La saga de Merlin II - Lancelot - Jérôme Lefort - E-Book

La saga de Merlin II - Lancelot E-Book

Jérôme Lefort

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Beschreibung

Un héros, Lancelot. Un roi, Arthur. Un magicien, Merlin. Une épée, Excalibur. Une femme, Guenièvre… Des destins funestes qui se croisent et s’entrechoquent. L’histoire des chevaliers de la Table ronde est très loin d’être ce que vous croyez. Au milieu d’un maelstrom de guerres incessantes contre les barbares et les traîtres ; dans un monde baigné de puissante magie, seuls les vrais héros s’en sortiront. Mais dans un combat où les dés sont truqués, même les plus braves peuvent perdre leur âme. Entrez dans l’histoire, entrez dans la légende, celle de "Lancelot – Le prince maudit d’Excalibur".

À PROPOS DE L'AUTEUR

Après l’odyssée flamboyante de "Aladdin – L’orphelin du désert", Jérôme Lefort nous emmène encore dans un voyage épique. Il nous plonge cette fois dans les aventures héroïques du plus célèbre des chevaliers de la Table ronde : Lancelot du Lac.

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Jérôme Lefort

La saga de Merlin II

Lancelot

Le prince maudit d’Excalibur

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jérôme Lefort

ISBN : 979-10-422-2266-6

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Inspiration…

IV

Car après avoir sillonné le vaste monde, en entier

Et cherché en vain toutes ces longues années, qu’était-il advenu

De ma quête, de ma foi déclinante, ces fantômes abattus,

N’eussent pu porter le poids de cet espoir trop vif, plein de témérité

Et c’est à peine si je sus réprimer le bond enchanté

Que fit mon cœur, sentant la défaite venue.

VII

Ainsi, depuis si longtemps, j’endurais cette quête insensée

Et voyais mon échec chanté dans poèmes et prophéties

Tant de fois, parmi la troupe, de ceux qui ont choisi cet exil inouï,

Ces chevaliers qui à la Tour adressèrent leurs pas

et leurs rêves éthérés

Qu’échouer comme eux me paraissait galvaudé

Mais certain, car qui pourrait lutter contre ce doute assassin :

et si j’étais honni ?

IX

Qu’on m’entende ! À peine m’étais-je promis le cœur loyal

À la plaine, au bout d’un pas ou deux

Alors que je me retournai pour lancer un regard d’adieu

Sur la route bien sûre qui m’avait mené en ce songe sans égal

Elle avait disparu ; plus rien d’autre que les plaines grises et étales

À perte de vue, je ne pus que poursuivre, car quoi faire en ces

lieux ?

XV

Je fermai les yeux et les ouvris sur mon cœur

Comme un homme commandant le vin avant d’aller guerroyer

J’appelai de mes vœux une rasade de visions

plus heureuses du passé

Afin de retrouver l’espoir de jouer mon rôle en vainqueur.

Penser d’abord, et puis combattre tout l’art du soldat, sa valeur,

Car le goût furtif des temps anciens guérit de tout, vrai !

XIX

En travers de ma route, soudain, une rivière,

Tel le serpent surgi par surprise

Mais point de marée paresseuse et douce, dans les ténèbres grises.

Celle-là écumait et eût pu satisfaire

Le démon venu y baigner son sabot rougeoyant à voir l’ardente colère,

De ses remous noirs éclaboussés d’écaillures et de mousse, où l’on s’enlise.

XXVII

Et toujours aussi loin de la fin !

Rien d’autre à l’horizon que le crépuscule,

rien qui vienne l’œil rassurer

Ou le pas guider ! À cette pensée,

Je vis un grand corbeau, ami du cœur d’Apollyon,

l’ange de l’abîme sans fin

Passer au-dessus de moi, son aile vaste de dragon

dans son vol hautain

M’effleura le chef peut-être cherchais-je à me faire inviter.

XXXII

Nulle vision telle ? À cause de la nuit, peut-être ?

— Pourtant le jour reparut

J’attendis la lumière ! avant que de la voir pâlir, fugace

Le crépuscule mourant vint rougeoyer à travers une crevasse :

Les collines, tels des géants assistant à la chasse, bien repus

Le menton dans la paume, observaient le gibier aux abois, perdu

« Que d’un coup de dague on achève la bête ! Droit au cœur,

qu’on la terrasse ! »

XXXIII

Aucun son ? Quand le bruit était partout ! Et j’entendis

Le carillon croître à mon oreille. Ces noms à mon oreille tendue

Ceux d’aventuriers perdus,

Mes pairs, celui-ci était si fort, celui-là si hardi,

Et l’autre si chanceux, et tous, vieux amis enfuis

Perdus, perdus ! Un instant sonna le glas de malheur et dans mille ans déchus.

XXXIV

Tous, debout là, alignés le long des collines, réunis

Pour me voir avant le grand départ, cadre vivant et plein d’espoir

D’un ultime tableau ! Sur une feuille en flammes dans le soir

Je les vis, tous je les reconnus. Et c’est alors qu’en un geste infini

Intrépide je portai à mes lèvres mon cor béni

Et sonnai.

Le Chevalier Roland s’en vint à la Tour Noire,

Robert Browning 1855

Première partie

Le Preux, le Naïf, et le Gueux

Prologue

La Grande-Bretagne dans le haut moyen-âge.

L’Empire romain qui avait poussé ses conquêtes aux confins du monde n’est plus que le fantôme de lui-même.

Une de ses plus belles colonies, la Grande-Bretagne, acquise dans la douleur et dans le sang sur près de deux siècles, est livrée à elle-même.

Elle est découpée en sept grands territoires : Au Sud, le grand territoire de Logres, avec à sa pointe, la Cornouailles ; à l’Ouest, le Pays de Galles ; au centre, la Carmélide ; au nord la Calédonie, le territoire des Pictes et tout en haut, l’Orcanie. Enfin l’Isle, située à l’Ouest, est le territoire des Scots (nom donné par les Romains aux Calédoniens, actuels Irlandais. Ce peuple qui envahira plus tard le nord de la Grande-Bretagne sera à l’origine du nom de ce pays : l’Écosse).

Des guerres incessantes entre petits rois et grands seigneurs pour acquérir le maximum de territoires font rage.

Des Vikings, des Saxons, des Angles et des Jutes font des raids réguliers afin de piller et s’installer dans les vertes vallées qu’offre l’île de Grande-Bretagne.

Sans compter qu’au nord du mur d’Hadrien, immense muraille dressée au nord de la Carmélide, sur toute la largeur de l’île par l’empereur romain du même nom au 1er siècle, qui n’avait pu pousser ses conquêtes plus loin et voulait empêcher des invasions par les Calédoniens, les Pictes et Calédoniens guerroient également pour redescendre vers le Sud.

Enfin à l’ouest, les Scots ne restent pas inactifs.

Ce ne sont que guerres, massacres, avec des coalitions qui se font et se défont au rythme des batailles.

Pour rajouter à cette tension, nombreux sont les gens qui deviennent adeptes de la nouvelle religion apportée par les Romains : la chrétienté. Les nobles sont les premiers à embrasser cette religion monothéiste. Des monastères sont construits, des églises, des cathédrales. On fait venir des évêques de Rome. Mais dans le petit peuple, les traditions sont dures et nombre d’entre eux ne veulent pas renoncer aux anciennes croyances et à ses multiples dieux. Ils prient les dieux de l’eau et de la terre pour avoir de bonnes récoltes, ainsi qu’une multitude d’autres divinités.

Des conflits éclatent, car chacun veut avoir raison.

Constantin II, roi légitime de Grande-Bretagne, installé dans le grand territoire de Logres, a bien du mal à régner sur un royaume en proie à la guerre. Il sera finalement assassiné par un picte.

Le roi avait deux fils, l’aîné Constant et le cadet Uther.

