Le passé se conjugue au présent - Catherine Charbonnel - E-Book

Le passé se conjugue au présent E-Book

Catherine Charbonnel

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Beschreibung

Brilante avocate, Clara est promise à un bel avenir. Et pourtant, tout pourrait bien changer...

Jeune avocate au barreau de Toulouse, Clara vient de remporter sa première affaire ! Tous les voyants sont au vert pour une brillante carrière. Seule une vieille et sordide histoire d'étudiant vient assombrir le paysage et perturber ses nuits. Elle décide de partir se reposer auprès de ceux qui ont toujours partagé les moments forts de sa vie, son amie Loriane et son frère Simon. Mais rien ne se passe comme prévu : sa grand-mère décède, le contenu de son testament est des plus déroutants, son frère perd pied dans la gestion de la scierie qu'il vient de reprendre... Sans parler de l'arrivée de ce journaliste, un homme qui pourrait la rendre heureuse et qui pourtant lui échappe.
Des rencontres, des espoirs, des trahisons, des soupçons, des idylles surgissent sans prévenir. Et les vies en sont chamboulées. Cette histoire nous plonge au cœur des redoutables petits mensonges et des inavouables secrets qui sont en chacun de nous... jusqu'au jour où il faut choisir entre la lumière ou les ténèbres. Pour tout recommencer ? Remettre d'aplomb ? Réparer ? On n'est plus sûr de rien.

Qui donc est cet homme ? Pourquoi échappe-t-il à Clara ? Que renferme ce testament ? Découvrez sans plus attendre ce roman poignant où l'imprévu surgit de là où on ne l'attend pas !

EXTRAIT

Plus tard, après avoir quitté le Pub, Clara se rendit à la scierie. Tout en conduisant, elle repensa aux avertissements de son amie. Depuis son arrivée, Erwan s’était toujours montré agréable. Il y avait quelque chose de rassurant et d’apaisant chez lui, et elle considérait sa présence aux Tilleuls comme une évidence. Si elle le trouvait parfois agaçant ou s’il faisait preuve d’arrogance dans certaines de ses réactions, il agissait avec une telle désinvolture qu’elle lui pardonnait volontiers ses petits travers. Elle n’avait aucune raison de se méfier de lui et elle espéra que Loriane changerait d’avis, si cette relation devait prendre une tournure plus sérieuse.
Elle se rendit dans le bâtiment administratif. La fenêtre du bureau de Simon était ouverte et des voix se faisaient entendre. Elle reconnut celles de son frère et du contremaître. Leurs échanges étaient vifs. En entrant dans le secrétariat, elle salua Sofia, la fille de Xavier. La jeune femme était aussi blonde que son père était brun. Âgée de vingt-trois ans, elle terminait des études commerciales. Elle avait déjà effectué plusieurs stages à la scierie dans le cadre de sa formation et elle était appréciée de tout le monde. Compétente et dynamique, elle avait, à plusieurs reprises, remporté des marchés. D’un contact facile, elle avait toujours un mot gentil pour chacun des salariés et beaucoup s’accordaient à dire qu’elle était la digne fille de son père.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Catherine Charbonnel aime la nature et la faune sauvage. Elle défend âprement l’environnement dans chacun de ses romans. Dans cette nouvelle histoire, on découvre qu’elle est fascinée par les chevaux, par ce mélange de force, de fierté et d’élégance qui émane d’eux. Quant aux chevaux de trait, elle est en admiration devant « ces colosses au cœur tendre ». Parce qu’ils ont presque disparu de notre paysage et qu’ils ne sont élevés que pour la boucherie, elle a eu l’envie de les mettre à l’honneur en rappelant leur utilité en traction animale dans l’exploitation forestière. Du même coup, elle apporte un magnifique éclairage sur le métier de débardeur à cheval, quasiment tombé en désuétude en France, mais pas dans les pays de l’Europe du Nord, ni en Pologne. L’auteur vit à côté de Tulle, en Corrèze. Précédentes publications aux éditions Lucien Souny : La Fille aux ours (2008), Un Oiseau aux ailes brisées (2013), Le Jardinier des forêts (2016).

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Couverture

Page de titre

Pour Christiane, toi, l’amie qui m’as accompagnée depuis mes débuts sur le chemin de l’écriture et qui nous as quittés bien trop tôt.

Chapitre 1

— Mon amour, j’aurais besoin d’un service. Pourrais-tu nous servir de chauffeur, à un ami et à moi, cet après-midi ?

Intriguée, Clara fixa Sacha durant quelques secondes.

