Le Bourgeon - Georges Feydeau - E-Book

Le Bourgeon E-Book

Georges Feydeau

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Beschreibung


Le Bourgeon est une pièce de théâtre écrite par le célèbre auteur français Georges Feydeau. Publiée en 1892, cette comédie met en scène les péripéties hilarantes d'une famille bourgeoise parisienne.

L'histoire se déroule dans un appartement bourgeois où Monsieur et Madame Bourgeon, un couple en apparence parfait, se préparent à recevoir des invités pour un dîner. Cependant, leur soirée bien planifiée est rapidement perturbée par une série de quiproquos et de situations rocambolesques.

Entre un mari volage, une femme jalouse, une domestique maladroite et des invités excentriques, les rebondissements s'enchaînent à un rythme effréné. Les portes claquent, les mensonges s'accumulent et les malentendus se multiplient, créant ainsi un véritable chaos comique.

Avec son style inimitable, Feydeau nous plonge dans un univers burlesque où les conventions sociales sont tournées en dérision. À travers des dialogues savoureux et des situations absurdes, l'auteur nous offre une satire mordante de la bourgeoisie de son époque.

Le Bourgeon est une pièce de théâtre qui allie humour, finesse et critique sociale. Elle nous invite à rire des travers humains tout en nous interrogeant sur les apparences et les conventions sociales. Un véritable chef-d'œuvre du théâtre de boulevard à découvrir sans plus tarder.

Extrait : "LE MARQUIS, paillard. Ce que j'en dis ?... hé !... je dis que c'est un beau brin de fille. LA COMTESSE : Oui ! Eh bien, justement c'est une des raisons pour lesquelles de l'éloigne... Je trouve qu'il n'est pas convenable que dans une maison où il y a un jeune homme de vingt ans, on ait des tendrons à son service. LE MARQUIS, ironique. Tu as peur que ton fils la détourne ?""

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Seitenzahl: 229

Veröffentlichungsjahr: 2015

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Personnages

HEURTELOUP.

MARQUIS DE LAROCHE-TOURMEL.

MUSIGNOL.

MAURICE DE PLOUNIDEC.

GUÉRASSIN.

L’ABBÉ BOURSET.

VÉTILLÉ, médecin principal.

LUC.

JEAN-LOU.

ROGER.

COMTESSE DE PLOUNIDEC.

ÉTIENNETTE.

EUGÉNIE HEURTELOUP.

HUGUETTE.

LA CLAUDIE.

CLÉO.

LA MARIOTTE.

LA CHOUTE.

PAULETTE.

NOTA : Cette pièce faisant jusqu’à nouvel ordre l’objet de conventions particulières, MM les Directeurs sont avisés qu’ils ne pourront la monter sans une autorisation spéciale de l’auteur ou de son représentant, M. R. Gangnat, Agent-Général de la Société des Auteurs.

