La Source perdue - Vanessa Perron - E-Book

La Source perdue E-Book

Vanessa Perron

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Beschreibung

Pour notre ado préféré, l'aventure finale approche. Trouver la source d'Aura ne s'annonce pas comme une partie de plaisir... Pour commencer, les molvens des cinq Branches, que tout oppose, devront réussir à s'entendre. Et franchement, il n'y en a pas un pour rattraper l'autre! Sur la route, les obstacles s'enchaînent. Les Chasseurs de Traces, plus motivés que jamais, les dangers naturels, sans oublier les conditions de voyage déplorables : régime végétarien obligatoire, marche à pied et j'en passe! Mais surtout, cette présence, impalpable et maléfique, qui plane au-dessus de Daniel et de ses amis à chaque instant. Que s'est-il passé, plus de cent ans auparavant? Daniel est-il bien l'être désigné par les récits molfiques comme celui qui sauvera leur peuple? Et surtout, la source d'Aura les attend-elle réellement au bout du chemin?

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Seitenzahl: 320

Veröffentlichungsjahr: 2024

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DE VANESSA PERRON

LA TRILOGIE DANIEL ZÉPHYR

1. Au secours, mon double est un molven !

2. Le Pacte de Sève

3. La Source perdue

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

Chapitre 55

Chapitre 56

Chapitre 57

Chapitre 58

Chapitre 59

Chapitre 60

Chapitre 61

Chapitre 62

Chapitre 63

Chapitre 64

Chapitre 65

Chapitre 66

Chapitre 67

Chapitre 68

Chapitre 69

Chapitre 70

Chapitre 71

Chapitre 72

ÉPILOGUE

Remerciements

1

La Source était juste là. Si proche, presque à portée de main.

Il grimaça, ébloui par la lumière incandescente. Pour lui qui était rempli d’obscurité, de noirceur, la vision de la source était une souffrance absolue. Cette lumière insupportable le consumait de l’intérieur.

Il devait prononcer les mots. Maintenant.

Le spectacle était saisissant, plus que ce à quoi il s’était attendu.

La Sève d’Aura bouillonnait. Impatiente, elle courait, bondissait comme une enfant ; soudain explosait en gerbes aussi hautes que la montagne ; puis se faisait conciliante pour ruisseler dans un flot déterminé et puissant, droit vers son but.

Debout sur un promontoire rocheux, en surplomb de cet or vivant, il hésita un bref instant. Avança d’un pas, détourna les yeux.

Le froid envahit tout son être. Ces molvens allaient payer. Alors, d’une voix venue de nulle part, il prononça les mots.

2

C’est sûr, la température de l’eau se situe en dessous de zéro.

Techniquement impossible, dirait Nino. N’empêche qu’on se gèle au large des côtes de Fort-Briac, en plein mois de mars. Tout cela parce que Melig m'a conseillé de m’entraîner à nager sous l'eau, en prévision de notre grand voyage. Il est persuadé que je suis une personne spéciale car je porte la marque d’Aura à l’intérieur du poignet, il croit que moi seul peux aider les molvens à accéder à la source. Même si c’est stylé, je ne me sens pas pour autant l’âme d’un héros.

Chez les molvens, la Récupération touche à sa fin. Déjà, je sens Melig s'agiter. Bientôt, le Clan se réveillera et ces petits fumiers viendront me pourrir l'existence, comme ils savent si bien le faire.

Tout l’hiver, j’ai traîné des pieds, épuisé par la perspective de sauter dans l’eau glacée volontairement. Au lieu de cela, j’ai préféré faire deux ou trois essais plutôt réussis dans la baignoire.

Mais depuis un mois, je me fais violence. Tous les weekends, j’enfile la combinaison en néoprène achetée avec mon argent de poche et je me jette à l’eau.

Aujourd’hui, je suis seul. C’est préférable. Hier, une dame qui prenait un bain de mer m’a regardé de travers, comme si j'étais un dangereux criminel.

Je remplis mes poumons une nouvelle fois avant de plonger la tête la première dans une grosse vague pleine d’écume. Désormais, je nage comme un poisson. À force de volonté et d’entraînement, je suis parvenu à écarter de mon esprit toute pensée négative. L’eau ne me terrifie plus. Quand je pense à toutes ces années à revivre en rêve le jour de ma noyade, le jour où la mer m’a emporté et où Hazenor m’a sauvé des flots…

Il aura fallu l’échange approximatif de flux avec Melig pour que j’hérite de capacités sous-marines hyper utiles. Comme rester en apnée le temps d’un épisode de Frayeurs et Frissons, ou voir à travers l’obscurité grâce à mes rayons laser intégrés.

J’ouvre les yeux dans la mer sombre, émerveillé une fois de plus. Au cours de l'hiver, mes globes oculaires se sont recouverts d'une fine membrane protectrice. Je distingue avec précision les nuances verdâtres des algues qui ondulent au rythme des vagues, la forme des grains de sable en suspension, et même, en me concentrant plus que jamais, le mouvement des courants.

Les courants tièdes qui me poussent vers la plage n’ont pas la même texture que ceux, plus froids, moins salés, qui tentent de m’entraîner vers le large.

