Covid 19 - Philippe Coucke - E-Book

Covid 19 E-Book

Philippe Coucke

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Beschreibung

Bien au-delà de son impact sanitaire, la COVID-19 a déjà eu de nombreuses répercussions sur notre mode de vie quotidien, notre appréhension des relations sociales, notre manière de travailler, notre économie... Et si cette pandémie n’était, au fond, qu’un début ?

Philippe Coucke offre un point de vue très complet sur la crise que nous vivons et ses conséquences. Il décortique les changements économiques provoqués par la COVID-19, compare les réactions gouvernementales observées à l’international et propose des explications sur les symptômes, les facteurs de risque, les traitements, etc. Expert en innovations médicales, il réalise ensuite une synthèse inédite des développements technologiques engendrés par le coronavirus : entre applications de tracing, télémédecine ou impressions 3D, les effets de la COVID-19 sont nombreux, et ne font que commencer !

Comment la COVID-19 et la crise actuelle accélèrent les changements sociaux et forcent les innovations technologiques.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Chef du service de radiothérapie au CHU de Liège et professeur en radiothérapie à l’Université de Liège, le Pr Philippe Coucke est également membre du conseil de gouvernance du département de Physique Médicale et du Centre Intégré d’Oncologie.

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Couverture

Page de titre

Avant-propos

Notre collection évolue pour vous aider à devenir un acteur clé de votre santé.

Le temps est révolu où le patient n’avait que peu de ressources pour appréhender la maladie dont il souffrait. Même si les rapports entre le monde professionnel de la santé et le patient changent, le temps consacré à l’information manque régulièrement. De plus, sous la pression politique et dans un souci d’efficience économique, les institutions de soins développent des alternatives à l’hospitalisation et aux soins classiques. Il devient donc nécessaire pour toute personne d’acquérir plus d’informations pertinentes et d’autonomie face à la maladie.

Depuis sa création, dans chacun de ses ouvrages, la collection « Santé » des Éditions Mardaga relève le défi d’apporter, sous une forme très accessible, une information médicale de grande qualité. Elle vise à offrir à tout lecteur des ouvrages traitant des questions qui animent aujourd’hui tant la communauté scientifique que la société, autour de la santé dans sa définition la plus large.

Le livre que vous vous apprêtez à lire répond à un seul but : vous aider à devenir cet acteur bien informé et incontournable tant de votre santé que de vos soins médicaux. En effet, face à la multitude de sources d’information consultables sous toutes les formes (réseaux sociaux, blogs, Web, podcast, conférences, télévision, magazines), il est difficile de déterminer si les contenus sont fiables, validés par des experts ou douteux. Retrouver son chemin et un esprit critique dans cette infobésité, qui nous pousse à appréhender beaucoup de données dans un temps de plus en plus court, est parfois bien ardu.

Notre collection se veut être votre fil d’Ariane dans ce labyrinthe de surcharge informationnelle. Vous aider à apprendre et à comprendre tous les éléments utiles, sans pour autant les simplifier à outrance, est notre principale préoccupation.

Dans cet objectif, la collection évolue et évoluera encore avec la volonté d’offrir, si le sujet s’y prête, des approches plus dynamiques telles que des questions-réponses, des entretiens ou encore des controverses, tout en gardant un haut niveau de rigueur académique.

Au nom de toute la maison d’édition, je remercie l’auteur du présent ouvrage pour la qualité et la rigueur mises au traitement du sujet abordé.

Je vous invite maintenant à lire ce livre, à le faire résonner dans votre quotidien et surtout à bien prendre soin de vous !

Professeur Frédéric Thys,directeur de la collection

Préface

Dans son précédent ouvrage publié aux Éditions Mardaga, Philippe Coucke avait relevé avec brio le défi de nous immerger dans l’univers des nouvelles technologies, facteurs catalytiques de la métamorphose émergente de notre société et de la médecine du futur. Il nous décrivait alors un nouvel écosystème questionnant à l’envi nos futurs choix individuels et démocratiques et donc notre liberté, clef indispensable pour concrétiser une réalité humaine certes augmentée mais désirée meilleure.

Depuis la parution de ce passionnant ouvrage, notre monde a été et reste percuté par une crise sanitaire majeure touchant la totalité de notre planète en éclairant d’une lumière nouvelle nos structures sociétales et notre organisation médico-sociale de la santé. Une épidémie de cette ampleur se distingue d’une catastrophe aigüe avant tout par la difficulté d’une identification précoce et par une cinétique d’installation plus progressive qui nous empêchent de mesurer précocement l’impact réel et potentiel sur la santé du monde et de ses habitants. Il en a découlé ainsi une confusion initiale et un chaos lié à l’impréparation et à l’absence de coordination des différentes nations, bien au-delà des systèmes médico-sociaux de la santé. Aujourd’hui, nous restons sidérés de constater avec de nombreux mois de recul la dimension globale de la crise et ses effets sur tous les composants qui font le vivre ensemble de notre humanité. Ainsi, notre écosystème subit une contrainte majeure qui ne le laissera nullement indemne dans le futur. Même si cette pandémie n’est pas résolue au moment où j’écris ses lignes, il fallait oser faire une pause, s’interroger sans a priori ni complaisance sur cet événement majeur, ses causes, sa gestion et les perspectives offertes. Le choix fait avec l’auteur a été d’arrêter la chronologie de cette analyse à l’automne 2020, ainsi nous invitons le lecteur, instruit par sa propre histoire des événements ultérieurs, à toujours considérer cette temporalité.

Ayant intégré ces prérequis, le lecteur va sans effort être convié à un voyage exceptionnel dans le temps par Philippe Coucke qui, sans sacrifier l’analyse rigoureuse et scientifique, fait preuve d’une pédagogie sans égale pour expliquer les coulisses de cette pandémie liée à un virus à cinq lettres et deux chiffres. Cette épopée débute par une rétrospective exhaustive des différentes pandémies mondiales qui ont agrémenté le chemin menant à la pandémie actuelle, de nombreuses balises historiques, sources souvent insolites d’un enseignement inattendu pour notre compréhension du présent. À l’issue de cette première étape de lecture, il sera utile de faire plus ample connaissance avec la COVID-19, sa singularité et les raisons de son « succès » auprès du genre humain, son appétence à prendre des formes cliniques diverses, des plus légères aux plus extrêmes, sa capacité à atteindre les plus vulnérables. Il sera opportun à ce stade de s’interroger sur les moyens diagnostiques et thérapeutiques, sur leurs limites et leurs efficiences jusqu’au développement des vaccins et de l’attente qu’ils suscitent. Une immersion si précise dans cet univers permettra au lecteur attentif de se prémunir face aux informations contradictoires ou fausses qui trouvent, dans les réseaux sociaux, une résonance dangereuse et fallacieuse.

Sur la terre entière, depuis décembre 2019, la vie quotidienne des individus a été modifiée par la peur de la contagion, les difficultés d’obtenir des informations, du matériel de protection et souvent celle-ci a été frappée de plein fouet par des restrictions et des mesures exclusives variables et parfois contradictoires en fonction des pays ou des situations sanitaires. L’auteur nous propose une analyse assez fine, toujours à juste distance, de la gestion politique avec pour seule préoccupation celle d’apprendre, au-delà de toute critique, à mieux gérer l’avenir. Un futur hautement influencé par les acteurs du « septième continent », à savoir les GAFA, qui sont également soumis à la question quant à leurs potentiels, leurs limites et les espoirs qu’ils suscitent.

De nombreuses interrogations se posent par ce « fait social total1,2 » qu’est la pandémie de COVID-19, à savoir l’intensité et la durabilité de sa rémanence aux niveaux économique, éthique, environnemental et surtout sur nos libertés individuelles et notre solidarité à une époque où, entre autres actions, le tracing est devenu un moyen de lutte contre la propagation du virus. Ces questions sont loin d’être esquivées par l’auteur qui guide pas à pas le voyageur de ce livre vers la nécessité de considérer les enjeux séquellaires et les mutations à attendre à la sortie de cette crise dans le secteur des soins et au-delà, au niveau de notre société.