Acte premier

Au château de Plounidec, en Bretagne

Plantation du premier acte.
Le Bourgeon : Décor du premier acte

Le grand salon du château. – Au premier plan, à droite, une porte donnant sur une pièce du château. – Immédiatement près de la porte un bouton de sonnerie électrique. – Au-dessus de la porte, au deuxième plan, adossé au mur, un meuble-secrétaire, avec une chaise devant. – À gauche premier plan, une cheminée surmontée d’un portrait enchâssé dans la boiserie. – Au deuxième plan, grand pan coupé au centre duquel s’ouvre une vaste baie donnant de plain-pied sur une terrasse avec vue sur la mer. – Au fond à gauche une grande porte vitrée à quatre vantaux donnant sur le hall du château. – À droite de cette porte, séparée par un pan de mur, une porte assez grande mais à un seul vantail donnant sur la chambre de Maurice. – Tout le fond du hall est vitré permettant de voir le parc dont il est séparé par la balustrade du perron. Face à la porte vitrée du salon, porte vitrée au fond du hall permettant d’accéder dans le parc. – Dans le salon, près et à gauche de la cheminée, un petit fauteuil tourné presque dos au public. – Au-dessus, près et à droite de la cheminée, une chaise longue un osier, avec des coussins. – Un peu au-dessus à droite de la chaise-longue une grande table ronde sur laquelle sont des journaux, des jeux, des ouvrages de dames. – Au milieu une vasque avec des fleurs. – Devant la table un tabouret carré pour s’asseoir. – À droite de la table, un fauteuil ; à gauche entre la chaise-longue et la table, et un peu au-dessus, une chaise dite « fumeuse » avec accoudoir, le siège face au public. – À droite, presque au milieu de la scène un petit meuble « tricoteuse », avec, à sa gauche, un petit fauteuil ; à sa droite une bergère. – Dans la tricoteuse, les trois journaux catholiques dont il sera question ; des pelotes de laine, un ouvrage au tricot. – Au fond, de chaque côté de la porte vitrée, adossée au mur, une chaise à haut dossier. – Lustre en cristal au plafond. – Sur la terrasse, un ou deux fauteuils d’osier ; un télescope sur son trépied. – La banne de la baie est à moitié descendue. – Dans le hall à gauche, grande table d’antichambre recouverte d’un tapis. – Il fait grand soleil dehors. – Toutes les entrées des gens venant de l’intérieur du château, se feront par la droite du hall. – Les entrées venant de l’extérieur se feront naturellement par la porte du fond du hall.

NOTA : Toutes les indications sont prises de la gauche du spectateur placé censément au centre de la salle ; « un tel passe à droite ; un tel passe à gauche », signifiera donc qu’un tel sera à droite, qu’un tel sera à gauche du spectateur. Même l’expression « un tel est à gauche d’un tel » indiquera qu’un tel est à gauche de cet un tel par rapport à ce même spectateur, alors qu’en réalité et par rapport à lui il sera à sa droite. Cependant quand les indications, au lieu de : « à la droite de… à gauche de… », porteront : « à la droite de… à la gauche de… », il est évident qu’il s’agira alors de la gauche et de la droite réelle, du personnage désigné.

Scène première

La comtesse, puis Eugénie, puis la Claudie, puis le marquis. Dans le hall, Luc, deux valets de pied.

Au lever du rideau, la scène est un instant vide. Dans le hall, on voit passer un valet en livrée qui vient vite dire deux mots à Luc le maître d’hôtel et repart aussitôt. Au même instant, toujours dans le hall, paraît Eugénie Heurtoloup portant un flacon de sels et une burette de vinaigre ; elle arrive d’un pas rapide, comme une personne pressée d’apporter une chose qu’on attend.

LA COMTESSE,sortant à moitié de la chambre de droite, premier plan. – À Eugénie qui a déjà pénétré dans le salon.

De l’éther !… vite, apporte de l’éther !

Elle rentre dans la chambre dont la porte reste ouverte.

EUGÉNIE,rebroussant chemin.

Bon !… Se cognant presque dans la Claudie qui accourt une houle d’eau chaude à la main. La Claudie !…

LA CLAUDIE

Madame ?…

EUGÉNIE

Vite ! dans la pharmacie de Madame… de l’éther !

LA CLAUDIE

Oui, madame.

EUGÉNIE,à la Claudie qui déjà rebroussait chemin.

Allez, donnez-moi ça ! Elle prend la boule des mains de la Claudie. Courez !

LA CLAUDIE

Oui, madame.

Elle sort en courant.

LE MARQUIS,sortant de la chambre et appelant.

Luc ! Luc ! Il appuie sur le bouton électrique qui est près de la porte ; voyant Eugénie qui se dirige vers la chambre. Ah ! c’est le vinaigre ?… entrez, on l’attend.

Eugénie entre dans la chambre. – À l’extérieur, pendant ces dernières répliques, on a vu un deuxième valet remonter du perron tenant deux bouteilles enveloppées qu’il a remises à Luc. À ce moment sur le coup de sonnette, Luc paraît.

LUC

C’est monsieur le marquis qui a sonné ?

LE MARQUIS,qui a traversé la scène avant l’entrée de Luc.

Oui. Avez-vous fait le nécessaire pour qu’on aille chercher le docteur au train de dix heures quarante ?

