Le Pacte de Sève - Vanessa Perron - E-Book

Le Pacte de Sève E-Book

Vanessa Perron

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Beschreibung

Alors que Daniel s'apprête à rencontrer le Clan, Melig brave l'interdit et lui propose un pacte. Et pas n'importe lequel : un Pacte de Sève. Dorénavant, leurs destins sont liés, pour le meilleur comme pour le pire. La complicité des deux Frères de Sève leur permettra-t-elle d'échapper aux multiples dangers qui menacent les molvens? Ou, au contraire, bouleversera-t-elle la petite vie bien ordonnée que Daniel s'est construite à Fort-Briac?

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Seitenzahl: 208

Veröffentlichungsjahr: 2023

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DE VANESSA PERRON

LA TRILOGIE DANIEL ZÉPHYR

1. Au secours, mon double est un molven !

2. Le Pacte de Sève

3. La Source perdue

Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2 : Melig

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5 : Melig

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10 : Melig

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18 : Melig

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26 : Melig

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35 : Melig

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45 : Melig

Chapitre 46

Chapitre 47 : Swaziell

1

Deux mains me tirent vers le haut.

Alourdi par mes vêtements trempés, et glacé par le vent hurlant, je me laisse porter par la silhouettee fine qui m’installe sur un lit sableux entre les rochers noirs.

L’eau ressort de mon nez et de ma gorge en un gargouillis interminable.

Au-dessus de mon visage, les yeux dorés me rassurent. Ils absorbent ma peur et me remplissent d’une douce chaleur. La créature bleutée, sous le clair de lune, est entourée d’une brume lumineuse. Sa voix rauque me calme. Elle s’active, fourre des feuilles dans ma bouche.

Je me réveille ailleurs, allongé dans un champ de coquelicots. Sur mon poignet, les cercles brûlent comme une marque au fer rouge.

— Comment as-tu fait pour tomber de cette falaise ? grogne mon père. Ta mère était folle d’inquiétude !

Je me lève pour lui faire face.

— Par le Cercle ! C’est le vent qui m’a poussé !

— Le vent ne pousse pas les gens en bas des falaises, intervient Natacha sans retirer ses écouteurs blancs.

C’est à ce moment-là que le sol commence à trembler. Natacha est obligée de s’accrocher à moi pour ne pas tomber. Je remarque alors son doigt terminé par trois cercles concentriques en relief, enfoncé dans la chair de mon bras.

J’entends qu’on m’appelle.

— Daniel ! Daniel !

Boni se matérialise à côté de moi, dans le couloir de l’aile B du collège.

— Viens, mon vieux ! Faut se tirer d’ici !

Le sol gronde et s’agite sous mes pieds, communiquant à mon corps une série de secousses croissantes. La marque sur mon poignet est en train de prendre feu.

— Daniel !

— Daniel ?

J’ouvre un œil. Rose, assise à califourchon sur mon lit, me secoue par les épaules.

— Debout, marmotte ! C’est la rentrée.

Épuisé avant même d’avoir commencé la journée.

Pourtant, je suis extrêmement heureux de retrouver mes amis tout à l’heure.

Je n’ai pas vu Nino de tout l’été. Il est allé prospecter avec ses parents au Vénézuela ou aux Îles Sous-les-Cocotiers ou je sais pas, à la recherche de métaux rares.

Par chance, j’ai eu l’occasion de croiser plusieurs fois Boni, entre mon retour de colo et son départ en vacances.

Car oui, surprise, j’ai finalement survécu à ces deux semaines interminables passées à patauger dans une eau glacée et à éviter de se faire assommer à chaque virement de bord par une barre qu’il ne faut pas appeler « barre », les mains gercées à force de tirer sur des cordes qu’il ne faut pas appeler « cordes ».

Heureusement que Rose était là pour démêler les algues de mes cheveux. Je me suis fait quelques copains d’infortune, mais aucun n’arrivait à la cheville de Boni. Aucun n’avait échappé à une éruption volcanique, aucun ne jouait d’accordéon mais surtout, aucun ne pouvait évoquer avec moi ce petit molven insupportable et beau comme un ciel d’été qui a changé ma vie au printemps dernier. Et ça, pour un copain, c’est quand même une qualité appréciable.

Horreur, il est presque l’heure de partir. Je m’habille à toute vitesse.

— Daniel, je te dépose au collège ?

Voilà mon père qui essaye de faire sa bonne action.

Je crie à travers la porte :

— C’est bon !