Les nobles ralliés à la cause légitime de la royauté se déchirent quant au futur roi, car Constant est faible, mais Uther est trop jeune.

Vortigern, le chef des Gewissae (issus du Wessex, sur les bords de la Tamise) et qui soutient Constant, convainc ce dernier de revendiquer le pouvoir, ce qu’il accepte.

Constant est roi, mais Vortigern gouverne dans l’ombre.

Pas pour longtemps, ce dernier fait rapidement assassiner Constant et se fait couronner roi de l’île de Bretagne.

On apprend rapidement que c’est également lui qui avait demandé aux pictes, par une alliance secrète, de faire assassiner le roi Constantin II, leur ayant même demandé la tête du roi pour preuve.

Les Pictes deviennent trop envahissants pour Vortigern qui s’allie aux Saxons (Vikings du Sud) pour se débarrasser d’eux.

Uther, dernier roi légitime, regroupe tous les seigneurs et petits rois derrière lui pour lutter contre l’usurpateur. Le roi de Galles, Ban de Bénoïc, roi d’un petit territoire de Bretagne française, le roi de Carmélide, le Duc de Cornouailles, le soutiennent.

Vortigern, empêtré entre ses alliances et traîtrises, est battu.

Uther est couronné roi de Bretagne. Il adopte le nom de Pendragon.

Son règne commence. Il arrive enfin à réunifier les territoires de Bretagne jusqu’au mur d’Adrien, au nord de la Carmélide, mais il est aidé dans son entreprise par un homme de l’ombre, le mage Merlin.

Tous les habitants du pays connaissent le nom de Merlin, mais personne ne sait exactement qui il est, d’où il vient, quels sont ses pouvoirs.

De nombreuses rumeurs circulent, on raconte qu’il est capable de se transformer en dragon ou de changer les gens en souris. Une chose est sûre, les gens le craignent.

Grâce à l’aide de Merlin, la Bretagne connaît une période de paix, mais le roi Uther tombe amoureux d’Ygraine, femme d’un de ses plus puissants vassaux, le Duc de Cornouailles, et mère d’une petite fille alors âgée de six ans, prénommée Morgane.

Le roi demande à son Mage et ami, Merlin de l’aider à séduire la belle.

Ce dernier accepte à contrecœur, mais exige en contrepartie que l’enfant qui naîtra de cette union lui soit confié.

Grâce à sa magie, il fait passer le Roi pour le Duc de Cornouailles, qui était parti à la chasse. Le roi va retrouver Ygraine dans sa chambre.

La jeune Morgane assiste à la venue de cet homme qui dit être son père. L’enfant, une petite fille aux yeux noirs et aux cheveux noirs comme la nuit, est qualifiée par son entourage, d’étrange, car depuis sa naissance elle possède certains « dons ». Quand elle voit l’homme qui dit être le Duc de Cornouailles, son père, elle sait que c’est un imposteur.

Ygraine ne le sait pas encore, mais cette nuit-là, elle tombera enceinte d’Uther.

Le lendemain, apprenant la supercherie, le Duc décide de se venger et part à la poursuite du roi. Il sera tué par les hommes de ce dernier.

Quelques mois plus tard, quand Uther épouse Ygraine, sa grossesse est visible de tous. L’enfant qui naîtra sera donc un enfant illégitime, un bâtard !

Quand l’enfant naît, Uther respecte sa promesse et le confie à Merlin.

L’enfant est nommé Arthur, ce qui signifie étymologiquement « roi des guerriers » ou « roi des ours ».

Merlin disparaît du paysage avec le jeune Arthur. Nul ne sait où il est allé ni où se trouve le jeune prince illégitime.

On raconte des histoires, des légendes, on affirme qu’il a rejoint une île invisible, d’autres disent qu’il a disparu à jamais dans les étoiles. Personne ne sait.

Le roi aura rapidement un autre enfant, légitime cette fois, mais ce sera une fille.

Il l’appellera Morgause.

Uther promettra sa fille, bien que toute jeune, au roi Lot, dont le royaume se situe en Orcanie, tout au Nord du mur d’Adrien, afin de se créer une alliance avec les Calédoniens, et les Pictes.

Les années passent et Uther tombe malade. Il commence à devenir fou.

Les gens oublient Merlin et Arthur. Ils doivent être morts.

Les Saxons et les Vikings reprennent leurs raids sanglants.

Deux des plus grands seigneurs qui soutiennent Uther périssent :

Le royaume de Bénoïc ainsi que son roi disparaissent dans les flammes. La reine est retrouvée dans des bois proches, errante… ayant perdu la raison.

Du jeune prince, fils unique du roi Ban, nulle trace. On pense qu’il a été enlevé par les Vikings.

Le royaume de Galles, avec la mort de son roi, sombre à son tour dans le chaos.

La reine et le jeune prince, unique héritier du royaume, quant à eux, disparaissent sans laisser de trace.

Uther a de moins en moins de soutiens.

Cornouailles est encore avec lui, mais dans le nord, le roi Lot, à qui Uther a promis Morgause se sent pousser les ailes du pouvoir. Il complote et finit par s’allier aux Vikings.

Le roi Uther est mourant, il marie sa fille au roi Lot, espérant sauver son royaume, ne comprenant pas qu’il le livre à ce dernier, sur un plateau.

Son état empire. Le roi n’est pas mort, mais c’est tout comme. Il reste inerte dans son lit, surveillé par une multitude de médecins.

Il n’est plus en état de gouverner.

Lot veut se faire couronner roi de toute la Bretagne, mais le roi de Carmélide et le jeune Duc de Cornouailles refusent.

La guerre est proche d’éclater à nouveau.

C’est alors qu’une légende commence à se répandre.

On raconte qu’il existe quelque part une épée, une épée invincible, et que seul le roi légitime de toute la Bretagne, celui qui sera amené à l’unifier à nouveau, ouvrant la porte à une ère de paix, comme jamais le pays n’en a connu, pourra la manier.

Mais qu’est-ce donc que cette épée, dont tout le monde parle, mais que personne n’a jamais vue ?

Où est cette épée ?

Où est ce roi légitime ?

Et puis un nom revient sur les bouches, Arthur…

Le jeune prince est-il vraiment mort ?

Son tuteur, le magicien Merlin, ne disait-on pas qu’il était immortel ?

Alors… légendes ? réalités ? Tout le monde attend, mais la guerre, initiée par le roi Lot, semble de plus en plus se rapprocher.

1

La fin

Des flammes.

Il fait froid. Je donne la main à un homme et nous marchons. Je ne vois pas son visage. L’herbe craque sous mes pieds, à chacun de mes pas. Je baisse les yeux, et observe le givre scintiller.

Nous marchons le long d’un lac. J’écoute le doux clapotis des petites vaguelettes soulevées par une légère brise. Je frissonne, mais je m’arrête regarder les reflets brillants sur la surface irisée de l’eau.

— Ne traîne pas, me lance l’homme en me tirant la main.

Nous repartons.

Des flammes. Le feu.

Je relève la tête. Nous sommes sur une côte, elle est rude, au loin, tout en haut, le ciel est rouge et a l’air de danser.

Derrière moi, il fait nuit, j’aperçois juste les torches des hommes d’armes de notre escorte. Ce sont elles qui faisaient briller les éclats de givre, ainsi que la surface du lac.

Elles sont nombreuses. Tant de petites lumières qui illuminent la nuit, comme autant de lucioles, animaux magiques et merveilleux.

Ce spectacle réjouit mes yeux et me fait oublier, l’espace d’un instant, la froideur d’un début de printemps, auquel l’hiver n’a pas totalement renoncé.

Des flammes. Le feu. De la chaleur.

L’homme me tire la main plus fort, il accélère le pas, je glisse sur le sol et tombe. Mon genou me fait mal, je vois du sang couler. Je me tourne vers lui, des larmes perlent à mes yeux, attendant un réconfort, une parole… un simple signe d’amour ou de compassion.