LUC

Oui, monsieur ! j’ai fait prévenir le cocher.

LE MARQUIS

Bon. Indiquant les bouteilles. Qu’est-ce que c’est que ça ?

LUC

C’est l’alcool à frictions pour M. Maurice.

LE MARQUIS

Ah ! bon ! Allez les porter.

LUC

Oui, monsieur le marquis.

Il entre dans la pièce de droite.

LE MARQUIS,comme un homme qui en a par-dessus la tête.

Oh ! la-la ! la-la ! Il se laisse tomber sur le fauteuil à droite de la table et pousse un soupir d’épuisement.

Fffue !

Après quoi tranquillement il tire de sa poche un exemplaire du « Rire » et se met à regarder les images.

VOIX DE LUC

C’est l’alcool à frictions, madame la comtesse.

VOIX DE LA COMTESSE

Ah ! posez ça là.

VOIX DE LUC

Oui, madame.

Luc ressort.

LE MARQUIS

Dites donc, Luc ?

LUC

Monsieur le marquis ?

LE MARQUIS

C’est toujours comme ça ici ?

LUC

Dam ! depuis quelque temps !… M. Maurice a, à propos de rien, des vapeurs : il s’en va et puis y revient… C’est l’âge qui veut ça !

LE MARQUIS

C’est pas amusant, vous savez.

LUC

Eh ! non, monsieur le marquis, mais… on ne le fait pas pour s’amuser.

LE MARQUIS, hochant la tête.

Évidemment !

LUC

Oui, monsieur le marquis, il remonte pendant que le marquis se replonge dans son journal. – Brusquement une réflexion lui traverse le cerveau, il redescend.

Ah !

LE MARQUIS,relevant la tête.

Quoi ?

LUC

Ah ! Non, rien !… je vois que monsieur le marquis a de quoi lire… ! c’est parce que les journaux sont arrives !Prenant les journaux en question dans la tricoteuse. Si monsieur le marquis désirait… il y a la Croix du Finistère, le Réveil Catholique, la Renaissance de la Foi.

LE MARQUIS,sur un ton plaisant.

Non, merci… j’ai le Rire.

LUC

Enfin, ils sont là !… si monsieur le marquis voulait se distraire…

LE MARQUIS

C’est ça, Luc ! merci.

LUC

Oui, monsieur le marquis.

Il sort

VOIX LE LA COMTESSE

Eh bien, mon enfant chéri, c’est moi, ta maman.

VOIX DE MAURICE

Qu’est-ce qu’il y a eu donc ?

VOIX DE LA COMTESSE

Rien, rien ! Ne parle pas ! Ne te fatigue pas.

LE MARQUIS,se levant et à lui-même, tout en se dirigeant vers la porte qui est restée entrouverte.

Ah ! ah ! Je vois qu’il y a du mieux.

En passant devant la tricoteuse, il se débarrasse de l’exemplaire du Rire préalablement plié en deux dans le sens de la longueur, en le déposant sur le tas des autres journaux. – Au moment d’arriver à la porte de la chambre, il s’arrête en voyant paraître la comtesse.

LA COMTESSE,pénétrant dans le salon, et parlant à son fils du pas de la porte, tandis que le marquis regagne un peu à gauche.

Là, tu vas être bien raisonnable et te reposer un peu. À Eugénie qui paraît à la porte. Va ! passe, toi !Elle la fait passer devant elle ; puis à Maurice toujours invisible au spectateur. Je ferme la porte pour que tu n’entendes pas de bruit.

Elle ferme la porte.

LE MARQUIS,qui est arrivé au tabouret devant la table.

Eh ! bien ? ça va mieux ?

LA COMTESSE,gagnant le fauteuil à droite de la table.

Oui, pour le moment ; mais c’est égal, tout cela m’inquiète bien.

EUGÉNIE,allant s’asseoir sur la bergère.

Heureusement encore que cette indisposition l’a pris à cette heure-ci : il a pu au moins assister à l’office.

LE MARQUIS,assis sur le tabouret. – Ironique.

