La Vie de Bohème - Henry Murger - E-Book

La Vie de Bohème E-Book

Henry Murger

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Extrait : "BAPTISTE, seul ; il est au fond près du mur, et regarde dans la campagne. Quel est ce nuage de poussière ? Serait-ce déjà la voiture de madame Césarine de Rouvres ? On m'en verrait surpris, car il n'est pas midi, et M. Durandin n'attend cette dame qu'à deux heures. Mais ce n'est point une voiture. (Regardant avec plus d'attention.) Des jeunes gens avec de grandes pipes, des jeunes filles avec de grands chapeaux!..."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : • Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. • Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Personnages

DURANDIN, homme d’affaires : M. DUSSERT.

RODOLPHE, son neveu, poète : M. P. LABA.

MARCEL, peintre : M. DANTERNY.

SCHAUNARD, musicien : M. CH. PÉREY.

GUSTAVE COLLINE, philosophe : M. MUTÉE.

M. BENOIT, maître d’hôtel : M. BARDOU jeune

BAPTISTE, domestique : M. KOPP.

UN GARÇON DE CAISSE : M. GALLIN.

UN MONSIEUR : M. CHABIER.

UN MÉDECIN : M. RHÉAL.

CÉSARINE DE ROUVRES, jeune veuve : Mlle MARQUET.

MIMI : Mlle THUILLIER.

MUSETTE : Mlle PAGE.

PHÉMIE : Mlle P. POTEL.

UNE DAME : Mlle WILHEM.

UN COMMISSIONNAIRE, DOMESTIQUES DE CÉSARINE, INVITÉS.

Acte premier

Chez Durandin

Une maison de campagne aux environs de Paris. – Un jardin ; au fond, une balustrade donnant sur la campagne. – À gauche, un pavillon avec une fenêtre ouverte en face du public. – À droite, un banc de jardin. – Chaises.

Scène première
BAPTISTE, seul ; il est au fond près du mur, et regarde dans la campagne.

Quel est ce nuage de poussière ? Serait-ce déjà la voiture de madame Césarine de Rouvres ? On m’en verrait surpris, car il n’est pas midi, et M. Durandin n’attend cette dame qu’à deux heures. Mais ce n’est point une voiture. Regardant avec plus d’attention. Des jeunes gens avec de grandes pipes, des jeunes filles avec de grands chapeaux !… Je sais ce que c’est, c’est une caravane. Heureuse jeunesse ! riez, riez, vous qui n’avez pas lu M. de Voltaire… Mais, j’y songe !… quelle imprudence ! Prenant un livre qu’il avait oublié sur le banc. Si M. Durandin, l’homme chiffre, M. Million, enfin, comme dit M. Rodolphe, avait trouvé cet in-octavo, mon extraction était imminente. Voyons, M. Durandin m’a prévenu que l’on prendrait le café dans ce pavillon, que l’on n’a pas ouvert depuis trois mois ; mettons tout en ordre. Il entre dans le pavillon et ouvre les persiennes. – Après réflexion et en sortant. Ou plutôt, non, tout est bien comme il est, a dit M. de Voltaire : grâce à la poussière, ces meubles Louis XV ont un aspect plus vénérable ; je n’y porterai donc point un plumeau profane. Quant à ces populations d’araignées, elles donnent à ce lieu un caractère de vétusté tout à fait artistique ; je n’ôterai donc point ces araignées ; je regrette même qu’il n’y en ait pas davantage. Fermant la porte. Tout est prêt, et maintenant madame de Rouvres peut arriver.

Scène II

Baptiste, Durandin il a un carnet à la main, il entre par le fond.

DURANDIN, lisant.

« Paris à Rouen de 575 à 555, reste à 560. » Quinze francs de baisse, bravo !… c’est le moment d’acheter. À Baptiste sans se retourner. Baptiste, où est mon neveu ?…

BAPTISTE

Dans sa chambre, Monsieur.

DURANDIN, calculant toujours.

200 à 5,60, 112 000 ; 280 à 580, hausse probable, 116 000, 4 000 francs de bénéfice net. Se frottant les mains. Où est mon neveu ? Il reprend son journal.

BAPTISTE

Dans sa chambre, Monsieur.

DURANDIN, s’éveillant.

Hein ? quoi ? ce n’est pas vrai, j’en viens. À propos, elle est dans un joli état sa chambre. Vous n’en prenez donc pas soin ?

