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Le Bal de l'Opéra, écrit par Alfred de Bréhat, est un roman captivant qui plonge le lecteur dans l'effervescence et le glamour de la haute société parisienne du XIXe siècle. L'histoire se déroule lors d'un bal prestigieux organisé à l'Opéra de Paris, un événement mondain où se côtoient aristocrates, artistes et personnalités influentes.
Au cœur de cette soirée étincelante, nous suivons le destin de plusieurs personnages aux destins entremêlés. La belle et mystérieuse comtesse de Montmorency, éprise de liberté et de passion, se retrouve au centre d'un triangle amoureux aussi envoûtant que dangereux. Le jeune et talentueux compositeur, Victor Dupont, tente de percer dans le monde de la musique tout en étant épris de la charmante danseuse étoile, Camille Delacroix. Quant à l'énigmatique duc de Beaumont, il cache de sombres secrets qui pourraient bouleverser l'équilibre de cette soirée magique.
Entre intrigues amoureuses, rivalités et trahisons, Le Bal de l'Opéra nous plonge dans un univers où les apparences sont trompeuses et où les passions se déchaînent. Alfred de Bréhat nous offre un récit riche en émotions, en rebondissements et en descriptions somptueuses de la vie mondaine de l'époque.
Avec une plume élégante et fluide, l'auteur nous transporte dans les salons dorés, les loges secrètes et les coulisses de l'Opéra, nous faisant vivre chaque instant de cette soirée inoubliable. Le Bal de l'Opéra est un roman envoûtant qui nous plonge au cœur d'une époque révolue, où les passions brûlent et où les destins se croisent dans un tourbillon de sentiments.
Extrait : "C'était au foyer de l'Opéra, en plein carnaval, un samedi soir, ou plutôt un dimanche matin. Trois heures venaient de sonner à l'horloge près de laquelle ont lieu tant de rendez-vous. La foule était nombreuse. On se marchait sur les pieds : c'est un des plaisirs du bal masqué…"
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Seitenzahl: 202
Veröffentlichungsjahr: 2015
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C’était au foyer de l’Opéra, en plein carnaval, un samedi soir, ou plutôt un dimanche matin. Trois heures venaient de sonner à l’horloge près de laquelle ont lieu tant de rendez-vous. La foule était nombreuse. On se marchait sur les pieds : c’est un des plaisirs du bal masqué… Plus d’un petit domino bleu, rose ou noir, vagabond jusque-là, se fixait au bras de quelque habit noir. Mainte vertu de circonstance, rebelle depuis minuit aux sollicitations les plus pressantes, commençait à s’attendrir. Sous la barbe complaisante du masque, on apercevait des lèvres roses et de jolies dents blanches qui semblaient promettre de joyeux appétits et de voluptueux baisers. Les étrangers surtout étaient en butte à mille agaceries. Le domino de l’Opéra manque absolument de patriotisme, et les Français ont peu de vogue auprès des Françaises de ce canton. Aussi était-ce plaisir de voir la désolation de tous ces jouvenceaux, tellement pareils les uns aux autres qu’ils semblaient avoir été rasés, coiffés, cravatés et habillés par la même mécanique.
En quête d’une intrigue, ils arpentaient depuis minuit la longueur du foyer. Leur lorgnon mélancolique dardait un regard suppliant sur chaque domino. Trop heureux celui d’entre eux qui trouvait à réaliser ses rêves d’écolier, en rencontrant quelque femme sur le retour qui lui racontait ses chagrins en dégustant sa huitième douzaine d’huîtres et son sixième verre de chablis ! Mais la plupart rentraient tristement au logis paternel, en supputant ce que leur avait coûté leur inutile voyage au bal de l’Opéra.
Assis au fond du foyer, tout près de l’horloge, un jeune homme nommé Fernand de Varelles bâillait de tout son cœur…, c’est-à-dire de toutes ses mâchoires. Vingt-six à vingt-sept ans, une figure spirituelle, de fines moustaches noires, le teint mat et chaud d’un créole, de grands yeux, des gants frais, un habit comme celui de tout le monde, – ce qui est le seul vêtement distingué, – dix louis dans sa poche, un bon appétit, pas de maîtresse, beaucoup de nonchalance, un peu d’ennui et pas mal de mauvaise humeur : voilà quel était au physique et au moral le signalement de notre héros.
