La peau noire des anges - Yves-Marie Clément - E-Book

La peau noire des anges E-Book

Yves-Marie Clément

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Beschreibung

Le drame humain de l'exil.

Les parents d’Angelina rêvent d’une vie meilleure, loin de la misère de Madagascar. Mais après le naufrage de leur barque au large de Mayotte, la vie d’Angelina et de son petit frère va basculer. Maintenant, elle doit payer la dette de ses parents, afin de rembourser les passeurs.
Elle retourne alors dans son pays, puis part pour Beyrouth, où elle est exploitée pour un salaire de misère. Ses rencontres l’aideront-elles à retrouver sa liberté ?

Un roman d'apprentissage sélectionné pour le prix littéraire Hors Concours et qui aborde l'actualité au travers des thèmes de l'immigration et de la clandestinité.

EXTRAIT

Célestin se blottit contre sa sœur.
La poigne d’un pompier se referma sur l’épaule d’Angelina, qui s’approchait trop près du brasier.
— Qu’est-ce que tu fais, petite ? lui demanda l’homme.
— C’est… c’est là que je… que nous…
« Vivions » resta coincé dans sa gorge. Un garçon avait ramassé les livres de classe sur le chemin, et les rendait à Angelina.
— C’est elle ! explosa Mme Ichati en pointant l’index accusateur vers Angelina. C’est elle qui a mis le feu !
— Moi ?
— Tu as laissé la lampe à pétrole dans la case, sale Malgache !

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Une lecture intelligente et impliquante pour les acteurs du monde de demain. - Gwordia, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEUR

Yves-Marie Clément est né à Fécamp en Normandie. Écrivain voyageur, il est l’auteur de près de 90 ouvrages, surtout destinés à la jeunesse. Il rencontre souvent ses lecteurs dans les classes et les bibliothèques, et participe à de nombreux salons du livre en France et à l’étranger. Il a écrit ce roman après un séjour de quatre ans à Mayotte.

À PROPOS DE LA COLLECTION

La collection Rester vivant est constituée de nouvelles et de romans qui parlent du monde d’aujourd’hui, en abordant sans détour les questions écologiques, sociales et éthiques qui émergent au sein de la société dans laquelle nous évoluons. Elle s’adresse en priorité aux pré-ados, aux ados… et plus généralement à tous les lecteurs qui résistent encore à l’asservissement des esprits, quel que soit leur âge. Ces livres ont pour ambition, en plus d’attiser l’imaginaire du lecteur, d’éveiller son sens critique et de poser un regard incisif sur nos comportements individuels et collectifs.

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LA PEAU NOIRE DES ANGES

Yves-Marie Clément

Dans la même collection

■ Faits d’hiver (Cathy Ribeiro)

■ Jours de neige (Claire Mazard)

■ Jours de soleil (Claire Mazard)

■ Le 9e continent (Dominique Corazza)

■ Les mains dans la terre (Cathy Ytak)

■ Orient extrême (Mireille Disdero)

■ Phobie (Fanny Vandermeersch)

■ Pripiat Paradise (Arnaud Tiercelin)

■ Station Sous-Paradis (Jean-Luc Luciani)

■ Sur le dos de la main gauche (Anahita Ettehadi)

■ Traits d’union (Cécile Chartre)

■ Trouver les mots (Gilles Abier)

■ Virée nomade (Alain Bellet)

© Le muscadier, 2016 48 rue Sarrette – 75685 Paris cedex [email protected]

Directeur de collection : Christophe LéonCouverture & maquette : EspelettePhotographie de couverture : © Pierre-Yves Babelon - Alamy stock photoIllustrations intérieures : Le Muscadier (1), Nathalie Clément (2, 3, 4, 5)Conversion numérique : Mariane Borie

ISBN : 979-10-90685-86-4 ISSN : 2493-6170

Table des matières

Dédicace

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Le lexique de Célestin

La collection

L’auteur

« En accordant la liberté à l’homme asservi, nous garantissons la liberté de l’homme libre – geste doublement honorable de don et de protection. Nous garderons noblement, ou nous perdrons lâchement, le dernier, le plus bel espoir qui soit au monde.