— Pour aller où ? Et pourquoi ne conduis-tu pas toi-même ?

Il s’approcha et la serra dans ses bras en l’embrassant.

— Parce que nous avons une course à faire, et qu’il nous faut une personne sûre pour surveiller la voiture pendant ce temps. Profites-en, je sais que tu adores conduire ma Mercedes.

Flattée par cette preuve de confiance, elle accepta sans se méfier. En fin d’après-midi, ils passèrent prendre Denis, l’ami en question. Sacha fit les présentations puis l’autre s’installa à l’arrière, chargé d’un sac de sport noir. Clara remarqua qu’il était identique au sien, celui qui contenait les quelques affaires qu’elle avait prises pour passer la nuit chez Sacha. Assis du côté passager, ce dernier la dirigea à travers les rues de Bordeaux.

— Vas-tu enfin me dire où l’on va ? s’impatienta-t-elle, vaguement inquiète.

Sacha se retourna vers Denis et ils échangèrent un regard qu’elle n’apprécia pas.

— Tu vas bientôt le savoir. Et après, je vous invite au resto chinois, celui qui vient d’ouvrir.

Elle le couva d’un regard amoureux, ravie de cette proposition. Puis, comme la circulation devenait plus dense, elle se concentra sur la route. Denis devait récupérer un colis chez un copain. Elle se gara à l’angle d’un carrefour et patienta avec Sacha dans la voiture tandis que le copain disparaissait derrière une lourde porte d’immeuble. Il réapparut dix minutes plus tard, avec un paquet de la taille d’une boîte à chaussures sous le bras. Ils roulèrent ensuite jusqu’à une ruelle où Sacha demanda à Clara de stationner, sans couper le moteur. Quelques secondes auparavant, il lui avait posé une casquette sur la tête et avait rassemblé ses cheveux sous le tissu. Absorbée par sa conduite, elle avait protesté pour la forme. La journée vira alors au cauchemar. Tout s’enchaîna très rapidement. Devant Clara incrédule, les deux hommes déroulèrent une cagoule noire sur leur visage puis ils sortirent deux armes de la boîte que Denis tenait.

— Mais vous êtes dingues ! Qu’est-ce…

— Ferme-la ! Ce n’est pas le moment ! Tu ne bouges pas de la voiture et tu attends, quoi qu’il arrive. Et laisse le moteur tourner !

Elle aperçut, horrifiée, la devanture d’une bijouterie un peu plus bas dans la rue et comprit qu’ils s’apprêtaient à commettre un vol à main armée. Pétrifiée, elle vit les deux malfrats s’engouffrer dans la bijouterie. Les quelques minutes durant lesquelles ils restèrent à l’intérieur lui semblèrent une éternité. Tétanisée, incapable de raisonner objectivement, elle ne songea même pas à s’enfuir, ni même à donner l’alerte, s’attendant à chaque instant à entendre hurler les sirènes de la police. Les deux hommes ressortirent de la boutique dans une extrême agitation. Ils couraient vers la voiture quand le commerçant surgit sur le trottoir en pointant une arme dans leur direction. Un coup de feu claqua et Denis s’effondra. Sacha répliqua. Le bijoutier poussa un cri et chercha à s’abriter. L’autre en profita pour relever son complice et l’aider à atteindre la Mercedes. Ils se jetèrent sur le siège arrière.

— Fonce, putain, fonce !

La scène s’était déroulée comme dans un film. Dans un état second, Clara, paniquée, faillit caler, mais dans un ultime réflexe, elle appuya sur l’accélérateur. La voiture disparut dans un crissement de pneus. Sacha retrouva très vite son calme et orienta Clara pour s’éloigner au plus vite du quartier. Après quelques kilomètres, il lui indiqua l’entrée d’un parking souterrain. Ils s’y arrêtèrent pour s’occuper du blessé et échanger les plaques d’immatriculation de la voiture avec celles que Sacha avait dissimulées dans le coffre. Sur la banquette arrière, Denis, le blouson maculé de sang, grimaçait de douleur. Après être sortie de la Mercedes, Clara fut prise de tremblements incontrôlés. Elle avait l’impression d’évoluer en plein cauchemar. Le moment de sidération passé, la colère prit le dessus.

— Braquer une bijouterie ! Vous êtes cinglés ! Le patron a peut-être été blessé, voire pire ! Espèces de salauds ! Pourquoi vous m’avez mêlée à ça ? Je ne veux pas être la complice d’un meurtre !

Sacha, penché sur Denis, tourna la tête vers elle.

