La Mort mise en Seine - Christian Robert - E-Book

La Mort mise en Seine E-Book

Christian Robert

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Beschreibung

Sur un bateau de croisière en Seine rebaptisé pour l'occasion La Templière, cinq cadres dynamiques de la société bancaire Eurotas participent à une murder party et jeu de rôle sur le thème du trésor perdu des Templiers, dont l'enjeu, une promotion exceptionnelle en plus de récompenses financières, excite les passions. Qui de ces cinq ambitieux jeunes gens, deux femmes et trois hommes l'emportera? Tous les coups étant permis ou presque, la croisière vire au drame. La Seine n'est pas un long fleuve tranquille. Robert Vincent le prouve dans ce cinquième opus, précédemment publié sous le titre La Mort monte en seine, récit trépidant et frénétique désormais dans sa version définitive. Sans être le protagoniste principal, le commandant Georges Faidherbe, présent dans les romans antérieurs, y fait une apparition décisive pour démêler l'imbroglio des faux-semblants.

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Seitenzahl: 181

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Du même auteur :

Aux éditions Charles Corlet :

Clou d’éclat à Étretat, 2007.

Yport épique, 2008.

Un Havre de paix éternelle, 2010.

Les Dames mortes, 2010.

La Mort monte en Seine, 2011.

Un Vélodrame en Normandie, 2012.

Aux éditions Ravet-Anceau :

La Main noire, 2013.

Satanic baby ! 2015.

Aux éditions Cogito :

Le Baiser du Canon, 2016,

Prix Rouen Conquérant 2017.

Aux éditions des Falaises :

Ici reposait... Meurtre au Monumental, 2019.

Chez MAN éditions :

La Fille dans l'arbre, 2022.

New York Doll, La poupée new-yorkaise, 2024.

Retrouvez les auteurs sur :

www.robertvincentpolardeux.com

Take ’em to the bridge, hear me now !

Come on, stay on the scene, like a sex machine

James Brown

À nos pères,

André, le policier,

Jean-Claude, le navigateur.

Avertissements

1. Ce roman est la version revue et retitrée de La Mort monte en Seine, parue en 2012 aux éditions Charles Corlet, désormais épuisée.

2. Les évènements imaginaires racontés dans ce roman auraient pu se produire dans la première décennie du XXIème siècle. Un paquebot fluvial aurait pu être loué par une société financière pour remonter la Seine, le temps d’une croisière un peu spéciale. Pourtant toute ressemblance des personnages avec des personnes réelles ne saurait être qu’illusoire.

L’imagination des romanciers, quoique parfois délirante, est toujours bien en dessous de la cruelle fantaisie des vérités humaines et historiques.

Table

Personnage

Chapitre 1. Les débarqués de la

Templière

Chapitre 2. L’épée de la dame aux clefs

Chapitre 3. Rêveries d’un ambitieux solitaire

Chapitre 4. La papesse du conciliabule

Chapitre 5. Alliance et mésalliance

Chapitre 6. Un

shoot

qui fait mouche

Chapitre 7. À mort subite pas de bière

Chapitre 8. Les parties assassines : règles du jeu

Chapitre 9. Le trésor des Templiers revient sur le tapis

Chapitre 10. Petit train, conduis-les en enfer à travers Rouen

Chapitre 11. L’attaque des gueux

Chapitre 12. Effets de poison sur une momie

Chapitre 13. Sortie de jeu

Chapitre 14. Coupe à cœur

Chapitre 15. Nuit de chine

Chapitre 16. La reine de pique et l’hélico

Chapitre 17. La course du lièvre aux pas de géant

Chapitre 18. Confessions au judas

Chapitre 19. Des morts fumés et des vivants refroidis

Chapitre 20. Des vœux et des aveux

Chapitre 21. Où l’on creuse la question

Notes

Personnages

Florent de Méville : historien, guide conférencier, anime les visites de croisiéristes de La Templière.

Adrien Magloire : homme mûr de grande taille, directeur des ressources humaines de la société Eurotas, censé jouer le rôle du mort de la murder party, présumé notaire.