Abraham Lincoln, 1862

À Blandine Y. qui m’a ouvert les portes du Liban.

1

— Angelina, attends-moi!

Angelina s’arrêta. Elle se retourna pour attendre son petit frère Célestin, puis son regard embrassa le lagon de Mayotte. Au loin, la barrière de corail était éclaboussée d’écume. Elle pensa à leurs parents. Elle pensa à Madagascar, la Grande Île où ils étaient nés.

— Dépêche-toi, Célestin! Tu traînes!

Ils avançaient tous les deux entre la plantation de manioc et le champ de bananes du vieux Sami. Angelina marchait devant. Son cahier et ses livres de classe sur la tête, un pan de son châle roulé autour du bras. Angelina avait eu 18/20 en français. C’était la meilleure élève de 5e 4. Elle avait suivi l’école primaire à Madagascar, et elle s’était toujours appliquée à bien apprendre le français.

Le soir, parfois, quand elle avait le temps, elle aidait Célestin à faire ses devoirs.

Le sentier était semé d’ordures que les pluies emporteraient bientôt jusqu’au lagon. Couches-culottes, boîtes de conserve, pneus de voiture et de vélo, sacs poubelles éventrés par les chiens. C’était tout cela qui tapissait les bords de route et les sentiers de Mayotte, l’île aux fleurs.

Des kapokiers[*] et des manguiers bordaient le chemin de terre et de caillasses. Le soir, les rats, les limaces et les insectes nocturnes se bataillaient les mangues tombées à terre.

Bientôt, ce serait la saison des pluies.

Angelina avançait d’un bon pas. Célestin, son petit frère, marchait derrière. Il n’avait pas eu classe, ce jour-là. Sa maîtresse faisait grève. Il s’arrêta, ramassa une mangue, la colla dans sa bouche et croqua à pleines dents.

— Dépêche-toi, Célestin!

— Attends!

— Allez!

— Attends, Angelina, supplia-t-il.

Célestin avait de grands yeux noirs, brillants. D’énormes billes, qui faisaient craquer Angelina. Elle l’aimait, son petit frère. C’était toute sa famille.

Célestin n’était pas allé à l’école. Mais de toute façon, il ne comprenait pas grand-chose à ce que disait la maîtresse. Célestin n’était pas un idiot, bien au contraire, mais un petit oiseau voletait dans sa tête. Un oiseau qui chantait en permanence, lui racontait sans cesse des histoires. Ce petit oiseau, il était entré par les yeux de Célestin, ou par ses oreilles, peut-être, le jour où la barque de ses parents s’était retournée pendant la traversée de l’océan. Depuis, Célestin n’écoutait plus personne. Seulement Angelina. Et parfois d’autres gens, mais c’était une chose rare. Il termina sa mangue, avalant même la peau verdâtre.

Angelina grogna.

Célestin n’était pas pressé, lui. Il n’avait pas un chapelet de devoirs pour le lendemain. Et il n’était pas obligé de s’occuper des enfants de Mme Ichati. Angelina faisait la bonne. C’était le prix de leur loyer à tous les deux, le frère et la sœur, et du peu que Mme Ichati leur donnait à manger. La grosse dame logeait et nourrissait Célestin et Angelina, alors Angelina travaillait pour deux.

Célestin se baissa pour ramasser une autre mangue déjà rognée jusqu’au noyau. Il la porta à la bouche.

Sa grande sœur se fâcha :

— Ne mange pas celle-là, c’est dégoûtant!

— J’aime bien ça, Angelina.

— Tu vas te rendre malade!

— T’aimes pas les mangues, Angelina? C’est bon, les mangues!

— Si, j’aime les mangues, mais pas comme ça! Pas les mangues mangées par les rats! Et en plus, elle n’est pas mûre.

— J’aime bien quand c’est pas mûr, ça gratte la bouche.

— Si ça gratte la bouche, c’est que c’est pas bon pour toi!

Célestin fit mine de recracher des morceaux pour faire plaisir à Angelina, puis il jeta le noyau par terre.