BAPTISTE

Pardonnez-moi, Monsieur, j’en prends au contraire un soin méticuleux : j’ouvre la fenêtre le matin et je la referme le soir.

DURANDIN

Et voilà tout ?

BAPTISTE

Et voilà tout, Monsieur. Je suis à la lettre les instructions qui m’ont été données par M. Rodolphe. M. votre neveu m’a dit, en venant habiter ce logement : « Baptiste, tu me plais infiniment ; mais si tu tiens à conserver mon estime, tu ne toucheras jamais à rien chez moi. Si tu avais l’imprudence de remettre mes affaires à leur place, il me serait impossible de les retrouver. »

DURANDIN

C’est donc pour cela que j’ai aperçu une paire de bottes sur la cheminée, et la pendule dans un placard ?

BAPTISTE

Je ne me rends pas bien compte du motif qui a fait assigner cette place à la paire de bottes. Mais quant à la pendule, c’est différent, et cela s’explique. À Durandin, qui prend des notes. Vous ne m’écoutez pas, Monsieur ?

DURANDIN

Et si, imbécile.

BAPTISTE

Je continue : la première fois que M. Rodolphe a vu la pendule en question, il voulait la jeter par la fenêtre.

DURANDIN, stupéfait

Par la… une pendule de quatre cents francs, en cuivre doré, avec un bronze représentant Malek-Adel !…

BAPTISTE

Oui, Monsieur, je le sais bien, Malek-Adel, par madame Cottin. Mais la pendule avait un défaut.

DURANDIN

Lequel ?

BAPTISTE

Elle marquait l’heure.

DURANDIN

Eh bien ?

BAPTISTE

Mon Dieu ! je sais qu’elle ne faisait que son devoir ; mais M. Rodolphe en juge autrement. Il ne veut pas, dit-il, de ce tyran domestique qui lui compte son existence minute par minute, dont les aiguilles s’allongent jusqu’à son lit et viennent le piquer le matin ; de cet instrument de torture, enfin, dans le voisinage duquel la nonchalance et la rêverie sont impossibles.

DURANDIN

Qu’est-ce que c’est que toutes ces divagations-là ? Il passe à droite. Oh !… ça ne peut durer plus longtemps ; M. mon neveu me rendrait fou comme lui… Heureusement madame de Rouvres arrive aujourd’hui ; elle est veuve, riche, elle est femme…

BAPTISTE

C’est son plus beau titre.

DURANDIN, passant à gauche.

Je ne te parle pas… Elle est femme, et ce que femme veut… Il faudra bien que M. Rodolphe redescende sur la terre pour signer au contrat. Il doit être dans le jardin à rêvasser à ses niaiseries ; va me le chercher.

BAPTISTE

J’y cours, Monsieur. Il s’éloigne par le fond à gauche, et au moment de sortir, il ouvre son Voltaire et continue sa lecture.

Scène III
DURANDIN, seul.

M. mon neveu est bien le fils de mon frère. C’est le même désordre d’esprit. La vocation ! l’art ! le génie ! et le père est mort en laissant des dettes que le fils s’apprête à doubler. Les arts ! les arts ! voilà-t-il pas une belle histoire et un joli métier ?… Mais je suis là… et bientôt j’aurai notre charmante auxiliaire flanquée de ses quarante mille livres de rentes, et j’espère bien… mais si, au contraire, M. le poète, le rêveur, résiste ; s’il refuse son bonheur, tant pis pour lui ! qu’il aille au diable !…

Scène IV

Durandin, Rodolphe, entrant par le fond à gauche ; mise négligée, excentrique.

RODOLPHE, du fond.

Est-ce que c’est pour ça que vous me faites venir, mon oncle ?

DURANDIN

Ah ! te voilà, cerveau brûlé.

RODOLPHE, avec gaieté.

Bonjour, mon oncle Million ; vous êtes de mauvaise humeur, je vais vous dire un sonnet… gaillard, ça vous déri… dera…

DURANDIN

Veux-tu parler raison une minute ?

RODOLPHE

Une minute ? volontiers, mon oncle, mais pas davantage, entendez-vous bien ? La minute est écoulée, parlons d’autre chose.

DURANDIN

C’est un parti pris, n’est-ce pas ? tu ne veux rien entendre ?