— Fais attention, me dit l’homme en me relevant. Il ne regarde même pas ma plaie et me tire le bras de plus belle. Nous reprenons l’ascension, épuisante, harassante.

Je me retourne encore une brève fois et regarde par-dessus mon épaule, les lucioles ou lumières ne sont plus que de simples points qui scintillent dans la nuit, avant de définitivement disparaître.

Des flammes. Le feu. De la chaleur. Des cris.

Nous sommes proches du sommet. Le ciel devant moi est entièrement rouge avec des reflets orangés. La côte est de plus en plus abrupte, l’homme glisse à son tour et tombe lourdement au sol.

Un bruit métallique.

Un objet roule au sol et commence à dévaler la pente. C’est une couronne. Une couronne d’or. Les reflets orangés du ciel lancent des éclats sur la couronne. Elle semble en feu.

Après quelques secondes, la couronne est happée par la noirceur de la nuit. Quelques tintements cristallins, comme une clochette, à chaque fois qu’elle rebondit sur le sol. Puis le silence.

Non… pas le silence, un murmure… qui vient du sommet… ou de derrière.

Des flammes. Le feu. De la chaleur. Des cris. Des mouvements.

L’homme jure en se relevant. Il jette un simple coup d’œil vers sa couronne que la nuit vient d’avaler. Il repart de plus belle vers le sommet s’aidant de la main gauche pour s’agripper à des racines, tandis que sa main droite me tire vigoureusement, me soulevant presque.

On dirait qu’il a déjà oublié sa couronne. Seul compte le sommet et cette lueur, de plus en plus vive. L’homme paraît inexorablement attiré par cette lumière, tel un insecte se dirigeant vers les flammes d’une torche.

Funeste destin auquel l’animal ne peut se soustraire.

Plus que quelques mètres.

Je n’en peux plus et me laisse tomber au sol. Mon genou me fait trop souffrir, ma main également. J’ai l’impression qu’elle est broyée par celle de l’homme.

Cette fois il ne dit rien, mais m’attrape sous son bras et me porte jusqu’au sommet.

Il me fait mal aux côtes, il n’a pas l’air de s’en soucier.

Enfin il me pose, ou plutôt… me lâche par terre.

Je me relève et me tourne vers lui pour exprimer mon mécontentement.

L’homme est debout.

Tout l’avant de son corps est de couleur rouge orangé. Il se tient droit, raide comme une lance de tournoi, immobile comme une statue, son regard est fixe, sa mâchoire est fermée, mais tendue. Ses yeux ont l’air de feu.

Son visage… Il ne m’est pas inconnu.

Je me tourne vers la direction où porte son regard.

Une vague de chaleur me brûle le visage, nous sommes au sommet, je ne m’en étais pas aperçu, un sommet abrupt, falaise de pierre dominant le monde.

Des flammes. Le feu. De la chaleur. Des cris. Des mouvements. Des hurlements.

Nous surplombons une ville fortifiée. Une incroyable citée faite de flammes.

Les yeux me piquent, mais je ne peux détourner le visage de ce terrible spectacle.

À l’intérieur de la ville, tout a l’air normal, en plissant les yeux, j’aperçois, des chevaux et du bétail dans les cours, des personnes qui déambulent rapidement dans les rues, comme des fourmis affairées.

Des bruits me parviennent aux oreilles… des chants, des roulements de tambours ?

Tout à l’air normal, si ce n’est qu’une muraille de flammes, d’une hauteur aussi incroyable qu’improbable, recouvre l’ensemble.

Le visage me brûle de plus en plus, mais je continue à regarder.

Alors je vois ! Les hommes et les femmes ne déambulent pas… ils courent en tous sens, en feu. Il n’y a ni chant, ni roulement de tambour, mais des cris, des hurlements de terreur, et des murs de maisons entières qui s’écroulent.

Je vois les flammes qui dévorent tout. Mes yeux s’écarquillent. J’ai l’impression qu’ils vont sortir de leurs orbites, tellement ils me brûlent.

Les cris sont de plus en plus forts, ils me vrillent les tympans, c’est comme si ces hurlements étaient dans ma tête.

Je me mets les mains sur les oreilles et tombe à genoux. Enfin, j’arrive à fermer les yeux et je hurle pour couvrir ces horribles clameurs qui me dévorent le cerveau.

— ARRÊTEZ ! PAR PITIÉ, ARRÊTEZ… JE VEUX QUE ÇA CESSE, QUE ÇA FINISSE, JE VOUS EN PRIE !

Mes poumons sont en feu, mais je continue à crier de toutes mes forces, jusqu’à ce que tout l’air de mes poumons soit consumé.

Au bout de quelques secondes, je m’arrête, au bord de l’asphyxie. Je n’ose pas décoller mes mains des oreilles, mais en même temps, je ne peux m’empêcher de le faire. Une force irrésistible m’enlève les mains de ma tête… Je dois savoir.

Plus un bruit. Un silence total. Le silence de la mort.

J’ouvre mes yeux. Ils me font terriblement souffrir et pourtant je me force à regarder. Je veux voir des mouvements, de la vie… mais il n’y a rien. Rien qu’une immobilité absolue.

C’est la fin… la fin de toute vie.

Un linceul de feu recouvre la cité entière.

Au-dessus de cette ville morte, les flammes dansent. Elles sont repues, et fêtent leur ignoble festin.

Je me tourne alors vers l’homme. Je cherche une lueur de vie, d’espoir.

Il n’a pas bougé. Il est aussi immobile que la Cité. Il n’a poussé aucun cri, aucun hurlement, il ne s’est pas jeté à terre, pour hurler sa rage et sa douleur.

Il est là, pétrifié. Sa douleur est incommensurable, mais reste muette.

Seul mouvement à la surface de son visage immobile, des flots de larmes qui coulent à n’en plus finir, s’échappant de ses yeux fixes.

Peu de larmes tombent au sol, beaucoup s’évaporent, sous la terrible chaleur.

Son visage… Je le connais…

Il ferme les yeux et reste encore immobile quelques secondes, puis… son corps bascule en avant, toujours aussi raide, comme une statue tombant de son piédestal.

Il tombe, sans un bruit, sans un son… sans un regard pour moi, et s’en va rejoindre sa ville, sa cité.

Un capitaine ne quitte pas son navire quand il coule. Un roi ne quitte pas son royaume quand il se consume.

Ils restent unis, dans la mort, à jamais.

Un instant avant qu’il ne rejoigne cette mer de feu, une flamme semble s’élever vers lui, comme une hideuse main saisissant sa proie avant de la dévorer.

Puis l’homme disparaît.

Pendant un instant, un bref instant, une fraction de seconde, j’aperçois son visage, une dernière fois.

Ce visage, je le connais, je le sais.

Mes oreilles entendent une voix qui hurle : PÈÈÈÈÈRRRRREEEEEE !

Cette voix est déchirée de chagrin, mais d’où vient-elle… ?

....

J’ouvre les yeux. Ils me piquent encore, je les referme.

Je m’aperçois que je suis en nage. De la sueur coule de mon front.

Je ne sens plus la chaleur, au contraire, j’ai l’impression d’une légère fraîcheur.

J’ouvre à nouveau les yeux. Il n’y a plus de feu, plus de flammes, je vois un plafond au-dessus de moi.

Je suis allongé dans un lit, je me relève.

Je me trouve dans une vaste pièce. Les murs, le sol et même le plafond brillent, comme s’ils étaient faits de verre.

Des torches accrochées aux murs lancent des reflets dansant et donnent vie à l’ensemble de la pièce.

… Lucioles… Pourquoi ce mot me vient-il à l’esprit ?

Pendant quelques secondes, je suis comme hypnotisé par les reflets orangés que lancent les torches sur la pièce.