Je crois que je m’égare…

Suivant l’exemple de Swaziell dans l’Adèle, quand nous filions en direction de la Pointe Sainte-Ermeline à l’automne dernier, je rabats les bras le long de mon corps. Le froid paralyse mes orteils. Je m’obstine, bien décidé à ne pas me laisser dominer par les éléments, et plonge plus profond.

Près de la plage, les fonds sont sableux, ondulés par les vagues. En longeant les falaises, le relief sous-marin s’escarpe, rocailleux et coupant, parcouru par les courants froids et puissants qui me projettent sur les rochers. Je continue mon exploration vers la falaise, attiré malgré moi par l’écho d’une vibration inconnue qui chatouille ma conscience. En général, quand ça chatouille, il y a du molven là-dessous.

Les vibrations proviennent d’une ouverture dans la roche sombre, assez large pour que je puisse y entrer. Je ne m’y risque pas. En fouillant dans la mémoire endormie de Melig, je reconstitue à grand peine un souvenir indistinct.

« La Grotte aux Chants. »

Est-ce vraiment par hasard que j’ai trouvé cet endroit où sont entreposées les vieilles légendes molfiques, sous l’eau, bien à l’abri des curieux ?

Malgré mes efforts, je ne parviens à distinguer qu’un bruit de fond confus qui ressemble à un léger bourdonnement. Mal à l’aise, je m’éloigne de la grotte pour continuer mon exploration.

Respirer est un réflexe plus qu’un besoin, en ce qui me concerne. Une petite goulée d’air me suffit pour plusieurs minutes. Je dois me concentrer pour ne pas remplir complètement mes poumons avant de plonger. Au contraire. Si je ne veux pas rester à la surface comme une bouée, je dois me vider au maximum. Je descends alors dans les profondeurs, les yeux luisants, plein de curiosité devant ce monde liquide.

Sans m’en rendre compte, j’ai dérivé loin de la plage. Derrière moi, le phare de Fort-Briac se dresse, vertical et solitaire sur son îlot rocheux. Il est temps de faire demi-tour.

Alors que je m’apprête à rebrousser chemin par le moyen d’une pirouette sous-marine dont j’ai le secret, une nouvelle vibration résonne à mes oreilles. Plus basse, cette fois-ci, profonde et sonore, comme une corne de brume.

Allons bon. De quoi s’agit-il, cette fois-ci ?

Le son résonne de nouveau. Il se rapproche. Mes yeux perçants ne distinguent aucun mouvement particulier. Je frissonne et remonte à la surface pour me repérer.

Direction la maison.

3

– J’ai vu une émission, dit Boni en accrochant sa veste sur le porte-manteau du vestiaire. Si on plonge trop profond, on peut devenir fou.

– Sérieux ?

– Mais grave. (Si Astrid nous entendait, elle dirait que notre vocabulaire tient en trois mots. Difficile de prétendre le contraire.) Si on plonge trop profond, reprend Boni, on peut entendre des voix ou voir de petits éléphants roses ou je sais pas. C’est hyper dangereux.

Je ricane.

– Moi j’ai rien vu d’autre que des poissons visqueux…

– Ne rigole pas, c’est vrai ! insiste Boni. C’est à cause de la pression…

– De l’azote, intervient Nino. C’est la pression de l’azote sur le système nerveux qui donne des hallucinations. Cela s’appelle l’ivresse des profondeurs.

J’échange un regard complice avec Nino. Boni resserre les lacets de ses baskets, boudeur.

– C’est exactement ce que je disais… Tu te prends pour Superman, mais tu peux te noyer.

Je pousse du pied mon sac de sport pour le coincer sous le banc. Nous avons commencé un nouveau cycle : handball. Je suis d’une nullité navrante mais c’est toujours moins pire que le commando. Au moins, je peux me cacher en attendant que ça passe.

– Et ça arrive souvent ton truc, là, l’ivresse ?

– C’est seulement à partir d’une certaine profondeur, explique Nino.

Dans mon champ de vision, Valentin s’affale sur le banc en face de moi avec une mine de chien battu. Pire que moi le lundi matin.

Boni me pousse du coude.

– Natacha l’a plaqué, chuchote-t-il à mon oreille en le désignant du menton. C’est Clarisse qui me l’a dit.

Depuis qu’Hazenor a effacé les souvenirs de Natacha, je n’ai pas essayé de reconquérir mon ancienne petite copine. Tout l’hiver, je l’ai regardée, le cœur en miettes, sortir avec Valentin. En temps normal, je ne m’intéresse pas beaucoup aux commérages, mais celui-ci me remplit de joie.

Tout en faisant semblant de courir après le ballon, j’observe Valentin qui fait la tronche, et Natacha qui lui tourne le dos, en grande conversation avec Clarisse. Un coup de sifflet retentit dans le gymnase.

– Dis, souffle Boni qui regarde les deux filles, lui aussi. Tu crois que j’ai une chance ?

Je lâche un grognement horrifié.

– Avec Natacha ?

– Mais non, avec Clarisse.

J’ai eu quatorze ans la semaine dernière. C’est horrible d’avoir quatorze ans. Les filles se mettent à avoir des corps et tout ça. On dirait qu’elles le font exprès.

Je ramasse le ballon qui roule jusqu’à mes pieds et le lance de toutes mes forces, sans trop y croire.

Je n’en reviens pas. Je viens de marquer un but, pour la première fois de ma vie !