RODOLPHE

Mon oncle, je n’entends rien aux affaires ; faites-en, vous, faites-en beaucoup… je ne vous en empêche pas.

DURANDIN

En vérité ? et tu feras, toi, des odes à la lune, n’est-ce pas ? et tu maudiras le siècle égoïste qui refusera de te nourrir à ne rien faire ?

RODOLPHE

Erreur, mon oncle, grave erreur ! Je ne m’assois pas au banquet de la vie avec l’intention de maudire les convives au dessert ; au dessert je roule sous la table ; et ma muse, une bonne grosse fille à l’œil insolent, au nez retroussé, me ramasse, me reconduit au logis en trébuchant, et nous passons la nuit à rire ensemble de ceux qui nous ont payé à dîner. C’est de l’ingratitude si vous voulez, mais c’est amusant.

DURANDIN

Et qu’est-ce que ça te rapporte ça ?

RODOLPHE

Ce que ça me rapporte ?… absolument rien, pour le moment ; mais ça me rapportera plus tard. Vous avez étudié les hommes, et vous spéculez sur les télégraphes ; vous vivez de votre expérience, moi je veux vivre de mon imagination ; je ferai tout ce qu’on voudra : du triste, du gai, du plaisant, du sévère ; je ferai du sentiment à jeun et de la gaudriole après le dîner. Se frappant le front. Mes capitaux sont là. Une entreprise superbe sous la raison Piochage et compagnie. Capital social : courage, esprit et gaieté.

DURANDIN

Mais en vérité je suis bien bon de t’écouter. Madame de Rouvres arrive aujourd’hui, dans une heure.

RODOLPHE

Vous faites bien de me prévenir, mon oncle. Je m’en vais tout de suite. Il remonte.

DURANDIN

Un pas de plus, et je te déshérite.

RODOLPHE, s’arrêtant.

Fichtre ! je demande à m’asseoir.

DURANDIN, s’asseyant sur le banc avec son neveu.

Écoute, mon garçon : autrefois, tu as fait la cour à madame de Rouvres, tu as été empressé, assidu auprès d’elle tout un hiver…

RODOLPHE

Je ne puis le nier, mon oncle…

DURANDIN

Au printemps, nous avons passé un mois à sa campagne, et entre nous ces promenades dans les allées solitaires du parc…

RODOLPHE

Chut !… soyez aussi discret que moi, mon oncle.

DURANDIN

Je ne te fais pas de reproches, au contraire, tu as bien fait, c’était un coup de maître ; car elle est très riche, et elle t’aime.

RODOLPHE

Elle m’aime ?

DURANDIN

J’en suis sûr.

RODOLPHE

C’est une femme d’esprit, elle comprendra que je ne veuille pas l’épouser.

DURANDIN

Tu ne veux pas l’épouser ?

RODOLPHE

Je ne l’ai pas promis.

DURANDIN

Promis… Ce garçon-là est d’une outrecuidance…

RODOLPHE

Mais, non, mon oncle, je veux rester garçon, voilà tout.

DURANDIN

Mais, malheureux, madame de Rouvres est jolie !

RODOLPHE

Je le sais, mon oncle.

DURANDIN

Eh bien ?

RODOLPHE

Eh bien ! tant pis pour les autres.

DURANDIN

En l’épousant, tu aurais, du côté de ta femme seulement, quarante mille livres de rentes… Tu aurais une position calme, tranquille, tu aurais des enfants.

RODOLPHE

Oui, c’est ça, beaucoup d’enfants et des lapins ; merci, ça ne peut pas m’aller. Il me faut de l’air, de la liberté, une vie accidentée, orageuse si vous voulez… quitte à ne pas dîner tous les jours, ça m’est égal. Les jours de bombance, je mangerai pour un mois.

DURANDIN

Tu ne feras jamais rien de ta vie, tu suivras les traces de ton père.

RODOLPHE

Ah ! mon oncle, ne parlons pas de ça, ne remuons pas les cendres…

DURANDIN

C’est très bien ; mais il n’en est pas moins vrai que mon frère aussi n’a voulu en faire qu’à sa tête, et lorsqu’il est mort, il devait à tout le monde.

RODOLPHE, sérieux.

Excepté à vous, mon oncle.

DURANDIN

Il fallait peut-être me saigner aux quatre veines pour soutenir un fou ?