Au bout de quelques minutes, un monsieur tout couvert de bijoux, évidemment Moldave, Italien, courtier marron ou marchand de contremarques, quitta la place qu’il occupait près de Fernand pour s’élancer sur les traces de quelque sylphide de sa connaissance. Il fut aussitôt remplacé sur le divan par une petite femme blonde, vêtue d’un simple domino noir. Elle poussa un soupir de soulagement en ramenant vers elle les plis de sa crinoline, qui n’avaient pas manqué de s’étaler à droite comme à gauche sur les genoux de ses deux voisins. L’un de ces voisins était un volumineux Allemand, à tous crins, qui étouffait dans son habit bleu et dans sa cravate blanche. Il paraissait singulièrement préoccupé de sa voisine de droite, forte femme dont le domino gonflé laissait deviner des charmes rebondissant, dignes d’une statue de la Santé. Comme la petite blonde avait un peu empiété, en s’asseyant, sur la place de l’Allemand, il daigna cependant faire attention à elle, et la repoussa en grommelant afin de conserver lui-même toutes ses aises. Quant à Fernand de Varelles, qui retardait un peu sur son siècle, il se serra poliment afin de laisser le plus de place possible à la nouvelle venue. Puis il se remit à bâiller de plus belle.
La voisine attendait sans doute quelqu’un, car elle regardait attentivement chaque cavalier qui passait. Elle semblait inquiète et contrariée. Bientôt l’impatience la prit : ses petits pieds, de fort jolis pieds, vraiment, commencèrent à battre une sorte de polka sur le parquet. On sait quel effet agaçant produisent, sur des gens déjà impatientés, les bâillements spasmodiques d’un voisin. L’exercice auquel se livrait Fernand ne tarda pas à exaspérer le petit domino.
– En vérité, dit-elle au jeune homme avec le laisser aller en usage au bal masqué, en vérité, voisin, tu bâilles d’une manière insupportable.
– Dis donc, beau masque, tu m’as l’air d’assez mauvaise humeur ?
– Oh oui ! oh oui !
– Un infidèle ?…
– Je le crains.
– Que tu aimes ?
Le domino haussa les épaules.
– C’est un coulissier.
– Et c’est sur moi, innocent, que tu te venges des crimes de ce volage !
– Cela t’étonne encore, pauvre petit ami ? Comme tu connais les femmes, bon Dieu ! On ne t’a donc pas appris à l’École de droit comme quoi c’est le premier article de leur code pénal que l’innocent paye pour le coupable.
– Allons, je ne discute plus ; épanche sur moi ta colère. Mais seulement, dis-moi : si tu n’aimes pas cet absent, pourquoi tiens-tu tant à sa fidélité ?
– Mon cher, c’est le seul bien que je possède au soleil. Bois, champs, prairies, il est tout pour moi. Tu dois comprendre alors que je n’ai pas envie d’en partager l’amour et les revenus ?
– Une idée !
– Spirituelle ?
– Éternellement spirituelle, ma chère, et comique de père en fils !… Venge-toi de lui avec moi ?…
– Oui-da !
– Ce serait juste et moral. Une fois, au moins, le coupable aurait payé pour l’innocent.
Le domino se mit à rire.
– Est-ce que tu vas me faire une déclaration ? reprit la jeune femme.
– Qui sait ? Pourquoi cette question ?
– Afin de me recueillir et de t’écouter avec toute la gravité convenable.
– Ne te recueille pas, mais écoute-moi. Je t’offre trois choses : Primo, mon bras pour faire un tour de promenade…
– Secundo ?
– Un souper au café Anglais ou chez Bignon.
– Ah ! ah ! ah !… Et… tertio ?…
– Tertio… Je te le dirai en soupant, le tertio.
– Non, je veux d’avance un menu complet. Est-ce ton cœur qui fait le tertio ?
– Quand je viens au bal masqué, je laisse mon cœur à la maison.
– Très bien ! Tu dis cela pour que j’aille l’y chercher.
– Tiens, je n’y pensais pas. Quel plaisir de causer avec une femme d’esprit : on dit de jolis mots sans le savoir.
– Voyons, achève ton raisonnement, car il se peut que je te quitte d’un instant à l’autre.
