La psychologie de la prestidigitation - Alfred Binet - E-Book

La psychologie de la prestidigitation E-Book

Alfred Binet

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Beschreibung

Chacun de nous a éprouvé, qu’il le sache ou non, un grand nombre d’illusions des sens : nos sens ne nous disent pas toujours la vérité ; notre œil nous trompe, notre oreille nous trompe, notre main elle-même, que nous étendons d’ordinaire pour contrôler le témoignage des autres sens, peut nous tromper ; ou plutôt, pour parler avec plus d’exactitude, ce ne sont pas nos sens qui nous trompent, c’est notre esprit.

Nos sens ne nous font connaître qu’une chose, des sensations ; notre œil ne nous donne que des taches de lumière et de couleur ; notre main, que des sensations de contact et de mouvement ; et notre esprit se charge d’interpréter ces sensations, d’en tirer des conclusions, et de construire avec elles des objets extérieurs doués de propriétés innombrables. Quand nous disons : "Voici une table, une chaise, un chien, une maison…" nous n’indiquons pas uniquement ce que notre œil a perçu, nous faisons un raisonnement. Quand ce raisonnement rapide et automatique porte à faux, nous avons une illusion des sens.

La prestidigitation est un art qui s’est proposé un but singulier : celui de rechercher et de développer toutes les influences qui peuvent nous induire en erreur et nous tromper sur ce que nous voyons. Quand une personne assiste à une séance de prestidigitation, sans comprendre les moyens employés, elle est sollicitée par certains gestes et certaines paroles, elle croit avoir vu poser en un endroit un objet qui réellement a été posé ailleurs, elle voit ce qui n’existe pas et ne voit pas ce qui existe. On comprend de quel intérêt est pour le psychologue l’étude des procédés employés pour produire l’illusion, puisque cette étude nous renseigne sur la marche ordinaire de notre pensée pendant que nous percevons les objets extérieurs, et nous découvre les points faibles de notre connaissance...

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Seitenzahl: 57

Veröffentlichungsjahr: 2025

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La psychologie de la prestidigitation.

La psychologie de la prestidigitation 

Le prestidigitateur

Rien dans la main, rien dans la poche, il est vraiment Infernal ce monsieur avec sa table ronde. Rien dans les bras non plus ; car à chaque moment,Ses manches battent l’air pour convaincre le monde. Il escamoterait des gens à force d’art !Il fait dans un chapeau : soupe, omelette au lard… Et vous rend le chapeau plus frais que d’habitude.

À peine exprime-t-il toute sa gratitude En inclinant la tête à l’applaudissement Général, et d’un œil qui défie, il propose Au public ahuri d’entreprendre la chose,

Et d’opérer plus dextrement.

(Maurice Vaucaire)

Chacun de nous a éprouvé, qu’il le sache ou non, un grand nombre d’illusions des sens : nos sens ne nous disent pas toujours la vérité ; notre œil nous trompe, notre oreille nous trompe, notre main elle-même, que nous étendons d’ordinaire pour contrôler le témoignage des autres sens, peut nous tromper ; ou plutôt, pour parler avec plus d’exactitude, ce ne sont pas nos sens qui nous trompent, c’est notre esprit.

Nos sens ne nous font connaître qu’une chose, des sensations ; notre œil ne nous donne que des taches de lumière et de couleur ; notre main, que des sensations de contact et de mouvement ; et notre esprit se charge d’interpréter ces sensations, d’en tirer des conclusions, et de construire avec elles des objets extérieurs doués de propriétés innombrables. Quand nous disons : ‘Voici une table, une chaise, un chien, une maison…’ nous n’indiquons pas uniquement ce que notre œil a perçu, nous faisons un raisonnement. Quand ce raisonnement rapide et automatique porte à faux, nous avons une illusion des sens.