On ne sort pas indemne de ce périple de lecture qui, page après page, nous apporte la conviction que le monde d’avant est bien révolu et que notre écosystème amorce une transition fondamentale vers un futur à questionner et à construire en citoyens du monde attentifs, non seulement à sa bonne santé individuelle, mais aussi aux balises essentielles que sont désormais l’attention au respect de l’environnement, la santé publique mondiale, la juste innovation technologique, la nécessaire solidarité, le questionnement éthique sans sacrifier nos libertés et atténuer notre créativité…

Frédéric Thys

Je dédie ce livre à mon épouse Linda qui une fois de plus a fait preuve d’une patience sans limites, et qui par ses judicieux conseils me rappelle systématiquement l’importance de la clarté des propos. Je le dédie également à mes enfants et petits-enfants, en espérant qu’ils feront preuve de plus de sagesse que nous.

Introduction

La crise sanitaire mondiale que nous connaissons aujourd’hui devrait nous aider à réfléchir sur notre vivre ensemble, sur nos valeurs et priorités sociétales et sur l’organisation des soins de santé. Le conditionnel est utilisé à dessein car, malheureusement, le genre humain n’a pas vraiment l’air d’apprendre grand-chose au passage d’une crise : « Chassez le naturel, il revient au galop. »

Les médias nous inondent quotidiennement de dépêches alarmantes sur la progression de la maladie à travers le monde. Le nombre de personnes pour qui le test PCR COVID-193 s’avère positif ne cesse de croître de façon exponentielle. La courbe de décès, au début de cette crise, est tout aussi croissante, et persistera plusieurs jours après le pic de l’incidence. L’Italie est un des premiers pays à déclarer très rapidement des chiffres dramatiques quant au nombre de victimes, suivi par d’autres qui vont regrettablement battre ce record. Les hôpitaux à travers le monde sont débordés et manquent cruellement de moyens humains et techniques. Aux nouvelles télévisées, nous sommes tous abasourdis, choqués et attristés en voyant ces camions frigos face aux hôpitaux et cet alignement de cercueils impressionnant aux États-Unis et au Brésil, qui contiennent les victimes innombrables de ce virus qui inspire la peur. Ce qui nous déchire, c’est que la plupart des personnes décédées n’ont pas eu l’opportunité de revoir leur famille, ni la possibilité d’avoir des funérailles dignes de ce nom.

Les politiciens de nos contrées – mais pas seulement – ont commencé, avec suffisance et arrogance, par prendre cette infection au coronavirus à la légère. Certains d’entre eux, comme le président américain Donald Trump, le Premier ministre du Royaume-Uni Boris Johnson et le président brésilien Jair Bolsonaro, peuvent franchement être qualifiés de « covid-sceptiques » et, plus interpellant encore, ils sont parfois restés imprudents quand leur pays a été frappé de plein fouet. Pourtant, des signaux très alarmants nous provenaient dès janvier 2020 de la ville de Wuhan, capitale de la province chinoise du Hubei (province chinoise dite « au nord du lac », qui compte la bagatelle de 60 millions d’habitants).

Par manque de préparation – depuis longtemps – et de prévision, nos gouvernants ont été pris de court et ont dû prendre des décisions dans l’urgence et la précipitation, faisant face à une crise sanitaire galopante et sans précédent. Le sens et la temporalité de certaines de leurs décisions sont parfois difficiles à saisir pour les citoyens. En effet, pas facile de comprendre que, au début de la crise, on autorise des rassemblements de 5 000 personnes dans des lieux publics, puis quelques jours plus tard on réduit ce nombre à 1 000, pour finir par un confinement généralisé. Certains politiciens inconscients vont même ruser en autorisant des événements sportifs, en l’occurrence un match de basket dans une ville côtière, rassemblant tout juste 990 supporters, pour ne pas atteindre la barre fatidique, mais totalement aléatoire, de 1 000. Leurs agissements et décisions sont dictés dans un souci de défendre des intérêts locaux à tout prix et, ne l’oublions pas, pour plaire à leurs électeurs. Cela rappelle le fameux « Liberty Loan Parade » qui a eu lieu le 28 septembre 1918, en plein milieu de la pandémie de grippe espagnole (qui a tué entre 50 et 100 millions de personnes). Ce jour-là, 200 000 Américains se sont entassés dans les rues de Philadelphie pour assister à un défilé militaire, qu’on n’a pas voulu annuler pour des raisons éminemment politiques et patriotiques, bien qu’une période d’isolement ait été mise en place à cause de l’épidémie. Trois jours plus tard, toutes les cliniques de la ville débordaient de cas.

Les réponses gouvernementales ne sont malheureusement ni uniformes ni concertées, même au sein de l’Union européenne, augmentant ainsi la perplexité générale du grand public. Les citoyens incriminés par ces décisions ont d’autant plus de difficultés à se soumettre à des mesures contraignantes de confinement et d’isolement, parce qu’ils ne comprennent pas le manque d’uniformisation transfrontalière. Comment assimiler que le confinement est obligatoire dans la province du Limbourg en Belgique, pendant que les cousins néerlandais, à quelques kilomètres seulement, vaquent librement à leurs occupations, comme si de rien n’était ? Ils ne se préoccupent ni des gestes barrières, ni de la distanciation sociale, des principes assenés de façon répétitive à toute la population du pays par les autorités fédérales et régionales en Belgique, par tous les moyens de communication. Nos concitoyens sont suffisamment intelligents pour comprendre que la frontière géographique n’est pas une barrière étanche et ne peut arrêter la progression du virus. Néanmoins, le monde entier s’est rapidement aperçu que deux mesures en Chine se sont avérées efficaces : le dépistage de masse et le confinement strict des citoyens. Cette cacophonie persistera tout au long de la crise et, là où on attendait une concertation européenne, le déconfinement et la gestion de la recrudescence des cas se feront à nouveau en ordre dispersé, provoquant incompréhension, irritation, voire colère, parmi les citoyens.

Il va falloir distiller des enseignements de ce management laborieux de la crise et réfléchir, afin de ne plus se retrouver aussi démunis et désorganisés. Cette pandémie n’est pas la première dans l’Histoire humaine et ne sera certainement pas la dernière. Cette crise sanitaire mondiale diffère de façon fondamentale des précédentes, même assez récentes, comme celle du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003. En presque deux décennies, notre monde a fondamentalement changé. Nous sommes rentrés de plain-pied dans ce qu’on a tendance à appeler la « quatrième révolution industrielle », qui se caractérise par le « tout-connecté ». Cette irruption brutale et son déploiement fulgurant dans nos sociétés se sont faits de façon universelle et exponentielle. Et le monde des soins n’y échappe pas, même si certains font de la résistance acharnée. Le développement technologique dont nous disposons aujourd’hui peut changer immédiatement et fondamentalement l’écosystème des soins, qui, par ailleurs, a grandement besoin d’être chamboulé au regard de l’inefficience ubiquitaire (42 % du budget annuel des soins de santé sont dépensés en vain). Il est fort probable que la pandémie que nous connaissons aujourd’hui laissera des traces indélébiles sur notre société et notre système de soins. Elle va sans aucun doute accélérer l’adoption d’innovations technologiques afin de pallier les besoins criants qu’elle a mis au jour.

