La régulation des apprentissages en classe - Lucie Mottier Lopez - E-Book

La régulation des apprentissages en classe E-Book

Lucie Mottier Lopez

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Beschreibung

La régulation des apprentissages en classe étudie la relation entre les plans individuel, interpersonnel et social qui soutiennent la régulation de l’apprentissage de l’élève ou qui peuvent faire obstacle à celle-ci.

La régulation de l’apprentissage des élèves en classe est une préoccupation constante des enseignants. En effet, comment soutenir au mieux la progression de l’élève, comment l’amener à dépasser une difficulté, à l’aider à développer des démarches d’autorégulation plus conscientes, à construire du sens aux situations d’apprentissage vécues ? Quelles sont les interventions et situations susceptibles de soutenir au mieux la régulation des activités de chaque élève ? Quels sont les obstacles à la régulation de l’apprentissage en classe ?

L’ouvrage expose, dans un premier temps, les principales conceptualisations de la régulation, élaborées à partir d’un questionnement explicite sur l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation en salle de classe. En prenant appui sur des recherches étudiant des classes tout-venant, l’ouvrage se centre, dans un deuxième temps, sur les régulations interactives entre l’enseignant et ses élèves au regard des pratiques développées dans le contexte de la classe. Les recherches présentées concernent des enseignants de l’école primaire, mais ont une portée générale.

L’ouvrage s’adresse aux étudiants en Sciences de l’Éducation ainsi qu’aux enseignants plus chevronnés, en faisant état des principales connaissances relatives à la régulation qui est au centre des processus d’apprentissage, d’enseignement et d’évaluation formative.

À PROPOS DE LA COLLECTION LE POINT SUR... PÉDAGOGIE

Destinée aux étudiants en sciences de l'éducation, aux futurs enseignants et aux enseignants du terrain, de la maternelle au supérieur, cette nouvelle collection fait le point sur les recherches et les pratiques en pédagogie.
- Des synthèses précises et ancrées dans les recherches les plus récentes.
- Des thèmes classiques qui constituent des incontournables.
- Des problématiques communes aux pays de la francophonie...

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Table des matières
Couverture
Titre
Copyright
Introduction
1 Régulations et conceptions d’apprentissage
2 Organisation de l’ouvrage
Chapitre 1 - La régulation des apprentissages : distinctions conceptuelles
1 Visées de la régulation des apprentissages en classe
2 Objets de la régulation de l’apprentissage
3 Degrés d’explicitation de la régulation de l’apprentissage
4 Mouvements de la régulation par rapport au but visé
5 Modalités de la régulation interactive
6 Temporalité et mise en œuvre de la régulation
7 Environnements et contextes d’apprentissage
8 Éléments de discussion
Chapitre 2 - Régulations situées dans des microcultures de classe
1 La microculture de classe en mathématiques
2 La microculture de Paula : travaux de groupes et interactions collectives
3 La microculture de Luc : travaux de groupes et interactions collectives
4 Éléments de comparaison entre les deux microcultures de classe et discussion
Chapitre 3 - Un cadre d’analyse de la régulation située
1 Préoccupations professionnelles d’enseignants
2 De l’étayage interactif aux structures de participation
3 Restructuration du modèle de la régulation interactive
Conclusion
Références bibliographiques
Table des matières

© De Boeck Éducation s.a., 2012

EAN 978-2-8041-7525-2

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.deboeck.com

Rue des Minimes 39, B-1000 Bruxelles

Tous droits réservés pour tout pays.

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

ISSN 2033-5121

Introduction

SOMMAIRE

1 Régulations et conceptions d’apprentissage

2 Organisation de l’ouvrage

Le concept de « régulation » est omniprésent dans les discours en sciences de l’éducation : régulation des systèmes éducatifs, régulation des pratiques d’enseignement, régulation didactique, régulation de l’apprentissage de l’élève, autorégulation, etc. Ce concept n’est pas spécifique aux sciences de l’éducation. Indépendamment de visées éducatives, il est largement utilisé dans des disciplines telles que la biologie, l’économie, la psychologie, la sociologie pour ne citer que celles-ci. Cet ouvrage s’intéresse plus spécifiquement à la régulation de l’apprentissage de l’élève dans un contexte de classe et aux médiations (sociales, matérielles, culturelles, etc.) susceptibles de soutenir les processus d’autorégulation de l’élève : situations et tâches didactiques, interventions de l’enseignant, collaborations entre élèves, usage d’outils et, plus globalement, les pratiques, les normes, les significations symboliques qui sont élaborées dans un contexte de classe à des fins de régulation de l’apprentissage de l’élève.

