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Le Bourgeon est une pièce de théâtre écrite par le célèbre auteur français Georges Feydeau. Publiée en 1892, cette comédie met en scène les péripéties hilarantes d'une famille bourgeoise parisienne.
L'histoire se déroule dans un appartement bourgeois où Monsieur et Madame Bourgeon, un couple en apparence parfait, se préparent à recevoir des invités pour un dîner. Cependant, leur soirée bien planifiée est rapidement perturbée par une série de quiproquos et de situations rocambolesques.
Entre un mari volage, une femme jalouse, une domestique maladroite et des invités excentriques, les rebondissements s'enchaînent à un rythme effréné. Les portes claquent, les mensonges s'accumulent et les malentendus se multiplient, créant ainsi un véritable chaos comique.
Avec son style inimitable, Feydeau nous plonge dans un univers burlesque où les conventions sociales sont tournées en dérision. À travers des dialogues savoureux et des situations absurdes, l'auteur nous offre une satire mordante de la bourgeoisie de son époque.
Le Bourgeon est une pièce de théâtre qui allie humour, finesse et critique sociale. Elle nous invite à rire des travers humains tout en nous interrogeant sur les apparences et les conventions sociales. Un véritable chef-d'œuvre du théâtre de boulevard à découvrir sans plus tarder.
Extrait : "LE MARQUIS, paillard. Ce que j'en dis ?... hé !... je dis que c'est un beau brin de fille. LA COMTESSE : Oui ! Eh bien, justement c'est une des raisons pour lesquelles de l'éloigne... Je trouve qu'il n'est pas convenable que dans une maison où il y a un jeune homme de vingt ans, on ait des tendrons à son service. LE MARQUIS, ironique. Tu as peur que ton fils la détourne ?""
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Seitenzahl: 229
Veröffentlichungsjahr: 2015
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HEURTELOUP.
MARQUIS DE LAROCHE-TOURMEL.
MUSIGNOL.
MAURICE DE PLOUNIDEC.
GUÉRASSIN.
L’ABBÉ BOURSET.
VÉTILLÉ, médecin principal.
LUC.
JEAN-LOU.
ROGER.
COMTESSE DE PLOUNIDEC.
ÉTIENNETTE.
EUGÉNIE HEURTELOUP.
HUGUETTE.
LA CLAUDIE.
CLÉO.
LA MARIOTTE.
LA CHOUTE.
PAULETTE.
NOTA : Cette pièce faisant jusqu’à nouvel ordre l’objet de conventions particulières, MM les Directeurs sont avisés qu’ils ne pourront la monter sans une autorisation spéciale de l’auteur ou de son représentant, M. R. Gangnat, Agent-Général de la Société des Auteurs.
Au château de Plounidec, en Bretagne
Le grand salon du château. – Au premier plan, à droite, une porte donnant sur une pièce du château. – Immédiatement près de la porte un bouton de sonnerie électrique. – Au-dessus de la porte, au deuxième plan, adossé au mur, un meuble-secrétaire, avec une chaise devant. – À gauche premier plan, une cheminée surmontée d’un portrait enchâssé dans la boiserie. – Au deuxième plan, grand pan coupé au centre duquel s’ouvre une vaste baie donnant de plain-pied sur une terrasse avec vue sur la mer. – Au fond à gauche une grande porte vitrée à quatre vantaux donnant sur le hall du château. – À droite de cette porte, séparée par un pan de mur, une porte assez grande mais à un seul vantail donnant sur la chambre de Maurice. – Tout le fond du hall est vitré permettant de voir le parc dont il est séparé par la balustrade du perron. Face à la porte vitrée du salon, porte vitrée au fond du hall permettant d’accéder dans le parc. – Dans le salon, près et à gauche de la cheminée, un petit fauteuil tourné presque dos au public. – Au-dessus, près et à droite de la cheminée, une chaise longue un osier, avec des coussins. – Un peu au-dessus à droite de la chaise-longue une grande table ronde sur laquelle sont des journaux, des jeux, des ouvrages de dames. – Au milieu une vasque avec des fleurs. – Devant la table un tabouret carré pour s’asseoir. – À droite de la table, un fauteuil ; à gauche entre la chaise-longue et la table, et un peu au-dessus, une chaise dite « fumeuse » avec accoudoir, le siège face au public. – À droite, presque au milieu de la scène un petit meuble « tricoteuse », avec, à sa gauche, un petit fauteuil ; à sa droite une bergère. – Dans la tricoteuse, les trois journaux catholiques dont il sera question ; des pelotes de laine, un ouvrage au tricot. – Au fond, de chaque côté de la porte vitrée, adossée au mur, une chaise à haut dossier. – Lustre en cristal au plafond. – Sur la terrasse, un ou deux fauteuils d’osier ; un télescope sur son trépied. – La banne de la baie est à moitié descendue. – Dans le hall à gauche, grande table d’antichambre recouverte d’un tapis. – Il fait grand soleil dehors. – Toutes les entrées des gens venant de l’intérieur du château, se feront par la droite du hall. – Les entrées venant de l’extérieur se feront naturellement par la porte du fond du hall.
