La piqûre de la bouteille blanche - Julien Dubezin - E-Book

La piqûre de la bouteille blanche E-Book

Julien Dubezin

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Beschreibung

Dans le théâtre social, chacun se pare d’un masque, dissimulant les profondeurs de sa véritable identité. Mais que découvre-t-on lorsque ce masque tombe, révélant l’âme derrière les apparences ? Dans sa quête incessante de validation, l’homme ajuste son image aux exigences du regard extérieur. Pourtant, arrive l’instant crucial où il devient nécessaire de briser ces entraves et de s’affirmer dans toute sa vérité. Lys vénitien apparaît alors comme une incitation à s’affranchir de ces illusions et à dévoiler, avec courage, l’essence pure et inaltérable de soi.

À PROPOS DE L'AUTEUR

À travers une dialectique entre introspection et science-fiction, Julien Dubezin explore les dilemmes contemporains soulevés par l’essor de l’intelligence artificielle. Après "La piqûre de la bouteille bleue", paru chez Le Lys Bleu Éditions en 2023, il signe avec "La piqûre de la bouteille blanche" un second ouvrage en écho à son univers narratif, interrogeant la place de l’humain face aux mutations technologiques. Porté par une réflexion métaphysique, son récit examine l’essence même de la pleine humanité et les limites d’un progrès en quête d’absolu.

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Seitenzahl: 141

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Julien Dubezin

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La piqûre de la bouteille blanche

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Julien Dubezin

ISBN : 979-10-422-6571-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

Chapitre 1

L’étoile filante

 

 

 

« Ludovic, si vous désirez procéder… ? »

« … ? »

« M. Gauthier, si vous désirez procéder… ? »

« Heu… oui, pardon, merci, M. le Diacre Sérénissime. Je voulais prendre la cam’ aujourd’hui pour témoigner ma gratitude envers celle qui, bien plus qu’une mère, fut un guide dans notre vie 1.0. Certes, elle ne nous a pas préparés matériellement à ce monde digital apparu si vite et auquel elle ne comprenait pas tout, mais elle nous a préparés à la vie : à ses joies, à ses folies, à ses combats… À la saveur d’un pommeau truffé à l’ail violet1, à la douceur d’un vers de poésie. Toi qui souffrais depuis cinq ans de la disparition de notre Papadou, tu vas enfin pouvoir le rejoindre aujourd’hui, Mum… Que cette nouvelle étoile continue d’éclairer nos chemins… »

Il y a cinq ans, c’était déjà moi qui avais été désigné volontaire pour ce discours funèbre. Aujourd’hui encore, mon frère et ma sœur avaient pensé que je le ferais mieux qu’eux, que j’en aurais plus la force. Malgré cette distance que permettait la cam’, malgré les filtres impersonnels que j’avais appliqués sur l’image de mon visage, je n’avais guère pu parler plus de quarante-trois secondes. J’avais eu beau me préparer il y a cinq ans, j’avais eu beau me préparer hier, je ne serais jamais prêt pour les De Profundis.

« Merci, Ludovic. Même si la douleur se fait aujourd’hui présente en nos cœurs, elle s’estompera peu à peu, pour faire place à l’apaisement. C’est de cet apaisement que rejaillira la lumière de Dieu et de tous ceux qui ont précédé Madame Léonce Gauthier dans ce dernier voyage interstellaire. »

Bien qu’un peu pompeux et impersonnels, les mots de ce Diacre Sérénissime semblaient rassurer chacun de nous. Quelle ironie pour notre tribu qui ne croyait pas plus en Dieu qu’en Realtruth2 ! Ma tribu aussi avait opté pour le mode « poker face » de la cam’, chacun tentait ainsi de masquer autant que possible sa tristesse. Par caméras interposées, on devinait les gorges nouées et les yeux mouillés.