— Alors, j’en mangerai plus jamais. C’est promis. Les mangues qui grattent, c’est pour les rats, les chèvres et les zébus! J’en mangerai plus, Angelina. C’est promis!

— Menteur!

— C’est promis, Angelina. C’était la dernière fois de ma vie… Même quand je serai grand!

— Tu m’énerves, des fois…

[*] Si vous ne comprenez pas les mots écrits de cette façon dans le texte, Célestin vous explique ce qu’ils désignent à la fin de l’ouvrage. Il vous suffit de cliquer sur le mot pour accéder à sa définition.

2

Célestin, lui, c’était un garçon. Alors il n’avait rien à faire quand il rentrait de l’école. Il était libre comme le vent. Seule Angelina travaillait. Elle s’occupait des enfants de Mme Ichati, pendant que la grosse femme dormait, allongée sur le côté dans sa case de tôles.

En arrivant à la case, Angelina emmènerait les enfants de sa logeuse à la rivière pour le bain. Elle ferait la vaisselle du midi, et aussi le linge, tandis que Célestin, lui, il irait gratter le fond de la marmite de riz. Puis il s’envolerait comme un mainate avec la bande des petits voisins du quartier.

Ils montaient encore et encore jusqu’aux cases situées au-dessus de la carrière de Majicavo-Koropa. Angelina traversa la ruelle où couraient les poules et deux ou trois brebis. Les brebis avaient peur d’elle. Dès qu’elles la voyaient, elles dégageaient en bêlant. Angelina ne les aimait pas. Elles sentaient la crasse. Leur laine puait. Elle prit à gauche après le vieux manguier.

Elle soupira.

Mme Ichati était une Mahoraise. Elle était née ici, de père mahorais et de mère mahoraise. Elle avait ses papiers depuis son premier cri, c’est-à-dire depuis le jour de sa naissance.

C’est elle qui avait recueilli Angelina et Célestin après le naufrage. Au village, on disait que les parents de ces deux jeunes Malgaches étaient morts dans la vague. Mais Angelina ne l’avait jamais cru. Ça murmurait au fond d’elle-même qu’ils étaient toujours vivants… c’était un grondement dans son ventre. Elle les voyait. Ils n’étaient pas morts noyés. Ils étaient là, quelque part. Peut-être étaient-ils retournés au village, à Madagascar.

Son père travaillait dur. Il était maçon. Il était fort. Il portait trois sacs de ciment à la fois. Deux sur les épaules et un sur la tête. Angelina l’avait vu faire. La poudre grise maculait son torse, son visage. La sueur traçait des veines sur son front, ses joues. Il souriait. Pendant ce temps, sa mère était à la rivière avec les autres femmes. Elles se racontaient la vie. Elles se disaient des choses qu’on ne se dit qu’entre femmes. Les nuits d’amour, les rencontres, les malheurs.

Leurs parents, ils étaient vivants. Ça grondait comme un torrent impétueux dans le ventre d’Angelina…

— Alors, Malgache, on se marie?

Un frisson traversa Angelina. C’était le vieux Saïd qui s’adressait à elle. Il était assis devant la porte de sa case. Il rigolait dans sa barbe blanche.

— Alors, Malgache, tu veux m’épouser?

Il souleva sa gandoura, posa la main sur son sexe et fit un geste obscène.

La voisine s’ébroua :

— Tu as déjà trois femmes, vieux satire. Et Angelina n’est qu’une gamine!

— Ce sera bientôt une femme, postillonna le vieil homme. Et j’ai de quoi nourrir quatre épouses, Inch’Allah!

Il était sérieux, le vieux Saïd.

Le soleil se voila. D’épais nuages obscurcirent le ciel.

— Allez, Malgache. Je sais que tu aimeras ça! Elles aiment toutes ça, les petites Malgaches…

— Elle a l’âge de tes petits-enfants, vieux dégoûtant!