— Arrête donc de hurler ! Notre chauffeur nous a lâchés au dernier moment et on avait besoin de quelqu’un. Et puis le proprio de la boutique était censé être absent. Il ne devait y avoir que la vendeuse à cette heure-là.

Clara était maintenant secouée de sanglots, proche de la crise de nerfs. Son compagnon perdit patience.

— T’as pas fini de pleurnicher ! Viens plutôt t’occuper de Denis pendant que je change les plaques.

Abasourdie par cette dureté, elle s’approcha du blessé. Ce dernier était livide et visiblement mal en point. Il avait pris la balle du côté gauche, à hauteur des reins, et il maintenait sa cagoule plaquée contre la blessure pour tenter d’arrêter le sang qui coulait. Atterrée, elle ne sut que faire pour lui venir en aide. Le souffle court, Denis grogna.

— Dis à Sacha de se grouiller, bon Dieu ! Je suis en train de me vider de mon sang.

Celui-ci revint peu après.

— Il va falloir que tu tiennes le coup. On va se tirer de Bordeaux par les petites routes. On trouvera une pharmacie en chemin.

— C’est d’un médecin qu’il a besoin. Il a pris une balle, protesta faiblement Clara.

— C’est hors de question. Un toubib nous dénoncerait tout de suite.

Denis grimaça, mais convint que son complice avait raison. Sacha l’aida à se redresser.

— Bon, on a assez perdu de temps. Il faut y aller maintenant.

La jeune femme réagit.

— Il n’est pas question que je reparte avec vous ! Je n’ai rien à voir dans tout ça !

— Les flics ne feront pas le détail. Tu étais dans la voiture. C’est amplement suffisant pour qu’ils te coffrent comme complice.

— Mais je ne savais pas ce que vous projetiez !

Elle vit les muscles de sa mâchoire se durcir.

— Ils ne te croiront jamais. Et si tu t’avises de nous dénoncer, je t’enfoncerai. Je leur dirai que nous avons préparé ce braquage ensemble. Alors je te conseille de la fermer, ma belle, et de monter dans cette voiture, dans notre intérêt à tous. Il va falloir que tu oublies Bordeaux pendant un certain temps.

Elle était coincée et elle n’eut d’autre choix que de lui obéir. Sacha avait repris le volant. Il réussit à sortir de la ville en évitant les grands axes et ils roulèrent durant près de deux heures en direction de l’est. Dans un village, ils s’arrêtèrent dans une pharmacie. Denis semblait avoir retrouvé quelques couleurs et sa blessure ne saignait plus. Ils reprirent la route en écoutant les informations à la radio. À son grand soulagement, Clara apprit que le bijoutier n’avait pas été touché. D’après le journaliste, le butin s’élevait à plus de deux cent mille euros. Le montant fit frémir la jeune femme qui songea au sac de sport noir dans lequel ils avaient mis les bijoux et qui était dans le coffre, près du sien.

Suivant les prévisions de Sacha, la police allait concentrer les recherches en direction du sud. Il était persuadé de leur échapper en rejoignant l’Italie. Par prudence, ils évitèrent cependant les grandes voies de circulation. Parvenus à hauteur de Limoges, Clara réussit à convaincre Sacha de la laisser partir. Dans le Limousin, elle avait de la famille chez qui elle pouvait être hébergée quelques jours, le temps que les choses se calment. Sacha finit par capituler. Il lui fit jurer de ne parler de cette histoire à quiconque, sous peine de lui faire payer cher sa trahison. Clara savait que ce n’étaient pas des paroles en l’air.

Ils la déposèrent devant une petite gare de campagne, à quelques kilomètres de Limoges. Clara s’apprêtait à sortir de la voiture lorsque Sacha s’empara de son portable. Elle protesta. Après avoir effacé toutes les données qui les rattachaient l’un à l’autre, il le lui rendit et fit de même avec son propre téléphone. Tandis qu’elle disait au revoir à Denis, Sacha alla chercher ses affaires dans le coffre. Elle le remercia du bout des lèvres lorsqu’il lui tendit son sac. D’un ton glaçant, il réitéra ses menaces puis, après un bref salut, il remonta dans la voiture et la Mercedes s’éloigna, alors que la nuit tombait sur la campagne limousine. Clara se sentit libérée d’un énorme poids et ouvrit le sac pour y chercher son portefeuille. Un gouffre s’ouvrit alors sous ses pieds : le sac était celui qui contenait les bijoux ! Sacha s’était trompé ! À bout d’émotions, elle sentit ses jambes se dérober sous elle. Soudain, une sonnerie stridente retentit.