L’un tentait bien quelque « t’inquiète pas, ça va aller, on est là », l’autre un « et puis la vie continue… », mais ce n’était qu’une illusion 5.0. À cet instant précis, la vie s’était arrêtée.

« Juste avant de laisser place à l’officier Desrumeaux, je fais appel à votre cœur pour aider votre humble serviteur dans la rénovation de son église et notamment de son démodulateur à ondes quantiques. À votre bon cœur, Messieurs Dames… »

Comme un rituel bien huilé, on vit sur nos écrans se transférer des promesses de dons instantanés par dizaines. Les euros semblaient flotter dans l’air, et le discret « gling » qu’ils faisaient en parvenant dans la corbeille virtuelle du Diacre Sérénissime jouait la mélodie cadencée d’un carillon politiquement correct.

Je remerciais M. le Diacre Sérénissime et m’acquittai moi aussi de mon offrande. L’arrière de mon crâne vibra, je consultai aussitôt mon message privé. « Un petit effort, mon fils… » implorait le Diacre Sérénissime. Il avait mal choisi son moment pour m’extorquer des fonds, celui-ci. Je déclinai d’un revers de la main.

« Mesdames, Messieurs, je suis l’officier traitant Desrumeaux, représentant du comité supranational sidéral. Devant vous pour témoin, je vais procéder à la mise en orbite de la capsule épiphysaire de Madame Léonce Gauthier, née le 8 décembre 1953 à Paris, et décédée ce vendredi 12 novembre 2049, à l’âge de 95 ans. »

Nouvelle vibration, plus forte. Qui donc osait me lancer une alerte aussi virulente en plein enterrement ? J’ouvris mon message et découvris stupéfait, une mise en accusation du Diacre Sérénissime. Visiblement, ma contribution financière n’était pas à la hauteur de l’effort qu’il se vantait d’avoir fait pour apaiser mon cœur et mon âme. Il demandait que sa requête judiciaire soit jugée séance tenante par le tribunal des délits sociaux, et qu’il plaise à la cour de me condamner à lui verser la somme de mille euros en dédommagement des préjudices moraux subis.

Quelques instants après, l’interface V32.565 du logiciel Némésys apparut devant mes yeux, récapitulant impartialement les faits et les classant dans l’une des deux seules cases autorisées pour chacune des parties : « socialement approuvé » ou « socialement désapprouvé ».

Don effectué par L. Gauthier durant la cérémonie funéraire : « socialement approuvé ».

Somme versée par L. Gauthier de trois cents euros : « socialement désapprouvé ».

Organisation de la cérémonie funéraire par le Diacre Sérénissime, avant, pendant et après : « socialement approuvé ».

Prêche et apaisement moral prodigués par le Diacre Sérénissime : « socialement approuvé ».

Utilité communautaire du Diacre Sérénissime : « socialement approuvé ».

Je visualisais la balance de la justice qui basculait d’un côté puis de l’autre au gré des faits énoncés par la voix synthétique de l’Intelligence Artificielle. Les yeux rivés sur mon casque de réalité virtuelle, je n’eus pas le temps de mémoriser tout ce que l’IA décrivait que, déjà, elle rendait son verdict.

Don de M. Ludovic Gauthier envers le Diacre Sérénissime : « Socialement désapprouvé ! ».

L’Intelligence Artificielle Némésys V32.565, désormais seule interface judiciaire assermentée pour traiter des délits sociaux, avait rendu son jugement. L’instant d’après, je vis la somme de mille euros sortir de mon porte-monnaie virtuel et filer joyeusement dans la corbeille du Diacre Sérénissime. Mon crâne vibra, un message du Diacre Sérénissime de mes deux (pas des siennes pour sûr…) me remerciait pour ma généreuse contribution et me souhaitait de retrouver rapidement lumière, paix et sérénité.