Je ne sais pourquoi, mais une angoisse remonte de mes entrailles.

Je ferme les yeux pour me concentrer et chasser ce malaise, mais je perçois comme des cris dans ma tête, des hurlements de terreur.

J’ouvre de suite les yeux. Les cris sont partis. Les reflets orangés des torches… ne sont que des reflets.

Je m’assois dans mon lit et inspire doucement.

Je me sens mieux, je me sens bien, calme.

Je regarde mes mains. Qui suis-je… où suis-je ?

C’est seulement que je perçois sa présence.

Je tourne vivement la tête sur le côté.

Là, assise sur une chaise se tient une déesse, une princesse, une femme dont la beauté n’a nulle égale en ce monde.

Elle me sourit, et dit :

— Te voilà enfin réveillé, LANCELOT.

2

Le Maître d’armes

Lancelot sourit à la belle dame. Son esprit est redevenu clair.

— Viviane ! Ça fait longtemps que tu me veilles pendant mon sommeil ?

La jeune femme lui rendit son sourire.

— J’aime te regarder dormir, Lancelot. Je te vois grandir chaque jour, c’est incroyable. Tu es un beau jeune homme maintenant.

Le jeune homme qui avait complètement oublié son rêve, se leva et enfila rapidement une tunique légère.

Les paroles de Viviane n’étaient pas des paroles en l’air ; Lancelot était vraiment un jeune et beau garçon. Il devait avoir environ dix-huit ans, et sans être imposant ni trop grand, semblait taillé dans le roc. Ses muscles, bien que fins, saillaient sous sa peau. Il portait une chevelure brune et coupée court. Il avait des yeux vert émeraude.

— Toi aussi ma tante, ça fait combien de temps que l’on se connait ? Dix ans… Quinze ans ? Et tu n’as jamais changé. On dirait que tu as quoi… vingt ans ? Guère plus en tout cas, car tu es la plus belle femme qu’il ne m’ait jamais été donné de rencontrer, et pourtant… Je suis certain que tu es beaucoup plus vieille.

— Vieille ? Moi ? Jeune Godelureau, je vais t’apprendre la politesse, dit-elle en lui lançant une brosse à cheveux en argent.

Lancelot l’attrapa au vol sans cesser de sourire.

— Vieille, non mais… D’abord, mon âge ne te regarde pas, mais sache que je suis encore très jeune. Et puis question beauté, je crois que tu n’y connais pas grand-chose à propos des femmes, puisque tu n’es jamais sorti d’ici.

Lancelot baissa les yeux.

— C’est vrai, je ne suis jamais sorti d’ici. Je n’ai jamais rencontré d’autres femmes que toi. Mais je sais ce que je dis. Tu es belle, vraiment belle, ce sont mes yeux et mon cœur qui parlent, et je sais qu’ils ne se trompent pas.

— Je suis désolée, répondit Viviane, c’est vrai que tu n’es jamais sorti de ce Palais, car comme je te l’ai répété de nombreuses fois, cela viendra lorsque nous estimerons que tu seras prêt.

— NOUS ? QUI EST-CE NOUS ? Tu parles de ce fameux vieux fou qui dirige ce château avec toi ? Alors comment cela se fait-il que je ne l’aie jamais vu ? Hormis les serviteurs et gens du château, il n’y a que TOI qui diriges ce château !

— Chuuuut, répondit la belle Viviane en lui posant un doigt sur les lèvres. Merlin est là, mais ne peut se montrer à toi, car il doit s’occuper de quelqu’un d’autre, tandis que moi, je m’occupe de toi. Pour l’instant, pour des raisons que tu n’as pas à connaître, il ne faut pas faire interférer vos deux destins.

Mais rassure-toi, je te promets que très bientôt, tu pourras sortir.

Elle lui posa un léger baiser sur les lèvres, et termina. Prends tes effets maintenant, ton maître d’armes t’attend pour ta leçon quotidienne.

Elle tourna les talons et sortit de la pièce, sans un bruit, semblant glisser sur le sol. Lancelot ne le vit pas, mais une larme perla des yeux de Viviane.

Elle aimait le garçon, certes, toutefois elle l’aimait comme une mère. Elle ne pouvait expliquer pourquoi, mais son cœur était serré. Elle ressentait comme un manque, comme si… elle avait perdu un enfant. Pourtant ce n’était pas possible, elle le saurait si c’était le cas.

À chaque fois qu’elle avait parlé de ce sentiment à Merlin, ce dernier avait toujours fini par détourner la conversation, sans qu’elle s’en rende compte.

Sa magie était très puissante, et même elle, la fée Viviane, malgré tous ses pouvoirs, ne pouvait lutter… du moins pour l’instant.

Alors, son sentiment maternel s’était reporté sur Lancelot. Elle élevait le jeune garçon depuis qu’il avait trois ans, depuis cette fameuse nuit, où elle l’avait enlevé à sa mère, en le sauvant de ces terribles barbares.

Elle savait qu’il avait ces effrayants cauchemars. Peu à peu, ses rêves devenaient plus précis, et bientôt viendrait le jour où il se souviendrait de tout, et ce jour-là… il la haïrait.

Viviane frissonna à cette idée.

Malgré tous ses efforts, l’issue était inexorable, et de plus en plus proche.

Lancelot avait enfilé une armure légère en cuir souple que lui avait confectionnée Viviane, et se dirigeait vers la grande terrasse extérieure.

Une image fugace traversa son esprit. Une image de flammes remplies de cris. Il la chassa d’un mouvement de la main comme on chasse une mouche.

Après avoir traversé plusieurs salles, toutes plus belles les unes que les autres, il sortit du château de cristal et parvint sur la grande terrasse.

Le paysage alentour aurait saisi n’importe quel homme, tant il était incroyable. Au-dessus de ce magnifique château étincelant, on ne voyait ni nuage, ni soleil, ni ciel, il y avait uniquement de l’eau, de l’eau à perte de vue.

La luminosité était celle d’un matin de printemps, et elle variait au gré des heures et des saisons. Il arrivait qu’il y ait de la pluie, et même parfois de la neige, bien que le château se situa au fond de l’eau.

De temps en temps, on pouvait voir des poissons, avec de gros yeux et un air inexpressif qui passaient, attirés par la lumière que dégageait l’air scintillant qui servait de barrière entre le château et l’eau.

Un gros tronc d’arbre apparut entre deux eaux, il se dirigea droit vers le château, mais au moment où il allait traverser l’espace d’air scintillant, il sembla rebondir et repartit dans l’autre sens.

Lancelot, lui, ne prêtait même plus attention à cet environnement. Il avait toujours vécu là, et c’était chose naturelle que de vivre entouré de poissons et non de ciel ou de soleil.

Tout jeune, alors qu’il était âgé de six ans, il avait posé une question à Viviane :

— Maman ? Il l’appelait maman à l’époque, avant qu’elle ne lui explique que ce n’était pas le cas. Maman ?

— Oui, mon chéri ?

— Tu me dis que notre château se trouve au fond d’un lac.

— Oui, c’est exact.

— Alors pourquoi on ne voit pas la surface ? Et puis, l’autre fois, j’ai vu un requin marteau, et tu m’as appris qu’ils vivaient uniquement dans des océans. Alors, comment est-ce possible ?

— Tu as raison, ces animaux ne vivent que dans des océans situés dans des régions chaudes, et nous ne pouvons pas voir la surface au-dessus du château.

Et pourtant, nous sommes bien au fond d’un lac, assez peu profond, situé au cœur d’une forêt, la forêt de Brocéliande.

Mais en même temps, nous sommes ailleurs. C’est un peu comme si notre château se trouvait à deux endroits différents, et cela s’explique par une puissante magie qui est dégagée par la forêt elle-même et par le maître des lieux.

