Le Mont-Blanc - Charles Martins - E-Book

Le Mont-Blanc E-Book

Charles Martins

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Beschreibung

Jusqu’au milieu du siècle dernier, la chaîne centrale des Alpes n’était connue que des montagnards ; les habitants de la plaine ne la visitaient pas. L’absence ou la difficulté des chemins, qui n’étaient que des sentiers, le manque d’hôtelleries, la crainte de l’imprévu, l’emportaient sur la curiosité. Située au pied du Mont-Blanc, appelé alors la montagne maudite, la vallée de Chamonix était inconnue aux populations des bords du lac Léman, quoique le prieuré ou couvent de bénédictins existât depuis 1090, et que les évêques de Genève le visitassent dès le milieu du XVe siècle. L’un d’eux, François de Sales, y arriva le 30 juillet 1606 et y resta plusieurs jours. Néanmoins c’est un voyageur anglais célèbre par ses pérégrinations en Orient, Richard Pococke, accompagné de Windham, un de ses compatriotes, qui a réellement découvert la vallée de Chamonix en 1741, fait connaître ses beautés et dissipé les craintes mal fondées qu’inspirait la prétendue barbarie des habitants…

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Le Mont-Blanc.

Le Mont-Blanc

études de météorologie et d’histoire naturelle.

Première partie

Deux ascensions au Mont-Blanc : études de météorologie et d’histoire naturelle{1}.

Chaque été, des touristes partent de tous les points de l’Europe, se dirigeant vers les Alpes, et gravissent à l’envi les cimes les plus inaccessibles. Bientôt tous ces sommets neigeux dont la blancheur virginale était un emblème cher aux poètes auront été déflorés. En Angleterre, en Suisse, en Autriche, en Italie, se sont formés des clubs alpins dont les membres rivalisent de zèle et d’audace ; une noble émulation, un amour-propre légitime les animent et les excitent. On compte le petit nombre de sommets que leur pied n’a pas encore foulés. On ne pourrait faire un meilleur emploi de la vigueur, de l’agilité et de l’énergie qui caractérisent la jeunesse. Les exercices stéréotypés de la gymnastique régulière, les petits incidents et les petits obstacles de la chasse dans les plaines bien connues qui entourent l’héritage paternel, ne sauraient suffire à des esprits entreprenants servis par des corps sains et vigoureux.

Les Alpes sont une arène où ils peuvent déployer toutes leurs qualités physiques et morales. Des nuits passées dans les chalets ou sous une pierre près de la limite des neiges éternelles, les difficultés réelles et les dangers sérieux des glaciers, les obstacles imprévus de rochers verticaux barrant l’accès de la cime désirée, le froid, les effets de la raréfaction de l’air, des nuages enveloppant subitement la montagne dans une brume épaisse, les orages dont la foudre frappe si souvent les sommets, l’obscurité surprenant le voyageur au milieu de ces déserts de neige et de glace, voilà des fatigues dignes de la vigueur et des aspirations d’une jeunesse virile et bien trempée. Quel plaisir de vaincre des obstacles et de braver des périls où la vie est en définitive rarement en jeu, et quelle récompense après la victoire ! Du haut du sommet vaincu, on voit le monde à ses pieds, l’œil se promène au loin sur les vallées et sur les montagnes ; un délicieux repos succède à une fatigue momentanée, un appétit inconnu dans la plaine assaisonne le modeste repas que le guide sert sur le gazon émaillé de fleurs alpines ; un air pur, une lumière éclatante prêtent à tous les objets une beauté inconnue dans l’atmosphère épaisse des régions habitées ; le bien-être du corps réagit sur l’état de l’âme, qui se sent inondée de nobles désirs et de grandes pensées. Les intérêts mesquins et les vanités ridicules du monde s’évanouissent dans leur petitesse, on s’étonne d’y avoir songé, et on se promet de les ignorer désormais. Telles sont les jouissances pures et sans mélange que tout homme bien né éprouvera en présence du grand spectacle dont il est le centre. De plus vives encore sont réservées à celui qui gravit ce sommet avec la volonté d’étudier les lois du monde physique, les phénomènes de l’atmosphère, les productions de la nature dans ces froides régions, ou d’analyser la structure de ces montagnes qui semblent un chaos et sont l’expression d’une règle encore inconnue. Ces ascensions sont des ascensions scientifiques qui ont ajouté à la somme de nos connaissances ; les autres sont des ascensions pittoresques, satisfaisantes pour celui qui les accomplit, mais en général inutiles, car des sensations ne se communiquent guère : les impressions sont personnelles, et tout se résout en une série d’exclamations qui traduisent l’admiration, le contentement et le légitime orgueil du touriste triomphant.