« Par les pouvoirs qui me sont conférés, j’ordonne la mise à feu du module funéraire sidéral dans 5… 4… 3… 2… 1… »

Un petit drone à peine plus grand qu’une main s’éleva dans les airs, tellement rapidement qu’il ne fut bientôt plus qu’une traînée lumineuse dans le ciel de novembre. La plupart d’entre nous possédaient les dernières générations de casques virtuels, qui permettaient de zoomer jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres. Lorsque le module arriva à son altitude définie, soit précisément 199,701 kilomètres, il largua la précieuse capsule contenant la glande pinéale de notre mère. La capsule se cala à la vitesse de 7,9 kilomètres par seconde et prit son mouvement orbital perpétuel autour de la Terre. Le repos éternel à portée de drone.

Cela semblait si naturel désormais de placer l’âme de nos morts en orbite perpétuelle, alors qu’il y a encore vingt ans, on les cachait sous notre terre. Descartes, en son temps, avait déjà compris que la glande pinéale, comme l’appellent les philosophes, l’épiphyse, comme l’appellent les scientifiques, renfermait les trésors de l’âme. Il nous avait fallu attendre trois siècles pour enfin oser dissocier l’âme de son enveloppe charnelle et la remettre à la place à laquelle elle pouvait prétendre : le royaume des cieux. Depuis Descartes, une myriade de brillants scientifiques avaient entériné cette découverte médicale, mais aucun d’eux n’avait eu le courage d’en tirer profit pour l’humanité. Seul un Big Seven avait bravé l’interdit, trouvant dans son acte humaniste l’une de ses raisons d’être. Il avait d’abord testé la technologie pour ses proches, avant de proposer la commercialisation de ses modules funéraires sidéraux pour chaque Homme et Femme sur cette Terre.

Désormais, Maman flottait dans la voûte céleste, parmi des millions d’autres âmes errantes. Depuis là-haut, elle pourrait aisément surveiller Papa, bien ancré, lui, dans sa croûte terrestre.

 

 

 

 

 

Chapitre 2

Merci Madeleine

 

 

 

Deux semaines plus tard, mon frère Philippe, ma sœur et moi, nous nous retrouvions devant la maison de notre enfance, le regard vide, le grenier plein. L’esprit absent, mais les souvenirs bien présents. Il avait fallu se résoudre à vider cette maison une bonne fois pour toutes afin de la mettre en vente, mais ça n’avait pas été de gaieté de cœur. Non que nous ne tenions pas particulièrement à la maison, mais plus aux moments de vie qu’elle ferait ressurgir et aux plaies à peine pansées qui allaient immanquablement se rouvrir un peu plus profondément.

La maison comportait un rez-de-chaussée et un étage, un garage attenant, une terrasse couverte et un grand jardin. Autant de pièces qui avaient été mille prétextes à rire et à pleurer. Autant de pièces à désencombrer.

Nos enfants respectifs nous donnaient un coup de main pour l’occasion.

Nos deux filles, Manon et Chloë, avaient télétravaillé la nuit pour être disponibles en journée.

Mon frère avait demandé de l’aide à ses filles, et nos deux nièces, Charlotte et Géraldine, avaient exceptionnellement fermé leur commerce pour venir nous prêter main-forte.