Je vous présente le nouveau Daniel Zéphyr, un modèle plus abouti que le précédent, qui nage comme un poisson, voit sous l’eau et, cerise sur le gâteau, marque des buts. Sans oublier mes dons de jardinage du tonnerre de Zeus. Les plantes vertes de la maison ne se sont jamais aussi bien portées. M. Kerjean en est vert de jalousie. Alors, je passe chez lui de temps en temps pour lui donner un coup de main. En plus, le nouveau Daniel Zéphyr est généreux.

Et le nouveau Daniel Zéphyr se jette des fleurs à tout bout de champ, ce qui me laisse supposer que Melig m’a transmis également une parcelle de son caractère.

Quelque part dans un coin de mon cerveau, Melig gigote. Le Réveil est proche.

Je dois attendre quelques heures supplémentaires pour sentir de nouveau sa présence, en cours de sciences.

La pendule de la classe indique 16h40 quand mon front commence à picoter. Je porte la main à la tête, machinalement. Quelque chose bouge aux contours de ma conscience.

« Y a quelqu’un ? » dis-je mentalement.

Pas de réponse. Pourtant, je comprends que c’est imminent. Le Clan est en train de se réveiller.

Mouette dessine au tableau une cellule qui ressemble à un champignon. Justement, je mangerais bien un petit champi, moi. C’est un signe qui ne trompe pas.

4

À la fin des cours, je me précipite pour raconter la nouvelle à mes copains.

– Le Clan est réveillé !

Le premier réflexe de Boni et de Nino, quand ils sortent du collège, est le même que celui du reste de l’univers : ils rallument leurs portables. Boni a rejoint le club. Il ne reste que moi, l’arriéré du numérique, le vilain petit canard de la technologie, le seul sans téléphone.

– Le Clan est réveillé, dis-je une nouvelle fois.

Nino, sourcils froncés, écoute un message vocal. Il remonte ses lunettes d’une main sur son nez pointu. Sur sa tempe, on distingue encore, de manière estompée, la marque plus large de ses lunettes de ski.

– Attends deux secondes…

Puis il s’éloigne de quelques pas.

Pendant ce temps, Boni fouille dans ses poches et déballe un casse-croûte de son papier aluminium. (C’est son deuxième réflexe, après le téléphone. Il a beau chercher à s’émanciper, on ne plaisante pas avec les bons petits goûters de maman Vaud.)

Quand Nino revient, je répète, un peu agacé :

– Vous avez entendu ? Melig est réveillé.

Nino plante ses yeux dans les miens.

– Ralf aussi est réveillé.

Aïe.

Revenons un tout petit peu en arrière. Avant l’hiver, Melig, Swaziell et moi-même avons échappé de peu aux Chasseurs de Traces, organisation dirigée par le glacial Docteur Van der Nadel, biologiste ascendant psychopathe.

Pour nous tirer de ce mauvais pas, Nino a sacrifié la réserve de barbarium qu’il conservait dans son pendentif en la diffusant dans l’air conditionné du bunker où nous étions retenus prisonniers.

Seulement voilà, on ne connaît pas bien les effets du barbarium. Les affreux se sont retrouvés dans les vapes. Ils ont été transférés à l’hôpital où ils dorment depuis des mois comme Blanche-Neige qui attend son prince.

Ralf, le demi-frère de Nino, fait partie de la bande. Ses parents ont interrompu leurs explorations du bout du monde pour revenir à son chevet.

– Réveillé genre réveillé ? demande Boni, la bouche pleine.

Un frisson me court le long du dos.

– Ma mère vient de m’appeler, confirme Nino. Il est en bonne santé.

Par égard pour Nino, je me contente de grimacer, même s’il n’y a pas lieu de se réjouir. Si les Chasseurs se réveillent, ils risquent de se remettre sur la trace des molvens.

– Il se rappelle ce qui s’est passé ?

Nino hausse les épaules. Une grappe de filles de troisième nous dépassent, que nous suivons tous les trois des yeux.

– Sais pas. D’après ma mère, il était étonné et confus. Mais bon, connaissant Ralf, difficile de savoir s’il est amnésique ou si c’est juste le vide sidéral entre ses oreilles…

Je lâche un petit rire nerveux.

– Il parle ?

– Ma mère m’a dit qu’il répète en boucle « tiens, un petit fouineur, tiens, un petit fouineur ! »

Je déglutis péniblement. Le petit fouineur, ce doit être moi.

– Il est trop tôt pour se prononcer, me rassure Nino. Il a des souvenirs. Cela ne veut pas dire qu’il parviendra à les relier à quelque chose de précis. Pour l’instant, il va rester quelques jours en observation à l’hôpital. Je vais lui rendre visite. Je verrai vite s’il est réellement amnésique ou s’il fait semblant.

– Fais gaffe à ne pas réveiller ses souvenirs en lui posant des questions, intervient Boni.

– Oh ça va, je suis pas complètement débile…

Agacé, Nino défie Boni du regard. Celui-ci tord sa mèche en marmonnant puis roule en boule son papier alu.

– Moi je dis ça…

– Par contre, concède Nino en tâtant son début de moustache (geste qui a remplacé son habitude de tripoter son pendentif), ce n’est pas nécessaire que Ralf tombe sur Daniel…

Je confirme. Ce serait dommage qu’il ait le déclic en me voyant débarquer.

