Le bilan de l’intelligence - Paul Valéry - E-Book

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Paul Valéry

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*** Cet ebook est optimisé pour la lecture numérique *** "Songez à tout ce qu'il faudrait savoir pour expliquer à Descartes ou à Napoléon ressuscités notre système actuel d'existence, pour lui faire comprendre comment nous pouvons arriver à vivre dans des conditions si étranges, dans un milieu qu'il trouverait certainement assez effrayant, et même hostile. Cet embarras est la mesure du changement intervenu." Paul Valéry écrivit en effet ce texte dans une époque qui vivait de grands changements, au sein d'une société bouleversée par la guerre, par la Révolution industrielle et le poids sans cesse grandissant de la modernité technologique. Bien qu'ils furent écrits en 1935, les propos de l'auteur trouvent en nous une résonance singulière. Notre monde moderne n'a pas fait que révolutionner notre rapport à la technologie ou au travail, il a aussi et surtout modifié notre rapport au temps, à l'espace, à l'Histoire, dans un monde qui semble désormais être continuellement voué à se renouveler, plongé dans une sorte de fuite en avant. Depuis le début du XXe siècle, ces bouleversements ont impacté notre façon de penser, de voir le monde, ils ont influencé notre intelligence. Et c'est dans une analyse aussi brève que pertinente que Paul Valéry nous livre l'une de ses réflexions les plus fortes et les plus actuelles.

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Le bilan de l’intelligence

Paul Valéry

Table des matières

Paul Valéry

Le bilan de l’intelligence

Paul Valéry

1871-1945

"Songez à tout ce qu'il faudrait savoir pour expliquer à Descartes ou à Napoléon ressuscités notre système actuel d'existence, pour lui faire comprendre comment nous pouvons arriver à vivre dans des conditions si étranges, dans un milieu qu'il trouverait certainement assez effrayant, et même hostile. Cet embarras est la mesure du changement intervenu." Paul Valéry écrivit en effet ce texte dans une époque qui vivait de grands changements, au sein d'une société bouleversée par la guerre, par la Révolution industrielle et le poids sans cesse grandissant de la modernité technologique. Bien qu'ils furent écrits en 1935, les propos de l'auteur trouvent en nous une résonance singulière. Notre monde moderne n'a pas fait que révolutionner notre rapport à la technologie ou au travail, il a aussi et surtout modifié notre rapport au temps, à l'espace, à l'Histoire, dans un monde qui semble désormais être continuellement voué à se renouveler, plongé dans une sorte de fuite en avant. Depuis le début du XXe siècle, ces bouleversements ont impacté notre façon de penser, de voir le monde, ils ont influencé notre intelligence. Et c'est dans une analyse aussi brève que pertinente que Paul Valéry nous livre l'une de ses réflexions les plus fortes et les plus actuelles.

FVE

Le bilan de l’intelligence

Conférence donnée à l’Université des Annales,

le 16 janvier 1935.

Il y a un peu plus de deux ans, à cette même place, j'ai eu l'honneur de vous entretenir de ce que j'appelais la Politique de l'Esprit. Il vous souvient peut-être que, sous ce titre (qui n'est pas particulièrement précis), je m'inquiétais de l'état actuel des choses de ce monde et j'interrogeais les faits dont nous sommes les témoins et les agents, en me préoccupant, non tant de leur caractère politique ou économique que de l'état dans lequel ils mettent les choses de l'esprit. J'ai insisté (peut- être trop longuement) sur cet état critique, et je vous disais en substance qu'un désordre dont on ne peut imaginer le terme s'observe à présent dans tous les domaines. Nous le trouvons autour de nous comme en nous-mêmes, dans nos journées, dans notre allure, dans les journaux, dans nos plaisirs, et jusque dans notre savoir. L'interruption, l'incohérence, la surprise sont des conditions ordinaires de notre vie. Elles sont même devenues de véritables besoins chez beaucoup d'individus dont l'esprit ne se nourrit plus, en quelque sorte, que de variations brusques et d'excitations toujours renouvelées. Les mots « sensationnel », « impressionnant », qu'on emploie couramment aujourd'hui, sont de ces mots qui peignent une époque. Nous ne supportons plus la durée. Nous ne savons plus féconder l'ennui. Notre nature a horreur du vide, - ce vide sur lequel les esprits de jadis savaient peindre les images de leurs idéaux, leurs Idées, au sens de Platon. Cet état que j'appelais « chaotique » est l'effet composé des œuvres et du travail accumulé des hommes. Il amorce sans doute un certain avenir, mais un avenir qu'il nous est absolument impossible d'imaginer ; et c'est là, entre les autres nouveautés, l'une des plus grandes. Nous ne pouvons plus déduire de ce que nous savons quelques figures du futur auxquelles nous puissions attacher la moindre créance.