— Tu es sûr ? Pour ton premier jour ?

— C’est bon, je t’ai dit. (Puis j’ajoute à voix basse, en marmonnant.) Lâche-moi.

— Pourquoi tu es méchant avec papa ? intervient Rose, appliquée à lacer ses baskets à paillettes en tirant un bout de langue.

Je hausse les épaules et jette un coup d’œil machinal par la fenêtre.

Mon Bois Perdu, si vert et si frais quand nous nous sommes installés à Fort-Briac il y a six mois, prend des allures rousses. L’Adèle, en partie asséchée pendant l’été, est réduite à un fin ruban serpentant entre les arbres aux feuillages flamboyants.

Les noisettes seront bientôt mûres, me dis-je. Et les champignons.

— Pourquoi tu regardes sans arrêt par la fenêtre ? s’obstine Rose-la-Glu, bien décidée à me fatiguer dès le matin.

Je nie.

— Je ne regarde pas par la fenêtre.

— Si, tu regardes... Tous les jours, tu regardes.

Q’u ’est-ce qu’elle peut m’énerver ! Bon, c’est vrai, je regarde. Et alors... ? C’est interdit par la convention des droits de l’homme de regarder par la fenêtre ?

Je ne peux pas avouer à Rose que j’attends Melig. Que j’attends désespérément qu’il me laisse un galet ou me jette une poignée de glands dans la tronche pour se manifester, comme il sait si bien faire. Rien. Il doit être en train de s’empiffrer avant d’aller hiberner, le petit saligaud. Il m’a oublié.

Sans Melig, il me semble qu’une partie de moi a disparu. Quand il a prélevé mes larmes il y a quelques mois, nous avons échangé une parcelle de quelque chose, un brin d’âme qui a rendu Melig un milligramme humain, et moi un milligramme molven.

J’y ai pensé tout l’été. Peut-être est-ce pour cette raison que je me sens seul sans lui. C’est le Clan qui me manque.

2 Melig

Par la Mère !

Tout à l’heure, au Temps des oiseaux, Swaziell a piétiné ma récolte.

Heureusement que la Bulle est étanche ; sans cela, on aurait entendu ses cris jusqu’au fond de la Grande Eau du Nord.

Plantée devant moi, mains sur les hanches, elle m’a lancé un regard rempli d’éclairs capables de foudroyer n’importe quel molven.

— Q’u ’est-ce que tu lui trouves, à cette cruche ? a-t-elle vociféré, sautant à pieds joints sur mon joli tas bien régulier de cèpes craquants et odorants.

« Cette cruche », c’est Lizenn, la délicieuse petite Apprentie du Conteur.

— Calme-toi, Swaz’, ai-je répondu en contemplant tristement mes débris de champignons. Assieds-toi. Je t’explique.

Elle s’est assise, j’ai expliqué.

Je lui ai tout raconté. Ma rencontre avec les Profinteurs au Réveil dernier, Daniel et ses « amis », et surtout, la marque d’Aura que Daniel porte au poignet.

Je lui ai fait part de mes interrogations sur le mal qui frappe les Clans - est-il lié aux Profiteurs, comme je le crois ? Pourquoi la Sève se tarit-elle ? Provient-elle réellement de la Source d’Aura ? Et surtout, pourquoi cettee remarque sur l’Oublié dont Hazenor refuse de parler depuis lors ?

Swaziell n’a pas mis longtemps à se laisser convaincre par mes arguments. De toute façon, elle est folle de moi. Non, ce qui lui déplaît, c’est que je fasse appel à Lizenn qui a étudié les Chants Ancestraux lors de son Apprentissage de Conteuse.

Elle la déteste.

— Elle se donne de grands airs avec ses oreilles, sifflee-t-elle.

Swaziell fait une fixation sur les oreilles. Pas besoin d’être Sage pour comprendre qu’elle complexe sur les siennes, camouflées sous un feuillage volumineux.

— Elle leur a fait quelque chose, c’est évident. Personne n’a d’oreilles aussi pointues, répète-t-elle, levant les yeux au ciel et soupirant devant mon air sceptique. Ce que tu peux être naïf, Melig. Ça saute aux yeux.

Je n’ai jamais rien remarqué de tel. Mais il est vrai que je m’en fiche complètement. Et que je ne suis pas assez fou pour m’en mêler.

De mon côté, cela n’a pas été un gros sacrifice de faire les yeux doux à Lizenn. Elle est tout simplement adorable, délicate et sucrée comme une fraise du Bois.