Soudain, Angelina leva les yeux. La peau noire de son front luisait. Le vieux Saïd hocha la tête. Ses yeux ne lâchaient pas le corps menu et élastique, les fesses rondes et les seins de jeune fille, qui pointaient à peine sous le tissu coloré du châle. Il la déshabillait du regard. Angelina s’arrêta. Elle le regarda bien dans les yeux et cracha par terre.

— C’est pour toi, sale vieillard!

« Malgache », elle détestait ce surnom. Mais elle était née à Majunga, à Madagascar. Elle possédait son acte de naissance qu’elle conservait précieusement dans sa poche. Ce document représentait ce qu’elle avait de plus précieux au monde : il était la preuve de son existence. Dessus, étaient gravés les noms de sa mère et de son père : « Anselmine et Jules Mananjara ».

Ici, à Mayotte, Angelina et Célestin étaient des clandestins.

« Pour améliorer tes chances de devenir française, il faut que tu te maries avec un Mahorais, et qu’il te fasse des enfants! » lui avait dit un jour Mme Ichati. Il le savait bien le vieux Saïd. Et il en jouait. Des filles de son âge acceptaient. Angelina pourrait se marier, pas à la mairie (évidemment!), mais devant le Cadi.

Elle n’avait que 13 ans!

Le soir, des mots couraient dans sa tête : « droit du sol », « rapprochement familial », « sans-papiers », « clandestins »… Elle rêvait de devenir française. « Acquérir la nationalité. » « Être naturalisée. » Tous ces petits morceaux de phrase pour dire que les hommes n’ont pas tous la même chance à la naissance. Célestin et elle… Que deviendraient-ils, plus tard?

Elle marcha encore un peu. Soudain, une odeur âcre lui arracha les poumons. Ça sentait la fumée. L’épaisse fumée des drames. Elle souleva les pans de son châle et se mit à courir.

— Tu fais quoi, Angelina? demanda Célestin.

Les livres glissèrent de sa tête.

Elle arriva devant la case de Mme Ichati. Il n’y avait plus rien qu’un tas de braises et de tôles tordues et déchiquetées qui hurlaient à la flamme. Des hommes et des femmes. Des enfants. Tout le village. Le bidonville se déversait devant la case en cendres. Mme Ichati pleurait de tout son énorme corps, assise sur la souche du manguier.

3

Célestin se blottit contre sa sœur.

La poigne d’un pompier se referma sur l’épaule d’Angelina, qui s’approchait trop près du brasier.

— Qu’est-ce que tu fais, petite? lui demanda l’homme.

— C’est… c’est là que je… que nous…

« Vivions » resta coincé dans sa gorge. Un garçon avait ramassé les livres de classe sur le chemin, et les rendait à Angelina.

— C’est elle! explosa Mme Ichati en pointant l’index accusateur vers Angelina. C’est elle qui a mis le feu!

— Moi?

— Tu as laissé la lampe à pétrole dans la case, sale Malgache!

Un murmure. Des femmes approchèrent. La Malgache. C’était elle la coupable. L’étrangère. La clandestine. Il ne fallait pas chercher plus loin. Regards vengeurs. Justice. Punir, pour soulager un peu la douleur de Mme Ichati.

Entre deux sanglots, la grosse femme hurlait :

— Je t’ai donné un toit! Je t’ai nourrie! Toi et ton sale frère! C’est comme ça que tu me remercies?

La foule s’amassait, compacte. Tout le quartier. Le bidonville se vidait de ses âmes, enfants, adultes, vieillards. Le vieux Saïd. Tout ce beau monde se rassemblait autour de Mme Ichati. Et des hommes… L’un d’entre eux tenait une machette dans la main droite. Pour frapper?

Le sang d’Angelina se figea.

Une main se glissa dans sa main protectrice. Une main collante de jus de mangue. Une petite main tremblante, inquiète, vibrante d’incompréhension.

Angelina marmonna :

— Viens Célestin… on y va!

D’un coup, ils firent volte-face, et dévalèrent la pente en courant.

— On va où?

— Je sais pas.

— On va où, Angelina? J’ai peur!

Angelina secoua la petite main et ne répondit pas.

— Sale Malgache!