NOTA : Toutes les indications sont prises de la gauche du spectateur placé censément au centre de la salle ; « un tel passe à droite ; un tel passe à gauche », signifiera donc qu’un tel sera à droite, qu’un tel sera à gauche du spectateur. Même l’expression « un tel est à gauche d’un tel » indiquera qu’un tel est à gauche de cet un tel par rapport à ce même spectateur, alors qu’en réalité et par rapport à lui il sera à sa droite. Cependant quand les indications, au lieu de : « à la droite de… à gauche de… », porteront : « à la droite de… à la gauche de… », il est évident qu’il s’agira alors de la gauche et de la droite réelle, du personnage désigné.
La comtesse, puis Eugénie, puis la Claudie, puis le marquis. Dans le hall, Luc, deux valets de pied.
Au lever du rideau, la scène est un instant vide. Dans le hall, on voit passer un valet en livrée qui vient vite dire deux mots à Luc le maître d’hôtel et repart aussitôt. Au même instant, toujours dans le hall, paraît Eugénie Heurtoloup portant un flacon de sels et une burette de vinaigre ; elle arrive d’un pas rapide, comme une personne pressée d’apporter une chose qu’on attend.
De l’éther !… vite, apporte de l’éther !
Elle rentre dans la chambre dont la porte reste ouverte.
Bon !… Se cognant presque dans la Claudie qui accourt une houle d’eau chaude à la main. La Claudie !…
Madame ?…
Vite ! dans la pharmacie de Madame… de l’éther !
Oui, madame.
Allez, donnez-moi ça ! Elle prend la boule des mains de la Claudie. Courez !
Oui, madame.
Elle sort en courant.
Luc ! Luc ! Il appuie sur le bouton électrique qui est près de la porte ; voyant Eugénie qui se dirige vers la chambre. Ah ! c’est le vinaigre ?… entrez, on l’attend.
Eugénie entre dans la chambre. – À l’extérieur, pendant ces dernières répliques, on a vu un deuxième valet remonter du perron tenant deux bouteilles enveloppées qu’il a remises à Luc. À ce moment sur le coup de sonnette, Luc paraît.
C’est monsieur le marquis qui a sonné ?
Oui. Avez-vous fait le nécessaire pour qu’on aille chercher le docteur au train de dix heures quarante ?
Oui, monsieur ! j’ai fait prévenir le cocher.
Bon. Indiquant les bouteilles. Qu’est-ce que c’est que ça ?
C’est l’alcool à frictions pour M. Maurice.
Ah ! bon ! Allez les porter.
Oui, monsieur le marquis.
Il entre dans la pièce de droite.
Oh ! la-la ! la-la ! Il se laisse tomber sur le fauteuil à droite de la table et pousse un soupir d’épuisement.
Fffue !
Après quoi tranquillement il tire de sa poche un exemplaire du « Rire » et se met à regarder les images.
C’est l’alcool à frictions, madame la comtesse.
Ah ! posez ça là.
Oui, madame.
Luc ressort.
Dites donc, Luc ?
Monsieur le marquis ?
C’est toujours comme ça ici ?
Dam ! depuis quelque temps !… M. Maurice a, à propos de rien, des vapeurs : il s’en va et puis y revient… C’est l’âge qui veut ça !
C’est pas amusant, vous savez.
Eh ! non, monsieur le marquis, mais… on ne le fait pas pour s’amuser.
Évidemment !
Oui, monsieur le marquis, il remonte pendant que le marquis se replonge dans son journal. – Brusquement une réflexion lui traverse le cerveau, il redescend.