Avant d’appeler les pompiers, Nino a fait le tour du bunker pour supprimer les preuves, effacer les images de surveillance et prélever les objets qui pourraient rappeler aux Chasseurs l’existence des molvens. Il a également fouillé la chambre de Ralf pendant son séjour à l’hôpital, vidé le contenu de son téléphone et piraté son compte internet à la recherche d’éléments compromettants.

À défaut de les stopper, cela devrait au moins les freiner.

5

Comme d’habitude, Melig se moque de moi avant même de dire bonjour.

« Hou là, c’est un sacré bouillon dans ton petit cerveau d’ado », rigole la voix rauque dans ma tête.

Sur le fond, je ne peux pas lui donner tort. Je suis allongé sur mon lit, les mains repliées derrière le cou, et je rêvasse les yeux ouverts. À Ralf qui vient de rentrer chez lui, frais comme un gardon mais amnésique (demi-soulagement) ; à ce qu’on va manger ce soir (anticipation) ; à Rose qui chantonne à deux mètres de moi, assise par terre (prise de conscience de l’absolue nécessité d’avoir ma propre chambre) ; enfin, aux garçons de 14 ans qui regardent les filles de 14 ans qui elles-mêmes regardent les garçons de 16 ans (interrogation existentielle). Et cela forme un bon bouillon, c’est vrai.

En entendant Melig rire aux éclats dans mon crâne, je me lève d’un bond et jette un coup d’œil par la fenêtre, en direction du Bois Perdu.

– Qu’est-ce que tu fais ? demande Rose en levant son petit nez curieux.

– T’occupe.

Je lui tourne le dos. Je n’ai plus l’habitude de communiquer avec Melig. Je creuse. Pas de connexion.

« Ha ha ! »

Je rectifie, connexion à sens unique.

« Viens sous le Gardien de la Porte, m’ordonne Melig. Cela m’évitera de gaspiller de la Sève pour rien. »

– Ouf ! soupire-t-il en me voyant. Je suis content de pouvoir m’échapper un moment. Surtout, si elle te pose la question, ne lui dis pas que tu m’as vu.

– Elle ?

– Swaziell, tiens ! Qui d’autre ?

Je trouve Melig un peu stressé, malgré des traits lisses qui font ressortir l’or de ses yeux. Il est fin et élancé comme une jeune branche qui se renouvelle après un long hiver d’attente.

Le Bois tout entier s’est refait une beauté. Hormis le Vieux Pin qui reste tout noir, les arbres sont couverts de bourgeons dodus qui me donnent envie de les croquer. Si j’étais un molven, ou un faon, je veux dire.

– Elle me harcèle ! glapit-il en regardant autour de lui. À peine deux Tours que la Récupération est terminée, et elle m’a déjà demandé des centaines de fois quel serait mon Cadeau !

Je ris sous cape. Dans un moment de faiblesse, dû en partie à l’influence humaine de mon Flux sur son insensibilité de molven, Melig a promis à Swaziell une Déclaration lors de la Célébration, c’est-à-dire leur grande cérémonie du printemps.

Je suis impatient de voir comment il va s’en tirer…

– Qu’est-ce que je vais devenir ? (Je m’amuse bien. Pour une fois que c’est lui qui est en galère.) Aide-moi à trouver une solution, gémit-il. Je dois me sortir de cette promesse.

Je mobilise toutes mes connaissances en psychologie, ce qui me prend environ une demi-seconde.

– Pourquoi tu ne lui dis pas simplement la vérité ? Que tu as besoin de réfléchir, que tu n'es pas sûr ?

Melig étouffe un hoquet.

– Tu veux rire ? Une promesse, c'est sacré ! Elle va m'arracher les entrailles avec les dents !

Je m'arme de patience devant mon ami devenu hystérique à cause d’une histoire de cœur.

– Bon. Qu’as-tu promis exactement ?

– Comment ça ? Tu le sais bien.

– Je veux dire… En quels termes ? Quels mots as-tu utilisés, précisément ?

Il se frotte le sommet du crâne où quelques pousses vert tendre font une timide apparition parmi le feuillage sombre et terne qui le recouvre depuis la nuit où il a failli mourir sur la table d'examen, dans le bunker.

– Mhh… Je crois qu'elle a demandé : « Quand feras-tu enfin ta Déclaration, face de Bolgruve Cornu ? » Ce à quoi j'ai répondu : « Après le Réveil, lors de la prochaine Célébration. »

Je répète les mots lentement, en les décortiquant.

– « Quand feras-tu enfin ta Déclaration… » Pas « Quand me feras-tu enfin ta Déclaration » ?

– C’était sous-entendu… (Une petite lueur s'allume dans les yeux de Melig. Il vient de comprendre où je veux en venir.) Non… Je ne peux pas faire ça !

– Pourquoi pas ? Tu as dit que tu ferais ta Déclaration, mais tu n'as pas dit à qui…

Les yeux de Melig s'arrondissent au fur et à mesure qu'il envisage les conséquences et les possibilités qui s'ouvrent à lui.

– Faire une Déclaration à une autre ? Mais qui ?

Je hausse les épaules.

– Pourquoi pas Lizenn ?

– Lizenn ? répète-t-il avec une grimace horrifiée. Pourquoi Lizenn ? Et pourquoi pas Natacha, pendant qu'on y est ?