Anémone Amourous : grande jeune femme brune, cadre de la société Eurotas, joueuse de la murder party, présumée avocate.

Julie Darce : petite jeune femme blonde, cadre de la société Eurotas, joueuse de la murder party, maîtresse de Christophe Mule, présumée directrice d’agence bancaire.

Christophe Mule : jeune homme, cadre de la société Eurotas, joueur de la murder party, amant de Julie Darce, présumé cadre de la S.N.C.F.

Ludo Protais : jeune homme, cadre de la société Eurotas, joueur de la murder party, présumé pharmacien à Paris.

Rufus Couchaux : jeune homme, cadre de la société Eurotas, joueur de la murder party, présumé directeur d’agence de voyage au Havre.

Beauséant : numéro 4 de la société financière Eurotas qui organise une murder party en vue de sélectionner et promouvoir un cadre au niveau supérieur parmi les joueurs. Beauséant est chargé de veiller au bon déroulement du jeu.

Mesnier : numéro 2 de la société financière Eurotas, passionné de l’ordre des Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon (1139-1312), plus communément connu sous le nom d’ordre du Temple, il est à l’origine du thème historique de la murder party.

1

Les débarqués de La Templière

Florent de Méville bout intérieurement. De colère et d’excitation. Il parle mais son public ne lui prête pas l'oreille. En particulier la grande brune à lunettes qui émerge de ceux que de Méville a mentalement surnommé le Groupe des Six. Elle l’écoute pas plus que les cinq autres. Ceux-là semblent se surveiller les uns les autres. Pourtant c’est elle que ses gros yeux cherchent en permanence. Un feu doit couver sous ce tailleur gris anthracite qu’elle paraît porter comme une cotte de mailles. Et elle tire sans cesse sur l’échancrure de sa veste, découvrant un sous-pull moulé sur deux seins qui font des clins d’œil à leur admirateur.

Oui, celle-là lui semble très prometteuse. Car de Méville est un quinquagénaire travaillé par ses appétits. Au sommet du bonhomme, une tonsure entourée de cheveux hirsutes, jaunâtres tirant vers l’orange, viennent caresser un goitre monstrueux remontant jusqu’aux tempes. Au milieu de tout ça, une large bouche de crapaud paraît greffée sur une tête d’orang-outang. Ce physique ingrat ne décourage pas Florent de Méville de séduire. Bien au contraire. Il est historien-conservateur du patrimoine et, ce matin du mois de mars, il guide les touristes débarqués d’une péniche-paquebot à Caudebec-en-Caux. La Frog Princess, rebaptisée la Templière le temps d’une croisière culturelle médiévale sur la Seine. Le bateau est arrivé du Havre il y a quelques heures et quittera Caudebec au cours de l’après-midi.

De médiéval, il ne reste dans cette petite ville que quelques belles pièces que les ravages de la seconde guerre mondiale ont miraculeusement épargnées. Le reste a été implacablement rasé. Sur le portail de l’église Notre-Dame, de Méville a voulu amuser ses touristes à trouver une figurine salace parmi la population de sculptures. Le jeu a tourné court, à peine arrivée, la grande brune avait déjà repéré la petite bonne femme aux jupes retroussées, à gauche du portail.

Avec la façade de la Maison des Templiers, plus austère, il va être moins marrant et jouer le drame historique. La bâtisse a disparu lors du bombardement de 1940, laissant cette paroi debout comme en équilibre instable d’un décor de théâtre.

De Méville va la commenter, il doit être bon et séduire par son verbe savant. Il le sait, la partie ne sera pas facile. L’auditoire est composé de retraités, public exigeant d’ex-collaborateurs d’entreprises en affaire avec la société financière Eurotas, spécialisée dans le rachat de dettes de PME. Eurotas a organisé cette croisière et l’a engagé en qualité de guide conférencier. De Méville jette un coup d’œil derrière ses auditeurs vers la statue de l'évêque Thomas Bazin, qui voulut réhabiliter Jeanne d’Arc, puis il se lance.