– Eh bien, ma chère, tu as de jolis pieds, de jolies mains, des beaux yeux, des dents éblouissantes, des cheveux charmants et, de plus, beaucoup d’esprit.
– Je ne crois pas un mot de ce que tu me dis là, mais, n’importe, cela me fait plaisir de l’entendre.
– Faut-il recommencer ?
– Inutile, tu aurais l’air d’un orgue de Barbarie ou d’un avocat payé à l’heure. Continue plutôt.
– Toutes ces qualités, que ton masque me laisse deviner, ne suffisent pas pour que je donne ainsi mon cœur à un domino inconnu, quelque aimable qu’il puisse être.
– Tu le regardes donc comme un bien grand trésor, ce pauvre cœur ?
– Pour moi, oui ; pour les autres, non. Vois ce monsieur qui passe à côté de nous avec des yeux d’albinos : ces yeux-là n’ont rien d’attrayant, et cependant ils sont fort précieux pour leur propriétaire.
– Mon cher, la comparaison n’est pas juste : si cet albinos prête ses yeux, il ne lui en restera plus. Toi, tu peux donner ton cœur sans le perdre.
– Si je le place mal ?
– Tu perdras les intérêts, voilà tout.
– C’est déjà quelque chose.
– Juif !… Ainsi tu ne m’aimes pas ? reprit-elle en riant.
Comment veux-tu que je le sache ? Ôte ton masque et je te répondrai peut-être. Tout ce que j’ai vu de ta personne me séduit. Je te trouve plus de grâce et d’esprit qu’il ne t’en faudra pour me faire tourner la tête, si le reste est à l’avenant. Tu me plais beaucoup, mais j’ignore si je t’aimerai.
– On le dit tout de même ! Avec de pareils scrupules, tu ne dois pas être Parisien ?
– Non ! che chuis Auvergnat !
– Menteur ! tu dois être créole ou Breton.
– C’est vrai, je suis de l’île Bourbon ; mais comment l’as-tu deviné ?
– À ton teint et à tes scrupules. Au reste, tu as raison ; ta réserve me donne bonne opinion de ton cœur. Adieu.
– Quelle conclusion !… C’est ainsi que tu récompenses la franchise que tu prétends estimer.
– Je te jure que, loin de me faire partir, ta sincérité m’aurait plutôt décidée à rester ; mais je viens d’apercevoir mon gros infidèle qui promène un petit domino rose…
– Et tu veux lui faire une scène ?
– Peut-être. Cependant, non ; cela flatterait trop son amour-propre. Donne-moi le bras.
– Volontiers.
– Attends, dit la jeune femme. Monsieur, continua-t-elle en s’inclinant devant son voisin allemand, laissez-moi vous remercier de la gracieuse obligeance avec laquelle vous m’avez fait place sur ce divan. La première fois que j’aurai l’honneur de me rencontrer avec votre fiancée, je la féliciterai sur son bonheur de posséder un époux si galant et si occupé d’elle, qu’il vient lui chercher une cuisinière jusqu’au bal de l’Opéra.
L’étranger ébahi répondit par un demi-salut à l’adieu railleur de la jeune femme. Sa volumineuse compagne grommela quelques mots trop peu parlementaires pour que nous puissions les rapporter ici. Fernand et la petite blonde étaient déjà arrivés à l’autre extrémité du foyer, lorsque le digne Allemand commença à comprendre que décidément le domino s’était moqué de lui.
Pendant ce temps, Varelles et son inconnue suivaient le coulissier à cinq ou six pas de distance.
– Tu connais donc ce gros Allemand ? demanda Fernand.
– Pas le moins du monde. J’ai parlé au hasard. Tous les célibataires allemands qu’on rencontre à l’étranger sont fiancés dans leur pays ; c’est leur position sociale. Tu vois, du reste, que cela ne les empêche pas de se distraire. Le voyage, entre les fiançailles et le mariage, est pour eux ce qu’est l’école de peloton pour les recrues. Ils doivent y compléter leur éducation avant de passer dans le régiment des maris. Marchons plus vite, continua-t-elle, et parle-moi bien tendrement.
– De quoi ?
– Peu importe.
– De mes trois propositions ?
– Si tu veux ; mais ce sera du temps perdu. Tu vois si je suis franche.