Mais c’est un peu difficile de comprendre ce principe à ton âge, et je ne m’attends pas à ce que…

— C’est un peu comme un univers parallèle alors ?

— … Viviane avait été sidérée à ce moment. Comment un enfant si jeune pouvait-il être si précoce ?

À dix-huit ans, Lancelot ne prêtait plus la moindre attention à cet univers marin les entourant. En arrivant sur la grande place extérieure, il n’avait d’yeux que pour le personnage qui l’attendait là, immobile, impassible, son maître d’armes.

— Lancelot, prêt à prendre ta leçon ? déclara celui-ci.

— Maître, répondit le jeune homme en s’inclinant. Cette fois, ce sera différent. Aujourd’hui, je vais vous battre.

Le maître d’armes sourit.

— C’est là tout le bien que je te souhaite. Mais sache que je ne te ferai aucun cadeau.

— J’y compte bien maître.

— Alors, en garde, mon jeune apprenti, dit le maître en tendant son épée bien droite devant son visage.

— En garde, répondit Lancelot, se mettant dans la même position.

Les deux hommes s’observaient, sans bouger. Une légère brise faisait voler les cheveux longs et blonds, presque blancs, du maître d’armes.

Le personnage était grand, il faisait prêt de deux mètres, il était longiligne.

Sa peau extrêmement claire et légèrement pailletée lançait des reflets brillants, comme le font les éclats de quartz dans le sable.

Il avait un très long nez, de grands yeux bleu acier allongés et de grandes oreilles, dont les pointes perçaient sa chevelure de chaque côté de sa tête.

C’était un elfe, dont la rapidité n’avait d’égale que la fluidité de ses mouvements.

Contrairement à Lancelot, il ne portait aucune armure, rien qui ne puisse entraver ses mouvements. La moindre blessure que pourrait lui porter le jeune homme serait à même de le transpercer, tellement il semblait fragile.

Et pourtant, à ce jour, jamais Lancelot n’avait réussi ne serait-ce qu’à l’effleurer.

Ce fut le jeune humain qui rompit l’observation et lança la première estocade.

Il frappa d’un mouvement vif et rapide.

En vain, dans un sourire, qui n’était en rien hautain, l’elfe esquiva l’attaque d’un simple mouvement du bassin. Dans la continuité de son geste, il imprima un coup tournant, qui manqua le jeune homme d’un rien.

Lancelot avait dû presque se jeter au sol pour éviter la lame, à moins que le maître d’armes n’ait fait exprès de le manquer.

Emporté par son élan, Lancelot fit une roulade et se releva immédiatement en se retournant face à son « ennemi ».

— Quelle impatience, dit ce dernier, ne t’ai-je pas appris qu’il fallait être calme avant tout, mon jeune apprenti ?

— Vous me sembliez un peu endormi,Maître, j’ai juste voulu vérifier…

Le combat reprit. Les deux hommes tournaient dans le sens horaire du soleil, d’un pas lent et calculé. Chacun étudiait les mouvements aussi imperceptibles de son adversaire, fût-ce un simple clignement d’œil.

Cette fois, les deux hommes se jetèrent simultanément l’un sur l’autre. Les gestes de Lancelot étaient vifs, précis et, face à un adversaire normal, chacun de ses coups aurait été mortel.

Extrêmement concentré, il attaquait de taille et d’estoc, feinte à droite, feinte à gauche, botte non connue de son adversaire… et pourtant…

L’elfe se mouvait avec une grâce et une gestuelle qui paraissaient totalement naturelles.

Aucun gaspillage ni mouvement inutile. On aurait pu presque croire qu’il lisait à l’avance les coups qu’allait porter son adversaire.

Lancelot malgré sa force, sa précision et sa rapidité était de plus en plus acculé. Il commença à fléchir sous la pression du Maître d’armes.

Il prit un coup au revers du bras, un coup fort et violent, suivi rapidement d’un coup de taille sur la cuisse.

Il saignait abondamment. Jamais jusqu’à présent son Maître ne l’avait ainsi blessé.

Le jeu n’en était plus un. Le regard de l’elfe s’était fait plus dur, à croire qu’il voulait vraiment la mort du jeune homme. Ses yeux avaient changé de couleur. Ils étaient à présent devenus presque noirs.

— Maître ? Qu’est-ce que…

Pour toute réponse, l’elfe bondit en avant et manqua la tête de Lancelot d’un rien. Une mèche vola, coupée, tandis qu’un trait sanglant marqua son visage au niveau de la pommette.

Le jeune homme ne se démonta pas ni ne s’affola, au contraire.

Après une énième roulade lui permettant d’éviter une attaque mortelle, Lancelot se releva. Il était calme.

Il ferma les yeux un instant et tous ses muscles se détendirent.

Quand il les rouvrit, son expression avait changé. Il ne paraissait ni sérieux ni concentré comme au début de son combat, au contraire, il paraissait totalement relâché. Son esprit était vide.

Cette fois, l’elfe chargea en premier.

Ce fut l’instinct qui fit bouger Lancelot, un instinct presque animal.

Les deux combattants se mouvaient de la même manière.

Les yeux de l’elfe étaient totalement noirs. Il était encore plus rapide qu’auparavant. Mais les mouvements de Lancelot n’avaient rien à envier à ceux de son Maître.

Un spectateur extérieur, s’il y en avait eu un, aurait presque pu croire à une sorte de danse synchronisée, tant leur gestuelle était parfaite.

La sarabande continua quelque temps, et ce fut finalement la force et l’endurance de l’humain qui eurent raison de la frêle physionomie de l’elfe.

Sur une ultime passe, Lancelot parvint à saisir le poignet de son adversaire et jeta ce dernier à terre.

Immédiatement, il posa la pointe de sa lame sur la gorge de l’elfe.

Ce dernier ferma les yeux et attendit le coup de grâce.

Le jeune homme leva son bras et plongea la lame droit vers la gorge du Maître d’armes.

Au moment où la pointe allait pénétrer dans la chair claire et pailletée, Lancelot détourna son bras, et la lame se planta durement dans le sol.

Il avait retrouvé ses esprits, et l’instinct de survie animale avait cédé le pas à la raison de l’être humain.

Une entaille rouge se dessina sur la gorge de l’elfe. Si elle n’était pas mortelle, elle n’en demeurait pas moins dangereuse, car assez profonde. Le bras du jeune homme avait détourné le coup mortel, mais pas tout à fait à temps.

Le Maître d’armes rouvrit les yeux, ils avaient retrouvé leur couleur originale.

Lancelot déchira prestement sa chemise qu’il portait sous son armure de cuir, et fit un garrot de fortune en appliquant un point de compression sur la plaie.

— Pourquoi ? demanda-t-il. Pourquoi as-tu voulu me tuer ?

L’elfe le fixa droit dans les yeux.

— Il le fallait, répondit-il avec lenteur. Il fallait que je te pousse dans te derniers retranchements. Je savais que tu étais prêt, mais… pas toi. C’était le seul moyen de te le faire découvrir.

— Mais… J’aurais pu te tuer.

— Mon rôle était de te préparer à être prêt… Quel qu’en soit le prix !

— Maître ! Ce n’est…

— Ne m’appelle plus comme cela. Je ne suis désormais plus ton maître.

Lancelot se redressa, il toisa l’elfe.

Il resta un instant interdit, ne sachant plus que dire ni comment réagir face à ce qui venait de se passer.

Le visage de l’elfe était blême, d’un blanc cadavérique, il commençait à tourner de l’œil.

— Il faut te soigner, vite, car tu perds trop de sang, ne bouge pas d’ici, je vais…

CLAP CLAP CLAP

Lancelot se retourna. Derrière lui se tenait Viviane, et à côté d’elle… un vieil homme courbé, appuyé sur un long bâton.

— … Merlin ! Ne put s’empêcher de s’exclamer Lancelot,ce ne pouvait être que lui.

Merlin qu’il voyait pour la première fois.