J'ai l'impression d'avoir reçu un coup de poing dans le ventre. Qu’est-ce qu’ils ont tous en ce moment ?

Melig se tord de rire.

– Ce n’est pas beau à voir, tout ce qui passe en toi !

Je rougis violemment et croise les bras, comme pour protéger l'intérieur de ma personne. J’en ai assez qu’il lise mes pensées.

– Oh, allez, ça va… Désolé. Je ne peux pas m'en empêcher, tu es si ouvert… Dresse quelques barrières, si tu ne veux pas qu'on ait accès à tes émotions. Je t'apprendrai, reprend-il devant mon air sceptique.

Je me dépêche de changer de sujet et demande des nouvelles du Clan. Pensif, Melig passe la main le long de son oreille pointue, puis penche légèrement la tête sur le côté.

– Le Clan va mal. Le Grand Bullier manque de vigueur. Il est très faible, Hazenor ne sait pas s'il va se rétablir. Il va nommer un Apprenti-Bullier.

– S'il est malade, c'est à cause de la Source bouchée ?

Melig écarte les mains en signe d'ignorance.

– Probablement. La Fontaine est à sec, elle aussi.

Je me souviens de cette fontaine au mouvement incessant, hypnotisante de pureté, qui jaillissait au cœur de la Bulle, au milieu de la clairière servant de lieu de regroupement aux molvens. Melig ne m'a jamais expliqué à quoi elle servait.

– Elle ne sert à rien, ajoute-t-il comme s'il avait lu dans mes pensées. (Je corrige, il a lu dans mes pensées). Pour nous, les Ondins, l'eau représente la vie. Donc non, il n'y a pas de conséquence à la disparition de la Fontaine, ce qui ne nous empêche pas d'y être très attachés. C'est comme, pour vous… (il se concentre pour chercher la bonne comparaison) …si la Joconde était détruite.

Je suis épaté par ses connaissances. Il a bossé, le petit.

– C’est un symbole, dis-je.

– Voilà. Comme la Déclaration, c’est symbolique, mais les molvens y sont attachés. Enfin, certaines plus que d'autres…

Je tombe des nues.

– Mais dans ce cas, pourquoi tu fais tout ce cinéma ? Une Déclaration ne va pas changer ta vie.

– Tu ne comprends pas !

Je confirme, je ne comprends pas. Swaziell est super, elle adore Melig et la Déclaration ne changera rien à son quotidien. J’en connais qui payeraient cher pour être à sa place.

– Si je me Déclare… reprend-il, une nuance d’angoisse dans la voix. Si je me Déclare, elle acceptera. Elle procédera à l’Échange. Et alors…

– Alors ?

– Alors, nous serons liés.

– Et donc ?

– Et donc, nous serons liés, répète-t-il. Moi, Melig, je serai lié à quelqu’un.

Je soupire bruyamment. On tourne en rond. Je crois que notre ami molven a développé une petite allergie à l’engagement. C’est encore plus drôle que sa phobie des serpents.

6

Cent et quelques Réveils plus tôt…

Accroupi derrière un bosquet touffu, Nurm épiait la jeune Hazenor, assise en tailleur devant la Fontaine, les yeux miclos. Hésitant, il roulait nerveusement entre ses doigts l’objet qu’il gardait sur lui depuis plusieurs Tours, dans l’attente du moment où elle serait seule.

Cet objet, il l’avait trouvé au fond d’une rivière, caché entre les Offrandes qui en tapissaient le fond. C’était un ovale presque parfait, lisse au toucher, brillant et doré comme les yeux d’Hazenor. Il n’avait jamais vu de pierre aussi exceptionnelle. Elle ferait un Cadeau idéal.

Il plissa les yeux et l’observa.

Demain, elle serait intronisée Sage. Elle en avait toutes les qualités, le calme, l’intelligence, la bienveillance, la générosité. Le Clan avait de la chance.

Nurm avança prudemment pour ne pas interrompre sa méditation et l’admira en silence, un instant de plus. Le bout de ses oreilles pointues dépassait légèrement du feuillage clair qui frémissait sous la brise de la Bulle, la toute nouvelle Bulle, dernière œuvre du vieux Sage qui se retirerait le lendemain pour laisser la place à la nouvelle génération.

Hazenor bougea légèrement. Quelque chose brilla autour de son cou, soudainement éclairé par la lumière oblique.

Nurm avança de deux pas, puis encore de deux pas, juste au moment où elle ouvrit les yeux.

– Nurm ? (Sa voix rauque lui picota agréablement la peau.) Tu as besoin de quelque chose ?

« J’ai besoin de toi », pensa-t-il aussitôt avant de chasser cette pensée pour qu’elle ne l’entende pas.

Il serra plus fort son Cadeau au creux de sa main. Il ne trouverait pas de meilleure occasion.

La jeune molven lui sourit gentiment.

C’est alors qu’il remarqua l’objet autour de son cou, un long collier composé de dizaines de perles minuscules, transparentes comme l’eau du ruisseau, minutieusement taillées en forme de Mille-plumes, les Offrandes préférées d’Hazenor.

Une main glacée enserra sa gorge. C’était l’œuvre de Galtiz, assurément. Personne d’autre n’était aussi doué de ses mains. Il avait dû y passer des Courses entières.

Ainsi donc, il s’était Déclaré, lui aussi. Et elle portait son Cadeau.