RODOLPHE

Non, mon oncle, vous avez bien fait. Après tout, mon père m’a laissé un nom honorable, un nom que l’on répète, et des tableaux que l’on admire ; mais encore une fois ne parlons pas de ça.

DURANDIN

Soit ! d’ailleurs, il faut que je te quitte pour aller au-devant de madame de Rouvres ; j’espère qu’à mon retour je te trouverai dans de meilleures idées.

RODOLPHE

Il ne faut jurer de rien, mon oncle. Il n’y a rien d’immuable sous le soleil.

DURANDIN

Réfléchis, et, si tu deviens raisonnable, tu ne t’en repentiras pas.

ENSEMBLE

Air : Polka de la Vivandière.

DURANDIN
Le vrai bonheur
Est pour le cœur
Dans le mariage.
Il n’est pour nous
Rien de si doux
Que cet esclavage.
RODOLPHE
Non, pour mon cœur,
Point de bonheur
Dans le mariage ;
Car, entre nous,
Rien ne m’est doux
En fait d’esclavage.

Durandin sort par le fond à droite.

Scène V
RODOLPHE, seul.

Ils sont étonnants les oncles : s’il fallait épouser toutes les femmes auxquelles on a juré un amour éternel au clair de la lune, mais on aurait un sérail de femmes légitimes… Moi, épouser madame Césarine de Rouvres, la femme la plus coquette et la plus impérieuse de la terre, qui vous ordonne de l’aimer, pour ainsi dire ! Pas si fou ! Dès demain je prends mon vol, je fuis cette villa insipide et monotone que ne visite jamais le hasard ni l’imprévu.

CHŒUR, en dehors

Air nouveau de M. J. NARGEOT.

Notre avenir doit éclore
Au soleil de nos vingt ans !
Aimons et chantons encore :
La jeunesse n’a qu’un temps !

Qu’est-ce que c’est que ça ? Serait-ce l’imprévu demandé ? Il va au fond. Des artistes et des grisettes sans doute… Ils se disposent à déjeuner sur l’herbe… bon appétit ! Voilà le bonheur comme je le comprends. Des promenades sans gants et des dîners sans fourchettes… Tiens, ils me saluent ! Il salue. – Redescendant un peu. J’ai presque envie de m’élancer au milieu de leur pâté et de m’inviter moi-même. Au fait, pourquoi pas ?

Scène VI

Rodolphe, Marcel, paraissant au-dessus de la balustrade.

MARCEL

Monsieur !… Monsieur !…

RODOLPHE

Qu’est-ce qui m’appelle ?

MARCEL

Je vous demande pardon, Monsieur ; vous ne pourriez pas, par hasard, nous prêter des assiettes et quelques couverts également en argent ?

RODOLPHE

Monsieur, si vous voulez attendre que je sonne, j’irai chercher une sonnette… Vous êtes artiste, Monsieur ?

MARCEL

Oui, Monsieur.

RODOLPHE

Peintre ?

MARCEL

C’est vous qui l’avez dit.

RODOLPHE

De quelle école ?

MARCEL

De la mienne.

RODOLPHE

Je vous en félicite.

MARCEL

Et moi aussi, Monsieur.

RODOLPHE

Vous vous nommez ?

MARCEL

Marcel, pour vous servir.

RODOLPHE

Et moi, Rodolphe, pour vous être agréable.

MARCEL

Ce nid vous appartient ?

RODOLPHE

Pas le moins du monde… Je ne suis que le neveu du nid. Donnez-vous donc la peine de tomber par ici.

MARCEL

Cela ne vous dérange pas ?

RODOLPHE

Aucunement.

MARCEL, sautant.

Permettez-moi de vous offrir la main, c’est tout ce que j’ai sur moi.

RODOLPHE

Volontiers… mais à la condition que vous la tendrez aussi à ces jolies personnes qui chantent si bien.

MARCEL

Je n’ai rien à vous refuser, Monsieur… Appelant. Eh ! Musette ! tu es invitée à entrer avec escalade… Musique à l’orchestre.

MUSETTE, apparaissant sur la balustrade.

Me voilà ! En relevant sa robe elle montre un peu sa jambe.

RODOLPHE, courant l’aider à descendre.

Parbleu ! voilà une jolie jambe, il faut que je lui offre mon bras.