– Hélas !…
– Hélas !… dit-elle en le contrefaisant. Voyons, sois donc plus tendre. Tu vois bien que M. Mouchonnier m’a reconnue et qu’il se détourne pour nous regarder.
– Mouchonnier ? qu’est-ce que c’est que ça ?
– C’est mon coulissier.
Fernand s’empressa de prendre un air pathétique.
– Je t’en prie, mon ange, donne-moi ton adresse.
Le petit domino se mit à rire.
– Ce n’est pas délicat, ce que tu fais, de réclamer le payement de tes services. Fi donc !
– Dans le département de l’amour, la mendicité n’est pas interdite. Les femmes ne donnent rien aux pauvres honteux.
– C’est profond, ce que tu dis là, répondit-elle d’un ton distrait.
En ce moment, M. Mouchonnier était sur les charbons. Sa grosse tête aux joues rebondies se tournait sur son col empesé comme la tête d’un Chinois sur la cangue, afin de suivre des yeux Fernand et la petite blonde. Celle-ci, tout entière au coulissier, semblait avoir complètement oublié son complaisant cavalier. Enfin Mouchonnier ne put y résister davantage. Avec cette exquise galanterie qui caractérise la jeune France de la Bourse, il lâcha le bras du domino rose, fit un demi-tour et planta lestement sa compagne au beau milieu du salon.
– Adieu, maintenant, et merci, dit la petite blonde en quittant à son tour le bras de Fernand.
– Et l’adresse ?
– Non.
– Je t’en prie !
– Rue de Lancry, 18.
Fernand crut deviner un sourire sous les barbes du masque.
– Tout à l’heure, dit-il, je vous ai vue ouvrir votre porte-monnaie sur le divan. J’y ai aperçu des cartes de visite… Donnez-m’en une.
– Tu crois que je t’ai donné une fausse adresse ?
– Ma foi, je le crains.
Elle se mit à rire de bon cœur.
– Décidément, tu es un homme d’esprit, dit-elle ; bonsoir.
– De plus en plus illogique ! Mais je suis entêté : je ne te rendrai ta liberté que si tu me donnes ta carte.
– Il nous voit.
– Tant mieux ; cela excitera sa jalousie.
– Au fait ! Allons, tenez.
Elle ouvrit son porte-monnaie. Au moment d’y prendre une carte, elle eut un instant d’hésitation.
– Le Mouchonnier regarde, répéta Fernand, voilà le vrai moment.
– Eh bien, tenez, dit-elle en lui tendant une carte qu’il s’empressa de serrer dans la poche de son gilet. Et maintenant, adieu, ajouta-t-elle en serrant la main de son compagnon. Ne me suivez pas.
– Adieu et merci, répondit Varelles en pressant tendrement la petite main qu’on lui retirait.
Le coulissier accosta aussitôt la jeune femme. Fernand, qui les observait de loin, put suivre à son aise toutes les phases de leur explication. Bientôt réduit du rôle d’accusateur à celui d’accusé, le volage Mouchonnier semblait avoir beaucoup de peine à obtenir son pardon. La réconciliation n’arriva qu’au bout d’une demi-heure d’instances. Enfin, les deux parties belligérantes conclurent un traité de paix qu’elles allèrent signer au café Anglais. Giroux et Tahan auraient pu dire le surlendemain ce que cette réconciliation coûta au digne coulissier.
Voyant que M. Mouchonnier gagnait l’escalier de sortie avec la petite blonde, Fernand vint se mettre près de la porte. Le domino se pencha vers son cavalier et lui dit quelques mots à l’oreille. Mouchonnier se mit à rire en regardant Fernand d’un air assez moqueur. Quant à la petite blonde, elle fit un salut de la main au jeune homme ; mais celui-ci crut remarquer une nuance de raillerie dans les jolis yeux bleus qu’il voyait scintiller à travers les deux trous du masque.
– Se serait-elle encore moquée de moi ? se dit-il. Bah ! nous verrons bien demain.
La carte qu’il avait reçue portait ceci : « Madame Emilia Walstein, 8, cité Trévise. »
Le lendemain, à trois heures de l’après-midi, Fernand entrait au numéro 8.
– Madame Emilia Walstein ? demanda-t-il à la concierge.