La jalousie le transperça de nouveau, plus vivement cette fois-ci.

– Tu voulais me dire quelque chose ? demanda Hazenor.

Un sourire serein éclairait son visage. Le sourire d’une molven amoureuse – d’un autre. Il serra la pépite tellement fort qu’elle s’enfonça dans sa paume.

– Je voulais te souhaiter bonne chance pour demain, articula-t-il finalement.

– Que la Mère t’entende, Nurm, répondit-elle.

Elle avait très bien compris ce qu’il s’apprêtait à lui dire, pensa-t-il. Comme c’était humiliant.

Au moment où il s’éloignait, la Sève aux joues, il fut frappé par un flot d’émotions provenant de l’esprit d’un autre molven qui arrivait dans sa direction. Il fit prestement quelques pas de côté et utilisa sa Sève pour rester hors de la vue du nouveau venu. C’était Tirtan, le jeune Conteur, aussi fier et vaniteux qu’un paon.

Lui aussi éprouvait des sentiments profonds envers Hazenor, comprit-il en sondant son esprit comme il passait à son niveau. Allait-il se faire éconduire ? C’était probable.

Nurm se tapit à une distance respectable des deux molvens, assez près pour ne pas perdre une miette de la scène, assez loin pour ne pas être repéré. Il était aussi doué pour passer inaperçu que pour cacher ses pensées.

Il vit Tirtan tendre ses deux bras pour saluer Hazenor, paumes vers le haut. Celle-ci se leva en signe de respect et inclina la tête.

– Que la Mère te protège, Apprentie.

– Que la Mère te protège, Conteur.

Tirtan eut un léger sursaut de recul. Nurm comprit qu’il venait de remarquer le collier, lui aussi, et d’en comprendre la portée.

Sa bouche se crispa imperceptiblement.

– Es-tu prête pour demain ? demanda-t-il, la voix haut perchée. C’est une lourde tâche qui t’attend.

– J’en suis consciente, dit Hazenor, et je l’accepte. Protéger mon Clan et mon Peuple sera toujours ma priorité. Je m’y engage solennellement.

Nurm s’efforçait de rester immobile. Tirtan était vexé qu’elle porte le Cadeau de Galtiz, il le devinait à son ton sec et légèrement méprisant. Hazenor restait impassible, polie mais forte comme le torrent.

– Occuper la Fonction de Sage, reprit Tirtan, suppose de se consacrer entièrement à son Clan. C’est la vie des molvens que tu tiendras dans ta main, l’équilibre du Clan, sa relation avec la Mère.

Tirtan jeta un coup d’œil furtif au collier et se racla la gorge.

– Il est de mon devoir de te mettre en garde. En tant que membre du Conseil, le Sage doit garder l’esprit libre. Tu vas réciter le Serment de Garolig, ajouta-t-il, dont il entreprit de déclamer les premiers vers d’un ton pompeux. « Maîtrise de soi et désintéressement je choisis, Mon lien privilégié avec la Mère je chéris, À l’écart des passions je me tiens… » La Fonction ne supporte pas de distraction, Hazenor, comprends-tu ?

Hazenor dirigea son regard lumineux vers Tirtan sans se départir de son calme.

– Je comprends très bien ce que tu essayes de me dire, Tirtan.

Nurm remua pour se dégourdir les jambes, dérouté par la scène à laquelle il venait d’assister.

Tirtan encourageait-il Hazenor à refuser la Déclaration de Galtiz ? Cela y ressemblait fortement.

Le plaisir coula dans les veines de Nurm comme un poison violent.

Galtiz était arrivé lors du même Réveil que lui. On les avait toujours comparés, implicitement. Galtiz, jeune Pousse, vif et charmant, et plus tard, Apprenti puis Artisan tellement prometteur, qui allait se lier à la belle et jeune Sage du Clan. Alors que lui, Nurm, ne se distinguait jamais, en rien. Il était un piètre Remercieur, et un molven médiocre, tout juste bon à réparer les branches cassées. Si le Grand Bullier ne l’avait pas pris sous son aile, il serait totalement invisible.

Toutefois, il avait un avantage sur Galtiz, un avantage de taille. Il le connaissait par cœur. Et surtout son principal défaut : son caractère impulsif et colérique.

Il suffisait de broder un peu autour des paroles de Tirtan. Si Galtiz imaginait qu’il avait ordonné à Hazenor de le refuser pour consacrer son existence à sa Fonction, il ne pourrait pas retenir sa fureur. Et alors…

Nurm repéra Galtiz de l’autre côté de la clairière, occupé à installer la grande marmite dont le Maître des Offrandes se servirait pour la Régénération. Il travaillait de manière efficace, heureux et détendu.

Plus pour longtemps, songea-t-il.

Il plaqua un air soucieux sur son visage avant d’interpeller celui qui avait été son frère, si peu de temps auparavant.

– Galtiz ? Tu ne devineras jamais ce que je viens d’entendre…

7

Le mercredi suivant, Boni et moi regardons de vieux épisodes de « Léopold et Clodomir ».

Léopold et Clodomir sont deux cousins, ni beaux ni moches, juste comme nous, à une différence près : ils sont un quart vampire du côté de leur pépé Fergus. Cela ne leur pose aucun problème existentiel, sauf lorsque quelqu’un se blesse ou saigne du nez. Là, ça les rend fous. Par contre, ils ne peuvent pas entrer chez les gens sans y être invités, c’est une spécificité des vampires.