Mais qu’entend-on par régulation de l’apprentissage ? Les synonymes fréquents dans la littérature sont : ajustement, adaptation, modulation, réglage, contrôle, guidage, réorientation de l’action. Quand on se réfère à la régulation de l’apprentissage, il est supposé que cette régulation provient de l’apprenant – de l’élève. On parle alors d’autorégulation ou de régulation interne en tant que processus cognitif ou métacognitif qui a pour finalité d’assurer le contrôle et l’ajustement des activités cognitives, affectives et sociales qui contribuent à la transformation des connaissances et compétences de l’apprenant (Allal, 2007). Ces processus mentaux, généraux, s’appréhendent difficilement. Ils sont souvent conceptualisés indépendamment des situations didactiques ou d’un objet de savoir spécifique à apprendre. Mais l’autorégulation peut aussi désigner une démarche ou une actionobservable, réalisée par l’élève, susceptible de « didactisation1 ». Par exemple, dans le cadre d’une activité de révision textuelle, il est attendu que l’élève consulte son dictionnaire ou sa liste de mots en cas de doute orthographique. L’usage du dictionnaire est considéré comme une démarche d’autorégulation instrumentée, susceptible de s’enseigner et de s’apprendre.

Dans la littérature, le concept de régulation désigne également les éléments de l’environnement social, matériel, symbolique soutenant l’autorégulation de l’élève : consignes et interventions de l’enseignant, structuration des tâches et des dispositifs didactiques, interactions entre élèves, usage d’outils, etc. Ces sources de régulation sont parfois appelées régulation externe (par rapport à l’apprenant et à son autorégulation). Leur fonction est d’orienter positivement les intentions d’action des élèves et leurs conduites d’autorégulation constitutives de leurs apprentissages.

Dans cet ouvrage, nous parlerons constamment de la régulation de l’apprentissage de l’élève, terme générique qui désigne plusieurs réalités dans la classe comme le fait remarquer Perrenoud (1998b) :

la régulation de l’activité de l’élève. L’enseignant par exemple incite l’élève à collaborer avec un pair pour surmonter un obstacle ; il l’aide à planifier une succession d’actions pour réaliser une tâche complexe ; il l’aide à choisir un outil approprié, etc. ;

la régulation des processus cognitifs de l’élève. L’enseignant soutient l’élève dans son raisonnement et ses interprétations ; il l’aide à faire des relations, à déduire, à évaluer, etc. ;

la régulation des apprentissages de l’élève. L’enseignant aide l’élève à intégrer une nouvelle connaissance, à la comprendre, à la transférer dans une nouvelle situation, etc.

Pour l’enseignant, il est évidemment plus aisé d’intervenir sur l’activité de l’élève plus facilement observable et sur laquelle il peut avoir une prise plus directe que sur l’apprentissage (au sens fort du terme) qui garde toujours une grande part d’inaccessibilité. Les trois plans sont inter-reliés – pour apprendre, l’élève doit être actif et mobiliser ses processus cognitifs – mais, selon Perrenoud (1993), ils impliquent des registres différents d’étayage2 de la part de l’expert/de l’enseignant. Dès que l’intention est d’intervenir sur la construction même des connaissances, les processus de guidage devraient se situer sur un plan métacognitif et métalinguistique.

S’intéresser à la régulation des apprentissages en classe implique ainsi un questionnement à la fois sur l’élève et les situations d’enseignement et d’apprentissage – dont les interventions de l’enseignant font partie – susceptibles d’orienter positivement l’autorégulation de l’élève. L’autorégulation est partiellement déterminée par les compétences et dispositions qui soutiennent les opérations mentales de l’élève, mais elle est également dépendante des situations expérimentées. « Toute la question est de comprendre ce qui, dans une situation, pourrait avoir des ‘vertus’ de régulation des processus d’apprentissage3 » (Perrenoud, 1998a). Une théorie de « l’apprentissage situé » est alors nécessaire pour appréhender cette relation constitutive entre régulations et situations d’apprentissage. Tel sera le parti pris que nous adopterons dans les deuxième et troisième chapitres de cet ouvrage : une théorie de l’apprentissage situé, plus spécialement au regard des contextes de classe et des situations scolaires.