Cet ouvrage n’est pas, et de loin, un ouvrage médical complet destiné aux professionnels de soins, néanmoins évoquer une telle crise sanitaire sans faire allusion à la maladie elle-même serait une erreur. Nous devons prendre conscience que nos connaissances sont lacunaires et, même si elles ont progressé exponentiellement – quasiment aussi rapidement que la pandémie –, beaucoup d’inconnues persistent. Toutefois, la science est évolutive, et certains chapitres mériteront sans aucun doute une lecture critique, particulièrement quand il s’agit de la compréhension du virus et de la vaccination. Pendant les longues heures passées à documenter et rédiger cet ouvrage, il m’a semblé indispensable de faire le point sur les dérives politiques, ainsi que sur les formidables élans de collaboration, en matière de développements industriels, techniques et thérapeutiques, au profit du secteur des soins affaibli.

Il s’agit d’un choix purement pragmatique et arbitraire, toutefois il fallait bien mettre fin à cette chronologie politique-économique-scientifique, et j’ai décidé du début de l’automne 2020. Avant que les premiers vaccins ne soient commercialisés, mais au moment où l’épidémie reprend de plus belle, à la suite d’une accalmie estivale, et où des nouvelles mesures contraignantes sont à nouveau annoncées et mises en application.

Chapitre 1

Historique des grandes pandémies mondiales

Avant notre ère

Contrairement au graphique synoptique très parlant présenté en 2020 et publié par le Forum économique mondial (FEM) et qui remonte à la peste antonine qui a eu lieu entre 165 et 190 apr. J.-C., nous allons commencer l’énumération des grandes épidémies par des événements antérieurs à notre ère.

En juillet 2015, on découvre sur un site préhistorique, dans le nord-est de la Chine (appelé aujourd’hui Hamin Mangha), un village datant de cinq mille ans, dans lequel se trouve une maison qui contient 97 corps entassés pêle-mêle et calcinés. La communauté d’alors a visiblement été frappée par une maladie qui a obligé les survivants à entreposer tous les décédés, sans aucun égard funéraire, dans une bâtisse afin de les brûler. On pense que cette épidémie a concerné plusieurs villages et qu’elle a progressé de façon foudroyante, en touchant toutes les couches de la population, dont l’âge varie de 19 à 35 ans. Elle a évolué tellement rapidement que les survivants ont précipitamment abandonné leur lieu de vie et n’ont pas pu prendre soin de leurs morts selon les rites de l’époque. Le fait que l’on ait localisé des sites similaires dans la région, par exemple à Miaozigou, consolide la thèse d’une épidémie régionale.

On ne peut passer sous silence la peste d’Athènes, qui s’est déclarée peu après le début de la guerre du Péloponnèse (entre 430 et 426 avant notre ère). Cette « peste » a tué approximativement 100 000 personnes, un chiffre cependant contesté. Le pathogène à l’origine des symptômes ne fait pas non plus l’unanimité, et pour les historiens la liste des candidats potentiels semble longue (typhus, syphilis, méningite, scarlatine, fièvre jaune, peste, dengue méditerranéenne, etc.). L’historien grec Thucydide, qui a d’ailleurs failli en mourir lui-même, offre la meilleure description de l’épidémie dans le deuxième livre dédié à l’histoire de la guerre du Péloponnèse. Les symptômes progressaient rapidement, et la maladie touchait quasiment tous les systèmes. Les survivants ne semblaient toutefois pas rechuter.

À partir de l’an 1 : la peste à l’honneur

Revenons-en à notre ère et commençons par la peste antonine (165-180 apr. J.-C., à l’époque de Galien (129-201), durant les règnes de Marc Aurèle et de Commode). Comme les précédentes, cette maladie n’est pas liée à Yersinia pestis, une bactérie identifiée par le médecin d’origine suisse Alexandre Yersin. La description que donne Galien oriente les historiens vers un diagnostic de variole4. Les symptômes décrits sont cutanés (exanthème5), gastro-intestinaux (haleine fétide, vomissements, diarrhées) et une toux avec expectorations parfois sanguinolentes. Ce fléau aurait fait des ravages parmi la population, et selon Galien le nombre de victimes était « incalculable ».

La « peste de Cyprien », décrite par Saint Cyprien, évêque de Carthage, a eu lieu entre 250 et 271 apr. J.-C. On pense que les agents pathogènes possibles sont le virus de la grippe, la variole ou une fièvre hémorragique de type Ebola (également d’origine virale). Elle a durement frappé l’Empire romain, tuant probablement à Rome 5 000 personnes par jour, sans compter les victimes en dehors de la cité.

Selon certains historiens, ces deux épidémies seraient le résultat de transfert d’un agent pathogène provenant de l’animal vers l’homme (zoonose), une grande première dans l’Histoire humaine. Ce qui est certain, c’est que la « peste de Cyprien » a probablement précipité la fin de l’Empire romain, tout en augmentant de façon significative le nombre d’adhérents à la foi chrétienne.

L’épisode suivant est la « peste Justinienne » (pestis inguinaria, 541-767 apr. J.-C.), qui a marqué le début du déclin de l’Empire byzantin (empire romain d’Orient). Elle s’est présentée sous forme d’une vingtaine de poussées successives. Cette fois, il s’agit bien du bacille Yersinia pestis, comme en attestent des fouilles effectuées dans une nécropole en Bavière. Les scientifiques ont recherché des éléments génétiques dans la pulpe dentaire de squelettes. C’est une vraie pandémie, dont le point de départ est âprement débattu : Égypte et Éthiopie versus Asie centrale. Toutefois, l’analyse génétique plaide fortement pour une origine plutôt asiatique. Quoi qu’il en soit, elle a ravagé le pourtour méditerranéen et les terres intérieures en remontant par les fleuves, frappant les populations vivant dans les bassins du Pô, du Rhône et de la Saône. À cette époque sévissait une guerre dans le nord de l’Italie, pendant laquelle Lombards et Bavarois étaient alliés. Elle a donc certainement accompagné les mouvements militaires, ce qui explique pourquoi on en retrouve des traces dans des contrées transalpines, comme en Bavière. Elle aurait décimé un tiers de la population, certainement au niveau du bassin méditerranéen.

La plus connue des pestes est sans conteste la « Grande Peste », ou peste noire (1346-1353). Elle a probablement débuté dans la région de la mer Noire et au sud de la Russie. Propagée par les rats ou petits mammifères porteurs de puces infectées par la bactérie, la maladie se transmettait aussi par contact direct avec les liquides biologiques d’un animal mort. La « Grande Peste » aurait décimé entre 30 et 50 % de la population européenne (environ 25 millions de personnes). Elle se caractérise par l’apparition d’un syndrome ressemblant à une grippe, avec fortes fièvres et frissons, douleurs articulaires et musculaires, maux de tête et fatigue importante. Mais le premier symptôme dans la forme dite « inguinaria », qui apparaît dans les vingt-quatre heures, a l’aspect d’un ganglion douloureux dans la zone où se situe la piqûre de puce (souvent dans l’aine), puis se transforme en une éruption dite « bubonique6 ». L’autre forme citée est celle qui se propage par l’air (pulmonaire). Certains villages et villes, comme Bruges et Milan, ont été épargnés par la peste noire, car les autorités y ont pris des mesures d’exclusion drastiques : la ville ne laissait rentrer personne de l’extérieur, procédant à une fermeture des « frontières » complète et imperméable ! Ils se sont donc fortement démarqués des réponses somme toute laxistes de mise partout ailleurs. Bien entendu, les villes les plus peuplées sont plus touchées que les campagnes, et la propagation de la maladie a été accélérée par des mouvements de population liés aux famines et aux guerres. Une telle pandémie a laissé des traces indélébiles dans la société médiévale. Comme souvent, de telles épidémies provoquent des changements sociétaux majeurs. Certains historiens estiment que cette peste noire a sonné le glas du servage. Les propriétaires terriens, confrontés à un manque de main-d’œuvre criante et très bon marché, ont dû consentir à des « salaires » plus importants et faire appel à des technologies innovantes, capables d’alléger ou de remplacer la main humaine. La peste noire a eu des impacts majeurs sur toute la société, y compris l’art et la culture. Par le confinement, l’imagination a décuplé : pour les artistes, c’était la seule planche de salut qui permettait d’échapper à la morosité ambiante. L’Église, toute-puissante au Moyen Âge mais impuissante devant la progression du fléau, a certainement vu son influence se réduire de façon significative, et l’affaiblissement du clergé a ouvert les portes à la Réforme et à la Renaissance. Cette pandémie mondiale est l’illustration même d’un changement de société.