Charlotte et Géraldine co-géraient un commerce comme j’avais rêvé d’en ouvrir. D’ailleurs, peut-on réellement appeler ça un commerce ? Non, c’est plutôt un concentré d’hédonisme. Elles l’avaient appelé « Aux effluves de la Saint-Vincent ». C’était un bar à effluves tanniques situé en plein cœur de Paris. Il avait connu un énorme succès au début des années 2030 et était constamment rempli. Rempli d’effluves de vin, rempli de joie, rempli de bons vivants et rempli de lâcher-prise. C’était un concept qu’elles m’avaient emprunté un soir où j’avais refait le monde avec elles. Je leur avais juré, main sur le cœur, qu’un jour les hommes consommeraient du vin simplement en le humant, car c’était ainsi qu’on ressentait toute la profondeur et la complexité tannique d’une bouteille. Depuis longtemps, je ne buvais plus de vin, mais j’adorais inspirer les verres jusqu’à l’ivresse. Ainsi débarrassé de l’alcool, le vin n’en conservait que sa substantifique moelle, son âme la plus pure. Convaincu que mon concept allait révolutionner le monde des épicuriens, j’avais persuadé des investisseurs de créer le premier bar à effluves tanniques du monde. Ça avait été un échec cuisant. Un grand plouf dans un petit verre de vin. Dix ans plus tard, le vent tournant et les anges réclamant leur part, mes nièces avaient repris le concept, peaufiné le packaging et… BINGO. Elles avaient lancé une mode qui allait durer quinze ans. Surfant sur leur succès, elles avaient ouvert des bars à effluves aux quatre coins du monde, plus d’une centaine, je crois. S’ils ne désemplissaient pas à Tokyo ou Dubaï, les Français s’en étaient peu à peu lassés, préférant revenir à leur addiction alcoolique.

Ma sœur et son mari, quant à eux, n’avaient pas eu d’enfant, mais ils comptaient pour quatre tellement ils débordaient d’énergie et d’expérience dans les déménagements.

Dans une organisation quasi militaire, nous attaquâmes le débarrassage de la maison. Les meubles et bibelots passaient de bras en bras, une chaîne humaine reliait la benne autonome que nous avions louée pour l’occasion à chaque pièce de la maison.

« Bien vu la benne autonome ! » lançai-je à ma frangine Maud.

« Oui, t’as vu, c’est pratique, hein ? Un de nos amis en a loué une lorsqu’il a déménagé l’an dernier, et franchement, tu mets tous les trucs dont tu ne veux plus dedans, et quand tu as fini, elle rentre toute seule à son dépôt, tu n’as plus rien à t’occuper ! Sous 24 h, tu reçois des bons d’achat écologiques en fonction du poids que tu auras permis de recycler. »

« Nickel ! » conclut mon frère, aussi pragmatique qu’il était peu loquace.

Le rez-de-chaussée fut rapidement vidé. L’étage fut plus long. Bien sûr, il y avait un étage à descendre, mais ce qui compliquait surtout la tâche, c’étaient les innombrables bibelots qui ornaient nos chambres et qui nous rappelaient toute notre vie passée. Un vieux walkman Sony autoreverse, une rose des sables que j’avais ramenée d’Algérie, les posters du King of the Pop, Michael Jackson, dont ma sœur était fan. Une paire de rollers à lanières de cuir : réglables et ajustables, ils s’adaptaient à tous les pieds, même s’ils ne roulaient pas franchement super bien.

Chacun y allait de ses découvertes et s’autorisait un voyage dans le temps.

« Whaou, c’est quoi ce vieux cube orange ? » demanda Géraldine.

« On dirait que ça s’ouvre en deux », découvrit Charlotte.

« C’est un tourne-disque avec ses enceintes portatives », expliqua mon frère. « On mettait des disques vinyle 45 tours dessus, et on pouvait les écouter partout où il y avait une prise électrique. Quand on avait fini, on rangeait le tout dans la mallette orange et le tour était joué ! ».

« Vachement pratique ton truc, papy… Il prend la moitié de la pièce à lui tout seul, et tu peux écouter qu’un disque. Moi, avec mon implant Spotify illimité, j’écoute ma musique quand je veux, où je veux, sans avoir besoin d’un hangar de stockage ni de prise électrique… » se marrèrent mes deux filles.

Nous rîmes tous de très bon cœur. Il était vrai que tous ces objets appartenaient à un passé qui semblait particulièrement lointain. Tout avait changé tellement vite.