— En ce tragique mois de juin quarante, le neuf précisément, un enchevêtrement de véhicules chargés de passagers et de leurs biens les plus précieux encombre le quai ainsi que toutes les ruelles du bourg. Pagaille complète ! C’est l’horreur et la panique dans l’attente du bac qui fait la traversée de la Seine ! On se bouscule pour se mettre hors de portée de l’envahisseur allemand. Les enfants crient, les mères hurlent de terreur...

On opine en souriant à tout ce qu’il raconte comme des touristes béats. Est-ce qu’on l’écoute vraiment au moins ? Cinq jeunes individus tranchent sur le lot, plus un sixième, plus vieux, qui les couve du regard. Les cinq, hommes et femmes d'une trentaine d'années, forment un petit groupe dont l’habillement, aussi strict qu'élégant, détonne avec le négligé vaguement sportif des autres voyageurs. Ils ont cet air décontracté-emprunté des figures publicitaires sur papier glacé qu'on voit dans Elle ou Vogue homme. Trois hommes et deux femmes. Trois jeunes hommes, un grand et deux de taille moyenne, à l’élégance de citadins en week-end. Cheveux milongs savamment mal peignés, la cravate est restée dans le tiroir de la commode et on a gardé la veste sur un jean sombre de marque.

Les femmes sont plus intéressantes. La première, c’est la grande brune qui le chauffe. La deuxième est une jolie petite blonde au col empourpré. Elle ne cesse de tapoter des doigts sur un jeu de clefs. L’une des clefs étincelle d’un rayon doré à chaque mouvement. Une torride aussi, cette fille-là, certainement pense de Méville. Mais trop facile, sans mystère. Une nerveuse à histoires, peut-être même hystérique. Méfiance.

En outre, elle paraît accompagnée, flanquée d’un grand brun costaud qui la prend souvent en photo. L'historien a aussi remarqué qu’elle était dévorée des yeux par un autre homme plus âgé qui suit le groupe. Lui, c’est le sixième : élancé, élégance britannique, il a la couronne de cheveux grisonnante et les sourcils broussailleux comme un membre du Politburo au temps de l’Union Soviétique.

Le regard libidineux du conservateur ne s’attarde pas plus longtemps sur la blonde canon. Trop de concurrence.

— Une bombe ennemie explose alors sur les hauteurs, reprend de Méville. Puis d’autres jusqu’aux rives de la Seine. Aussitôt, l’encombrement des voitures alimente un brasier infernal, que dis-je ? Dantesque ! Il court de toits en toits et dévore irrémédiablement le cœur médiéval de la petite ville…

L’assistance frémit et tourne la tête à gauche et à droite, comme si elle pouvait voir encore l’incendie ou les ruines fumantes autour d’elle. Toute, sauf la brune en tailleur et les cinq autres.

De Méville fulmine. Le patrimoine culturel n’intéresse pas plus que ça cette demi-douzaine de mannequins. C’est mal parti. Il est évident qu’ils n’ont même aucune ambition culturelle. Comme ses cinq acolytes, la grande brune ne prête à la sommité qu’une oreille distraite. C’est tantôt un coup d’œil à un téléphone mobile, tantôt à un de ces minuscules ordinateurs de poche que sa propre administration lui refuse. Mais surtout, ces pantins frimeurs ne cessent de se regarder les uns les autres au lieu de le contempler, lui. Il a même le sentiment qu’ils se surveillent ou qu’ils s’épient. Bien qu’il en devine la raison, cette attitude l’irrite et l’inquiète à la fois. Il faut enchaîner. Le conférencier continue la visite guidée. Il est payé pour ça.

— Avec la prison et l’église Notre-Dame que nous venons de quitter, cette façade a échappé aux trois jours d’incendie qui réduisirent le cœur de Caudebec à un amas de décombres fumants. Pour la deuxième fois, Caudebec faillit perdre ce fleuron de l’architecture civile du XIIIe siècle, sauvée de justesse dans les années vingt du démontage avant exportation aux États-Unis. Que remarquons-nous sur cette façade ?