Ah ! oui… ça c’est de la veine !

LA COMTESSE

Enfin, qu’est-ce qu’il peut avoir ? C’est un solide gaillard cependant ! Pourquoi, depuis quelque temps, ces faiblesses à propos de rien ? ces syncopes ? et puis cette nervosité, cette tristesse que rien ne justifie ?

LE MARQUIS

Eh ! tu ne veux pas le croire ! Je te dis que cet enfant est trop confit en dévotion.

LA COMTESSE et EUGÉNIE,se récriant.

Oh !

LE MARQUIS

Mais oui ! mais oui ! tout ça l’exalte, lui tape sur le système nerveux.

EUGÉNIE,tout en tricotant.

Non, tu entends ton frère ? il voudrait faire croire que c’est le zèle religieux de Maurice qui est cause…

LA COMTESSE,faisant du crochet.

Quelle hérésie !

LE MARQUIS

Je dis… je dis qu’à un âge où un jeune homme a besoin de développer son corps par l’hygiène, par l’exercice, par la gymnastique et par… tout ce que vous voudrez, ça n’est vraiment pas le moment pour lui de s’étioler dans les méditations, les claustrations, les mortifications et autres choses déprimantes en « tion ». Ah ! la ! la ! lorsque j’avais son âge, moi, je ne pensais pas à toutes ces choses-là… Quand je voyais une jolie fille… !

Il esquisse un geste significatif.

LA COMTESSE,le rappelant à l’ordre.

Onfroy !

LE MARQUIS

C’est possible ! Mais au moins je me portais bien.

Il se lève et va a la cheminée.

EUGÉNIE

Ah ! tiens, laisse cet hérétique de côté, ma chère : et pour ce qui est de ton fils, tranquillise-toi : j’ai brûlé ce matin à son intention un cierge sur l’autel de Saint Antoine de Padoue, ainsi… !

LA COMTESSE,touchée.

Oui ?

LE MARQUIS,gagnant un peu vers elles.

Quoi ? quoi, « Saint Antoine de Padoue » ? C’est pas sa partie, ça : il est pour les objets perdus.

EUGÉNIE

Eh bien ?

LE MARQUIS

Eh bien ! Maurice n’a rien perdu que je sache… Entre chair et cuir. si même on devait lui reprocher quelque chose…

Il remonte par la gauche de la table à hauteur de la baie.

EUGÉNIE

Rien perdu ! et sa santé ?

LE MARQUIS,ironique.

Ah ! pardon ! C’est juste ! Saint Antoine la lui retrouvera.

EUGÉNIE,de toute sa foi.

Absolument.

LE MARQUIS

Oui ; eh ! bien, si vous voulez bien, en attendant, moi je vais vous amener un ami, qui, sans contrarier en rien l’action de Saint Antoine de Padoue, s’efforcera de concourir parallèlement au rétablissement de notre cher Maurice : c’est le docteur Vétillé, médecin principal dans l’armée, actuellement à Concarneau. J’ai reçu une dépêche il y a une heure m’annonçant son arrivée par le train de dix heures quarante…

LA COMTESSE,vivement.

Vraiment ? se levant. Oh ! Mais as-tu dit qu’on envoie une voiture le prendre à la gare ?

LE MARQUIS,avec une courbette gamine.

Je me suis permis !… et il sera ici dans une demi-heure.

LA COMTESSE,touchée.

C’est gentil, Onfroy, ce que tu as fait là.

Pendant ce qui suit, la comtesse va par le fond, jusqu’à la porte de droite qu’elle ouvre doucement pour voir ce que fait son fils.

EUGÉNIE

Évidemment, comme frère, vous valez mieux que comme chrétien.

LE MARQUIS

N’est-ce pas ? Pour un démon, je ne suis pas un trop mauvais diable.

Il s’assied dos au public sur le tabouret devant la table et crayonne pour passer le temps, sur des papiers qu’il trouve devant lui.

LA COMTESSE,refermant la porte sans bruit.

Il dort !

LE MARQUIS,tout en crayonnant.