Ah !
Quoi ?
Ah ! Non, rien !… je vois que monsieur le marquis a de quoi lire… ! c’est parce que les journaux sont arrives !Prenant les journaux en question dans la tricoteuse. Si monsieur le marquis désirait… il y a la Croix du Finistère, le Réveil Catholique, la Renaissance de la Foi.
Non, merci… j’ai le Rire.
Enfin, ils sont là !… si monsieur le marquis voulait se distraire…
C’est ça, Luc ! merci.
Oui, monsieur le marquis.
Il sort
Eh bien, mon enfant chéri, c’est moi, ta maman.
Qu’est-ce qu’il y a eu donc ?
Rien, rien ! Ne parle pas ! Ne te fatigue pas.
Ah ! ah ! Je vois qu’il y a du mieux.
En passant devant la tricoteuse, il se débarrasse de l’exemplaire du Rire préalablement plié en deux dans le sens de la longueur, en le déposant sur le tas des autres journaux. – Au moment d’arriver à la porte de la chambre, il s’arrête en voyant paraître la comtesse.
Là, tu vas être bien raisonnable et te reposer un peu. À Eugénie qui paraît à la porte. Va ! passe, toi !Elle la fait passer devant elle ; puis à Maurice toujours invisible au spectateur. Je ferme la porte pour que tu n’entendes pas de bruit.
Elle ferme la porte.
Eh ! bien ? ça va mieux ?
Oui, pour le moment ; mais c’est égal, tout cela m’inquiète bien.
Heureusement encore que cette indisposition l’a pris à cette heure-ci : il a pu au moins assister à l’office.
Ah ! oui… ça c’est de la veine !
Enfin, qu’est-ce qu’il peut avoir ? C’est un solide gaillard cependant ! Pourquoi, depuis quelque temps, ces faiblesses à propos de rien ? ces syncopes ? et puis cette nervosité, cette tristesse que rien ne justifie ?
Eh ! tu ne veux pas le croire ! Je te dis que cet enfant est trop confit en dévotion.
Oh !
Mais oui ! mais oui ! tout ça l’exalte, lui tape sur le système nerveux.
Non, tu entends ton frère ? il voudrait faire croire que c’est le zèle religieux de Maurice qui est cause…
Quelle hérésie !
Je dis… je dis qu’à un âge où un jeune homme a besoin de développer son corps par l’hygiène, par l’exercice, par la gymnastique et par… tout ce que vous voudrez, ça n’est vraiment pas le moment pour lui de s’étioler dans les méditations, les claustrations, les mortifications et autres choses déprimantes en « tion ». Ah ! la ! la ! lorsque j’avais son âge, moi, je ne pensais pas à toutes ces choses-là… Quand je voyais une jolie fille… !
Il esquisse un geste significatif.
Onfroy !
C’est possible ! Mais au moins je me portais bien.
Il se lève et va a la cheminée.
Ah ! tiens, laisse cet hérétique de côté, ma chère : et pour ce qui est de ton fils, tranquillise-toi : j’ai brûlé ce matin à son intention un cierge sur l’autel de Saint Antoine de Padoue, ainsi… !
Oui ?
Quoi ? quoi, « Saint Antoine de Padoue » ? C’est pas sa partie, ça : il est pour les objets perdus.
Eh bien ?
Eh bien ! Maurice n’a rien perdu que je sache… Entre chair et cuir. si même on devait lui reprocher quelque chose…
Il remonte par la gauche de la table à hauteur de la baie.
Rien perdu ! et sa santé ?
Ah ! pardon ! C’est juste ! Saint Antoine la lui retrouvera.
Absolument.
Oui ; eh ! bien, si vous voulez bien, en attendant, moi je vais vous amener un ami, qui, sans contrarier en rien l’action de Saint Antoine de Padoue, s’efforcera de concourir parallèlement au rétablissement de notre cher Maurice : c’est le docteur Vétillé, médecin principal dans l’armée, actuellement à Concarneau. J’ai reçu une dépêche il y a une heure m’annonçant son arrivée par le train de dix heures quarante…
Vraiment ? se levant. Oh ! Mais as-tu dit qu’on envoie une voiture le prendre à la gare ?
Je me suis permis !… et il sera ici dans une demi-heure.