Être en mesure de soutenir au mieux la régulation des apprentissages des élèves représente un pan essentiel de la professionnalité des enseignants. Laveault (2007) considère que le concept de régulation intéresse les enseignants car il met en avant la compétence de l’élève à prendre en charge ses processus cognitifs et motivationnels afin d’atteindre les objectifs visés. Dans une de nos recherches (Mottier Lopez et al., 2010), les enseignants soulignent combien cette compétence d’autorégulation chez l’apprenant leur apparaît cruciale, conscients qu’ils ne peuvent pas réguler à la place de leurs élèves. Ces derniers doivent davantage prendre conscience des démarches de planification, de contrôle et d’ajustement en cours de réalisation de tâche ou suite à une (auto)évaluation après une activité réalisée. Les enseignants souhaitent que les élèves apprennent à s’autoréguler afin que ces derniers soient en mesure d’exercer un contrôle plus réfléchi et délibéré sur leurs activités d’apprentissage. Pour Laveault (2007), l’autorégulation est un moyen pour apprendre et à la fois un objet d’apprentissage.

Dans cet ouvrage, une large place sera faite aux interventions de l’enseignant. Si un grand nombre de travaux ont étudié les processus de régulation depuis de nombreuses années, les enjeux restent importants notamment quand l’objectif est de penser la régulation dans un contexte réel de classe. Un de ces enjeux est d’appréhender la régulation de l’apprentissage dans la relation entre les processus psychologiques de l’élève et les situations institutionnelles et sociales que sont les pratiques d’enseignement. S’intéresser à la régulation en classe dans cette perspective suppose alors nécessairement une conception de la façon dont l’élève apprend, qui peut orienter les pratiques pédagogiques et didactiques.

1 Régulations et conceptions d’apprentissage

Carette et Rey (2010) exposent les conceptions constructiviste et socioconstructiviste qui remettent foncièrement en question l’idée qu’il suffirait de transmettre aux élèves des contenus pour qu’ils apprennent. Sans entrer dans de longs développements (nous assumons donc le réductionnisme qui découlera inévitablement de notre texte), nous exposons ci-dessous quelques traits caractéristiques de conceptions qui théorisent le rôle de la régulation dans les processus d’apprentissage : l’approche constructiviste de Jean Piaget, les approches cognitives et métacognitives, les conceptions socioconstructiviste et socioculturelle située. Relevons d’emblée que ces propositions théoriques émanent, pour la plupart, de psychologues, excepté pour la perspective socioculturelle située qui s’appuie également sur des travaux d’anthropologues. Ces théories ne supposent pas un lien direct avec l’application de principes didactiques et pédagogiques mais, comme nous le montrerons dans les chapitres suivants, leurs idées ont été empruntées (et donc aussi transformées en partie) pour penser les pratiques en salle de classe, dont celles qui soutiennent la régulation des apprentissages des élèves.

L’approche constructiviste de Jean Piaget

Pour Piaget (1975), le développement de l’enfant ne procède ni de la seule expérience des objets, ni d’une programmation innée du sujet, mais de constructions successives avec élaboration de nouvelles structures mentales en interaction avec l’environnement. Dans sa théorie de l’équilibration des structures cognitives, Piaget attribue à la régulation un rôle fondamental pour le développement de l’enfant, en tant que mécanisme qui contribue aux (ré)équilibrations des structures cognitives du sujet en cas de déséquilibres produits par des « perturbations » rencontrées. « La régulation a pour finalité générale d’assurer l’adaptation du fonctionnement d’un système en interaction avec son environnement. Les processus de régulation expliquent le ‘comment’ de l’équilibration » (p. 23). Autrement dit, les mécanismes de régulation permettent de comprendre comment des perturbations sont prises en compte et traitées par le sujet dans des conduites adaptatives4. Ainsi, retenons que, pour Piaget, le processus interne d’autorégulation, en tant que processus actif, contribue à maintenir ou reconstruire un équilibre entre le sujet et son environnement. Deux principaux mouvements de rééquilibration (ou autorégulation) sont distingués :