Elle a promis de me conter les Chants Ancestraux. J’aimerais en entendre qui concernent l’Oublié. Et, goutte de rosée sur la girolle, elle est d’accord pour m’emmener dans la Grotte aux Chants.

En parallèle, j’essaye de convaincre Galtiz que nous devons agir, au lieu d’attendre passivement comme une bande de vieilles Papaves. Il acquiesce en paroles ; pourtant, quelque chose d’impalpable semble le retenir. À présent qu’il a retrouvé Hazenor, il n’est plus le même. Son océan de bonheur immense est régulièrement traversé par des vagues d’une gravité profonde.

Swaziell n’est pas étonnée par l’atteitude de Galtiz.

— Tu ne savais pas qu’il s’était Déclaré lorsqu’elle n’était qu’Apprentie ? Il n’y a vraiment que toi pour ne pas être au courant...

Galtiz et Hazenor ? F’ai toujours cru que c’était Tirtan, le Conteur, qui avait été amoureux d’elle.

Si Galtiz était effectivement amoureux d’Hazenor, je comprends mieux pourquoi il m’a secondé dans la quête de la Dentue Chauffe-Sève, en me faisant notamment cadeau d’un couteau de Cueilleur, au risque de s’attirer des ennuis. J’interroge Swaziell.

— Q’ue s’est-il passé ? Pourquoi l’a-t-elle refusé ?

Elle pince les lèvres et lâche d’un ton sec avant de tourner les talons :

— Sans doute qu’il fricotait avec une Apprentie-Conteuse.

3

Contrairement à mon rêve, le collège n’est secoué par aucun tremblement de terre. Et bonne nouvelle, cette année, je suis dans la même classe que Boni et Nino, grâce à l’allemand. Mon père avait raison, pour une fois, l’allemand c’est utile - pour être dans la même classe que ses copains.

Je savoure la douceur des rayons du soleil sur mon visage et mes bras pendant que des hordes de sixièmes effrayés courent dans tous les sens avec leurs lourds cartables sur le dos.

La cour n’a pas beaucoup changé. Mon regard balaye les alentours, puis je reconnais son dos. Je pense très fort : « Retourne-toi ». Mon vœu s’exauce soudain et Natacha me montre ses yeux chocolat. Sa peau est légèrement hâlée et ses cheveux plus courts qu’avant l’été.

Ma main se lève à mi-hauteur pour lui adresser un signe.

— Tu dis bonjour à Natacha ? hurle Boni en me poussant du coude.

Ma main retombe aussi sec.

— Pas du tout, je regarde ma montre, dis-je dans un marmonnement gêné.

Nino ricane. Qu’est-ce qu’il m’énerve... Et on n’est que le premier septembre.

À une époque pas si ancienne, nous avons été amis, Natacha et moi. Amis ou même un peu plus, jusqu’au moment où j’ai tout gâché. Ce n’était pas vraiment ma faute, mais celle de Melig qui s’est assuré que je ne pourrais pas révéler ses secrets. La situation s’est un peu détendue en fin d’année quand elle nous a secourus aux Monts Brûlés, mais pas assez pour que je parvienne à lui dire bonjour sereinement.

De toute façon, je le répète, les filles, ça n’a aucun intérêt.

Petite déception au niveau des profs : pas de trace de M. Legris. Dommage, j’avais fini par m’habituer.

Mouette est toujours là, par contre. Elle a gagné en calme et en assurance, s’exprime d’une voix plus posée. Au lieu de crier toutes les trois minutes, elle ne s’énerve désormais que toutes les douze minutes et demie, ce qui constitue un progrès. Bel effort, comme sur mon bulletin du troisième trimestre.

Non, la mauvaise nouvelle, c’est qu’on va devoir se coltiner Homère comme prof principal. Il est tellement vieux qu’on a tout le temps l’impression qu’il va s’effriter et puis non, hop, il se ranime et repart pour un tour.

Il nous a déjà informés que nous aurions un exposé à préparer en groupes sur « Madame de Chassembourg ». J’espère que c’est un roman de science-fiction mais vu le titre, j’ai un gros doute.

Nino a déjà plein d’idées pour l’exposé... Sans commentaire.

La première semaine file dans un tourbillon. J’ai l’impression de passer mes journées à remplir des formulaires et à faire signer mon carnet de correspondance à maman. Où sont passées mes années d’insouciance ?