Le véritable Maître du château se tenait là, devant lui, et il applaudissait.

Lancelot était abasourdi, et n’arrivait pas à articuler un mot.

Le Mage était vêtu d’une longue houppelande bleu nuit, constellée d’étoiles, avec une capuche, qui cachait son visage, mais hormis cette tenue, il ressemblait à un simple vieillard.

Son bâton ! Le sommet de ce bout de bois tordu était orné d’une étrange pierre jaune. Cette pierre était… hypnotisante, elle semblait avoir des pulsations, comme un cœur humain.

— Bien, bien, dit le vieil homme. Il était temps. Je commençais à m’impatienter.

Bon ! Demain, tu sors.

Il tourna alors les talons.

— ATTENDEZ ! cria Lancelot. Il faut soigner mon Maître d’armes !

Le vieux mage se retourna.

— Ah bon ? … Si tu y tiens. Il fit un léger mouvement des doigts, puis se tourna à nouveau avant de disparaître dans une pluie d’étoiles.

— Mais… Il est parti ! … Et mon Maître ? Lancelot se tourna vers Viviane avec un air interrogatif.

Cette dernière s’avança en souriant.

— Ne t’inquiète pas, lui dit-elle en lui tournant délicatement la tête avec deux doigts posés sur sa joue. Regarde ton Maître d’armes, il est déjà guéri.

L’elfe allongé sur le sol était en train de dormir. Le morceau de toile que Lancelot avait posé sur l’entaille avait glissé au sol. De la plaie, il ne restait nulle trace.

L’image du corps de l’elfe sembla soudainement trembler, puis petit à petit devint translucide avant de disparaître complètement.

— Mais, que se…

— Je l’ai envoyé se reposer dans un endroit plus convenable que ce sol dur et froid, dit Viviane avant que Lancelot ne pose trop de questions.

J’aimerais maintenant que tu ailles te reposer, il est tard et demain la journée qui t’attendra sera certainement… inhabituelle.

— Comment ? Mais nous sommes le matin ! Je suis venu combattre le Maître d’armes il y a moins d’une heure, que dis-tu là ? Je… Lancelot s’arrêta brusquement en regardant le « ciel ». Tout était assombri comme si le soir était tombé et que la nuit approchait à grands pas.

Ce n’est pas possible, je ne suis pas resté si longtemps à combattre ?

— Le temps, l’espace… toutes ces choses-là ne sont que des notions relatives dans ce lieu, tu devrais le savoir, mon jeune ami.

— Et Merlin ? C’était bien lui, n’est-ce pas ? J’ai énormément de questions à lui poser ! Maintenant qu’il s’est montré à moi, je peux sûrement le revoir pour lui demander ?

— Chaque chose en son temps, répondit Viviane sans se départir de son sourire. Maintenant… Au lit, mon jeune chevalier, conclut-elle en lui posant un doux baiser du bout des lèvres.

Lancelot allait rétorquer quand il s’aperçut qu’il était seul… dans sa chambre.

— Peste soit des mages et de leurs tours de passe-passe.

Je vais sortir leur dire ce que je pense. Je ne suis plus un enfant à qui on dit d’aller se coucher tout de même.

Il commença à se diriger vers la porte quand il sentit une terrible fatigue le submerger.

C’est à peine s’il arrivait à maintenir ses yeux entrouverts.

Lancelot rejoignit tant bien que mal son lit en continuant à jurer… Peste soit de…

Et il s’affala lourdement sur sa couche avant de sombrer dans un puissant sommeil.

3

Ex Calce Liberatus

Arthur ? Où te caches-tu encore sacripant ?

Le vieil homme ouvrit la porte de la petite pièce qui tenait lieu de chambre.

Il n’y avait personne. Dans un coin se trouvait la paillasse qui servait de lit au jeune garçon recherché.

Un simple tas de foin recouvert par une vieille couverture.

La pièce était petite, mais lumineuse, car elle comportait une grande fenêtre. Au-dessous de cette dernière se tenait une table propre et rangée, avec dans un coin une plume d’oie et un encrier.

Contre le mur, une imposante bibliothèque garnie de nombreux volumes sentant le cuir.

Qui pourrait imaginer que dans une telle masure existait pareil gisement de connaissances.

Quelques parchemins étaient posés en tas sur le bord de la table.

Le vieil homme prit celui sur le dessus de la pile. L’écriture était fine et belle.

Celui qui avait écrit s’était appliqué, mais il était en plus doué… très doué.

Le vieillard était fier de son élève.

Il se rembrunit. Arthur était doué, certes, mais toujours en vadrouille. Il avait un caractère insaisissable… Comme son père… pensa le vieil homme.

Il se pencha à la fenêtre ARTHUR !

Pas de réponse.

— Bon, très bien. Aux grands maux, les grands remèdes.

Le vieillard sortit de la maison et se dirigea vers le puits situé dans la petite cour.

Il marchait lentement, les années pesaient sur ses épaules et ses jambes tremblantes. Il avait tout du pauvre hère, avec ses vêtements rapiécés, ses longs cheveux blancs en bataille, qui se mêlaient à une barbe hirsute de même couleur, et qui lui arrivait à la taille.

Ses yeux étaient ternes, recouverts d’un voile blanchâtre. S’il n’était pas aveugle, il souffrait d’une forte cataracte, et devait avoir une bien mauvaise vue.

Arrivé au puits, il tira la corde et remonta avec difficulté le lourd seau rempli d’eau. Ses vieux os craquaient à chaque mouvement.

Enfin, le seau émergea du puits.

Le vieil homme le posa sur le bord de la margelle en grimaçant, après ce dernier effort, il souffla.

Il ferma les yeux et fit une petite passe au-dessus de l’eau.

Immédiatement, celle-ci commença à se troubler, puis à faire des cercles, comme si l’on avait jeté un caillou en son centre.

Des couleurs apparurent dans l’eau, elles se précisèrent et une image se forma.

C’était un coin de nature, au bord d’une petite rivière, un jeune homme était en train de pêcher avec une sorte de harpon qu’il s’était taillé dans un bout de bois.

— Au bord de la rivière, très bien… dit le vieil homme.

Il releva la tête, ses yeux avaient complètement changé, et étaient à présent d’un vert émeraude très profond.

Soudainement il disparut, ne laissant derrière lui qu’une légère trace lumineuse qui se dissipa à son tour.

Arthur venait de lancer son harpon dans l’eau. Ce dernier se planta dans une grosse truite qui avait eu le malheur de passer par là.

Le jeune homme se jeta à l’eau pour attraper sa prise qui se débattait. Il ne vit pas la légère lueur qui apparut à une vingtaine de pas de là, dans les sous-bois.

Il attrapa le gros poisson et le leva bien au-dessus de sa tête en criant HOURRAH.

— ARTHUR !

Le jeune homme regarda en direction de la rive. Le vieillard se tenait là, il avait un air sévère.

— Grand-père, regarde ! … il montra le poisson qu’il avait pêché.

Regarde comme il est gros. Un immense sourire irradiait son visage.

C’était un beau jeune homme, à l’air sincère. Il n’était pas très grand, et assez fluet, mais on sentait qu’une grande intelligence émanait de lui. Ses yeux bleus brillaient d’intensité facétieuse, et les boucles blondes de ses cheveux mi-longs avaient tendance à lui donner un âge un peu supérieur à la réalité.

Il devait avoir entre quinze et dix-sept ans, mais en paraissait entre vingt et vingt-deux.

Le vieillard eut envie de sourire face à la joie communicative du jeune homme, mais s’abstint. Il fallait être sévère.

— Tu n’as pas vu l’heure ? Regarde le soleil, la matinée est déjà bien entamée. Tu n’as pas oublié que tu devais rédiger un parchemin sur l’étude des puissances militaires invasives de Grande-Bretagne avant le repas ?