Ah ! bien, c’est bon ça !

Scène II

Les mêmes, la Claudie.

La Claudie paraît, l’air dépité, un litre à la main.

LA CLAUDIE

Madame la comtesse…

LA COMTESSE, au-dessus et à gauche de la bergère dans laquelle est assise Eugénie.

Te voilà, toi ! D’où arrives-tu ?

LA CLAUDIE

Je ne trouve pas l’éther.

LA COMTESSE,railleuse.

Allons donc ? Il est bien temps !

LA CLAUDIE

J’ai bien trouvé cette bouteille.

LA COMTESSE

Qu’est-ce que c’est ?

LA CLAUDIE

Je ne sais pas ! Ça ne peut pas remplacer ?

LA COMTESSE,lisant l’étiquette de la bouteille

Du sirop antiscorbutique. Ah ! ça tu es folle ? Non, non, ça ne peut pas remplacer.

Elle passe au 2.

LA CLAUDIE

C’est tout de même du médicament.

LA COMTESSE,s’asseyant et reprenant son crochet.

Ah ! tu es bien restée paysanne ! Allons, va-t’en !

LA CLAUDIE,elle remonte.

Oui, madame la comtesse.

LA COMTESSE

Ah ! La Claudie se sentant rappelée, s’arrête aussitôt.

Et puis je voulais t’avertir : demain tu entreras à mon orphelinat de Kenogan.

LA CLAUDIE,descendant d’un pas vers la comtesse.

Moi ?

LA COMTESSE

Oui, toi !… tu seras attachée à la lingerie…

LA CLAUDIE,navrée.

Oh !… madame me renvoie ?

LA COMTESSE

Je ne te renvoie pas : je te change d’emploi, voilà tout.

LA CLAUDIE,les larmes dans les yeux.

Oh ! mais pourquoi ?

LA COMTESSE,avec un peu d’impatience.

Ah !… Parce que j’en ai décidé ainsi ; je n’ai pas d’explication à te donner.

LA CLAUDIE,pleurant presque.

Oh ! je vois bien que madame la comtesse ne m’a pas encore pardonné le bal forain du 15 août.

LA COMTESSE

Eh ! il ne s’agit pas de ça !

LA CLAUDIE

Oh ! si ; tout ça, parce qu’on a dit à madame que j’avais dansé avec un cuirassier… qui était dans les dragons.

EUGÉNIE,scandalisée.

Vous avez dansé avec un dragon !

LA CLAUDIE

Qui était dans les cuirassiers ! Oui, madame ! pour ça !

EUGÉNIE,scandalisée.

Oh !… un dragon !… et à cheval ! oh !

LE MARQUIS,toujours dessinant.

Bah ! tant qu’il ne l’a pas dragonnée.

LA COMTESSE,sévèrement, au marquis.

Je t’en prie, toi, ne te mêle pas !… À la Claudie. Je te répète, mon enfant, qu’il n’y a pas l’ombre de disgrâce dans la mesure que je prends. Mais je ne dois pas oublier que j’ai charge d’âme ! tu es orpheline ; c’est moi qui t’ai élevée : j’ai pour devoir de veiller sur toi. Or, ce penchant que tu sembles manifester pour le plaisir m’est un avertissement ; tu arrives à un âge où la vie est pleine d’embûches pour une jeune fille ; et si elle n’a pas en elle une rigidité de principes suffisante pour y parer, elle y tombe fatalement un jour ou l’autre. Eh ! bien, je ne l’entends pas ainsi ; et pour commencer, il est urgent que je te retire à la promiscuité de l’office. Tu me comprends, n’est-ce pas ?

La Claudie qui écoute tout ce discours avec de grands yeux ahuris, fait un signe affirmatif de la tête que dément l’expression de sa physionomie.

LE MARQUIS,levant les bras au plafond.

Mais pas un mot ! Tu lui parles chinois !

LA COMTESSE

N’importe ! Qu’il lui suffise de savoir qu’où je l’envoie, elle sera parfaitement heureuse…. dans une atmosphère d’honnêteté, de sainteté, à l’abri du mal et de la tentation, au milieu de bonnes sœurs…

LE MARQUIS,avec une envolée de la main au-dessus de sa tête.