La prestidigitation est un art qui s’est proposé un but singulier : celui de rechercher et de développer toutes les influences qui peuvent nous induire en erreur et nous tromper sur ce que nous voyons. Quand une personne assiste à une séance de prestidigitation, sans comprendre les moyens employés, elle est sollicitée par certains gestes et certaines paroles, elle croit avoir vu poser en un endroit un objet qui réellement a été posé ailleurs, elle voit ce qui n’existe pas et ne voit pas ce qui existe. On comprend de quel intérêt est pour le psychologue l’étude des procédés employés pour produire l’illusion, puisque cette étude nous renseigne sur la marche ordinaire de notre pensée pendant que nous percevons les objets extérieurs, et nous découvre les points faibles de notre connaissance.

Avant d’entrer dans le détail de nos analyses, il est bon de s’orienter un peu, en essayant de fixer par quelques considérations générales la nature des erreurs produites par l’art du prestidigitateur.

I.

M. James Sully, l’éminent psychologue anglais, a fait, à propos des illusions des sens, une distinction qui présente une réelle valeur philosophique. On doit, pense-t-il, diviser les illusions des sens en deux catégories : les illusions actives et les illusions passives. Les illusions passives sont générales : ce sont celles qui sont éprouvées dans les mêmes conditions par tous les individus ; elles, sont inhérentes à notre organisation psychique, et nul n’y échappe : c’est une loi que nous voyons les objets droits, bien que leur image soit renversée sur la rétine ; c’est une loi que le bâton plongé dans l’eau nous paraît brisé. De ces erreurs communes à tous il faut distinguer celles que M. James Sully appelle actives, indiquant par là qu’elles sont l’œuvre de l’activité spontanée de notre esprit ; ces dernières restent individuelles, à moins qu’elles ne prennent la forme épidémique ; elles résultent de notre tempérament, de notre disposition d’esprit et de nos croyances. Ainsi, c’est par une illusion active que, lorsque nous attendons une personne sur la route, nous croyons la reconnaître dans le passant éloigné qui s’approche : c’est par la même illusion que le croyant voit le miracle qu’il appelle de toutes ses forces. Sans aller jusqu’à dire que tout ce qui appartient à l’illusion active présente une certaine gravité, il ne faut cependant pas oublier que ce sont les illusions de ce genre, et non les autres, qui sont proches parentes des hallucinations de la folie.

Incontestablement, les illusions de la prestidigitation font partie des illusions passives, et en quelque sorte normales, qui dominent toutes les personnes bien constituées ; l’analyse ultérieure confirmera cette affirmation, en montrant sur quel point précis porte l’erreur des sens. M. Max Dessoir a discuté la question à propos d’une expérience intéressante ; il suppose qu’un illusionniste prenne une orange, et, après l’avoir montrée, la jette en l’air assez haut, puis la reçoive dans la main ; il répète l’acte une fois, deux fois, et à la troisième fois, après avoir mis l’orange dans la gibecière sans que personne s’en doute, il fait le simulacre de la jeter. M. Dessoir pense, — et nous pensons avec lui, — que beaucoup de personnes, trompées par ce mouvement, croiront voir l’orange lancée en l’air comme les autres fois, et s’étonneront de ne pas la voir retomber.

Quelle est la nature de l’illusion éprouvée en pareil cas ? Quel nom faut-il lui donner ? Voir un objet qui n’existe réellement pas à l’endroit où on croit le voir, est-ce une hallucination ? M. Dessoir a eu bien raison d’écarter cette interprétation peu judicieuse ; il faut, comme nous l’avons souvent dit nous-mêmes, réserver le nom d’hallucination à une illusion qui ne trouve aucune explication dans les objets extérieurs ; c’est un désordre des sens, et non une erreur normale et régulière ; si les spectateurs croient voir l’orange, c’est qu’ils cèdent, comme nous l’expliquerons, à une feinte de l’escamoteur ; c’est aussi et surtout qu’ils se prêtent à l’illusion, sans s’appliquer à un examen qui, en détruisant l’apparence, détruirait aussi le plaisir.