Nous devons attendre le week-end pour trouver l’occasion de faire le point sur nos jeunes vies, samedi soir chez Boni, au-dessus de l’épicerie familiale. C’est agréable de se retrouver ainsi tous les trois. Il nous faut moins de deux secondes pour évoquer le sujet « Code Bleu ».

— Daniel, tu as vu Melig récemment ?

— Pas du tout ! Il m’invite puis disparaît pendant deux mois...

Nino a fait une de ces têtes en apprenant que Melig m’avait invité dans sa Bulle. Il était dégoûté. Encore plus que moi le jour où j’ai visité son château Route de la Côte. Eh oui, je n’ai pas de robinets en or mais moi, je suis invité VIP chez les molvens.

Enfin, à condition que Melig se manifeste un jour, bien sûr.

Cela m’angoisse un peu. Et si c’était un piège ? S’ils me gardaient en otage ou me découpaient en lamelles pour éparpiller mon cadavre à tous les vents, se vengeant ainsi des humains qu’ils tiennent pour responsables de tous leurs malheurs ? Et si les molvens rouges étaient là pour se venger, parce que je leur ai piqué une Dentue Chauffe-Sève ?

Et cette Bulle, qu’est-ce que c’est ? Tout ce que je parviens à me figurer, c’est une énorme sphère transparente sous la surface de l’océan, qui se balance au gré des vagues. J’aurais dû préciser à Melig que j’ai le mal de mer.

— Et Dr Maboul, tu l’as revu ? demande Boni.

— Non plus.

Dr Maboul, c’est le surnom que nous donnons au Dr Van der Nadel, l’homme mystérieux qui m’a abordé sur la passerelle. Il cherche des informations sur les molvens et compte sur moi pour le renseigner. D’après sa carte de visite, il travaille pour une organisation qui s’appelle « PS ». Malgré ses recherches, Nino n’a pas réussi à trouver qui se cache derrière cette structure, ni quel est son but véritable.

Boni mange un bonbon, et Nino étend ses longues jambes sur le sol. Il a beaucoup poussé pendant les vacances. Je trouve aussi qu’il s’est élargi. Lui autrefois si grand et maigre, d’une allure dégingandée, a pris quelques muscles discrets.

— Je fais des exercices avec Ralf, résume-t-il sobrement.

Boni ouvre de grands yeux.

— Ralf ? Ton crétin de demi-frère ?

Il hausse les épaules, remonte ses lunettes rectangulaires sur son nez pointu comme un bec.

— Pas si terrible quand on a l’habitude. Il m’emmène à son club de self-défense. Vous verriez ça !

J’ai du mal à imaginer Nino pratiquer un sport de combat. Un sport tout court, d’ailleurs.

— Ça doit plaire aux filles, commente Boni en rougissant légèrement.

Lui aussi a changé pendant les vacances. Le petit moineau essaye de prendre son envol. En arrivant au collège le matin, il frotte ses cheveux pour faire disparaître sa raie sur le côté et les sculpte avec du gel. La prochaine étape, c’est d’arrêter l’accordéon, mais il n’a pas encore trouvé le courage d’en parler à sa mère.

— Ton frère doit avoir plein de copines. Tu crois qu’il pourrait nous donner des conseils pour, euh, tu vois... ?

Là, je me dis qu’on a touché le fond. Entre un apprentininja et un joli-cœur en herbe, achevez-moi.

— Je ne sais pas, répond Nino, songeur. En dehors du sport, il passe son temps avec une armée de voyous, à faire des petits boulots dont il ne veut pas parler.

— Il fait du trafic de drogue ?

— Ou du trafic de barbarium ?

Nino fronce les sourcils et touche machinalement son pendentif.

— Ça m’étonnerait. Il ne s’y est jamais intéressé. Mais bon, certains seraient prêts à tout pour de l’argent, j’imagine.

Cette remarque me surprend.

— Ralf n’a pas d’argent ? Pourtant, tes parents...

— Mes parents sont très généreux, coupe Nino. Mais chez les Cavallo, il n’y a pas de place pour les paresseux ni les fils à papa. Chacun doit se donner les moyens de ses ambitions.

Je médite cette phrase en silence. Chez les Zéphyr, c’est tout le contraire : maman entretient toute la famille pendant que mon père se tourne les pouces dans son atelier.

Et ce n’est pas près de changer.

4

Sur les ailes... Viens sur les ailes...

— Lâche-moi un peu, dis-je dans ma barbe.

Viens sur les ailes de l’amouuur.

Je me faufile hors du salon pour fuir Rose qui s’égosille sur le nouveau tube désolant de la dernière casseuse d’oreilles en date.