Personne ne répond. De Méville continue son exposé historique en posant son regard de visage en visage. Les deux jeunes femmes se dérobent à son entreprise de séduction culturelle.

C’est la bousculade au moment d’entrer dans la bâtisse transformée en musée. Les retraités les plus âgés, craignant peut-être de ne pas trouver de place à l’intérieur, poussent l’ensemble des visiteurs en avant avec une énergie fébrile. Florent de Méville fronce les sourcils. Il a ouvert la porte mais reste en arrière afin de s’assurer que personne n’est laissé dehors. Il craint soudain pour la sécurité des collections et des vitrines. Sa grande brune et son groupe, la petite blonde en tête avec son cliquetis de clefs, ont été emportés par le flot.

À l’intérieur, de Méville s’apprête à traiter d’une phrase la collection de poteries gallo-romaines. Il veut se concentrer sur quelques vestiges du Moyen Âge qui les attendent à l’étage. Or déjà la plupart des gens se jettent sur les plaques de cheminées et les armoires normandes du rez-de-chaussée dans l’espoir de constater qu’ils ont la même à la maison. Soudain, derrière lui, une voix acrimonieuse lance :

— Vous ne nous avez encore rien dit des Templiers !

Un chœur se forme, auquel se joignent les voix du Groupe des Six :

— Oui, les Templiers ! C’est quand même le nom de cette maison !

L'historien prend une inspiration lasse :

— Je vais vous décevoir… Cette bâtisse n’est peut-être qu’un ancien temple protestant. Rien ne prouve qu’il y ait eu une commanderie à Caudebec et par conséquent les appellations de Maison des Templiers et de Croix des Templiers sont du domaine de l’énigme et du rêve à mes yeux, hélas ! Comme le trésor de l’ordre pour d’autres, ajoute-t-il un peu légèrement.

Brouhaha d’hostilité dans l’assemblée, qui n’a pas retenu exactement ses propos. On accuse le conservateur de nier l’existence du trésor du Temple. Énième malentendu de la communication.

— C’est ce qu’on a toujours voulu nous faire croire ! s’écrie quelqu’un qu’il ne peut identifier. Une rumeur d’approbation soutient le contestataire.

La fin de la visite est gâchée par l’humeur de l’assistance entrée en rébellion contre son guide. On s’emporte, on cite le Da Vinci code.

Florent de Méville en a sa claque. Il bâcle l’étage et soupire quand tout le monde est dehors. Soulagé. Enfin débarrassé de cette bande de béotiens qui préfèrent la légende ou l’imposture à l’Histoire ! Dégoûté, il a presque oublié le début d’incendie que la grande brune a commencé à allumer en lui. Il la regarde s’éloigner en compagnie de la petite blonde trottinant à son côté. Leurs hauts talons se coincent régulièrement entre les pavés de la rue. Leurs belles jambes se tordent, deviennent grotesques comme des pattes de grenouilles. Elles se laissent distancer par les autres. De Méville sourit. Il se sent vengé de leur indifférence par la chaussée cabossée.

Les deux belles disparaissent au-delà du saule pleureur qui borde le quai puis descendent vers l’embarcadère pavoisé. Là les attend un bateau-hôtel à deux ponts plus terrasse, au design sobre et à la gaieté austère d’un fer à repasser danois de cent dix mètres de long, ajouré d’une soixantaine de baies sur chaque bord. Bon voyage, et à ce soir, mesdames !

Pendant que le groupe rembarque sur le bateau de croisière fluviale pour sa prochaine étape, de Méville s’installe au volant de son coupé Saab noir. Il va rejoindre son domicile de Fécamp. Il reprendra du service ce soir à Rouen. Hélas, ses travaux d’approche seront alors compliqués par la présence de son épouse.

Or en hâte de quitter le musée, aveuglé par son dépit, l’historien conservateur du patrimoine n’a pas remarqué une disparition. L’authentique épée viking exposée au musée n'est plus dans sa vitrine ! La visite s’étant faite début mars, hors saison, sur rendez-vous, il faudra un certain temps avant que quiconque se soucie de ce vol.