le retour à un équilibre antérieur : on parlera de régulation homéostatique (ou statique) qui n’engendre pas de nouvelles connaissances ;

la formation d’un nouvel équilibre par un processus d’équilibration dite majorante qui restructure les formes précédentes d’équilibre. On parlera dans ce cas de régulation homéorhésique (ou dynamique, ou active) qui produit de nouveaux apprentissages.

L’absence de régulation (ou de conduites adaptatives) entraîne soit une cessation de l’action soit une non-modification de l’action. Sans entrer plus avant dans cette théorisation complexe5, nous retiendrons ici que, dans l’approche constructiviste de Piaget, les mécanismes de régulation font pleinement partie de l’apprentissage mais sans toutefois s’y réduire. L’idée de perturbation, qui résulte d’une rencontre entre un sujet agissant et un environnement, apparaît majeure pour enclencher des conduites adaptatives du sujet en tant que sources potentielles de développement. Mais toutes conduites autorégulatives ne se valent pas : certaines servent à écarter une perturbation trop forte ou à rétablir un équilibre antérieur ; d’autres servent à construire un nouvel équilibre. Gardons à l’esprit que ce n’est pas parce qu’un individu enclenche une conduite d’autorégulation que celle-ci, de facto, conduira à une nouvelle structuration plus élaborée.

Approches cognitives et métacognitives

Comme le précisent Carette et Rey (2010), la psychologie cognitive « englobe l’ensemble des travaux qui essaient de comprendre le fonctionnement intellectuel de l’humain. … En ce sens, les travaux de Piaget… relèvent de la psychologie cognitive » (p. 41). Nombre de modélisations ont été proposées en psychologie cognitive dans lesquelles le concept de régulation (plus spécialement d’autorégulation) est au cœur des développements théoriques. Fayol (2008) rappelle que la cognition renvoie :

Aux connaissances, aux croyances et aux opérations qui permettent de les constituer, de les transformer et de les utiliser. Elle intègre la perception, les activités mentales et les sorties motrices qui conduisent au comportement… Traditionnellement, l’esprit est conçu comme un système de traitement de l’information par lequel les individus interagissent avec le monde. (p. 59)

Quant à la métacognition, concept initialement introduit par Flavell (1976), elle comprend deux dimensions principales : (1) les métaconnaissances, c’est-à-dire les connaissances que le sujet possède de sa propre cognition et de celle d’autrui ; (2) les régulations métacognitives, à savoir les modalités d’intervention et de contrôle, les procédures et les stratégies qui assurent une autorégulation de l’activité cognitive du sujet.

Les approches cognitives ont pour but de comprendre les processus mentaux internes et les structures de savoir qui sous-tendent le comportement humain. Ces approches insistent, entre autres, sur le fait que l’individu, en tant que « processeur d’information », est en mesure de modifier les procédures et stratégies cognitives qu’il mobilise en fonction des objectifs visés et/ou des résultats attendus et obtenus. Les tâches, plus particulièrement celles qui sont complexes, nécessitent des procédures d’autorégulation qui permettent un contrôle prospectif ou rétrospectif et des modalités d’adaptation des actions pouvant être de nature métacognitive. Les fonctions exécutives de la régulation métacognitive « assurent la sélection des buts, la planification et l’organisation des actions, le contrôle du déroulement de la démarche et l’évaluation du résultat au regard de ce qui est attendu » (Fayol, 2008, p. 63). Une question, entre autres, est de savoir dans quelle mesure la conscience qu’ont les individus de la difficulté des tâches, de leurs forces et faiblesses ainsi que les stratégies d’autorégulation qu’ils mettent en œuvre peuvent influer sur leurs performances.

