Kübler-Ross (1926-2004), connue pour la descriptiondes états émotionnels dans un contexte de décès d’un proche ou aprèsannonce d’un diagnostic de maladie mortelle, a également décritles différentes phases par lesquelles nous passons quand nous devonsfaire face à un changement :choc, déni, colère, négociation, dépression, acceptation, expérimentation, décision et intégration. Si nous partons de l’observation que le développement technologique s’accélère, nous allons très rapidement être confrontés à une situation où finalement nous n’aurons matériellement pas le temps de passer par ces différentes phases. Il est à craindre que nous nous retrouvions dans un état d’esprit de dépression continue, compte tenu de l’impossibilité d’accepter, d’expérimenter et d’intégrer correctement ces changements. La cinétique du développement technologique nous oblige aujourd’hui à traiter de plus en plus de problèmes sociétaux dans l’urgence. Par conséquent, toute innovation qui nous permet de répondre à cette notion d’urgenceestrapidement adoptée.

2. L’impact sur les secteurs d’activité humaine

2.1. Le transport

Pour faire comprendre que ces changements sont inéluctables et qu’ils répondent aux théories du déterminisme technologique (la technologie façonne la société et pas l’inverse), il suffit de regarder autour de soi dans différents domaines d’activités humaines. Loin de moi l’idée d’être exhaustif en la matière, mais il me semble utilede montrer l’impact que ces technologies ont sur notre société et surnotre vivre ensemble. Prenons comme premier exemple le domaine des transports.

Tout le monde a entendu parler des voitures autonomes. Il y a encorequelques années, ce concept faisait partie des films de science-fiction. Qui aurait pu croire qu’un jour l’homme abandonnerait le volant au profit d’une machine ?Aujourd’hui, certains clament que la décision la plus regrettable serait à l’avenir de doter à nouveau la voitureautonome d’un volant et de pédales, car ce faisant, on réintroduirait l’erreur humaine. Et l’annonce,« urbi et orbi », des quel­ques rares accidents avec ces voitures autonomes semble pour le moins hypocrite. Nous savons tous que le facteur le plus dangereux en matière de conduite, c’est le facteur humain. Si nous faisions état dans la grande presse de tous les accidents provoqués par l’inattention et la bêtise humaine, nos quotidiens ressembleraient à une encyclopédie.

Ce changement majeur dans un secteur peut avoir des implicationsdans d’autres domaines et dans certains cas de figure fort inattendus.Dès le moment où vous ne contrôlez plus vous-même votre véhicule,tout le concept des assurances va devoir changer. Vous ne pouvez pas être tenu responsable d’un accident dès le moment où la machine a pris votre place. Certains constructeurs de véhicules autonomes anticipent et affirment déjà qu’ils prendraient en charge les assurances en la matière. Il est fort probable que les compagnies d’assurances, pendant une période intermédiaire, feront des primes plus intéressantes pour ceux ou celles qui optent pour une voiture provoquant moins de dégâts, car dotée de la possibilité de conduiteautonome. Par ailleurs, imaginez que vous planifiiez un long voyagedans un tel véhicule, très confortablement installé dans un habitaclequi n’aura plus rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui et qui pourrait se transformer en couchette la nuit. Pourquoi encorealler dans un hôtel afin de marquer l’étape ?Pourquoi encore pren­dre un vol intérieur si ce n’est pour aller plus vite ?

Les conséquences de ce nouveau modèle de transport individuel vontse faire sentir dans des domaines où nous ne les anticipions pas. On clame déjà qu’il n’y a pas assez de dons d’organes. Ce sera encore pire dès le moment où on aura réduit de façon substantielle le nombre d’accidents mortels sur nos routes.

Beaucoup d’entre nous ne conçoivent pas de lâcher aisément le volant de nos sacro-saintes voitures. D’autres, par contre, estiment qu’il n’est plus indispensable de posséder une voiture personnelle. La jeune génération se désintéresse de plus en plus de cette dépense qui représente un réel gouffre financier dans le budget du ménage. Ceci va certainement influencer le paysage urbain avec une réduction de l’encombrement de nos villes, une réduction de la nécessité de créer à tout-va des parkings où ces voitures sont immobilisées –et donc totalement inutiles–pour la plus grande partie du temps, ce qui est un modèle totalement inefficient. Si l’on réduit le nombre de voitures, et que l’on rend les transports publics globalement plus efficaces, on va enfin pouvoir libérer des espaces et ainsi créer l’occasion de modifier en profondeur le paysage urbain, et essentiellement le rendre aux habitants.

Il y a fort à parier que Uber®, Lyft®, BlaBlaCar®et d’autres ne sont pasdes phénomènes de mode passagers mais que ces modèles d’activité