Le vieillard posait les deux mains sur ses hanches pour se donner un air impatient.

— Tu n’as pas regardé sur mon bureau, grand-père ? Je me suis levé avant l’aube pour le faire. J’ai bien étudié les notes que tu m’avais données, et tout rédigé avant de partir pêcher.

— Ah ! Bon… c’est très bien. Le vieil homme était un peu gêné. Il avait houspillé son jeune protégé, alors qu’il n’avait même pas pris la peine de regarder tous les parchemins posés sur le bureau.

Bon, je dois aller au village, je vais prendre la carriole, je ne rentrerai qu’en fin de soirée. Ne m’attends pas pour déjeuner, et n’oublie pas, quand le soleil sera au zénith, le Maître d’armes viendra te donner ta leçon, ne sois pas en retard, et écoute bien tout ce qu’il aura à te dire et à te montrer.

— Tu ne mangeras pas cette superbe truite avec moi alors ?J’étais tellement content de l’attraper et je me réjouissais à l’idée de la cuisiner pour toi.

— Ne t’inquiète pas, je trouverai ce qu’il faut au village. Régale-toi avec ce poisson à midi. Tu as besoin de prendre des forces, contrairement à moi. Et surtout, n’oublie pas… Le Maître d’Armes !

— Je serai là, tu peux partir tranquille. Le jeune homme sourit en pensant qu’il préparerait la truite, mais ne la mangerait pas. Il la garderait pour la partager avec son grand-père, quand il reviendrait le soir, il lui ferait alors la surprise.

— À ce soir, fit le grand-père en se retournant. Il quitta le bord de la rive, et rentra dans les bois. Il marcha doucement et mit une bonne dizaine de minutes à rejoindre la masure qui lui servait de logis ainsi qu’à son jeune protégé, il ne voulait pas risquer qu’Arthur le voie se dématérialiser.

Une fois arrivé, le vieillard se dirigea directement vers l’écurie, ou du moins vers l’abri qui en faisait office.

Une vieille mule mangeait tranquillement son foin dans un coin, à côté d’un vieux cheval miteux. À l’opposé, une vache était pareillement occupée.

L’homme détacha d’abord la vache et la mena dehors. Allez, va plutôt manger de l’herbe fraîche, Ayrshire.

Il rentra à nouveau dans l’abri et détacha la mule. Il la mena par la longe jusqu’à une vieille carriole garée à l’arrière de la masure.

Après l’avoir attelée, il s’assit sur le siège et partit sur le chemin qui serpentait dans la forêt.

La charrette avançait péniblement, tirée par sa mule depuis une dizaine de minutes quand soudainement elle s’illumina avant de disparaître dans une nuée d’étoiles.

Au même instant, devant le château de cristal, sur la grande allée de graviers blancs, entourée de rosiers, apparut un cheval avec un cavalier.

L’équipage avait noble allure. Le cheval, un pur-sang arabe de couleur baie, marchait au pas, tenant bien droites son encolure et sa tête. Il avait une belle crinière blonde et longue. Ses sabots claquèrent de façon régulière et ordonnée quand ils passèrent de l’allée en gravier aux pavés de la cour.

Sur son dos se tenait un vieil homme. Il portait une longue houppelande bleu nuit constellée d’étoiles et d’astres. Ces dernières avaient l’air de se déplacer sur la robe, elles apparaissaient et disparaissaient dans un déferlement de lumières chaudes allant du jaune au rouge.

De sa main droite, il tenait fermement les rênes de son fier destrier, tandis que sa main gauche portait un long bâton en bois. L’extrémité supérieure était faite de racines qui s’entremêlaient et se défaisaient dans un mouvement continu, tels des serpents. Ils recouvraient et découvraient une pierre ronde et jaune dont la lumière palpitait, et dégageait une énergie impressionnante.

La capuche du vieil homme était ouverte sur ses épaules, il se tenait la tête bien droite. Il avait de longs cheveux d’une blancheur extrême, ainsi qu’une barbe, de la même couleur pure, finement taillée en pointe. Son visage était fortement ridé, mais ne faisait pas vieux, tant il dégageait de puissance.

Au-dessus du nez, deux yeux vert émeraude étincelaient.

Merlin, car c’était lui, assis sur la monture, regarda en direction du château qui s’offrait devant lui, aussitôt, deux écuyers surgirent de nulle part et se hâtèrent de tenir le destrier par la bride.

Le cavalier descendit souplement de sa monture, et se dirigea d’un pas rapide et sûr vers les portes de cristal, immenses et magnifiquement décorées.

À son approche, les deux portes s’ouvrirent toutes seules. L’homme traversa la grande salle d’entrée et continua résolument son chemin. Il traversa plusieurs autres salles toutes plus magnifiques les unes que les autres, puis arriva après une énième salle, à son but : une porte fermant une petite pièce.

Cette dernière était jolie, mais simple, beaucoup moins chamarrée que les précédentes qui débordaient de faste et de richesses.

Le mage alla au fond de la pièce et s’arrêta devant un mur totalement nu.

Son corps se reflétait dans ce mur tout de cristal, image fantomatique et déformée du puissant magicien qui se tenait devant.

Il leva son bras et mit sa main ouverte, les doigts serrés, tout contre la paroi, sans la toucher. Le mage fit alors des mouvements circulaires changeants en prononçant des paroles étranges.

— Agorwch dreigl y golau a rhowch fynediad i mi i sedd y pŵer.

(Ouvre-toi passage de lumière et donne-moi accès au siège de la puissance.)

Un point de lumière apparut en face du mage. Il partit dans deux directions en même temps, à l’horizontale, puis redescendit à la verticale jusqu’au sol.

Une forme de porte rectangulaire d’environ deux mètres sur un venait de se dessiner devant l’homme.

L’intérieur de la porte, délimité par les traits lumineux, commença à briller fortement, puis sembla se désagréger.

Bientôt, il ne restait rien si ce n’est un rectangle d’où émanait une puissante lumière blanche éblouissante.

Merlin pénétra dans la lumière et, pendant une dizaine de pas, marcha dans cette blancheur irréelle, où l’espace n’avait pas sa place.

Soudain, la lumière disparut. Le magicien se trouvait dans une grotte aux proportions impressionnantes.

Son sommet et les murs opposés se perdaient dans la noirceur, on ne pouvait en distinguer la taille réelle.

Au centre de cet immense espace, de la lumière et des mouvements.

Merlin s’avança dans cette direction. On aurait dit que le sol était fait d’un seul tenant, une plaque noire, lisse et brillante, parfaite.

Il fit une trentaine de pas et arriva au cœur de la caverne.

La lumière était très forte, rouge orangé, et la chaleur intenable.

Du feu liquide, magma issu du centre de la terre affleurait de deux grandes failles qui perçaient le sol en marbre noir, tels deux éclairs de feu, qu’un dieu aurait oublié là.

Des bulles de lave éclataient çà et là à la surface, dégageant des volutes de fumée acide à chaque fois.

Situées du côté extérieur des deux failles remplies de magma, deux énormes forges avaient été dressées, autour desquelles des hommes petits et barbus, vêtus de tabliers de cuir, avec des bras larges comme des cuisses, s’affairaient.

Plusieurs grands récipients de pierre étaient posés à fleur du magma. Dans chacun d’eux bouillait un liquide de métal brillant.

Un des nains prit une grosse pince de fer, dont les manches étaient recouverts de bois, et alla prendre un petit creuset de pierre.

Il le plongea dans un plus grand et prit un peu de liquide couleur argent. Il se dirigea ensuite vers un autre récipient dans lequel bouillait un liquide couleur or, et versa son liquide argent dedans.

Les deux matières se mélangèrent. Des dessins fantomatiques apparaissaient et disparaissaient à la surface.

D’autres nains tapaient sur des barres de métal, dans un bruit de martèlement métallique qui résonnait dans toute la grotte, éjectant des gerbes d’étincelles à chaque coup.