Mis à part ces quelques détails, ils ont les mêmes problèmes que nous, avec l’école, les parents et les filles. Léopold a beaucoup d’assurance et un succès fou, il se met tout le monde dans la poche sans rien faire. Alors que le pauvre Clodomir est toujours à la traîne, quoi qu’il fasse.

Dans la vraie vie aussi, il y a les Léopold et les Clodomir. Avec Boni, on déteste les Léopold, mais on donnerait n’importe quoi pour en être un.

Pendant que Boni va chercher de quoi grignoter, je regarde par la fenêtre. À l’origine, j’avais envisagé de prendre le bus jusqu’à la plage, mais j’ai revu mes plans à cause du déluge qui s’abat sur Fort-Briac.

Entre deux épisodes, Boni parle en boucle.

Je l’écoute d’une oreille distraite en laissant vagabonder mes pensées.

Le Conseil s’est réuni : Le Grand Bullier, Hazenor et Tirtan. Le Chef, la Sage et le Conteur, les trois têtes du Clan. Ce sont eux qui forment le Conseil et prennent les décisions importantes. Sous la pression d’Hazenor, les deux autres ont accepté l’idée du voyage, et surtout de ma participation au voyage. La Quête de la Source perdue. Ça ressemble à un titre de film, non ?

Après de longues délibérations, il a été décidé que Galtiz, outre Melig et Hazenor, serait de la partie. Je ne sais pas si je dois me réjouir de sa présence. Depuis le début, il me met mal à l’aise. Il pense avoir déjà vu la Source, dans le passé ou dans ses songes. L’explication est plutôt brumeuse. Selon Melig, il était « en manque de Sève », ce qui explique pourquoi ses pensées sont brouillées. Il espère vaguement que les paysages réveilleront sa mémoire.

À mon avis, il veut plutôt venir pour garder un œil sur Hazenor. J’ai bien remarqué son attitude. Il serait prêt à tout pour elle.

J’ai demandé quand était prévu le voyage, parce que je me voyais mal disparaître sans explication et louper le collège.

– Collège, a répété Melig, la bouche pincée comme s’il disait un gros mot.

– Ce serait mieux pendant les vacances… Les grandes vacances, même.

Avec les copains, nous avons un plan.

Reste à peaufiner les détails.

8

La Bulle me semble familière, désormais, avec son chantant ruisseau cristallin, sans la moindre trace de déchets plastiques, et ses paysages bucoliques sans immeubles en arrière-plan. Quelques Artisans terminent de démonter de grosses boules végétales que j’identifie comme les cocons dans lesquels les molvens ont passé l’hiver.

– Va saluer le Grand Bullier et le Conteur, m’ordonne Melig. On est polis, chez les Ondins.

Ils sont polis, et moi je suis le Roi d’Angleterre.

Le Grand Bullier a une sale tête. Des cernes grisâtres creusent ses joues. Il me dévisage sans prononcer un mot puis se retire pour se reposer.

Le Conteur, lui, m’accueille avec fraîcheur. Il sonde mes pensées avec une force qui me déstabilise, fouillant chaque recoin de mon esprit, chaque pli où auraient pu se nicher des secrets inavouables.

Je rougis violemment face à cette intrusion. Depuis qu’une goutte de Sève se promène dans mes veines, les molvens me sondent à chaque occasion. Y a pas moyen d’avoir un peu d’intimité ?

– Bon, grommelle-t-il, apparemment satisfait de ce qu’il a trouvé dans ma tête. De toute façon, Hazenor n’a jamais écouté personne. Ce n’est pas aujourd’hui que cela va changer.

Ce type est tout sauf aimable. Il serait même du genre imbuvable.

Heureusement, Hazenor prend les choses en main.

– Laisse-moi te résumer nos réflexions, jeune Humain, annonce-t-elle après des salutations polies. J’estime qu’avant de te lancer dans ce voyage, tu dois être mis au courant de possibles… difficultés.

– Euh, dis-je en regardant Melig de travers.

Hazenor plonge ses yeux dorés dans les miens.

– Connaître les dangers est la meilleure manière de les anticiper de manière efficace.

– C’est ce que j’ai toujours dit, claironne Melig en me donnant un coup de coude. Hein ?

Je croise le regard de Galtiz, sombre et sérieux, parfait contraste avec celui de mon frère de Sève.

– Melig m’a informé qu’il t’avait conté le Chant de l’Origine, reprend la Sage. Tu connais donc l’histoire d’Aura qui s’est sacrifiée pour devenir la Source de laquelle sont nés les cinq molvens, à l’origine des cinq Branches de notre peuple ?

– J’en ai entendu parler. Mais… Je pensais que c’était une légende, dis-je avec une grimace d’excuse. Pas que les molvens étaient vraiment sortis de la source.

Galtiz fronce les sourcils.

– Peu importe, répond Hazenor d’un ton léger. Légende ou réalité, il existe bien cinq Branches : nous sommes les Ondins, molvens des eaux. Tu as déjà rencontré les Telluriques, je crois ?

Ma gorge s’assèche au souvenir des êtres rouges sous le volcan, et de leurs atroces cris paralysants.