Évidemment, l’épée ne tardera pas à réapparaître.

2

L’épée de la dame aux clefs

Après le déjeuner à bord, la petite blonde qui est inscrite sur la liste des passagers sous le nom de Julie Darce, directrice d’agence bancaire, entre de dos dans le petit salon de poupe, portée par des mains musclées qui lui pétrissent les fesses sous sa jupe Dior. Christophe Mule, déclaré cadre à la SNCF, est au bout des mains. Les trépidations du navire, l’idée d’une étreinte clandestine dans un lieu public, c’est tellement excitant. Avec force et agilité, l'homme du rail ferme d’un coup de talon la porte derrière eux. Puis il pilote leur tandem en prélude d’accouplement vers le dossier du premier canapé qui se présente devant eux. Le salon reste plongé dans la pénombre entretenue par des stores occultants.

— Pas maintenant, allons Christophe, sois sage… il est quelle heure ?

Mule pose sa compagne sur le sommet du dossier et regarde le cadran lumineux de sa montre. OK, le rendez-vous est proche mais il estime qu’ils ont encore un peu de temps. Le bon temps, c’est toujours bon à prendre et peu importe où. Comme acrobatie érotique, Christophe Mule a en tête la « Roulade de Monfort », tandis que Julie compte bien l'amener à « l'Assiette du Pin », la position normande qu'elle préfère. Elle rit, se pâme déjà quand il bascule avec elle sur le canapé en suédine chocolat. Presque aussitôt, un hurlement perce les tympans du mâle en rut majeur, surpris, un peu déçu même, que sa partenaire ait atteint l’extase aussi vite.

Ils ne sont pas seuls sur le canapé. Le grand frisé grisonnant à la calvitie naissante, Adrien Magloire, soi-disant notaire, l’occupe déjà, la gorge en partie tranchée par le tronçon d’épée viking du musée des Templiers, enfoncé dans son cou jusqu’à la garde. Les cheveux de Julie Darce deviennent poisseux de sang et le haut de son ensemble Dior s’imbibe aussitôt d’hémoglobine.

Le couple roule par terre, entraînant avec lui le corps, puis s’enfuit à quatre pattes jusqu’à la porte. Ces galipettes ne sont pas celles qu’ils espéraient. La boucle de ceinture du tailleur de Julie Darce s’est prise dans la garde de l’épée, tirée par force du cou de la victime. La jeune femme traîne l’arme souillée derrière elle. Elle ne s’en est pas aperçue.

— C’est ouf ! C’est complètement ouf ! s’exclame Mule.

— Super bien fait !

— Non c’est trop ! Totale horreur !

Christophe Mule a ouvert la porte du petit salon pour laisser sortir sa maîtresse. Elle s’avance dans la coursive, toujours à quatre pattes avec l’arme à ses basques résonnant dans un cliquetis métallique. Son complice reste un instant à genoux sur le seuil, comme fasciné par ce cadavre qui, du milieu de la pièce, le regarde de ses yeux vides, un rictus désolé à la bouche d’où s’écoule un petit filet de sang.

Mule se lève, ferme la porte du salon et rejoint sa compagne. Julie Darce s’est redressée, titubant un peu sous les effets conjugués de l’alcool, du léger mouvement du navire, de l’émotion. Elle porte une main vers le poids de l’épée qu’elle sent pendre à son flanc.

— N’y touche pas ! Les empreintes ! s'écrie Mule.

Julie se retourne vers lui avec une moue dubitative. Son amant remarque que le rouge à lèvres a coulé en rigoles sur le menton de la jeune femme. Ses cheveux blonds sont en désordre, teintés par endroits du sang de la victime.

Visage de cauchemar dans la lumière blafarde du couloir. Julie pouffe soudain, pour reprendre aussitôt une expression de circonstance.

— Excuse-moi. C’est nerveux. Il faut absolument que je me refasse une toilette. Qu’est-ce qu’on fait du type ? Il y a quelque chose de prévu là ?

Elle manipule délicatement sa ceinture de tailleur pour en dégager l’arme, prenant soin de ne la toucher qu’avec le tissu de sa jupe.