C’est gentil, Onfroy, ce que tu as fait là.
Pendant ce qui suit, la comtesse va par le fond, jusqu’à la porte de droite qu’elle ouvre doucement pour voir ce que fait son fils.
Évidemment, comme frère, vous valez mieux que comme chrétien.
N’est-ce pas ? Pour un démon, je ne suis pas un trop mauvais diable.
Il s’assied dos au public sur le tabouret devant la table et crayonne pour passer le temps, sur des papiers qu’il trouve devant lui.
Il dort !
Ah ! bien, c’est bon ça !
Les mêmes, la Claudie.
La Claudie paraît, l’air dépité, un litre à la main.
Madame la comtesse…
Te voilà, toi ! D’où arrives-tu ?
Je ne trouve pas l’éther.
Allons donc ? Il est bien temps !
J’ai bien trouvé cette bouteille.
Qu’est-ce que c’est ?
Je ne sais pas ! Ça ne peut pas remplacer ?
Du sirop antiscorbutique. Ah ! ça tu es folle ? Non, non, ça ne peut pas remplacer.
Elle passe au 2.
C’est tout de même du médicament.
Ah ! tu es bien restée paysanne ! Allons, va-t’en !
Oui, madame la comtesse.
Ah ! La Claudie se sentant rappelée, s’arrête aussitôt.
Et puis je voulais t’avertir : demain tu entreras à mon orphelinat de Kenogan.
Moi ?
Oui, toi !… tu seras attachée à la lingerie…
Oh !… madame me renvoie ?
Je ne te renvoie pas : je te change d’emploi, voilà tout.
Oh ! mais pourquoi ?
Ah !… Parce que j’en ai décidé ainsi ; je n’ai pas d’explication à te donner.
Oh ! je vois bien que madame la comtesse ne m’a pas encore pardonné le bal forain du 15 août.
Eh ! il ne s’agit pas de ça !
Oh ! si ; tout ça, parce qu’on a dit à madame que j’avais dansé avec un cuirassier… qui était dans les dragons.
Vous avez dansé avec un dragon !
Qui était dans les cuirassiers ! Oui, madame ! pour ça !
Oh !… un dragon !… et à cheval ! oh !
Bah ! tant qu’il ne l’a pas dragonnée.
Je t’en prie, toi, ne te mêle pas !… À la Claudie. Je te répète, mon enfant, qu’il n’y a pas l’ombre de disgrâce dans la mesure que je prends. Mais je ne dois pas oublier que j’ai charge d’âme ! tu es orpheline ; c’est moi qui t’ai élevée : j’ai pour devoir de veiller sur toi. Or, ce penchant que tu sembles manifester pour le plaisir m’est un avertissement ; tu arrives à un âge où la vie est pleine d’embûches pour une jeune fille ; et si elle n’a pas en elle une rigidité de principes suffisante pour y parer, elle y tombe fatalement un jour ou l’autre. Eh ! bien, je ne l’entends pas ainsi ; et pour commencer, il est urgent que je te retire à la promiscuité de l’office. Tu me comprends, n’est-ce pas ?
La Claudie qui écoute tout ce discours avec de grands yeux ahuris, fait un signe affirmatif de la tête que dément l’expression de sa physionomie.
Mais pas un mot ! Tu lui parles chinois !
N’importe ! Qu’il lui suffise de savoir qu’où je l’envoie, elle sera parfaitement heureuse…. dans une atmosphère d’honnêteté, de sainteté, à l’abri du mal et de la tentation, au milieu de bonnes sœurs…
Ohé ! Ohé !
Et elle y restera jusqu’à son mariage, où de ce fait ma responsabilité se trouvera dégagée.
Vous voyez, mon enfant, que c’est au contraire de la reconnaissance que vous devez à madame la comtesse pour la sollicitude qu’elle a pour vous.
La Claudie approuve de la tête sans conviction.
Tu parles !
Il gagne la cheminée.
Remerciez donc votre maîtresse.
Merci, madame.
À la bonne heure.
J’ajoute que s’il te plaît de te marier tout de suite, il y a Jeannick qui ne demande qu’à t’épouser ; c’est un honnête homme, un bon cocher, et un excellent chrétien : j’approuverai cette union.
Mais… il est vieux !
Vieux !
Ah ! ça, ma pauvre enfant ! Que demandez-vous donc au mariage ?