Allal (2007) constate qu’un assez grand nombre d’auteurs distinguent trois composantes de l’apprentissage : les composantes cognitives, les composantes métacognitives, et les composantes affectives et motivationnelles. L’auteure suggère, quant à elle, une conceptualisation en cinq composantes :

les activités cognitives et métacognitives – processus mentaux, actions sur le réel – impliquées dans les transformations des connaissances et des compétences de l’apprenant ;

les activités affectives, liées aux dispositions motivationnelles et attributionnelles qui influencent l’activation des processus cognitifs ;

les activités sociales, d’interaction avec autrui et d’action conjointe, qui soutiennent les activités cognitives et affectives ;

les mécanismes qui assurent le guidage, le contrôle, l’ajustement des activités cognitives, affectives et sociales, favorisant ainsi la transformation des compétences de l’apprenant ;

les produits qui résultent des transformations, tant sur le plan mental (e.g., la consolidation d’un nouveau répertoire de comportements mobilisables dans une classe de situations donnée), que sur le plan matériel (e.g., la construction d’un outil adapté à la réalisation d’une tâche). (p. 9)

Un des intérêts de cette catégorisation, typique des approches cognitives, est de clairement circonscrire la spécificité du concept de régulation par rapport aux autres composantes de l’apprentissage. Pour l’auteure, les mécanismes de régulation assurent l’articulation entre les activités cognitives, affectives et sociales, tout en intervenant au sein de chacune d’entre elles. Elle considère que les régulations métacognitives s’exercent dans une forte continuité avec les régulations cognitives et jouent un rôle important dans la coordination des démarches de l’apprenant. Comme cela apparaîtra dans le prochain chapitre, les travaux en psychologie cognitive ont fortement influencé les conceptualisations de la régulation des apprentissages des élèves en classe.

Approches socioconstructivistes et socioculturelles situées

Commençons par préciser que les auteurs, notamment francophones et anglophones, ne s’accordent pas tous sur la terminologie pour désigner les courants qui nous intéressent ici : les conceptions socioconstructivistes et socioculturelles situées. Pour notre part, dans cet ouvrage, nous choisissons de les regrouper dans cette section, bien que des différences épistémologiques justifient les différences terminologiques.

Initialement, dans le monde francophone, la conception socioconstructiviste introduit l’idée que « le rapport à autrui peut jouer un rôle décisif dans le mouvement conduisant l’élève à renoncer à ses préconceptions pour adopter des vues plus conformes à la réalité » (Carette & Rey, 2010, p. 29). Les travaux sur la relation entre les interactions sociales et le développement cognitif sont au cœur de la conception socioconstructiviste, montrant que l’interaction sujet-objet (au cœur de la conception constructiviste de Piaget) n’est pas la seule source de progrès cognitif. On distingue volontiers dans cette conception :

Les études qui s’intéressent aux interactions entre enfants, dont celles qui ont mis en avant le rôle bénéfique du conflit sociocognitif, mais également les interactions de collaboration ou autres formes de co-élaboration entre pairs.

Les études qui portent sur les interactions entre un expert et un novice. Les travaux de Vygotski (1985) et de ses successeurs soutiennent la thèse que les interactions avec des partenaires plus compétents sont nécessaires au développement de la pensée. Les interactions dites de tutelles sont susceptibles de créer des zones proximales de développement qui permettent à l’apprenant de s’engager dans une tâche qui dépasse ses compétences actuelles mais qu’il sera en mesure de réaliser grâce à l’étayage ou au guidage de l’expert.

Que ce soit dans un contexte social symétrique ou asymétrique, ces travaux soulignent le rôle de la régulation interindividuelle mais qui, pour être bénéfique, doit nécessairement déboucher sur une autorégulation de l’apprenant. Pour Vygotski, le passage des régulations interindividuelles aux régulations intra-individuelles s’explique par des processus de médiations sémiotiques (en particulier langagières) permises par les interactions avec l’autre.