— Euh… Il faudrait prévenir quelqu’un. Mais qui ? demande Mule.

— Tu dois bien le savoir, non ? Dans tes trains, quand tu as un macchabée, tu préviens qui ? Le chef de gare ?

— Le chef de train, pardi ! Ici, c’est le commandant de bord, mais je ne préfère pas parce que…

Une porte vibre derrière Christophe Mule. Les deux amants regardent vers celle du petit salon, le souffle coupé, comme s’ils s’attendaient à l’apparition de l’égorgé. C’est la porte du billard qui s’ouvre. La sono du bord déroule une valse guillerette.

— Ah ! Ah ! J’en ai vu des abrutis prendre n’importe quoi contre le mal de mer, mais ça ! dit un grand rouquin.

— Si, je vous assure, le type chiquait de l’ambre gris ! C’est dégueulasse, super cher en plus !

— On en utilise parfois en préparation, répond le second.

Celui qui a passé la porte le premier s’appelle Rufus Couchaux. Il prétend diriger une agence de voyage au Havre. L’autre, Ludo Protais, se dit pharmacien à Paris. Les deux hommes viennent de sympathiser autour du billard. Ils s’apprêtent à aller fumer un cigare au petit salon. Ils jettent un coup d’œil rapide au couple dans la coursive, en passant. Christophe Mule cache à demi Julie Darce qui s’est plaquée contre la paroi et bloque l’arme viking entre ses fesses. Rufus Couchaux a déjà la main sur la clenche.

— Putain, ils vont entrer, chuchote la jeune femme à son compagnon. Qu’est-ce que nous sommes censés faire ?

— Vous permettez, je peux passer ?

Une voix derrière eux : la grande brune au tailleur gris. Elle, c’est Anémone Amourous, qui s’est présentée aux autres comme avocate au barreau de Toulouse. Elle tient un paquet fin d’où elle sort une cigarette qu’elle fixe sur un embout d’ébène et d’ivoire cerclé d’or. Elle a bien sûr l’intention d’aller fumer, elle aussi, au petit salon. Ils entrent, l’agent de voyage le premier s’exclame :

— Regardez-ça ! En parlant de mal de mer, en voilà un qui a déjà le mal de Seine !

— Il n’a pas l’air en forme. Eh ! Regardez tout le sang qu'il a pissé. C’est pas du gros rouge qui tache, ça ! ajoute le pharmacien.

— Qu’est-ce qui se passe ? demande la grande brune arrivée à la porte à son tour, la voix traînante, d’un air absolument détaché, la longue tige de son fume-cigarette pointant de lèvres colorées en mauve.

Ils sont maintenant tous trois dans la pièce avec le cadavre. Silencieux. Christophe Mule et Julie Darce se regardent. La brune ressort la première. Elle ôte lentement la cigarette de sa bouche sinistre, laisse filer un rond de fumée d’un air dédaigneux, demande:

— Vous alliez au salon, vous aussi ?

— Peut-être. Pourquoi ? répond Mule.

— Vous n’allez pas être déçus. Venez voir. Plus on a de témoins, plus on rit. Et votre amie, elle est où ?

Christophe Mule se retourne. Julie a disparu.

— Je ne sais pas. Elle a dû oublier quelque chose dans sa cabine. Il y a un problème ?

Mule entre à son tour dans la pièce, pousse une exclamation de surprise d’une voix pointue qui doit sonner faux. Les autres le fixent brièvement d’un air de désapprobation puis reviennent à une considération silencieuse de la victime.

De son talon haut, Anémone Amourous claque alors la porte sur la scène du crime.

3

Rêveries d’un ambitieux solitaire

Plus tard, quand Christophe Mule regagne sa cabine, il s’allonge sur sa couchette et regarde le plafond peint en bleu ciel. Il s’exerce à deviner dans les imperfections de la peinture des formes de voitures ou d'avions. C'est sa manière de recouvrer son calme après une situation de stress. Un truc qu’il a appris dans un stage « Gestion des émotions et management