Merlin passa entre les nains sans un regard pour eux, et se dirigea entre les deux failles de lave.

Là au milieu, en plein cœur de la grotte, se dressait un mégalithe de pierre, énorme et translucide.

À l’intérieur même de cette pierre transparente brillait quelque chose qui ressemblait à une tige de métal.

Merlin se posta devant la pierre

— C’est pour aujourd’hui, je le sens

Il se mit à faire des mouvements des deux mains et commença à réciter une incantation.

— Trwy nerth ysbrydion daear a charreg, agor dy hun.

(Par la puissance des esprits de la terre et de la pierre, ouvre-toi.)

La pierre translucide devint alors de plus en plus claire, jusqu’à devenir entièrement transparente, quasiment invisible.

Et au centre, semblant flotter dans le vide, ce n’était pas une tige…

Mais une épée.

Merlin continua à faire des gestes et à parler dans une langue totalement inconnue et différente de la précédente. Il déclamait d’une voix forte et rauque nombre de formules magiques et puissantes.

-- aLakAzaM shalaKazam Mourabuir ETanAORT eTVoic IbouLet TE --

L’épée luisait par à-coups, comme si elle recevait des jets de force ou autre puissance, pure ou obscure, nul ne pouvait le savoir, hormis Merlin.

Un nain rejoignit Merlin. Il parut monter en s’appuyant sur le vide. Bientôt, il se trouva deux mètres au-dessus de l’épée qui flamboyait dans l’énorme rocher invisible.

Un autre nain, resté en bas, lui tendit une longue perche, au bout de laquelle était fixée une sorte de jarre en pierre.

Le nain situé au sommet ramena la jarre jusqu’à lui, déboucha un bouchon de liège, et versa son contenu dans un trou invisible.

Un liquide or-argenté commença à couler doucement. Il descendait en suivant d’invisibles tournants, hésitant parfois, remontant presque, mais au final, se dirigeant inexorablement vers l’épée.

Il finit par l’atteindre et la recouvrit entièrement. L’épée se mit à luire encore plus intensément.

Merlin continuait à déclamer ses incantations, encore plus fort, et toujours incompréhensibles pour le commun des mortels.

Kraft guDdommelig renHet STyrke ta dette sVerDet og gjøre det uoVERvinneliG.

(Puissance PureTé Divine foRce PReNds cEttE éPée et RendS-La iNvinCible.)

Soudain, l’épée sembla perdre sa lumière. Elle palpitait de plus en plus vite, mais perdait en intensité.

Puis la lumière disparut, complètement.

Merlin se tut et baissa les bras.

— Non, cela ne se peut… Ce n’est pas possible…

Dans une terrible déflagration, une gerbe de lumière explosa subitement de l’épée. Des blocs de pierre furent éjectés dans tous les sens, entraînant avec eux les deux malheureux nains.

Celui qui était au sommet et qui avait versé le liquide fut projeté à plusieurs dizaines de pieds et disparut dans la noirceur des confins de la caverne.

L’autre qui se tenait au pied du mégalithe fit des roulés-boulés après un long vol plané et atterrit derrière une des grosses forges où il resta inanimé.

Merlin subit également les effets de la déflagration.

En temps normal, il aurait facilement réussi à se protéger, mais la surprise avait été totale, et il n’avait pas anticipé pareille explosion.

Il fut projeté à plusieurs mètres. Il eut heureusement le temps de protéger son corps avant qu’il ne heurte durement le sol.

Le mage se releva doucement et épousseta ses habits. Il n’avait rien hormis quelques cheveux roussis.

Il regarda là où se trouvait précédemment le monolithe, mais il ne percevait rien. Trop de poussière volait encore dans la grotte.

On apercevait uniquement des sortes de cicatrices rouges au niveau du sol, provoquées par les failles de magma rougeoyantes.

Merlin fit une petite incantation et un vent fort se mit à souffler.

Les fumerolles de poussières et petits gravats furent poussés dans les tréfonds de la caverne.

Le Mage s’avança en direction du roc qui gisait au milieu de la caverne. Il passa près des deux énormes forges. Elles n’avaient pas bougé d’un millimètre. À côté d’elles, les nains se relevaient péniblement. Ils se frottaient le visage, ou se mettaient des claques pour retrouver plus vite leur esprit.

Merlin arriva devant le rocher, il était éventré, comme si l’explosion était venue de l’intérieur. Le vieux sorcier hésitait à regarder au cœur du roc largement ouvert, il redoutait de découvrir un triste spectacle. L’épée ne pouvait avoir résisté à une telle déflagration.

Il ferma les yeux et s’avança tout contre le trou béant du rocher.

Au bout de quelques instants, il se décida à ouvrir les yeux.

Là au centre, enchevêtré dans la roche, gisait un pauvre morceau de métal tordu, informe.

Merlin, de dépit, souffla. Il baissa la tête et referma les yeux.

Tant d’efforts, des mois, des années de travail, réduits à néant.

Il secoua la tête, comment allait-il faire… il avait besoin de l’épée pour l’élu, pour faire valoir son droit à la royauté.

Il rouvrit les yeux et regarda une dernière fois son échec.

Devant le Mage, à moitié enchâssée dans le roc, se dressait une épée.

Elle était simple, sans fioritures, mais… Merlin sentait son incroyable puissance.

Sa peur, c’était sa peur qui lui avait fait croire qu’il voyait un morceau de métal tordu, et non la réalité.

— ENFIN ! hurla le magicien, elle est PRÊTE ! L’épée parfaite, pour un roi parfait.

L’Épée retirée d’un rocher. Je vais t’appeler…

Il réfléchit un moment puis déclara solennellement : EXCALIBUR1.

4

La Dame du Lac

Des flammes.

L’homme est happé par les flammes. Son visage en feu se tourne vers moi.

Un instant, nos yeux se croisent.

Un simple instant.

Une éternité.

Mes oreilles entendent une voix qui hurle : PÈÈÈÈÈRRRRREEEEEE !

Cette voix est déchirée de chagrin, elle provient… Elle provient ? … De mes poumons, de ma gorge, de ma bouche !

Des flammes qui dansent.

Un poids immense pèse sur mon corps. Mes jambes me lâchent, je tombe au sol. Ma tête se cogne durement sur une pierre.

Des étoiles s’agitent et tournent dans une ronde endiablée devant mes yeux, c’est magnifique, mais… elles vont trop vite ! Mes paupières sont lourdes, trop lourdes.

J’entends des voix… Non, une voix… un cri.

Je veux voir, entendre, mais le poids du monde pèse sur mes yeux.

Ils se ferment.

Des flammes qui dansent. Des cliquetis métalliques.

Mes yeux s’ouvrent tout doucement.

Ma tête résonne, j’entends des bruits, des cloches métalliques, au son aigu. Les étoiles sont toujours là, mais elles s’agitent en tous sens au lieu de danser de façon ordonnée.

Je me relève. Dieu que c’est difficile.

Je suis Atlas, la voûte céleste repose sur mes épaules. Mes jambes tremblent.

Les étoiles ne sont pas devant mes yeux, elles se sont éloignées… Je veux les rejoindre. Je fais un pas, mais mon pied ne bouge pas.

Mon corps part en avant, je chute et je n’ai même plus la force de lever mes mains pour me protéger.

Comment a fait le Titan pour soutenir la voûte céleste pendant une éternité ?

Je tombe, je sombre.

Des flammes qui dansent. Des cliquetis métalliques. Des cris. Des chevaux qui hennissent.

Mes yeux s’ouvrent soudainement.

J’aperçois la lueur rouge orangé. Elle me paraît si loin.

Je tourne la tête de l’autre côté, les étoiles se sont rapprochées. Ce ne sont pas des étoiles, mais des lucioles, non… des torches.