Le prochain épisode, ou devrait-on plutôt parler d’une douzaine d’épisodes, est la fièvre hémorragique qui a sévi en Amérique du Sud, avec trois périodes importantes au XVIe siècle (1520, 1548 et 1576). L’épidémie de cocoliztli a fait un nombre de victimes considérable, essentiellement parmi les natifs aztèques (15 millions de personnes). Selon certains historiens, les conquérants espagnols auraient également payé un lourd tribut. Cette épidémie va décimer la population de la Nouvelle-Espagne (le Mexique actuel) et s’étendre sur différents pays avoisinants. Les causes sont probablement doubles : une origine virale et la Salmonella (en particulier Salmonella typhi, une bactérie qui se propage par l’ingestion d’eau ou d’aliments contaminés). La répétition d’épidémies a très certainement contribué à la fin de l’Empire maya.

Le XVIe siècle se caractérise par une déferlante d’épidémies qui trouvent leurs origines dans l’arrivée de vagues successives d’explorateurs européens, en premier les conquistadors, qui amènent avec eux une série de maladies comme la variole. Les peuples indigènes (aztèques et incas) n’avaient alors aucune protection immunitaire contre cette maladie virale, courante en Europe. Ce même phénomène est apparu à l’arrivée de colons européens, autres qu’espagnols (les Français, les Anglais et les Hollandais) livrant chaque fois leur lot de maladies infectieuses. La mortalité importante dans les populations originelles a très probablement « facilité » le travail des conquérants fraîchement débarqués sur le continent américain.

En avril 1665, Londres est frappé une fois de plus par la peste. Cette époque noire se terminera par le grand incendie de Londres le 2 septembre 1666. Aux XIVe et XVe siècles, plusieurs épidémies de peste bubonique avaient touché la ville (18, entre 1369 et 1485). Au XVIe siècle, la maladie revient de façon cyclique, approximativement tous les dix ans. L’épisode du XVIIe siècle a provoqué à lui seul 100 000 morts, soit approximativement 20 % de la population de la ville. Selon les historiens, cette peste de 1665 serait venue des Pays-Bas, où sévissait déjà la maladie à Amsterdam en 1663. Les quarantaines imposées dans les ports anglais, en raison de la présence de la maladie à l’étranger, mais accessoirement aussi parce que la guerre sévissait entre les Pays-Bas et l’Angleterre en mars 1665, auraient toutefois été contournées pour les besoins de la famille royale et de la marine anglaise, la Navy – une brèche qui a permis au fléau d’atteindre Londres. Londres n’est pas le seul foyer : des villages entiers sont touchés et connaissent des taux de mortalité jusqu’à 70 %. La peste y a probablement été colportée par les citadins fuyards et fortunés. Cette peste de Londres repart d’où elle est venue, c’est-à-dire vers le continent européen. Le nord de la France n’y échappe pas, mais Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), par l’établissement d’un « cordon sanitaire » et la mise en place de vigoureux règlements, parvient à éviter que le fléau n’atteigne Paris. Il est fortement critiqué car les décisions de confinement qu’il prend ont un impact délétère majeur sur l’économie. Déjà à cette époque, on avait du mal à prioriser l’humain avant l’argent.

Ce qui caractérise ces deux épisodes, Londres et le nord de la France, c’est la manière de gérer l’épidémie : d’un niveau de décisions au départ local et régional, l’on passe à un pouvoir national qui instaure des règles de quarantaine pour les personnes et les marchandises des bateaux potentiellement infectés qui arrivent au port.

Le non-respect de ces règles, comme à Londres, va provoquer la fameuse peste de Marseille de 1720 à 1723. En fonction du type de documents délivré au capitaine du bateau, reçus aux différentes escales par les attachés consulaires et les représentants de l’ordre, et en tenant compte de l’état sanitaire de la région, de la provenance des hommes et des marchandises embarquées sur le navire, la durée de la période de quarantaine est déterminée : de dix-huit à cinquante jours pour les personnes, et de trente-huit à soixante jours pour la cargaison. Le bateau incriminé dans la peste marseillaise est le Grand Saint Antoine qui, avant son arrivée au port, a déjà compté un certain nombre de décès à bord. Mais les responsables de l’époque vont occulter ce fait et faire passer les intérêts économiques de certains riches négociants et notables de la ville phocéenne avant l’intérêt public. Ils vont donc autoriser le débarquement des hommes, mais surtout de la précieuse marchandise, même si la veille de la fin de la période de « quarantaine de base », c’est-à-dire au dix-septième jour, le gardien de santé du bateau décède à son tour. Les autorités sanitaires portuaires vont attribuer cette mort hautement suspecte à la « vieillesse ». Cacher des faits contraires aux intérêts économiques de certains nantis semble malheureusement toujours d’actualité.

Entre 1768 et 1774, la guerre fait rage entre la Russie et la Turquie. En janvier 1770, les troupes russes sont confrontées en Moldavie à des cas de peste bubonique, endémique dans la région, qui rapidement se propage parmi les militaires, contaminés par les prisonniers de guerre et le butin. Mais cette info est sciemment dissimulée par les autorités de l’Empire russe, et ce, jusqu’au plus haut niveau de l’État, y compris par Catherine II de Russie. L’impératrice a écrit une lettre rassurante à Voltaire (la France était alliée à l’Empire russe), en signalant que « les soldats morts de la peste ressusciteraient pour se battre », sous-entendu qu’ils n’avaient pas succombé puisqu’elle niait – du moins publiquement – l’existence du fléau parmi ses troupes. C’est aussi elle qui avait pris plusieurs décisions en 1767 afin d’assainir Moscou, pour des raisons de salubrité publique (l’exportation des usines, des abattoirs et marchés de poissons, et des cimetières en dehors des confins de la ville). Elle a déclaré illégal le fait de polluer les voies navigables et a demandé qu’on établisse des décharges pour assainir la ville nauséabonde. Moscou était totalement dépassé par une urbanisation galopante et anarchique et par l’amoncellement de détritus. Au début de l’année 1770, l’état d’urgence est déclaré et la ville est mise sous quarantaine. Les usines, églises, magasins, auberges et tavernes sont fermés. La population désœuvrée et désemparée, n’ayant plus aucune échappatoire ni occupation, se révolte le 15 septembre 1771. Catherine II envoie Gregory Orlov à la tête de quatre régiments qui débarquent à Moscou. Il est capable de convaincre le peuple du bien-fondé de la quarantaine et ramène le calme. Il adapte la durée de la quarantaine en fonction des groupes de personnes et les risques d’être contaminés (plus court pour les personnes exposées mais non atteintes par la maladie), et il paie les citoyens pendant la période de quarantaine. Comme chaque fois, l’épidémie provoque des changements sociétaux majeurs, entre autres une réduction d’impôts, ce qui diminue bien entendu significativement les réserves financières et la possibilité de recruter des soldats dans une population disséminée. Impossible par conséquent de maintenir la puissance militaire et de poursuivre les conflits extérieurs.