MUSETTE, descendue.

Monsieur vend des madrigaux ?

RODOLPHE

Oui, Madame.

MUSETTE

Et on vous les paye ?

RODOLPHE, lui baisant la main.

Comptant.

MARCEL, prenant la main de Musette.

Permettez-moi de vous la présenter plus officiellement : Mademoiselle Musette, vingt-deux ans…

MUSETTE

Moins six semaines.

MARCEL

Une fille charmante, qui n’a que le défaut de laisser trop souvent la clef sur la porte de son cœur. Au reste, je ne m’en plains pas… c’est comme ça que j’y suis entré un jour qu’il pleuvait.

MUSETTE, bas à Marcel, montrant Rodolphe.

Il est gentil !

MARCEL, à Rodolphe.

Elle vous trouve gentil ; c’est le commencement, on ne peut pas savoir où ça s’arrêtera ! Rodolphe offre une chaise à Musette. – Schaunard paraît sur l’appui de la balustrade.

SCHAUNARD

Eh ! Marcel ! je ne retrouve plus Musette, je crois qu’elle est tombée dans son verre.

MARCEL

Rassure-toi, ami fidèle, et enjambe… Schaunard entre. Monsieur Schaunard, orphelin par vocation, peintre par goût, musicien pour faire quelque chose… et poète pour ne rien faire… Passant une moitié de sa vie à chercher de l’argent pour payer ses créanciers, et l’autre moitié à fuir ses créanciers quand il a trouvé de l’argent.

SCHAUNARD, saluant.

Le programme est fidèle comme un caniche… Mais vous ne voyez qu’une moitié de moi-même ; permettez-moi de vous présenter l’autre… Phémie !… Phémie paraît ; il l’aide à descendre.

MARCEL

Mademoiselle Phémie, femme de dévouement quand elle a dîné.

RODOLPHE, offrant une chaise à Phémie.

Mademoiselle…

PHÉMIE

Bien reconnaissante, Monsieur, je ne suis pas encore éreintée. Elle s’assied près de Musette.

SCHAUNARD, avec sévérité.

Phémie ! Veuillez l’excuser, Monsieur, elle arrive d’Amérique… Je l’ai rencontrée dans une forêt…

RODOLPHE

Vierge ? Schaunard éternue.

MARCEL, indiquant Colline qui paraît à son tour, à Rodolphe.

Ne vous effrayez pas, Monsieur ; nous sommes complets… Monsieur Gustave Colline, philosophe… le trésorier de la société : une sinécure… Ils redescendent tous.

Scène VII

Rodolphe, Marcel, Musette, Schaunard, Colline, Phémie.

RODOLPHE

Mesdames et Messieurs…

TOUS

Écoutons !

RODOLPHE

Veuillez croire à mes sympathies.

MARCEL

Et…

RODOLPHE

Le discours est clos.

PHÉMIE, se levant.

Bravo !

MUSETTE, se levant.

C’est de très bon goût, ça n’est pas long.

SCHAUNARD, à Rodolphe.

Pardon, Monsieur, j’ai un renseignement à vous demander.

RODOLPHE

Parlez, Monsieur.

SCHAUNARD

Pourriez-vous me dire où on met le tabac dans cette maison ?…

RODOLPHE

Ici, Monsieur… Il montre sa poche et offre du tabac à Schaunard qui bourre sa pipe. Vous avez une jolie pipe, monsieur Schaunard !

SCHAUNARD, négligemment.

J’en ai une plus belle pour aller dans le monde.

MUSETTE, à Rodolphe.

Monsieur, serait-ce indiscret de vous demander la permission de visiter ce jardin et de cueillir quelques fleurs ?…

PHÉMIE

Et quelques abricots ?

RODOLPHE

Comment donc… Les dames remontent.

COLLINE, à Rodolphe.

Si vous le permettez, Monsieur, j’accompagnerai ces dames pour faire un peu de botanique… Les dames redescendent et mettent toutes leurs affaires sur les bras de Colline.

MUSETTE, riant.

Ça va peut-être vous embarrasser ?…

COLLINE

Oh ! non, je vous assure… Il va près d’un banc et dépose gravement tout ce qu’il tient au pied d’un arbre. Voyons un peu. Il fouille dans ses poches, tire des livres de sa poche et en prend un après avoir mis les autres sur le banc.