Mais… un jeune !
Voilà !… Voilà, ce penchant pour les futilités que je redoute.
Ben, tiens !
C’est bien, ma fille ! ne perdons pas de temps à discuter ; tu peux te retirer ; je n’ai plus besoin de toi.
La Claudie sort avec humeur.
Les mêmes, moins la Claudie, puis Huguette.
Non ; vous l’avez entendue ? cette paysanne ! Il lui faut un jeune.
C’est extraordinaire !
Extrordinaire !
Il remonte à gauche de la table.
Enfin, qu’est-ce que tu en dis ?
Ce que j’en dis ?… eh !… je dis qui c’est un beau brin de fille.
Oui ! Eh bien, justement c’est une des raisons pour lesquelles je l’éloigne… Je trouve qu’il n’est pas convenable que dans une maison où il y a un jeune homme de vingt ans, on ait des tendrons à son service.
Tu as peur que ton fils la détourne ?
Oh ! Dieu non !… Mais si bien armé que soit un être contre le démon, qui peut répondre que dans une heure de défaillance… Exposer une enfant à un contact journalier… !
C’est très juste.
Le marquis hausse les épaules et gagne le fond.
Sans compter que j’ai remarqué que la petite tournait beaucoup trop autour de Maurice. Elle mettait une complaisance à être toujours fourrée dans sa chambre !… et l’enfant, lui, ça l’énerve.
Mais ce qui l’énerve, c’est le combat entre sa chair qu’il n’entend pas et ses convictions qui l’assourdissent. S’il voulait seulement écouter un peu sa chair et s’il faisait comme elle lui dit, ah ! bien !… je te promets que ça ne l’énerverait pas longtemps.
Quelle horreur !
Tu as une de ces moralités !…
C’est dégoûtant.
J’élève mon fils comme je l’entends, libre à toi d’élever ta fille comme il te plaît… du moment que tu es satisfait de l’éducation que tu lui donnes !…
Tu la trouves mal élevée ?
Je ne la trouve pas élevée du tout. Tu en as fait une espèce de sauvageon, de garçon manqué, toujours par monts et par vaux, tantôt à cheval, tantôt à bicyclette.
Des choses qui s’enfourchent.
Eh, ben ?
Ça donne des idées.
Pas à elle.
Une enfant qui entend la messe tous les trente-six du mois ! – Elle devait nous rejoindre à l’église ce matin : tu crois qu’elle est venue ? Ah ! bien oui ! – Une enfant qui n’a reçu aucune direction religieuse ; qui a fait tout juste sa première communion… pour ne pas se faire remarquer, mais à part ça… ! Mon pauvre Maurice a essayé plusieurs fois, lui, de la moraliser, de lui faire entrevoir les beautés de la doctrine chrétienne… Ah ! elle l’a bien reçu !… C’est tout juste si elle a été polie.
Si elle n’a pas été polie, elle a eu tort ; mais Maurice aurait peut-être mieux fait de garder pour lui ses tentatives de prosélytisme. Je ne tiens pas à faire de ma fille une dévote. Elle aura de la religion ce qu’il en faut… pour une femme du monde ; en tout cas ce sera une honnête femme, au tempérament solide, au caractère droit, avec tout ce qu’il faut pour rendre son mari heureux ; c’est tout ce que je lui demande. Je ne sais pas qui elle épousera, mais certainement ce ne sera pas le Christ ! Nous ne sommes pas ambitieux.
En ce disant il passe devant la comtesse et va vers la cheminée.
Bravo, papa !
Elle va déposer sur la tricoteuse son chapeau qu’elle tenait à la main en entrant. – Elle a une très élégante toilette, mais toute déchirée, couverte de houe et trempée d’eau, surtout aux genoux.
Toi !
D’où viens-tu, malheureuse enfant ? Dans quel état !
Ah ! ça, ma tante, la déchirure : c’est les ronces ! le mouillé : c’est de l’eau !
Oh !
Eh bien ! tu t’es bien arrangée.
Une toilette neuve !
Oui ! c’est embêtant.
C’est ennuyeux, tu veux dire.
Non ! C’est pas assez !
Elle a raison : « embêtant », c’est encore faible.
Il embrasse sa fille.
Ah ? bien, bien !… changeant de ton. Mais avec tout ça, je croyais que tu devais venir nous rejoindre à la messe ?