Celle-ci leva les yeux de dessus son tricot et regarda M. de Varelles avec une sorte d’étonnement.
– Madame Emilia ? répéta-t-elle en enfonçant sous son bonnet une de ses longues aiguilles.
– Oui : Madame Emilia…
– Au second, la porte en face.
– Merci, madame, répondit Fernand, qui songeait déjà à se concilier les bonnes grâces de la concierge.
Deux minutes après, il sonnait au second. On le fit attendre assez longtemps. Enfin, la porte s’ouvrit. Une jeune et jolie femme, encore en peignoir du matin, parut sur le seuil. Elle était évidemment plus grande que le petit domino de la veille. Puis, ses magnifiques cheveux noirs aux reflets bleuâtres, ses yeux noirs et veloutés, ses traits réguliers et son profil de statue révélaient une origine étrangère. En apercevant M. de Varelles, elle rougit.
– Qui demandez-vous, monsieur ? dit-elle avec un accent italien fortement prononcé.
– Madame Emilia Walstein ?
– C’est moi, monsieur.
Fernand fit un mouvement pour entrer ; mais la jeune femme ne semblait nullement disposée à lui livrer passage.
– Vous avez quelque commission pour moi ? reprit-elle en baissant les yeux devant le regard ardent de M. de Varelles.
Du premier coup d’œil, celui-ci avait reconnu son erreur. Cette femme ne pouvait être le petit domino du bal masqué. Il la trouvait si belle, néanmoins, qu’il était décidé à tout mettre en usage pour causer quelques instants avec elle.
– N’est-ce pas une de vos cartes, madame ? répondit-il en montrant la carte que le petit domino noir lui avait remise.
– Oui, monsieur, mais comment se trouve-t-elle entre vos mains ?
– C’est toute une histoire, madame, et je ne puis vous la raconter sur le palier.
En disant cela, il entrait, et passait tout de suite de l’antichambre dans la première pièce qu’il aperçut devant lui. Après un moment d’hésitation, madame Walstein prit le parti de suivre Fernand. Il la salua respectueusement, lui avança un fauteuil et en prit un autre pour lui-même. Tout cela fut fait avec tant d’aisance, que la jeune femme, tout interdite, lui laissa faire les honneurs de son propre salon et s’assit par distraction, ne sachant comment couper court à cette visite, qui lui semblait si étrange et que son visiteur paraissait trouver si naturelle.
– Madame, j’étais cette nuit au bal de l’Opéra, dit enfin Fernand qui, tout en parlant, jetait autour de lui un regard observateur et cherchait à deviner la position sociale de la jeune femme.
– Mais je… je ne vois pas…
– Veuillez me laisser achever, madame ; vous comprendrez tout à l’heure en quoi cela vous concerne.
Varelles ne manquait ni d’esprit ni d’entrain. Un sourire spirituel animait ses lèvres. Les longs cils de ses yeux noirs n’en masquaient nullement le regard vif et expressif. Il raconta gaiement son histoire de la veille, et mit à se moquer de lui-même et des autres avec tant de verve et de maligne bonhomie, que madame Walstein finit par l’écouter avec un certain plaisir. Souvent elle ne pouvait s’empêcher de sourire. Bientôt même, et sans trop comprendre comment cela s’était fait, elle se trouva engagée dans une sorte de conversation.
Lorsque Fernand eut achevé son épopée, la jeune femme fit un mouvement pour se lever et pour congédier son visiteur, qui pourtant ne l’effrayait plus.
– Ah ! de grâce, madame, ne me renvoyez pas si promptement ! s’écria-t-il ; ce serait trop cruel. Songez à la déception que je viens d’éprouver. Le plus doux privilège des femmes est de consoler les affligés. Laissez-moi au moins le temps de m’habituer à mon malheur.
– C’est un malheur que vous prenez fort gaiement, je crois, répondit la jeune femme, qui restait debout la main appuyée sur le dossier du fauteuil.
– Je vous en prie, madame, rasseyez-vous, reprit Fernand. L’empressement que vous mettez à me renvoyer achève de troubler ma pauvre cervelle, et me fait complètement oublier ce que j’ai à vous demander.