La période « après-peste »

Philadelphie, à la fin du XVIIIe siècle, abrite le siège du gouvernement, dans l’attente du transfert de celui-ci prévu pour Washington, où le Capitole est en pleine construction. À la fin de l’été, les habitants sont frappés de fièvre jaune, anciennement appelée « fièvre amarile » (caractérisée par des vomissements noirs). Entre le mois d’août et le mois de novembre, la ville comptabilisera 5 000 morts. On n’en comprend ni l’origine, ni la transmission (par piqûres de moustiques vecteurs du virus). Comme la maladie semble provenir de Cap-Français, à Saint-Domingue, on pense que les Noirs sont immunisés. On fera le constat après coup que le taux de mortalité est finalement identique, quelle que soit la couleur de la peau. Les autorités urbaines confinent Philadelphie. Les résidents qui s’aventurent dans les rues utilisent des mouchoirs en guise de masque, imprégnés de camphre et de vinaigre. Ils évitent soigneusement de croiser de près d’autres passants et ne s’aventurent plus à serrer la main. George Washington quitte la ville en septembre pour des vacances planifiées et pour la cérémonie de la première pierre à Washington pour la construction de Capitol Hill. Le maire de la ville, complètement débordé, demande de l’aide au Collège des médecins, qui édicte des recommandations qui provoquent un véritable vent de panique parmi la population. Comme le Pennsylvania Hospital refuse les patients, il est décidé de les confiner dans les dépendances d’une grande propriété appartenant à un Anglais, mais louée par le vice-président de l’époque, John Adams. On fait appel au Free African Society, afin que des infirmières – non rétribuées – soignent ces patients entassés jusqu’à même le sol dans cet hôpital de fortune, persuadés par la prétendue immunité des Noirs africains. En ville, les magasins alimentaires et les boulangeries restent ouverts, tout comme la poste, mais les églises ferment. La situation est chaotique dans l’hôpital de Bush Hill, qui est qualifié d’« abattoir d’humains ». C’est un fabricant de tonneaux et marchand d’origine française, Stephen Girard, qui est nommé à la tête de l’infrastructure, sous la supervision du maire de la ville, et qui relève le défi d’y mettre de l’ordre. Il se fait aider par un médecin également d’origine française, Jean Deveze, épaulé par une équipe d’apothicaires, français eux aussi. Les traitements sont très empiriques et peu efficaces : de l’administration de poudres, sur base entre autres de mercure, à des purges et des saignées. La mortalité atteint 50 % pour les cas hospitalisés. En septembre, une recrudescence de la maladie fait suite à des précipitations importantes. Toutefois, on espère que les gelées nocturnes arrêtent finalement l’épidémie. Ce phénomène a déjà été observé pendant d’autres éclosions de fièvres saisonnières. En effet, l’épidémie cesse à l’arrivée des premiers froids, autour de la mi-octobre. La cause virale et le vecteur ne sont découverts qu’en 1881. La ville décide de nettoyer les rues, d’instaurer la quarantaine pour les bateaux qui arrivent au port. La concentration des cas de fièvre jaune dans les villes, aux abords des fleuves et grands plans d’eau, accélère le mouvement des populations à l’intérieur des terres et modifie en profondeur la société américaine.

À l’ère industrielle : la grippe sous toutes ses formes

On arrive finalement à l’ère industrielle moderne, avec une première pandémie de grippe (1889-1890). Elle prend son origine à Bukhara localisé dans l’Empire russe et un premier cas est signalé à Saint-Pétersbourg en date du 7 décembre 1889. Le pic semble atteint après cinq semaines. La vitesse de propagation du front grippal est de trois cents kilomètres par semaine. Quatre mois après l’éclosion initiale, en janvier 1890, elle atteint les États-Unis. L’agent viral, l’influenza A souche H3N8, provoque 1 million de morts. Aucun traitement n’est efficace et, vu le faible taux de mortalité, les médecins vont s’en désintéresser. Elle apporte toutefois une information primordiale pour l’ère moderne : le développement du transport terrestre sur rails (à l’époque, 125 000 miles de voies ferroviaires sont posées entre les grandes villes européennes) et du transport maritime permet de relier rapidement deux points du globe, et accélère donc la propagation d’une épidémie. Des études démontrent que ce n’est pas le nombre absolu de personnes qui voyagent qui détermine la rapidité de propagation, mais le degré de connexion entre les villes. Dans une publication de TheLancet, au XIXe siècle, on évoque que la maladie se propage aussi facilement à travers le monde que la poussière d’un volcan en éruption – allusion à l’éruption du volcan Krakatoa en 1883, situé dans le détroit de la Sonde dans l’océan Indien.

Dans le quartier de Brooklyn, à New York, démarre en 1916 une vague de paralysie infantile, qui touche 27 000 personnes et provoque 6 000 décès. Il s’agit de la vague de poliomyélite américaine qui affectera même le président Franklin D. Roosevelt, qui contracte la maladie en 1921, à l’âge de 39 ans. Le premier cas est annoncé le 17 juin 1916. Il s’agit essentiellement d’enfants en bas âge (moins de 5 ans). Seuls 10 % des patients sont plus âgés. Les autorités sanitaires réagissent promptement et prennent des mesures draconiennes : fermeture des lieux publics et des lieux de divertissement. Les habitants paniquent et ceux qui le peuvent fuient la ville. On désinfecte chimiquement les lieux où des cas ont été signalés. On crée des cliniques ad hoc, avec des soignants spécialisés aidés par des équipes itinérantes d’experts. Les rassemblements et réunions sont annulés. On publie même dans les journaux les noms et adresses des personnes atteintes par la maladie : le secret médical et la protection des données personnelles n’étaient alors pas de mise. Des équipes multidisciplinaires, sorte de police sanitaire, sont mises en place pour contrôler si les règles de la quarantaine sont respectées. Il faut attendre le 26 mars 1953 pour que Jonas Salk, fils d’immigrants juifs originaires de Russie, annonce officiellement sa découverte concernant le vaccin contre la poliomyélite. Il prendra la décision de ne pas breveter son invention afin de la mettre à disposition du plus grand nombre de personnes. Cet altruisme vaut quand même, selon certains observateurs, la coquette somme de 7 milliards de dollars. Il l’a préalablement testé sur lui et les membres de sa famille avant de l’utiliser à plus large échelle.

Après la première guerre mondiale sévit la grippe espagnole, qui fera plus de victimes que la guerre elle-même. Elle infecte un demi-milliard d’humains, ce qui représente à l’époque 27 % de la population mondiale. On estime qu’entre 20 et 100 millions succombent. Elle touche plus fréquemment les jeunes adultes entre 20 et 40 ans, comme si les personnes d’un âge avancé étaient partiellement immunisées par une épidémie de grippe précédente. Le premier cas mortel est signalé à Boston, le 19 septembre 1918. Le foyer originel se situe, selon les experts, dans les camps militaires de l’armée américaine au Kansas. Ces camps, qui comptent entre 50 000 et 70 000 individus, regroupent les jeunes hommes pour un entraînement préalable à leur affectation en Europe. On a évoqué une autre origine possible, en l’occurrence des infections respiratoires aigües et mortelles survenues en série dès 1916 dans des complexes hospitaliers érigés par les Anglais à Étaples en France et à Aldershot au Royaume-Uni. On parle à l’époque de la pneumonie des soldats annamites, une ethnie vietnamienne qui aurait rapporté l’agent causal du nord du Vietnam et de la Chine voisine, et qui se sont engagés dans l’armée française. Finalement, les experts s’accordent pour attribuer le foyer originel aux États-Unis, et en particulier à l’État du Kansas. Il s’agit pour les scientifiques soit d’un virus humain préexistant qui aurait muté, soit d’un virus provenant d’un réservoir animal (le canard), qui aurait transité par le porc pour finalement atteindre l’homme. Le syndrome grippal apparaît très rapidement, après une incubation d’un à deux jours. Dans 15 à 30 % des cas, des complications pulmonaires provoquent une détresse respiratoire aigüe. La mortalité est souvent provoquée par une surinfection bronchique d’origine bactérienne. On sait que l’agent causal est le virus influenza H1N1, d’origine aviaire.