Mais oui, ma tante. Montrant sa robe. vous voyez : j’étais prête ; j’avais même fait toilette. s’asseyant sur le bord de la table, près de la comtesse. Seulement, voilà, au moment de partir, dans la cour des écuries, j’ai vu le nouveau cheval arrivé hier ! Vous ne pensez pas vous en servir, ma tante ? il est vicieux ! Les hommes n’en venaient pas à bout ! Redescendant un peu. Voilà-t-il pas que tout à coup, la bête fait un tète-à-queue, et v’lan ! son cavalier par terre. Alors, je ne sais pas ce qui m’a pris, une sorte de vertige, d’envie irrésistible !… avant même qu’on ait eu le temps de faire « ouf », une, deux ! mon paroissien était dans les mains du palefrenier et j’avais, moi, enfourché le cheval !
En ce disant, elle a rassemblé ses jupes et s’est mise à cheval sur l’extrémité du tabouret qui est devant la table
Enfourché !
Il était sellé pour homme !
Enfourché ! Et en grande toilette !
Ça prouve qu’il n’y avait pas préméditation ! Reprenant son récit. Et alors Imitant le galop sur son tabouret. ç’a été une galopade à travers champs ! tantôt je conduisais le cheval ; tantôt… Moins fièrement. il me conduisait ; et ou dévorait l’espace, c’était amusant ! Mais c’est égal, il ne m’a pas désarçonnée… Alors, je me suis dit, je vais un peu lui faire faire du kilomètre sur la plage, Imitant de nouveau le galop, les mains tenant des rènes imaginaires. et patatam ! patatam ! nous voilà sur le sable ; on allait un train ! Quand tout à coup, Se levant et gagnant la baie par la gauche de la table. là, de l’autre côté de la pointe, où vous voyez la cabine du douanier, j’aperçois un rassemblement ; Au-dessus de la table, s’adressant à son père. tu connais ma curiosité ; je ne suis pas femme pour rien ! Je cingle mon cheval ; un temps de galop et j’y suis… S’appuyant des deux poings sur la table. Qu’est-ce que je trouve ? Un groupe de marins qui entourait un pauvre petit jeune homme qui avait été entraîné par notre maudit raz de marée, et qu’on venait de repêcher sans connaissance.
Quelle horreur !
C’est intéressant, n’est-ce pas ? Était-il vivant ? Était-il mort ? On ne savait pas. Les pêcheurs discutaient gravement ! Allant vers la comtesse. On parlait déjà de le pendre par les pieds… pour lui faire rendre son eau.
Les crétins ! Sainte routine !
Je me dis : ma bonne Huguette, si tu n’interviens pas, on va faire des boulettes. Se tournant vers son père et gaîment. Tiens, c’est des vers ! Je ne l’ai pas fait exprès ! Alors, ma foi, je ne fais ni une ni deux, je saute à bas de ma bête et je viens mêler ma voix au chapitre. Naturellement, aucun médecin ! Un genou sur le tabouret. Par bonheur, j’avais déjà vu un cas pareil, une année à Biarritz ; je me suis rappelée comment avaient fait les hommes de l’art et ma foi, je me suis mise à faire mon petit docteur. À son père. Exercice illégal, oui, monsieur ! J’ai écarté le groupe et j’ai pris le commandement : j’ai commencé par faire enlever le costume de bain du petit bonhomme.
Comment, « enlever » ? Mais alors… il était tout nu ?
Naturellement.
Devant toi ! Oh !… Ça ne te faisait rien !
Non !
Oh !
Mais c’est si ça lui avait fait quelque chose que c’eût été répréhensible. Je vous en prie. Eugénie, ne montez donc pas la tête à ma fille, n’est-ce pas ?
Il remonte par la gauche de la table.
Moi ? C’est moi qui… ? Oh !
Une fois le petit en tenue, allez-y ! Je me dis : adieu, ma belle toilette ! D’ailleurs, il n’y avait pas grand mal, elle avait déjà eu affaire aux ronces. Je me plante par terre, les deux genoux dans la vase, à cheval sur le petit.
À cheval ! Encore !
En amazone, au moins ?
En amazone !
Oh ! Vous me voyez faisant de la respiration artificielle en amazone ! passant devant la comtesse pour gagner le milieu de la scène.