Toutes ces folies étaient débitées d’un ton moitié sérieux, moitié plaisant, qui variait suivant l’expression de la physionomie de madame Walstein. Tout en engageant M. de Varelles à partir, Emilia se rassit presque sans s’en apercevoir. Au fond du cœur, peut-être n’était-elle pas fâchée d’avoir la main un peu forcée. Ce jeune homme l’intriguait et l’amusait.
Afin de se donner un prétexte pour rester quelque temps encore, Fernand insista pour obtenir de madame Walstein l’adresse de la jeune femme qu’il avait rencontrée à l’Opéra.
– En cherchant un peu dans le cercle de vos connaissances, vous devez deviner quelle est celle de vos amies qui s’est moquée de moi, dit-il.
– Il m’est d’autant plus facile de le deviner, que je ne connais que deux ou trois personnes à Paris, répondit-elle.
– Eh bien, quel est le nom de mon perfide domino ?
– Je ne vous le dirai pas. Mon amie n’a sans doute trouvé d’autre moyen que celui-là pour se débarrasser de vous. Ce n’est pas à moi de la trahir.
– Alors, demandez-lui la permission de me dire son adresse, et permettez-moi de revenir ici chercher la réponse.
– Cela est impossible. Je ne sors pas et ne puis recevoir personne.
– Pourquoi ?
– En vérité, monsieur, je vous trouve d’une singulière indiscrétion…
– Décidément, madame, vous découvrez en moi tous les défauts possibles. Je ne puis cependant pas vous quitter en vous laissant une pareille opinion de ma personne. Il faut que je me justifie.
– Je vous en prie, monsieur, cessons cette plaisanterie. Allez-vous-en. Si mon mari revenait, vous vous exposeriez, vous m’exposeriez moi-même à quelque scène désagréable.
– J’espère que non, répliqua Varelles, qui ne pouvait se décider à partir. Je raconterai à monsieur votre mari tout ce qui m’est arrivé. Si c’est un homme d’esprit, il en rira.
– Oui, mais.
Elle s’arrêta brusquement et rougit.
– C’est un excellent homme, reprit-elle en rougissant davantage, mais il est très jaloux… surtout des Français.
– Il est Italien comme vous, sans doute ?
– Non, monsieur, c’est un Allemand. De grâce, partez.
– Alors, dites-moi quand je pourrai vous revoir.
– Vous demandez donc cela à toutes les femmes ?
– À tous les dominos, oui ; à toutes les femmes, non.
– Pourquoi cette différence ?
– Quand je demande à un domino de le revoir, j’obéis à un sentiment de curiosité : je veux savoir si sa figure et son caractère répondent à l’idée que je m’en suis formée d’après sa conversation. Mais, aujourd’hui, lorsque je vous supplie de m’accorder la permission de revenir, c’est que…
– Eh bien ?…
– Eh bien ! c’est qu’au moment de m’éloigner de vous, je sens que mon cœur va rester ici. Permettez-moi de revenir pour l’y reprendre.
– Oh ! ces Français, s’écria la jeune femme, ils sont tous les mêmes ! On me l’avait bien dit.
– Vous n’avez pas encore eu le temps de les connaître.
– Je vous demande pardon ; il y en a beaucoup à Rome.
– Vous avez habité Rome ?
– J’y suis née.
– Que je regrette de ne pas connaître ce beau pays !
– Vous n’avez jamais été en Italie ?
– Hélas ! non ; ce voyage est un de mes rêves, et, chaque année, quelque circonstance imprévue m’empêche de l’accomplir.
Entraînée par le charme des souvenirs, madame Walstein se mit à causer de l’Italie avec cette animation et cette chaleur particulières aux races du midi de l’Europe.
Elle était vraiment fort belle ainsi. Tandis que les paroles se pressaient sur ses lèvres de corail, ses pensées se reflétaient dans le velours de ses grands yeux noirs.
Fernand regardait la jeune femme avec admiration. Elle s’en aperçut tout à coup et s’arrêta brusquement, confuse, et frappée au cœur par le regard de feu du jeune créole. Une fois engagée, la conversation continua.
Depuis son arrivée en France, madame Walstein vivait dans un isolement absolu. À part son mari et l’amie que Fernand avait rencontrée à l’Opéra, Emilia ne voyait personne. Walstein passait une partie de ses journées dans les ateliers, dans les musées et surtout dans les cafés. En revanche, il n’aimait pas que sa femme sortit. Elle se résignait facilement à cette réclusion. Où eût-elle été, en effet, dans ce Paris dont la foule et le bruit l’effrayaient ? Au milieu de toutes ces figures étrangères, elle sentait son cœur se contracter et se replier sur lui-même, comme ses membres sous l’influence du climat.