Planer sur les ailes.

C’était une très mauvaise idée de lui offrir un micro pour son anniversaire.

Évasion ? Ça se tente. Je sors en douce par la porte de derrière et regarde autour de moi à la recherche d’un abri anti-atomique qui me protégera des assauts de Lalita Lou.

— Daniel ? T’es où ?

Vite, une planque. Je plonge dans la cabane construite par mon père cet été, pour Rose justement, à base de planches de récupération et de morceaux de bois flotté ramassés sur la plage. C’est la première fois que j’y mets les pieds. Sachant que mon père l’a construite, j’ai toujours mis un point d’honneur à ignorer son existence. Comme pour le grand tableau vert et moche au mur du salon, celui qui s’appelle « Miracle ». (Intérieurement, je l’appelle « Miraclure ».)

Un trou arrondi en guise de fenêtre, l’herbe sèche sous les pieds. Un peu tordue, pas très étanche ; pour être honnête, elle n’est pas si mal. Les éléments en bois flotté surtout, dégagent un charme et une odeur particulière. Ma petite âme d’aventurier s’agite à la pensée qu’il pourrait s’agir de débris de galions espagnols coulés au large de Fort-Briac il y a des siècles.

— Danieeel !

La voix de Rose s’éloigne. Je ris tout seul dans ma petite cabane. Elle ne me trouvera jamais. Hé hé.

J’étends les jambes pour me mettre à l’aise dans cet espace réduit qui me ramène quelques mois plus tôt, quand je me cachais dans le placard à balais du collège avec Boni.

Q’ue la vie était fade, avant Fort-Briac !

Je n’avais jamais remarqué toutes ces beautés qui m’entourent. À présent que j’habite à côté d’une forêt, je me rends compte que septembre est une période merveilleuse, temps des fruits gorgés de soleil, des senteurs de terre tiède et des feuilles qui craquent dans le sous-bois doré. Doré, comme des yeux de molven.

Il fait chaud. Zut, j’aurais dû amener quelque chose à boire. Mis à part un magazine sur les animaux et une vieille poupée dont on a coupé les cheveux en brosse, il n’y a pas beaucoup d’occupations en vue. Pour dire les choses clairement, au bout de cinq minutes, je m’ennuie comme un rat mort.

J’envisage de me faufiler à l’extérieur pour rejoindre le Bois Perdu, ou pour rendre visite à M. Kerjean, quand je perçois un léger craquement. Je reste immobile quelques instants, le cœur battant. Il y a quelqu’un derrière moi.

Je me retourne brusquement.

— Ah !

Comme si de rien n’était, Melig est en train de regarder tout autour de lui, apportant une odeur de miel et de châtaigne. Il contemple les murs et le toit de la cabane d’un air songeur.

— Je ne t’ai pas vu arriver, dis-je un peu bêtement, essayant de calmer les battements de mon cœur.

— Tu ne me vois jamais arriver, rappelle Melig.

Merci, je sais. Avec sa façon de se faufiler en douce, il est aussi insaisissable qu’un courant d’air. La seule fois où quelqu’un l’a surpris, c’était Rose, dans le Bois, le jour où cette frayeur subite l’a fait muer de l’avant-bras.

Je l’examine discrètement. Il semble un peu plus dodu qu’au printemps. Le Festin a dû être copieux.

Autre légère différence, sa peau a pris une teinte encore plus dorée, recouvrant la nuance bleutée que l’on devine toujours en arrière-plan. Apparemment, les molvens bronzent de l’intérieur.

— Un peu petit, cet habitat, commente Melig de sa voix rauque en tâtant les planches qui forment l’un des murs de la cabane. Poreux mais exigu.

Les molvens sont claustrophobes. Ils ont trop l’habitude de courir dans la forêt pour supporter un toit au-dessus de leurs têtes. L’enfermement, les humains, voilà ce qui les effraye le plus. Et dans le cas de Melig, les serpents à tête jaune.

— Tu as l’air en forme, dis-je en le détaillant.

— Ah oui ! Je suis bien régénéré, répond-il gracieusement. Regarde.

Il tend le bras et passe la main à travers une planche, puis la retire comme si de rien n’était. Je laisse échapper un hoquet.

— Tu passes à travers les murs ? J’en étais sûr... C’est comme ça que tu es entré dans ma chambre !

Melig rit devant mon enthousiasme.