Ils coururent, avalés par le chemin de terre. Ils traversèrent les buissons piquants, un champ de bananes, de manioc, piétinèrent un parterre de riz, soulevèrent la poussière d’un padza. Un chemin, la route. Ils s’arrêtèrent enfin, cabris essoufflés, apeurés. Les poursuivants avaient abandonné la course. Mais ils finiraient bien par remettre la main sur cette sale petite Malgache et sur son petit frère abruti. Et ils leur feraient savoir qu’ils n’étaient pas les bienvenus ici, à Mayotte.

— J’ai faim, Angelina!

— Tu ne penses qu’à manger!

— Mais j’ai faim!

Angelina tourna ses yeux pleins de colère vers Célestin.

— Il n’y a plus de case... Il n’y a plus de riz! Tu veux quoi? Des mabawas, peut-être?

— Mais j’ai très faim, Angelina… ça grouike dans mon ventre…

Angelina repoussa son petit frère d’un geste brusque. Célestin roula par terre. Il se redressa à quatre pattes, l’épaule gauche et les cheveux pleins de terre rouge. Un vrai ressort!

— Tu crois que madame Ichati va te donner à manger? Elle… elle a tout perdu!

Le ventre rond de Célestin grognait.

— J’ai faim, marmonna-t-il encore une fois.

Il y avait bien des mangues par terre. Et elles étaient mûres et pas mangées par les rats. Mais il n’osait plus trop se servir. Il attendrait que sa grande sœur se soit éloignée. Angelina passa la main sur le visage de son petit frère pour chasser les mouches qui commençaient à danser au bord de ses lèvres collantes.

— On va retrouver les parents, dit-elle.

— Mais… ils sont…

— Tais-toi!

— Et… et madame Ichati…

— Madame Ichati, c’était pas la vraie vie, petit frère. Maintenant, on va retrouver papa et maman! Je te le promets!

— Et tout redeviendra comme avant?

— Et tout redeviendra comme avant…

Angelina hoqueta.

Elle avait lâché tout ça d’un coup, sans réfléchir. Pourquoi? Le frère et la sœur n’avaient plus de parents. Depuis longtemps.

Angelina ferma les yeux. Pendant la traversée, elle et son frère se trouvaient dans la barque des enfants. Une barque plus petite, plus légère que celle des parents. Une barque qui surfait par magie sur la crête des vagues. Une barque légère.

Devant, la barque des adultes fonçait. Lourde. Mais l’océan était mauvais, ce jour-là. Des vagues énormes soulevées par les alizés se brisaient sur la barrière de corail, moutons blancs qui tiraient un trait épais à l’horizon. Les vagues chevauchaient le plat-bord, emplissaient la coque…

Angelina avait vu les bras s’agiter, elle avait vu la barque sombrer au large de la plage de Trevani.

Ils venaient à Mayotte pour vivre mieux, pour le travail, pour la santé, pour l’éducation. Pour un monde meilleur. Mais le destin en avait décidé autrement…

Angelina se redressa.

— On y va, Célestin!

Angelina et Célestin s’engouffrèrent dans un champ de manioc, contournèrent une barrière, traversèrent une petite rivière où deux femmes battaient le linge.

Angelina répéta, le souffle court, les lèvres tremblantes :

— On va retrouver les parents.

Célestin ne lui répondit pas. Angelina le regarda dans ses grands yeux et lui sourit.

— Je t’aime, petit frère.

— On n’a plus de maison!

— Je vais t’en trouver une.

— Où?

— Il y a un banga abandonné sur la plage de Trevani.

— Celui du film?

— Oui.

Ils avaient construit un banga en terre sur la plage de Trevani, pour les besoins d’un film. Sous les cocotiers et les badamiers. C’est là que les jeunes se retrouvaient le samedi soir pour faire la fête et boire. C’était un peu déglingué, mais le toit de tôle protégeait toujours de la pluie. Et personne ne le squattait parce qu’on racontait que des Djinns étaient venus s’y installer. Angelina n’avait pas peur des Djinns.

Elle entraîna Célestin dans la brousse. Des larmes lui montaient.

4

Il n’y avait presque plus personne sur la plage de Trevani.