La terrible pandémie de 2019 avait engendré une telle fracture humaine que la digitalisation et la connectivité des objets s’étaient accélérées à outrance. Les hommes avaient été contraints d’opérer une distanciation physique pour endiguer le virus de la COVID-19, et cela avait inexorablement entraîné une fracture sociale virulente. Plus rien n’avait jamais été comme avant depuis ce temps. Les hommes s’étaient réfugiés dans les relations distancielles, les visioconférences étaient devenues la norme, les messages sur les réseaux sociaux avaient remplacé les RDV’s autour d’un café. Peu à peu, les humains s’étaient éloignés, finissant par redouter le contact avec l’autre. Chaque interaction pouvait devenir prétexte à conflit, et d’ailleurs des conflits avaient éclaté partout, pour tout. La baguette du boulanger était trop cuite, on s’en plaignait ouvertement. Le voisin s’était garé devant chez vous, on appelait la fourrière. Votre patron vous avait fait un compliment sur votre tenue vestimentaire, on l’attaquait pour harcèlement. On relevait les défauts de chacun, et on subissait les attaques de ceux qui voyaient les vôtres. Le monde digital avait alors été notre espoir de salut. On pouvait s’y réfugier, s’y cacher, s’y travestir. Ce monde parallèle en apparence si protecteur n’avait fait que renforcer notre peur des autres. L’Humanité s’était immensément appauvrie en quelques années. Seuls les hommes de loi, avocats et autres officiers judiciaires avaient tiré un énorme bénéfice financier de ces exophobies collectives.

Les nations avaient d’abord instauré de nombreuses lois pour tenter d’encadrer chaque usage détourné, chaque légère déviation, chaque petite imperfection. Mais bientôt, les lois ne suffirent plus. Les tribunaux étaient engorgés de plaignants, les décisions traînaient en longueur, et les délais rallongés ne firent qu’amplifier le sentiment populaire d’injustice. Alors certains se firent justice eux-mêmes, et une vague de violence verbale et physique sans précédent s’abattit sur notre monde.

Il fallait un changement fort, il fut initié en 2041 et largement ratifié par 287 des 313 nations du globe. Le projet Némésys3 était né.

Depuis huit ans déjà, chaque conflit se réglait via l’application Némésys, désormais seule interface judiciaire assermentée pour traiter des délits sociaux. Seuls les crimes entraînant la mort ou la mutilation physique étaient encore jugés par des Hommes. Tout le reste, c’est-à-dire 99 % des conflits, se réglait à travers l’interface Némésys. La dernière version V32.565 intégrait quelques upgrades comme une interface graphique plus visuelle, des délais de traitement raccourcis à quelques secondes, et une nouvelle fonctionnalité « criminel responsable » qui laissait l’opportunité au criminel repenti de dénoncer lui-même son méfait. Avec, à la clef, une sanction financière divisée par deux et un bon d’achat écoresponsable à valoir sur certains programmes visuels ou lectures à vocation civico-éducative. Ces améliorations mises à part, le principe de chaque version demeurait le même : l’Intelligence Artificielle Némésys, conjointement développée par les 287 nations signataires, classifiait à la demande du plaignant chaque fait selon un schéma binaire : « socialement approuvé » ou « socialement désapprouvé ». Par un modèle algorithmique de pondération soigneusement tenu secret, l’interface rendait quasiment instantanément un jugement univoque et édictait le montant de l’amende correspondante le cas échéant.

Némésys endossait également le rôle de notaire pour authentifier une vente ou une succession et s’assurer de la juste répartition des avoirs et des frais afférents. Nous n’allions pas tarder à tester ce module.

Assise sur le rebord de la terrasse, ma frangine buvait une bière en contemplant le travail accompli. La maison était quasiment vide, la benne quasiment pleine.

« Allez, courage, plus que le garage et on a fini », lançai-je pour motiver les troupes.

Nous savions qu’il restait quelques vieux jeux au garage, un peu d’outils de bricolage, des lustreurs, cireurs et autres shampoings pour bichonner son automobile. Notre père avait toujours beaucoup pris soin de ses voitures.