Bien que cette grippe trouve son origine sur le territoire nord-américain, la pandémie est affublée de l’adjectif « espagnol ». Les pays belligérants impliqués dans la première guerre mondiale musellent la presse et appliquent une censure stricte : pas question de faire état publiquement d’une pandémie qui affaiblit les forces militaires. Le seul pays qui, par conséquent, mentionne l’épidémie dans la presse, c’est l’Espagne, car à cette époque il s’agit d’un pays neutre. La progression est très rapide, et en quinze jours c’est l’ensemble du territoire nord-américain qui est touché. Comme pour la pandémie de 1889, on incrimine le transport ferroviaire et maritime. Pendant cette éclosion pandémique, un médecin, Max C. Starkloff, de la ville de Saint-Louis dans le Missouri, va instaurer pour la première fois dans l’histoire des épidémies et pandémies humaines, le principe de « distanciation sociale ». Il fait fermer les écoles et limite les regroupements de personnes. Résultat : la ville connaît un taux de mortalité moindre, comparativement aux autres villes touchées. D’autres villes équipent la police de masques. Devant la déferlante de malades, des hôpitaux de campagne sont érigés. L’Australie est épargnée car elle a appliqué une quarantaine sévère, mais elle est frappée de différents foyers lors de la troisième vague.

À l’époque, la priorité est militaire, et finalement peu de données existent sur cette pandémie. Toutefois, on prend conscience de la nature transfrontalière et universelle de telles pandémies. On crée alors la Société des Nations, qui précède l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Plus de 1 million de décès : c’est le triste score de la « grippe asiatique » de 1957-1958. Le foyer initial se situe en Chine et apparaît en janvier 1957. L’agent viral est l’influenza A H2N2. Certains évoquent ce virus comme l’agent infectieux qui a provoqué la grippe russe de 1889. La souche virale H2N2 représente probablement un mixage d’une souche aviaire et humaine. À la mi-été, le virus frappe les États-Unis. Une deuxième vague dévaste l’hémisphère Nord au début de l’hiver 1957. La symptomatologie est extrêmement variable, allant de symptômes anodins à la pneumonie sévère, l’épilepsie, l’insuffisance cardiaque et la mort. Ce A H2N2 a par la suite muté en A H3N2, qui a provoqué une pandémie en 1968-1969, mais pas aussi importante que la grippe asiatique.

Une des questions souvent évoquées est la protection immunitaire faisant suite à l’exposition de souches virales similaires antérieures. On a par exemple observé que les patients exposés au H1N1, qui a circulé entre 1918 et les années 1940, ont été relativement protégés contre la grippe porcine de 2009 (moins de mortalité). Ce serait aussi le cas pour des souches différentes du virus influenza, avec la présence dans la population d’une résistance immunitaire croisée. Le cas contraire se présente également, c’est-à-dire un excès de mortalité pour les personnes jeunes exposées à la souche H3Nx de 1890 et la grippe espagnole. L’explication est inconnue et on appelle cela le « paradoxe pandémique ».

Le sida7, une pandémie de longue durée et toujours d’actualité

Une infection virale qui a particulièrement marqué l’opinion publique est celle liée au VIH8. Si la maladie apparaît au début des années 1980, force est de constater qu’elle sévit toujours aujourd’hui. Au pic de l’incidence, en 1997, on fait face à 3 millions de nouveaux cas par an. Les statistiques publiées par l’OMS montrent qu’en 2018, 37,9 millions de personnes sont infectées, dont 23,3 millions reçoivent un traitement antirétroviral (62 %). Le continent le plus touché est l’Afrique (25,7 millions de cas), suivi par l’Asie du Sud-Est (3,8 millions de cas). Le nombre de nouveaux cas par an est descendu à 2,5 millions mais il reste élevé (baisse de 24 % par rapport au pic). Si on comptabilise le nombre de décès par jour, celui-ci se compare à trois attaques du World Trade Center.

L’origine est africaine (sud-est du Cameroun) et la transmission s’est probablement faite du chimpanzé à l’homme. La maladie est reconnue en 1981 et la souche virale, découverte en 1983, est formellement identifiée comme cause du sida en 2009. Dès 1999, des chercheurs ont mis en évidence chez le chimpanzé un virus SIVcpz9, quasiment identique au VIH-1 chez l’homme. Ces chimpanzés avaient eux-mêmes été contaminés par deux autres espèces de singes plus petites, qu’ils avaient l’habitude de chasser. Ces espèces étaient porteuses de deux souches différentes de SIV, qui se sont recombinées pour créer le SIVcpz. Ce sont des chasseurs qui ont été contaminés par le sang de chimpanzé, ce qui a permis la transmission vers l’homme et engendré les conséquences dévastatrices que nous connaissons aujourd’hui.

Comme pour toute pandémie, des leçons sont à tirer. Pour le sida, une des plus importantes, c’est l’inégalité qui règne à travers le monde par rapport à la prise en charge. Les pays nantis ont progressivement transformé cette maladie en pathologie chronique en appliquant des traitements antirétroviraux, de plus en plus efficaces et de moins en moins greffés d’effets secondaires. Ce n’est absolument pas le cas des pays du tiers-monde. Le groupe civil et activiste People Living with HIV a protesté, à juste titre, contre les prix exorbitants de certains de ces traitements dès 2000, ce qui a amené des formes génériques nettement moins onéreuses. D’autres organisations internationales, comme le Global Funds for AIDS, l’ONUSIDA, l’Unicef et l’OMS, ont toutes œuvré pour démocratiser les traitements pour les pays les moins privilégiés. Le but d’ONUSIDA vise la cible 90 %-90 %-90 % : 90 % des patients atteints testés, 90 % de cette population traitée avec des antirétroviraux et 90 % des patients traités présentant une réduction significative de la charge virale en 2020. Le but est d’éradiquer la maladie de la surface terrestre d’ici à 2030. Ce principe d’équité est essentiel dans la lutte contre toute pandémie, il sera utile de s’en souvenir.

Au XXIe siècle : la grippe porcine de 2009-2010, l’Ebola et le virus Zika

Tout démarre à Mexico, au printemps 2009. L’épidémie évolue rapidement vers une pandémie, entre autres par la multitude de personnes qui se déplacent en utilisant le transport aérien. Le virus, influenza A H1N1pdm09, est d’origine porcine. Les souches H1N1 et H3N2 sont endémiques chez cet animal. On sait depuis 2018 que le cochon est régulièrement atteint et, comme pour l’homme, on observe des mutations fréquentes. On sait aussi que l’animal peut être touché par des souches aviaires comme H5N1 et H7N9. La transmission entre le porc et l’homme est plutôt rare, mais une petite dizaine d’épidémies sont malgré tout apparues depuis 1918. La transmission se fait essentiellement dans les élevages intensifs de porcs, où les éleveurs sont contaminés par contact direct ou par gouttelettes. La transmission de la maladie entre les hommes se fait de la même façon (dispersion des gouttelettes par toux et éternuements). La meilleure méthode pour réduire la progression rapide de la maladie dans une population, c’est la mise en place des gestes barrières (lavage fréquent des mains avec eau et savon ou gel hydroalcoolique, utilisation des mouchoirs à usage unique que l’on prendra soin de jeter dans des poubelles fermées, éternuement dans la manche et distanciation sociale).

En 2009-2010, les personnes atteintes sont essentiellement jeunes (enfants et jeunes adultes). Les femmes enceintes sont également à risque. Les personnes de plus de 65 ans semblent immunisées. La maladie atteint entre 700 millions et 1,4 milliard d’humains (ce qui représente entre 11 et 21 % de la population globale). On signale de 150 000 à 575 000 morts. Le diagnostic définitif est posé par un test de biologie moléculaire, le test RT-PCR10. Il comporte d’abord une retranscription de l’acide ribonucléique (ARN) par l’enzyme transcriptase inverse au laboratoire, ce qui donne l’ADNc (acide désoxyribonucléique complémentaire). C’est un simple brin d’ADN, qui par la suite est amplifié pour en faciliter la détection. Le matériel de prélèvement provient de la muqueuse nasale et/ou buccale.