Ohé ! Ohé !

LA COMTESSE

Et elle y restera jusqu’à son mariage, où de ce fait ma responsabilité se trouvera dégagée.

EUGÉNIE

Vous voyez, mon enfant, que c’est au contraire de la reconnaissance que vous devez à madame la comtesse pour la sollicitude qu’elle a pour vous.

La Claudie approuve de la tête sans conviction.

LE MARQUIS,à part, tout en se levant.

Tu parles !

Il gagne la cheminée.

EUGÉNIE

Remerciez donc votre maîtresse.

LA CLAUDIE,sans conviction.

Merci, madame.

EUGÉNIE

À la bonne heure.

LA COMTESSE

J’ajoute que s’il te plaît de te marier tout de suite, il y a Jeannick qui ne demande qu’à t’épouser ; c’est un honnête homme, un bon cocher, et un excellent chrétien : j’approuverai cette union.

LA CLAUDIE,de toute l’impulsion de son cœur.

Mais… il est vieux !

LA COMTESSE

Vieux !

EUGÉNIE

Ah ! ça, ma pauvre enfant ! Que demandez-vous donc au mariage ?

LA CLAUDIE,bien naïvement.

Mais… un jeune !

LA COMTESSE

Voilà !… Voilà, ce penchant pour les futilités que je redoute.

LA CLAUDIE

Ben, tiens !

LA COMTESSE

C’est bien, ma fille ! ne perdons pas de temps à discuter ; tu peux te retirer ; je n’ai plus besoin de toi.

La Claudie sort avec humeur.

Scène III

Les mêmes, moins la Claudie, puis Huguette.

LA COMTESSE

Non ; vous l’avez entendue ? cette paysanne ! Il lui faut un jeune.

EUGÉNIE

C’est extraordinaire !

LE MARQUIS,appuyant ironiquement sur le mot.

Extrordinaire !

Il remonte à gauche de la table.

LA COMTESSE

Enfin, qu’est-ce que tu en dis ?

LE MARQUIS,paillard.

Ce que j’en dis ?… eh !… je dis qui c’est un beau brin de fille.

LA COMTESSE

Oui ! Eh bien, justement c’est une des raisons pour lesquelles je l’éloigne… Je trouve qu’il n’est pas convenable que dans une maison où il y a un jeune homme de vingt ans, on ait des tendrons à son service.

LE MARQUIS, ironique.

Tu as peur que ton fils la détourne ?

LA COMTESSE

Oh ! Dieu non !… Mais si bien armé que soit un être contre le démon, qui peut répondre que dans une heure de défaillance… Exposer une enfant à un contact journalier… !

EUGÉNIE,sur un ton péremptoire.

C’est très juste.

Le marquis hausse les épaules et gagne le fond.

LA COMTESSE

Sans compter que j’ai remarqué que la petite tournait beaucoup trop autour de Maurice. Elle mettait une complaisance à être toujours fourrée dans sa chambre !… et l’enfant, lui, ça l’énerve.

LE MARQUIS,redescendant entre elles deux.

Mais ce qui l’énerve, c’est le combat entre sa chair qu’il n’entend pas et ses convictions qui l’assourdissent. S’il voulait seulement écouter un peu sa chair et s’il faisait comme elle lui dit, ah ! bien !… je te promets que ça ne l’énerverait pas longtemps.

EUGÉNIE

Quelle horreur !

LA COMTESSE

Tu as une de ces moralités !…

EUGÉNIE

C’est dégoûtant.

LA COMTESSE

J’élève mon fils comme je l’entends, libre à toi d’élever ta fille comme il te plaît… du moment que tu es satisfait de l’éducation que tu lui donnes !…

LE MARQUIS

Tu la trouves mal élevée ?

LA COMTESSE

Je ne la trouve pas élevée du tout. Tu en as fait une espèce de sauvageon, de garçon manqué, toujours par monts et par vaux, tantôt à cheval, tantôt à bicyclette.