Nous avons, en effet, en quelques dizaines d'années, bouleversé et créé tant de choses au dépens du passé ; en le réfutant, en le désorganisant, en réorganisant les idées, les méthodes, les institutions qu'il nous avait léguées, que le présent nous apparaît un état sans précédent et sans exemple. Nous ne regardons plus le passé comme un fils regarde son père, duquel il peut apprendre quelque chose, mais comme un homme fait regarde un enfant.... Nous aurions parfois l'envie d'instruire et d'émerveiller les plus grands de nos aïeux, les ayant ressuscités pour nous donner ce plaisir.

Souvent, il m'amuse d'imaginer ceci : je m'abandonne à rêver la résurrection de quelqu'un de nos grands hommes de jadis. Je m'offre à lui servir de guide ; je me promène avec lui dans Paris ; je l'entend qui me presse de questions, qui s'exclame ; et je ressens, par ce moyen naïf qui m'oblige à m'étonner de ce que je vois avec étonnement tous les jours, l'immense différence que la suite des temps a créée entre la vie d'avant-hier et celle d'aujourd'hui. Mais je m'embarrasse bientôt dans mon rôle de cicerone. Songez à tout ce qu'il faudrait savoir pour expliquer à Descartes ou à Napoléon ressuscités notre système actuel d'existence, pour lui faire comprendre comment nous pouvons arriver à vivre dans des conditions si étranges, dans un milieu qu'il trouverait certainement assez effrayant, et même hostile. Cet embarras est la mesure du changement intervenu.

Je ne puis ici qu'effleurer l'immense question de ces changements dépassant toute prévision, qui ont profondément modifié le monde et l'ont, en quelques années, rendu méconnaissable aux yeux des observateurs qui avaient assez vécu pour l'avoir vu bien différent. Je vais insister sur le peu de temps qu'il a fallu pour amener de si énormes conséquences, et surtout arrêter un peu vos esprits sur les causes les plus puissantes de cette brusque mutation. Je pense à tous les faits nouveaux, entièrement nouveaux, prodigieusement nouveaux, qui se sont révélés à partir du commencement du siècle dernier.

La science, jusque-là, n'avait poursuivi ses recherches que sur des phénomènes connus sensibles depuis toujours, et immédiatement sensibles. Sans doute, la notion de l'univers s'était profondément modifiée, en même temps que celle de la science elle-même, et corrélativement ; mais les phénomènes observables, d'une part, les pouvoirs d'action de l'homme, d'autre part, ne s'étaient pas sensiblement accrus. Or, en 1800 (je crois), la découverte du courant électrique, par l'invention admirable de la pile, ouvre cette ère des faits nouveaux qui vont changer la face du monde. Il n'est pas sans intérêt de s'arrêter à cette date : de songer qu'il n'y a que cent trente cinq ans que cette révélation a eu lieu. Vous en savez les suites merveilleuses : tout le domaine de l'électrodynamique et de l'électromagnétisme ouvert à la curiosité passionnée des savants, toutes les applications qui se multiplient, les relations aperçues de l'électricité avec la lumière, les conséquences théoriques qui s'ensuivirent ; le rayonnement enfin, dont l'étude vient remettre en question toutes nos connaissances physiques, et jusqu'à nos habitudes de pensée.

Envisagez, maintenant, le nombre de ces faits radicalement nouveaux, impossibles à prévoir, qui, en moins d'un siècle et demi, sont venus surprendre les esprits, depuis le courant électrique jusqu'aux rayons X et aux diverses radiations qui se découvrent depuis Curie ; ajoutez-y la quantité des applications, depuis le télégraphe jusqu'à la télévision, et vous concevrez par la réflexion de cette nouveauté toute vierge, offerte en si peu de temps au monde humain (et dont l'accroissement semble sans limites), quel effort d'adaptation s'impose à une race si longtemps enfermée dans la contemplation et l'utilisation des mêmes phénomènes immédiatement observables, depuis l'origine.

Je vous ferai ici un petit conte pour bien accuser la pensée que je vous propose, et qui est, en somme, l'entrée du genre humain dans une phase de son histoire où toute prévision devient – par cela seul qu'elle est prévision – une chance d'erreur, une production suspecte de notre esprit.