Outre la dimension interpersonnelle (ou inter-psychique) valorisée par les thèses vygotskiennes, ces dernières mettent fortement en avant le rôle de la culture, des outils culturels et symboliques dans les processus d’apprentissage et de développement. Autrement dit, non seulement il y a une interaction interpersonnelle, mais il y a aussi une interaction avec les produits de la culture qui participent pleinement à la régulation des conduites individuelles par leur fonction de médiation. « Au moyen des signes, les autres régulent la conduite de l’enfant, et l’enfant, la conduite des autres » (Rivière, 1990, p. 73). Soulignons ici l’idée de co-régulation entre l’expert et l’enfant à travers l’usage d’outils, de signes, de symboles qui sont des instruments d’interaction et d’acculturation. Les langages (verbaux, gestuels, et plus généralement symboliques) sont considérés comme de puissants moyens de médiation à la régulation de l’activité de l’apprenant.

Ces thèses nous amènent à la perspective socioculturelle située (e.g., Mondada & Pekarek, 2000 ; Resnick, Levine & Teasley, 1991) qui explore tout spécialement la relation entre les processus mentaux et les activités accomplies localement et tout à la fois ancrées dans des cadres institutionnels et sociohistoriques plus larges (e.g., Wertsch, 1985, cité par Mondada & Pekarek, 2000). À la suite des propositions de Dewey, ce courant rejette les dualismes traditionnels : l’esprit et l’action, le psychologique et le social, l’individu et la société, les fins et les moyens, l’activité pratique et l’activité intellectuelle, etc. « Sur cette base émerge une conception de la cognition humaine comme étant contextuellement déployée à l’intérieur d’activités sociales, qui débouche sur l’idée d’une cognition ‘située’ et ‘distribuée’ dans des contextes sociaux, institutionnels et interactifs » (Mondada & Pekarek, 2000, p. 5). Puisant dans les travaux de Vygotski et de ses successeurs, mais aussi à partir de recherches anthropologiques et ethnographiques (e.g., Carraher, Carraher & Schliemann, 1985 ; Rogoff & Lave, 1984), cette approche remet radicalement en question la séparation entre le plan individuel et le plan social, en faveur de l’hypothèse d’une relation dite dialectique (Lave, 1988) selon laquelle les deux plans sont considérés comme mutuellement constitutifs. Cette perspective dite de l’apprentissage situé soutient la thèse que toute connaissance, quelle qu’elle soit, est marquée par les conditions contextuelles dans et avec lesquelles elle s’est développée en interaction avec l’individu-en-action. Apprendre, dans cette perspective, se conçoit à travers la métaphore de la participation à des pratiques sociales et culturelles d’une communauté donnée, en tant que moyens et à la fois buts de l’apprentissage (Lave & Wenger, 1991).

Sans plus entrer dans le détail de cette perspective théorique constituée de plusieurs approches (voir Mottier Lopez, 2008 pour une revue détaillée), nous retiendrons que les conceptions socio-constructivistes et socioculturelles situées théorisent la régulation sur plusieurs plans : dans la dynamique interactive des relations intersubjectives entre pairs et/ou avec des experts ; dans la coélaboration et par la médiation des signes partagés, des routines, des mots, des outils, des actions, des concepts, des langages, etc. ; dans les structures de participation qui caractérisent les pratiques et activités partagées d’un groupe social ; dans la relation de co-constitution entre processus culturels, interpersonnels et individuels. Nous reviendrons sur certains de ces éléments dans les chapitres suivants.

2 Organisation de l’ouvrage

Ce premier aperçu témoigne déjà de la complexité de la régulation en contexte scolaire, notamment quand l’enjeu est d’appréhender la relation constitutive entre les régulations produites par les environnements sociaux et culturels de l’apprentissage et les régulations inhérentes à l’activité de l’élève. Dans cet ouvrage, nous avons sélectionné un ensemble de travaux qui offrent une vision de différents enjeux rattachés à cette problématique, sans aucune prétention cependant à exposer un panorama exhaustif des différentes déclinaisons théoriques que l’idée de régulation a généré en psychologie et en sciences de l’éducation.

Le premier chapitre présente quelques distinctions conceptuelles qui sont, aujourd’hui, largement reconnues par la communauté scientifique en sciences de l’éducation. La plupart de ces distinctions se caractérisent par un ancrage cognitiviste ou socioconstructiviste, mais pas exclusivement. Les deux chapitres suivants élargissent la perspective, en choisissant d’exploiter un ensemble de travaux qui s’inscrivent dans une approche de la cognition située (e.g., Brown, Collins & Duguid, 1989) ou de l’apprentissage situé