Dans cette étude, je voudrais faire connaître aux lecteurs deux ascensions scientifiques au Mont-Blanc faites à cinquante-sept, ans d’intervalle, en montrer l’utilité, le profit que la science en a retiré et celui qu’elle en attend encore. Les sommets des Alpes sont les plus élevés de l’Europe, mais non de la terre. Des ascensions ont été faites dans les Andes et dans l’Himalaya, des savants émiriens y ont séjourné à des hauteurs supérieures à celles du Mont-Blanc et y ont fait d’importantes observations ; mais des souvenirs et des travaux personnels me ramènent aux Alpes, et je préfère me limiter pour parler pertinemment et en connaissance de cause de ce que j’ai vu et ressenti moi-même.

Jusqu’au milieu du siècle dernier, la chaîne centrale des Alpes n’était connue que des montagnards ; les habitants de la plaine ne la visitaient pas. L’absence ou la difficulté des chemins, qui n’étaient que des sentiers, le manque d’hôtelleries, la crainte de l’imprévu, l’emportaient sur la curiosité. Située au pied du Mont-Blanc, appelé alors la montagne maudite, la vallée de Chamonix était inconnue aux populations des bords du lac Léman, quoique le prieuré ou couvent de bénédictins existât depuis 1090, et que les évêques de Genève le visitassent dès le milieu du XVe siècle. L’un d’eux, François de Sales, y arriva le 30 juillet 1606 et y resta plusieurs jours. Néanmoins c’est un voyageur anglais célèbre par ses pérégrinations en Orient, Richard Pococke, accompagné de Windham, un de ses compatriotes, qui a réellement découvert la vallée de Chamonix en 1741, fait connaître ses beautés et dissipé les craintes mal fondées qu’inspirait la prétendue barbarie des habitants. Trop préoccupés cependant des récits absurdes et mensongers débités avec assurance pour les détourner de leur projet, Pococke et Windham s’entourèrent de précautions inutiles, n’entrèrent dans aucune maison et campèrent assez loin du prieuré de Chamonix, près d’un bloc erratique qui se nomme encore la Pierre des Anglais. On peut donc affirmer que si un étranger a découvert la vallée de Chamonix, ce sont des Genevois, Bourrit, de Saussure, Pictet et Deluc, qui la firent réellement connaître. Ce qui est vrai des alentours du Mont-Blanc l’est encore plus de ceux du Mont-Rose et même des Alpes bernoises et valaisannes. On ne connaissait, à l’époque dont nous parlons, que les passages fréquentés qui conduisaient en Italie : le Mont-Cenis, le grand et le petit Saint-Bernard, le Monte-Moro, le Simplon, le Saint-Gothard, le Splugen, le Bernhardin, le Septimer et les autres cols par lesquels les vallées longitudinales des Alpes communiquaient entre elles, la Gemmi, la Grimsel, le Juliers, l’Albula, le Panix, etc…; les voyages du naturaliste Scheuchzer, les ouvrages descriptifs d’Altmann et de Gruener révélèrent la Suisse à l’Europe au commencement du XVIIIe siècle ; mais ce ne fut qu’à la fin de ce siècle que les travaux de Saussure et de Bourrit la rendirent populaire. Depuis cette époque, le flot de voyageurs qui la visitent chaque année a sans cesse grossi. Actuellement la Suisse est un parc sillonné par des chemins de fer et des bateaux à vapeur, le voyageur pédestre a disparu de la plaine et ne se retrouve que dans la montagne. Les ascensions alpestres des touristes se sont multipliées, celles des savants sont toujours rares ; commençons par la plus célèbre de toutes, l’ascension de Saussure en 1787.

I.