– Rencontré, c’est un grand mot. Je n’ai rencontré que leurs mains.

Et j’ajoute intérieurement : « mais ça m’a suffi. »

– Bien, reprend Hazenor. La Montagne de Feu constituera notre première étape. Tu dois savoir que les Telluriques manipulent le feu et la roche avec aisance. Ils sont très méfiants. Il est probable que tu ne seras pas le bienvenu sur leur territoire.

Sans blague. Moi qui pensais qu’ils allaient me faire griller des saucisses au barbecue…

– Ils se déplacent vite. Ils savent se défendre et ils savent attaquer, poursuit Hazenor. Ce sont les plus belliqueux de tous les molvens.

Je répète bêtement :

– Belliqueux ?

– Agressifs, traduit Melig. On les surnomme « Têtes-de-Granit ».

Hazenor lui lance un regard d’avertissement :

– Ce que personne ne dira, bien sûr.

– Bien sûr, confirme Melig avec un sourire angélique.

On dirait Rose quand elle se prépare à faire une bêtise. J’objecte :

– Ils ont l’air dangereux. On est obligés d’aller les voir ?

– Ta peur est compréhensible, jeune Humain. Nous te protégerons. (Je laisse échapper une moue sceptique.) Pour répondre à ta question, la Source se tarit, nous en sommes sûrs, désormais. Pour lui rendre sa puissance initiale, une énorme quantité d’énergie est nécessaire, bien plus grande que celle d’un seul Clan, ou même d’une seule Branche. Souviens-toi des paroles du Chant : Au carrefour se rejoindront les enfants, cite Hazenor. Ensemble remonteront le chemin à l’envers, là où tout a commencé.

La voix rauque d’Hazenor se propage jusque dans mes veines. La brume dorée qui l’entoure scintille plus que jamais.

– Nous devrons trouver le moyen de développer une force suffisante pour reformer les conditions dans lesquelles la Source a été créée, ajoute-t-elle.

Mon cerveau tourne à plein régime. Un nouveau big bang ?

Un râle sourd s’échappe de la gorge de Galtiz, à ma gauche. Il a saisi sa tête entre les mains, le visage marqué par une profonde souffrance.

Hazenor pose une main légère sur son bras, ce qui semble l’apaiser.

– Créer cette énergie sera d’autant plus aisé que les molvens des différentes Branches associeront leurs Flux, explique-t-elle. (Je me tortille d’impatience.) Oui ? Pose ta question, jeune Humain.

– On ne pourrait pas commencer par les autres Branches ?

J’entends Melig émettre un petit rire étouffé.

– Si seulement on savait où ils se cachent !

J’ouvre de grands yeux.

– Quoi ? Vous ne savez pas où ils habitent ?

– Pas précisément. Nous avons perdu le contact depuis longtemps.

Hazenor plonge ses grands yeux dorés dans les miens. Encore une fois, je me sens tout ramollo comme une guimauve. Pour elle, je serais prêt à faire n’importe quoi, manger des racines ou sauter d’un pont. Pour elle, je me sens l’âme d’un Léopold.

– Les Champêtres sont installés dans les Plaines de l’Est, reprend-elle. De cela, nous sommes à peu près certains. En ce qui concerne les autres… Nous mettons tout en œuvre pour les localiser. Le Conteur et ses Apprentis fouillent dans les Chants du passé à la recherche d’indices, et le Bullier interroge les Anciens du Clan. Il a même contacté les autres Clans d’Ondins pour réunir le plus d’informations possible.

Il y a donc d’autres Clans d’Ondins ? Cette idée ne m’avait jamais effleuré.

Une ombre traverse mon champ de vision. Un peu plus loin dans la clairière, je vois Swaziell passer précipitamment, un bébé molven sous chaque bras, à la poursuite d’un troisième qui court en zigzag.

– Et ces Champêtres, ils sont comment ?

– Gloutons, rigole Melig. Ils passent leur temps à manger.

En voilà une bonne nouvelle.

– On devrait bien s’entendre, alors !

– Ils sont aussi gras que ton ami Boni, s’esclaffe encore Melig avant de baisser la tête devant Hazenor. Pardon.

– Ils sont très sociaux, explique la Sage. Et comme Melig l’a dit, ils cultivent la terre. Ce sont d’excellents producteurs.

– Ils portent des noms d’Offrandes.

Je tourne la tête vers Galtiz. Hormis ses grognements de douleur, c’est la première fois qu’il prend la parole depuis le début de notre petite réunion.

Lui-même semble surpris par sa propre déclaration.

– Je ne sais pas d’où me vient cette connaissance, ajoutet-il en secouant la tête. Elle est arrivée comme cela.

– Ce sont tes souvenirs qui remontent, l’encourage Hazenor. C’est bon signe.

Ils échangent un long regard silencieux, à tel point que je me demande quelles pensées secrètes ils peuvent bien échanger hors de mes oreilles.

– Et les autres ?

– Les Sylvestres… On en connaît peu à leur sujet. Nous savons qu’ils peuplent les forêts profondes et les marais. Ils sont particulièrement sauvages, même avec les molvens des autres Clans. D’après Roumadeg, ce sont les rois du camouflage. Les Glaciaires de leur côté, vivent dans les hauts reliefs, sur les glaciers. (J’ai bien entendu glacier ? Glacier de la famille de glace