En rencontrant le regard ardent et sympathique de Fernand, elle crut y voir briller un rayon de son beau soleil d’Italie. Au bout d’une heure, ces deux jeunes gens, qui se connaissaient à peine, causaient comme deux vieux amis. Fernand racontait à madame Walstein son enfance passée dans une plantation de l’île Bourbon, son arrivée à Paris et les déceptions de son cœur, dont les chaleureux instincts et la naïve confiance étaient venus se briser contre la coquetterie parisienne. De son côté, Emilia parlait de Rome, des processions de la ville sainte, des fêtes de tout genre et des longues promenades du soir sur les bords du Tibre.
Elle lui raconta une partie de sa vie. Orpheline presque au sortir du berceau, Emilia demeurait à Rome chez un de ses oncles. Celui-ci possédait deux maisons meublées qu’il louait à des étrangers. M. Walstein avait habité pendant quelque temps le second étage de la plus petite de ces deux maisons. Il venait souvent passer la soirée chez son propriétaire. La tante et les cousines d’Emilia, jalouses de la pauvre orpheline, la tourmentaient à l’envi. Walstein avait pris sa défense. Il était devenu amoureux d’elle. La famille de Walstein s’opposant au mariage, ainsi que les parents d’Emilia, l’Allemand avait enlevé la jeune fille.
– Et vous vous êtes mariés en France ? demanda Fernand.
– Oui, monsieur, répondit-elle en baissant les yeux.
– Si vous aviez un enfant, ce serait du moins une compagnie pour vous, dit M. de Varelles.
– J’en ai un, monsieur ; un beau petit garçon de dix-huit mois. J’aurais bien voulu le nourrir, mais son père s’y est opposé. Il est vrai que j’étais fort malade. On l’a mis chez une nourrice à la campagne. Je vais le voir une fois par semaine.
En ce moment, on entendit ouvrir la porte extérieure.
– Mon mari ! s’écria la jeune femme, qui se leva pâle et tremblante. Mon Dieu ! mon Dieu ! que va-t-il dire ?
– Je lui expliquerai la cause de ma présence.
– Il ne vous croira pas : il est si jaloux ! Si vous saviez… Mon Dieu, le voici !
– Dites-lui que vous m’avez connu à Rome, que j’ai demeuré avant lui dans une des maisons de votre oncle. Je me nomme Fernand de Varelles. J’ai su votre adresse par votre amie : Comment s’appelle-t-elle ?
– Julia Brady.
– Bien ; laissez-moi faire et ne craignez rien.
Comme il achevait ces paroles, la porte s’ouvrit violemment. Un homme gros et robuste, aux longs cheveux en désordre, coiffé d’un chapeau à longs poils et vêtu d’une ample redingote à brandebourgs, s’arrêta sur le seuil en roulant des yeux courroucés. Emilia fit quelques pas au-devant de lui. L’émotion l’empêchait de parler. Soutenue cependant par sa frayeur même, la jeune femme faisait assez bonne contenance. Quant à Fernand, il s’était levé tranquillement et regardait d’un air calme M. Walstein, dans lequel il venait de reconnaître son Allemand du bal de l’Opéra. Voyant que personne ne parlait et que la figure courroucée de M. Walstein s’empourprait de plus en plus, Fernand jugea à propos de ne pas prolonger davantage ce silence embarrassant.
– C’est sans doute M. Walstein ? dit-il en s’adressant d’un ton respectueux à la jeune femme ; voulez-vous être assez bonne pour me présenter à lui ?
– M. Fernand de Varelles, mon ami, balbutia l’Italienne, obéissant instinctivement à l’impulsion de Fernand.
– Je ne connais pas ce nom, répondit d’un ton bourru M. Walstein, qui regardait tour à tour la figure pâle de sa femme et la physionomie souriante du créole.
– J’ai demeuré, à Rome, chez l’oncle de madame Emilia, dit Fernand, et j’ai eu l’honneur d’y rencontrer madame quelquefois.