EUGÉNIE,avec dégoût.

Des choses qui s’enfourchent.

LE MARQUIS

Eh, ben ?

EUGÉNIE

Ça donne des idées.

LE MARQUIS

Pas à elle.

LA COMTESSE

Une enfant qui entend la messe tous les trente-six du mois ! – Elle devait nous rejoindre à l’église ce matin : tu crois qu’elle est venue ? Ah ! bien oui ! – Une enfant qui n’a reçu aucune direction religieuse ; qui a fait tout juste sa première communion… pour ne pas se faire remarquer, mais à part ça… ! Mon pauvre Maurice a essayé plusieurs fois, lui, de la moraliser, de lui faire entrevoir les beautés de la doctrine chrétienne… Ah ! elle l’a bien reçu !… C’est tout juste si elle a été polie.

LE MARQUIS

Si elle n’a pas été polie, elle a eu tort ; mais Maurice aurait peut-être mieux fait de garder pour lui ses tentatives de prosélytisme. Je ne tiens pas à faire de ma fille une dévote. Elle aura de la religion ce qu’il en faut… pour une femme du monde ; en tout cas ce sera une honnête femme, au tempérament solide, au caractère droit, avec tout ce qu’il faut pour rendre son mari heureux ; c’est tout ce que je lui demande. Je ne sais pas qui elle épousera, mais certainement ce ne sera pas le Christ ! Nous ne sommes pas ambitieux.

En ce disant il passe devant la comtesse et va vers la cheminée.

HUGUETTE,qui est entrée sans bruit pendant que son père parlait et a entendu ces derniers propos.

Bravo, papa !

Elle va déposer sur la tricoteuse son chapeau qu’elle tenait à la main en entrant. – Elle a une très élégante toilette, mais toute déchirée, couverte de houe et trempée d’eau, surtout aux genoux.

LE MARQUIS,se retournant à la voix de sa fille.

Toi !

LA COMTESSE,voyant l’état de la robe d’Huguette.

D’où viens-tu, malheureuse enfant ? Dans quel état !

HUGUETTE,indiquant à mesure les parties de sa toilette dont elle parle.

Ah ! ça, ma tante, la déchirure : c’est les ronces ! le mouillé : c’est de l’eau !

LA COMTESSE

Oh !

LE MARQUIS

Eh bien ! tu t’es bien arrangée.

EUGÉNIE,sur un ton de blâme dédaigneux.

Une toilette neuve !

HUGUETTE,elle passe devant la comtesse et va vers son père peur l’embrasser.

Oui ! c’est embêtant.

LA COMTESSE,corrigeant.

C’est ennuyeux, tu veux dire.

HUGUETTE,dans les bras de son père et par-dessus l’épaule.

Non ! C’est pas assez !

LE MARQUIS

Elle a raison : « embêtant », c’est encore faible.

Il embrasse sa fille.

LA COMTESSE,s’inclinant ironiquement.

Ah ? bien, bien !… changeant de ton. Mais avec tout ça, je croyais que tu devais venir nous rejoindre à la messe ?

HUGUETTE,allant vers la comtesse.

Mais oui, ma tante. Montrant sa robe. vous voyez : j’étais prête ; j’avais même fait toilette. s’asseyant sur le bord de la table, près de la comtesse. Seulement, voilà, au moment de partir, dans la cour des écuries, j’ai vu le nouveau cheval arrivé hier ! Vous ne pensez pas vous en servir, ma tante ? il est vicieux ! Les hommes n’en venaient pas à bout ! Redescendant un peu. Voilà-t-il pas que tout à coup, la bête fait un tète-à-queue, et v’lan ! son cavalier par terre. Alors, je ne sais pas ce qui m’a pris, une sorte de vertige, d’envie irrésistible !… avant même qu’on ait eu le temps de faire « ouf », une, deux ! mon paroissien était dans les mains du palefrenier et j’avais, moi, enfourché le cheval !

En ce disant, elle a rassemblé ses jupes et s’est mise à cheval sur l’extrémité du tabouret qui est devant la table

EUGÉNIE,avec un sursaut scandalisé.