— Je ne peux traverser que les surfaces poreuses, explique-t-il. Le bois, le sable, certaines roches... Ce n’est pas compliqué. Il suffit d’un peu d’entraînement. Et d’un peu de Sève. Tant qu’il y en aura, bien sûr, tant que la Source coulera.

Ah je me disais aussi, ça faisait longtemps qu’il n’avait pas radoté sur sa source. En garçon poli, je fais semblant de m’intéresser.

— Ta source est toujours bouchée ?

— Ma source ? Tu veux dire, la Source d’Aura.

Un rayon de soleil qui s’est glissé entre les planches dessine sur le sol une ligne orangée. Dehors, le vent bruisse doucement dans les feuilles.

— Oui, la Source d’Aura. Q’u ’est-ce que tu comptes faire ?

— Et toi, qu’est-ce que tu comptes faire ? me demande Melig le plus sérieusement du monde.

— Moi ?

— Oui, toi. Qui d’autre ?

Là, je suis obligé de sortir de la cabane pour pousser un hurlement de décompression. Je rêve. Pour me rendre dingue, il est encore plus doué que mes sœurs.

Viens sur les ailes... glapit Lalita Lou depuis la fenêtre encore ouverte de la cuisine.

Respirer l’air tiède du jardin et sentir sur ma peau le soleil de la fin d’après-midi me calme. À mon retour, je trouve Melig assis sur le petit tabouret que papa a bricolé pour Rose. Il tient à la main la poupée qu’il observe avec curiosité sous toutes ses coutures.

— Quel est cet affreux couinement ? demande-t-il en levant ses grands yeux lumineux vers moi.

Je mets quelques secondes à comprendre.

— C’est Lalita Lou.

— Très pénible, confirme-t-il avant de reprendre la discussion comme si de rien n’était. Bien sûr que j’ai une idée. Je suis assez génial dans mon genre, tu sais. (Je hausse les sourcils. Assez génial pour se jeter des fleurs, c’est sûr qu’il l’est.) Pour rendre à la Source sa puissance d’origine, la prochaine Célébration devra se tenir là-bas. La Célébration, je t’en ai déjà parlé ? C’est notre rituel du Réveil, celui par lequel nous nous régénérons et rendons hommage à la Mère pour ses bienfaits. La Célébration est conduite par le Sage de chaque Clan.

— Donc une fois la Source localisée, tu comptes envoyer Hazenor là-bas ?

— Oui, mais cela ne suffira pas. Pour que la Source soit régénérée en totalité et de manière durable... (Il fait une petite grimace d’excuse.) Il faudrait y associer un représentant des cinq Ancêtres.

Je ne comprends pas immédiatement.

— Quels Ancêtres ?

— Les cinq molvens nés du sacrifice d’Aura. Tu sais bien, le molven ondin, le molven sylvestre, le molv...

Il est dingue ou quoi ?

— Tu veux demander à un molven de chaque couleur de vous accompagner à la Source ?

— Ho, un peu de respect ! (Sa voix rauque monte légèrement.) Nous ne sommes pas des crayons de couleur.

Oups. Incident diplomatique.

— Pardon. Quel est le bon mot ?

— Les molvens de différentes Branches.

Je réprime mon amusement.

— D’ac. Tu veux demander à un molven de chaque « Branche » de vous accompagner à la Source ?

— En fait... (Il grimace de nouveau.) Je veux demander à un molven de chaque Branche de nous accompagner à la Source.

5 Melig

Je comprends à présent pourquoi une force inconnue me pousse vers Daniel depuis cette première rencontre au pied du Gardien de la Porte. Ce n’était pas le hasard. C’était la volonté puissante de la Mère.

Avec Lizenn, nous avons quitté la Bulle juste avant la Pleine. Elle qui ne sort jamais, tremblait de toutes ses feuilles. En prenant par le ruisseau, le trajet jusqu’à la Pointe n’a duré que quelques minutes.

Je n’étais jamais venu dans la Grotte aux Chants. Elle, si, plusieurs fois. Cela fait partie de son Apprentissage.

L’entrée se trouve à pic de la falaise, non loin de la plage sur laquelle Daniel a failli m’attraper lors du Réveil dernier.

Nous avons coulé dans l’eau fraîche et vivifiante jusqu’à atteindre un trou dans la roche sombre. Quel bonheur de retrouver son élément.

Dans l’obscurité, je ne distinguais que les yeux de Lizenn, qui m’a désigné un tunnel étroit dans lequel je me suis engouffré sans hésiter, bravant le courant qui venait à contresens.