La plupart des symptômes sont assez banals, mais pour certains la progression est rapide et greffée de complications respiratoires majeures et de surinfections bactériennes. Si un traitement est à envisager, il vaut mieux le démarrer précocement. Aujourd’hui, on considère que l’influenza A H1N1pdm09 fait partie des possibles grippes saisonnières. Dès novembre 2009, le vaccin est disponible.

On a tous en mémoire la crise Ebola, qui a frappé l’Afrique de l’Ouest entre 2014 et 2016. Plusieurs pays ont été touchés mais les plus atteints ont été la Guinée, le Liberia et le Sierra Leone. L’OMS déclare à cette époque que l’épidémie a touché 28 600 personnes et que 11 325 en sont mortes (10 % des décès sont des soignants). Le patient zéro serait un bambin de moins d’un an, qui aurait infecté tous les membres de sa famille. Le réservoir est la chauve-souris. D’autres pays ont été touchés, mais dans une moindre mesure, comme le Sénégal, le Nigeria et le Mali. Quelques cas ont été importés en Angleterre, Italie, Espagne et aux États-Unis. Le nombre de personnes infectées par une seule personne (R0) pour le virus Ebola a été évalué de 1,71 à 2,02 en fonction du pays touché. Pour un R0 égal à 1, l’infection s’arrête. Pour une valeur supérieure à 1, on entre dans une dynamique de croissance exponentielle. Les symptômes démarrent par un état grippal avec une fatigue prononcée, accompagnée de douleurs musculaires et articulaires (souvent des douleurs en ceinture au niveau des épaules), des maux de tête, des vomissements et des diarrhées. Ces derniers provoquent des pertes massives de liquides qui entraînent un choc hypovolémique et le décès du patient. La mortalité en moyenne est de 50 %. Ces liquides corporels sont un véritable danger pour les soignants. Ils doivent se harnacher de matériel de protection personnel encombrant et pesant. Le mettre n’est pas problématique, mais l’enlever requiert environ une demi-heure, et ce, sous haute surveillance. Indéniablement, ce virus a tué beaucoup de personnes infectées, mais le chaos organisationnel, décrit par Médecins sans frontières, a certainement contribué au taux élevé de décès (difficultés de confinement et manque de matériel). Il n’y a pas vraiment de traitements spécifiques, toutefois un vaccin est créé et testé dès 2016 (rVSV-ZEBOV) et approuvé en 2019. Il est aussi intéressant d’observer que 46 à 71 % de la population dans les régions où le virus a frappé le plus fort ont une séroconversion, ce qui veut dire qu’ils ont été en contact avec le virus Ebola sans jamais avoir développé de symptômes. Des médicaments divers ont été testés et, fait marquant, il a été impossible de les évaluer dans le contexte d’une étude randomisée : un tirage au sort entre une molécule potentiellement active et un vulgaire placebo aurait été totalement contraire à l’éthique. La seule alternative, pour évaluer rapidement l’efficacité de la substance testée, a été de déterminer la charge virale sanguine.

Pour cette crise Ebola, l’OMS a déclaré une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI). Ce principe a aussi été utilisé pour la grippe porcine, par exemple. Il oblige les États à répondre aux exigences du Règlement sanitaire international, qui stipule qu’ils doivent assister les pays concernés – et c’est une obligation légale – pour lutter contre la propagation internationale, tout en évitant une interférence non nécessaire du… trafic et du commerce. L’état d’urgence sanitaire déclaré par l’OMS a débuté le 8 août 2014 et s’est terminé le 29 mars 2016. Pour rappel, le pic de l’épidémie a été atteint le 29 juin 2014, et le début de l’inflexion le 28 janvier 2015.

Un nouveau vent de panique souffle sur la terre à partir de 2015, depuis l’avènement d’une nouvelle épidémie. Nom de code : Zika. Ce virus est propagé par les moustiques, mais une transmission sexuelle et par voie sanguine ont aussi été décrites. C’est un arbovirus11 à ARN, de la famille des Flavivirus. On le décrit pour la première fois en 1947, en Ouganda dans la forêt de Zika, chez un singe infecté. Il est formellement isolé et identifié en 1952. L’épidémie débute au Brésil en 2015, même si le Zika Virus avait déjà fait des siennes au préalable (par exemple, 5 000 personnes atteintes sur l’île de Yap, dans le Pacifique, en 2007). Au Brésil, 1,3 million de personnes sont atteintes et le virus se propage rapidement grâce à l’omniprésence de moustiques dans les zones chaudes et humides, et ce, dans cinquante pays. L’OMS lance l’alerte en 2016 et déclare l’USPPI. La maladie est souvent asymptomatique (70 à 80 % des cas). Après des symptômes initiaux (fièvre, éruptions cutanées, douleurs musculaires et articulaires, maux de tête et yeux rouges, œdèmes au niveau des pieds et des mains), certains patients développent un syndrome de Guillain-Barré. Cette forme rare de la maladie se présente alors comme une parésie/paralysie ascendante, qui ultimement peut atteindre les muscles respiratoires. Il s’agit en fait d’une maladie auto-immune qui atteint le système nerveux périphérique de façon symétrique. Le tableau neurologique, hormis la parésie/paralysie flasque, contient aussi une hyporéflexie (diminution des réflexes) et une hypoesthésie (baisse de la sensibilité cutanée), et dans certains cas la sensation de porter continuellement des gants et des chaussettes. L’infection virale est particulièrement dangereuse pour les femmes enceintes. En effet, le virus est à l’origine de malformations congénitales, comme la microcéphalie accompagnée de retard mental irréversible, mais également d’anomalies aux niveaux musculo-squelettique, oculaire, cranio-facial, génito-urinaire et pulmonaire.

Des vaccins sont en cours de développement. Certains d’entre eux sont déjà en phase 2 clinique (recherche d’efficacité sans groupe contrôle). Le développement d’un vaccin est particulièrement compliqué : les épidémies sont imprévisibles et ont tendance à se faire plus rares ; il faut cibler la complication qu’on essaie de prévenir en priorité (dans le cas de malformations congénitales, cela représente des difficultés supplémentaires puisqu’il faut à tout prix éviter des effets secondaires liés au vaccin pour les femmes enceintes et les fœtus). Des questions éminemment éthiques se posent : peut-on vacciner des patientes enceintes, si l’innocuité du vaccin n’est pas absolument démontrée ? Quel serait le coût du vaccin pour des populations démunies ? Est-il raisonnable de lancer des campagnes de vaccination, qui ont un coût certain, quand on sait qu’une immunité collective s’installe progressivement en deux à trois ans ? Le vaccin le plus avancé semble être celui du National Institutes of Health (NIH), aux États-Unis. Le produit est un fragment d’ADN contenant des gènes qui encodent des protéines de surface du virus, contre lesquels le corps humain est capable de construire une réponse immunitaire. Sur des singes, les chercheurs américains ont déclaré que le vaccin était capable de réduire les anomalies fœtales.

Chapitre 2

Et la couronne appartient au coronavirus

Acte I – Guandong, Chine, novembre 2002

Le 16 novembre 2002, dans la province de Guandong en Chine, meurt un premier patient d’une pneumopathie atypique. Il est démontré par la suite que le patient zéro, vient de Foshan. La capitale régionale Canton verra rapidement se multiplier le nombre de décès. On a pu déterminer par la suite que les vingt premières personnes atteintes travaillent toutes dans des restaurants et des marchés du sud-est de la Chine. Cette éclosion inquiète les autorités locales qui demandent la mise en quarantaine des personnes atteintes. Ce qui au départ semble être une « grippe banale » (une expression qui reviendra…) se complique assez fréquemment en un SRAS, entraînant potentiellement le décès. Même si les responsables locaux essaient de passer sous silence cet évident problème de santé publique, les autorités internationales, en l’occurrence le Global Health Intelligence Network, ont vent de l’affaire dès la fin du mois de novembre 2002. Tout début février 2003, les bureaux de l’OMS à Pékin sont avisés car la population semble paniquer sur place et dévalise les pharmacies. Les autorités chinoises vont tout mettre en œuvre pour garder l’irruption de cette nouvelle maladie la plus discrète possible. Le 10 février, l’ambassade américaine, avertie par un de ses citoyens de passage à Canton, signale le problème au bureau régional du Pacifique occidental de l’OMS. L’information parvient immédiatement au siège mondial, à Genève. Ce n’est que le lendemain que l’OMS reçoit finalement un rapport officiel du ministère de la Santé en Chine, qui fait déjà état de 300 cas, dont 30 % de malades qui appartiennent au personnel médical, et 5 morts à Guangdong. L’OMS lance immédiatement une première alerte sur le réseau ProMED, qui compte des milliers d’abonnés éparpillés dans le monde.