Enfourché !

HUGUETTE,bien naturellement.

Il était sellé pour homme !

EUGÉNIE,les yeux au ciel.

Enfourché ! Et en grande toilette !

HUGUETTE

Ça prouve qu’il n’y avait pas préméditation ! Reprenant son récit. Et alors Imitant le galop sur son tabouret. ç’a été une galopade à travers champs ! tantôt je conduisais le cheval ; tantôt… Moins fièrement. il me conduisait ; et ou dévorait l’espace, c’était amusant ! Mais c’est égal, il ne m’a pas désarçonnée… Alors, je me suis dit, je vais un peu lui faire faire du kilomètre sur la plage, Imitant de nouveau le galop, les mains tenant des rènes imaginaires. et patatam ! patatam ! nous voilà sur le sable ; on allait un train ! Quand tout à coup, Se levant et gagnant la baie par la gauche de la table. là, de l’autre côté de la pointe, où vous voyez la cabine du douanier, j’aperçois un rassemblement ; Au-dessus de la table, s’adressant à son père. tu connais ma curiosité ; je ne suis pas femme pour rien ! Je cingle mon cheval ; un temps de galop et j’y suis… S’appuyant des deux poings sur la table. Qu’est-ce que je trouve ? Un groupe de marins qui entourait un pauvre petit jeune homme qui avait été entraîné par notre maudit raz de marée, et qu’on venait de repêcher sans connaissance.

LA COMTESSE et EUGÉNIE

Quelle horreur !

HUGUETTE,à son père en descendant vers lui par la gauche de la table.

C’est intéressant, n’est-ce pas ? Était-il vivant ? Était-il mort ? On ne savait pas. Les pêcheurs discutaient gravement ! Allant vers la comtesse. On parlait déjà de le pendre par les pieds… pour lui faire rendre son eau.

LE MARQUIS,à la cheminée.

Les crétins ! Sainte routine !

HUGUETTE

Je me dis : ma bonne Huguette, si tu n’interviens pas, on va faire des boulettes. Se tournant vers son père et gaîment. Tiens, c’est des vers ! Je ne l’ai pas fait exprès ! Alors, ma foi, je ne fais ni une ni deux, je saute à bas de ma bête et je viens mêler ma voix au chapitre. Naturellement, aucun médecin ! Un genou sur le tabouret. Par bonheur, j’avais déjà vu un cas pareil, une année à Biarritz ; je me suis rappelée comment avaient fait les hommes de l’art et ma foi, je me suis mise à faire mon petit docteur. À son père. Exercice illégal, oui, monsieur ! J’ai écarté le groupe et j’ai pris le commandement : j’ai commencé par faire enlever le costume de bain du petit bonhomme.

EUGÉNIE

Comment, « enlever » ? Mais alors… il était tout nu ?

HUGUETTE

Naturellement.

EUGÉNIE,scandalisée.

Devant toi ! Oh !… Ça ne te faisait rien !

HUGUETTE,bien simplement.

Non !

EUGÉNIE

Oh !

LE MARQUIS,de la cheminée.

Mais c’est si ça lui avait fait quelque chose que c’eût été répréhensible. Je vous en prie. Eugénie, ne montez donc pas la tête à ma fille, n’est-ce pas ?

Il remonte par la gauche de la table.

EUGÉNIE

Moi ? C’est moi qui… ? Oh !

HUGUETTE

Une fois le petit en tenue, allez-y ! Je me dis : adieu, ma belle toilette ! D’ailleurs, il n’y avait pas grand mal, elle avait déjà eu affaire aux ronces. Je me plante par terre, les deux genoux dans la vase, à cheval sur le petit.

EUGÉNIE

À cheval ! Encore !

LA COMTESSE

En amazone, au moins ?

LE MARQUIS,derrière le fauteuil de la comtesse. – Avec un sourire d’affectueuse commisération.

En amazone !

HUGUETTE

Oh ! Vous me voyez faisant de la respiration artificielle en amazone ! passant devant la comtesse pour gagner le milieu de la scène.