Né à Genève en 1740, Horace Benedict de Saussure commença ses voyages dans les Alpes à l’âge de vingt ans. La météorologie ; la topographie, la géologie, la botanique, l’aspect pittoresque et les mœurs des habitants avaient tour à tour fixé son attention. Pour achever son œuvre, il voulut monter sur le Mont-Blanc et embrasser de cet observatoire élevé l’immense région montagneuse qu’il avait parcourue. Cette masse imposante qu’il apercevait dans toute sa majesté des bords du lac Léman et presque des fenêtres de sa maison était pour lui un défi permanent. Aussi avait-il promis une récompense à celui qui atteindrait le premier la cime réputée inaccessible du Mont-Blanc. Quelques essais timides ont lieu en 1775 et se renouvellent en 1783. Bourrit fit une tentative en 1784, de Saussure lui-même en 1785, en attaquant le colosse par la montagne de la Côte, entre le glacier des Bossons et celui de Taconnay. En juin 1786, le docteur Paccard, Pierre Balmat et Marie Couttet montèrent en suivant le même chemin et s’élevèrent sur le Dôme-du-Gouté, sans pouvoir de là parvenir jusqu’au sommet. Balmat ne redescendit pas à Chamonix, passa la nuit blotti dans la neige, et reconnut le lendemain les couloirs du Petit et du Grand-Plateau par lesquels on peut arriver à la cime. Il communiqua sa découverte au docteur Paccard, et tous deux, partis de Chamonix le 7 août, atteignirent le sommet le lendemain à six heures du soir.

La route était connue. Le 1er août 1787, de Saussure partit de Chamonix avec dix-huit guides, et alla coucher sous une tente au haut de la montagne de la Côte, à 2,563 mètres au-dessus de la mer. Le lendemain matin, il entra dès six heures sur le glacier pour ne plus le quitter. Des crevasses qu’il fallait contourner retardèrent sa marche, et il lui fallut trois heures pour arriver à la petite chaîne de rochers isolés au confluent des glaciers des Bossons et de Taconnay, et qui portent le nom des Grands-Mulets. De Saussure voulait s’élever le plus haut possible, afin d’arriver à la cime le lendemain de bonne heure. Il alla coucher au Grand-Plateau, à la hauteur de 3,890 mètres au-dessus de la mer, à 180 mètres plus haut, comme il le dit lui-même, que le sommet du pic de Ténériffe. Fatigués déjà par une longue marche et éprouvant les effets de la raréfaction de l’air, les guides eurent beaucoup de peine à creuser, dans la neige une cavité capable de contenir toute la troupe. La cavité fut recouverte par la tente ; mais les guides, toujours préoccupés de la crainte du froid, fermèrent si exactement les joints que de Saussure souffrit beaucoup de la chaleur et de l’air vicié par la respiration de vingt personnes serrées dans un espace étroit. « Je fus obligé, dit-il, de sortir pendant la nuit pour respirer. La lune brillait du plus grand éclat au milieu d’un ciel noir d’ébène. Jupiter sortait tout rayonnant aussi de lumière de derrière la plus haute cime, à l’est du Mont-Blanc, et la clarté réverbérée par tout ce bassin de neiges était si éblouissante qu’on ne pouvait distinguer que les étoiles de première grandeur. » A peine la troupe était-elle endormie qu’elle fut réveillée par le bruit d’une avalanche qui tombait le long de la pente qu’elle devait traverser le lendemain. Au point du jour, tout le monde était sur pied ; le thermomètre marquait 4 degrés au-dessous de zéro. Gagnant l’extrémité du Grand-Plateau, de Saussure monta par un talus rapide en se dirigeant vers l’est, et, s’élevant au-dessus des Rochers-Rouges, il découvrit les montagnes du Piémont, passa près des Petits-Mulets, qui percent la neige à 4,680 mètres au-dessus de la mer, s’y reposa quelques instants, puis, montant à pas lents, s’arrêtant tous les quinze ou seize pas, il arriva à onze heures à la cime et foula la neige avec une sorte de colère satisfaite, expression de la longue lutte qu’il avait soutenue. La cime avait la forme d’une arête allongée en forme de dos d’âne, dirigée de l’est à l’ouest, et descendant à ses deux extrémités sous des angles de 28 à 30 degrés : elle était très étroite, presque tranchante au sommet, à tel point que deux personnes ne pouvaient y marcher de front ; mais elle s’élargissait et s’arrondissait en descendant du côté de l’est, et prenait du côté de l’ouest la forme d’un avant-toit saillant au nord.

Pendant toute son ascension à partir du Grand-Plateau, de Saussure avait remarqué que les roches visibles au-dessus de la neige étaient toutes de nature cristalline, quoique plus ou moins divisées en lames parallèles : elles appartiennent toutes à la variété de granité que les géologues actuels appellent protogine