Le 11 février, on diagnostique un premier cas en dehors de la Chine, à Hanoï, au Vietnam. Un médecin de Canton, impliqué dans la prise en charge des premiers malades, se rend à Hong Kong le 21 février pour participer à un mariage. Dans le hall de l’hôtel, il fait un malaise et est aidé par plusieurs personnes dont des ressortissants de Singapour. À son hospitalisation en unité de soins intensifs, il signale que sa région d’origine compte une multitude de cas de pneumopathie atypique fulgurante, mais on y accordera peu de considération. Aucune précaution particulière n’est prise par le personnel soignant, qui par la suite sera lourdement touché. Le médecin chinois meurt le 4 mars. Il est démontré que l’hôtel dans lequel il logeait a été une véritable plaque tournante pour la propagation de la maladie. Le 12 mars, la situation à Hanoï dérape avec l’apparition de 42 cas et l’OMS lance l’alerte mondiale et signale à cette date une forme grave et atypique de pneumonie. Le 15 mars, il y a déjà une centaine de cas à Hong Kong, 16 à Singapour, 7 au Canada et 1 aux États-Unis. La France compte son premier cas le 23 mars.

Au début du mois de mars, les experts de l’OMS arrivés en Chine sont interdits d’accès à la province de Canton. Cette attitude change radicalement le 10 mars, quand les autorités chinoises demandent de l’aide à l’OMS pour identifier la cause de l’épidémie. Treize laboratoires internationaux, sous l’égide de l’OMS, collaborent intensivement pour trouver l’agent infectieux incriminé, développer des tests de diagnostic et coordonner l’étude épidémiologique. L’agent viral est évoqué pour la première fois le 19 mars. L’Agence fédérale composée des Centres de prévention et de contrôle des maladies (CDC12) aux États-Unis identifie formellement le coronavirus le 24 mars. Le 16 avril, l’OMS officialise l’information. Le 19 du même mois, le code génétique est identifié, et à partir du 23 avril les voyages sont fortement déconseillés dans les régions du globe atteintes par l’épidémie.

En pleine période de conflit en Irak, l’épidémie de SRAS se fait une place belle dans la presse écrite et les journaux télévisés. Huit mois après son apparition, l’épidémie semble enfin sous contrôle, mais l’OMS a recensé 8 202 cas dans 31 pays, et 725 personnes (soit 8,8 %) en sont décédées. On a retracé son origine : le fameux marché aux poissons de Foshan, où l’on croise des animaux vivants, dont la civette palmiste masquée, petit carnivore rare mais consommé par les Chinois. En amont, la source primaire du virus est toutefois la chauve-souris.

Ce qui mérite d’être relevé, c’est que la réponse internationale a tardé à se mettre en place à cause du manque d’information et de transparence de la part des autorités chinoises. C’est grâce à un réseau d’alerte international que l’information s’est propagée, soulignant l’importance d’une veille sanitaire. Ce type d’épidémie perturbe aussi notre société, avec une réduction massive des voyages et du tourisme, un ralentissement économique dans les régions concernées mais pas seulement, et des possibles perturbations sociales et politiques. Le magazine Time estime que cette épidémie a coûté la coquette somme de 30 milliards de dollars. Selon le virologue Johan Neyts, professeur à l’université de Louvain, interviewé en mars 2020, on a perdu une belle occasion de développer à l’époque des médicaments pour combattre le SRAS induit par le coronavirus. Le coût aurait été de 200 à 300 millions d’euros « seulement ».

Bien entendu, on a essayé d’en tirer quelques leçons. La Direction générale de la santé en France rédige, en avril 2004, un plan de réponse contre une menace de SRAS. Mais le vrai problème reste la consommation d’animaux exotiques en Chine. En 2007, les scientifiques déclarent qu’il s’agit là d’une vraie bombe à retardement en matière de santé publique et signalent au moins 36 espèces de coronavirus déjà découvertes. Par ailleurs, le trafic aérien ayant augmenté – il a doublé entre 2003 et 2020 –, la propagation d’un tel virus devient excessivement rapide. Et contrairement à des régions chinoises, caractérisées par des pouvoirs autoritaires et peu démocratiques, des dispositions de quarantaine et de confinement généralisé (lockdown) sont difficiles à envisager et à faire respecter en Europe et aux États-Unis. Il est particulièrement ardu de faire comprendre l’ampleur d’une crise sanitaire mondiale et les risques liés au non-suivi des directives et mesures mises en place. Il persiste toujours une poignée d’irresponsables et d’inconscients dans nos sociétés.

Acte II – Le MERS13 dans la péninsule arabique, 2012

En juin 2012, un citoyen qatari de 60 ans, décède d’une pneumonie aigüe, à l’hôpital de Jeddah en Arabie Saoudite. Jeddah est une ville portuaire et un site de passage pour les pèlerins qui se rendent à La Mecque et à Médine. Devant le nombre de cas qui affluent par la suite, une alerte est lancée sur ProMED. Rapidement, un coronavirus est identifié dans les expectorations des patients atteints. Ceux-là se présentent avec une fièvre et une toux, toutefois la situation peut très rapidement déraper en pneumonie aigüe, avec une insuffisance respiratoire sévère, et dans certains cas également une insuffisance rénale aigüe. Un cas est diagnostiqué à Londres en septembre 2012. Il est établi qu’il s’agit d’une zoonose, avec un transfert du virus des camélidés (en particulier du dromadaire) à l’homme. Cette maladie est connue chez les dromadaires depuis au moins une trentaine d’années, et la séquence génétique du virus qui atteint le dromadaire est identique à la souche qui infecte l’homme. Toutefois, le réservoir du virus est à nouveau la chauve-souris. Les autorités saoudiennes, craignant une explosion des cas, compte tenu de l’approche de la période des pèlerinages, en particulier l’Oumrah et le Hajj, prennent la décision d’interdire la présence des dromadaires auprès des lieux saints, ce qui a très certainement réduit le risque de propagation. En juin 2013, l’OMS signale que la transmission interhumaine est certaine. En février de cette même année, il y a d’ailleurs eu un premier foyer familial à Manchester, au Royaume-Uni, et dans une famille en Arabie Saoudite, 24 % des 79 membres ont été atteints. Un premier cas est diagnostiqué en France le 7 mai 2013. Le bilan mondial, le 29 août 2013, s’élève à 104 personnes infectées, dont 49 sont mortes.

De fin avril 2014 au début mai 2015, on observe une accélération et on passe de 293 cas infectés et 93 décès (essentiellement en Arabie Saoudite) à 937 cas et 341 décès. En mai 2015, l’épidémie explose en Corée du Sud, le deuxième pays le plus touché. On y accumulera 186 contaminations et 36 décès. La maladie a un impact majeur sur l’économie du pays, entraînant une baisse massive des revenus dans le secteur du tourisme. L’OMS a mis en cause le manque de préparation, et en particulier le manque de connaissances des agents hospitaliers comme du grand public concernant les dangers liés au coronavirus.