Clara se réveilla en sursaut, le front couvert de sueur et le cœur battant. Elle tendit la main vers sa table de nuit pour arrêter l’alarme de son réveil et mit quelques secondes à retrouver ses esprits. Une fois encore, cette maudite journée était venue hanter son sommeil ! Cela cesserait-il un jour ? Six ans étaient passés, mais elle en doutait toujours.

Chapitre 2

Il est de rares instants dans la vie où tout va pour le mieux. Où tout ce qui doit être fait l’a été et où tout semble à sa place.

En cette fin de journée ensoleillée de juillet, c’est précisément ce que se disait Clara en refermant le dossier de son client, dont elle venait de gagner le procès.

Pour cette jeune avocate de vingt-sept ans, c’était une victoire de plus à mettre à son actif depuis qu’elle avait été engagée l’année précédente, dans ce cabinet d’avocats de Toulouse, spécialisé dans le droit pénal routier. Si la liste des affaires remportées n’était pas encore très importante, elle n’avait toutefois pas à en rougir au vu des résultats des autres collaborateurs.

Ses rêves de grandes batailles judiciaires médiatisées n’avaient pas résisté à la réalité du métier et lorsque, au terme de ses études, quelques jours après sa prestation de serment, elle avait été contactée par maître Baumont, fondateur du cabinet, elle n’avait pas hésité longtemps avant d’accepter sa proposition de travail. Depuis, son quotidien était rythmé par les affaires de suspensions de permis, d’infractions au Code de la route, d’alcoolémies au volant et d’indemnisations de victimes d’accidents de la circulation. Pour chaque litige, elle assurait la défense de son client avec conviction et ce nouveau procès gagné aujourd’hui la satisfaisait pleinement. Elle allait pouvoir partir en congés l’esprit serein. Se reposant contre le dossier de son fauteuil, elle laissa son regard errer par la fenêtre ouverte d’où s’engouffraient des bouffées d’air chaud. Le cabinet Baumont était très bien situé, proche du palais de justice et du jardin des plantes où Clara aimait se promener à l’heure du déjeuner, lorsque son emploi du temps le lui permettait, ce qui arrivait de moins en moins souvent. En cette torride journée d’été, la température déclinait en même temps que le soleil, mais même en fin d’après-midi, la chaleur demeurait encore accablante entre les murs des maisons de briques roses. Pourtant, Clara aimait l’été à Toulouse. La ville semblait endormie, loin de l’effervescence quotidienne qui était son lot durant le reste de l’année. La plupart des étudiants avaient déserté les lieux, remplacés par les touristes.

Elle savoura l’idée de pouvoir disposer de quatre semaines de totale liberté. Ses premières vraies vacances depuis son engagement au sein du cabinet. Qu’allait-elle faire ? Elle n’en savait rien encore.

Plongée dans ses projets, Clara ne vit pas maître Baumont pénétrer dans son bureau. Sa voix grave la fit sursauter.

— André ! Je ne vous avais pas entendu, excusez-moi.

Ce dernier, vêtu d’un costume sombre, sourit. Dès les premiers jours, il avait apprécié cette jeune femme dynamique, au caractère bien affirmé. Ses yeux verts, ses cheveux châtains mi-longs ainsi que les deux petites fossettes qui se dessinaient lorsqu’elle souriait lui rappelaient sa propre fille, partie travailler à l’étranger. Clara s’était bien adaptée au sein du cabinet et, bien qu’il s’en défendît, elle était devenue sa protégée. Il balaya ses excuses d’un geste de la main.

— Je dois aller plaider au tribunal et je venais vous féliciter pour votre victoire. Ce n’était pas un dossier facile et vous l’avez bien défendu. C’est très positif pour l’image de notre cabinet.

Touchée, elle le remercia. Elle reconnaissait la bienveillance de cet homme pour lequel elle avait beaucoup d’estime et d’admiration, tant pour la personne que pour l’avocat qu’il était.

— Je ne voulais pas partir sans vous souhaiter de bonnes vacances, car je risque de rentrer tard. Avez-vous prévu de partir un peu ?

— Pour être honnête, je n’ai encore rien décidé.

— Peut-être irez-vous rendre visite à votre famille en Corrèze ? C’est une si belle région.

Le visage de Clara s’éclaira à l’évocation de la région qui l’avait vue grandir.

— Oui, bien sûr. Je ne suis pas allée à Chavignac depuis plusieurs mois et j’ai hâte de revoir tout le monde.

André Baumont jeta un coup d’œil rapide à sa montre.

— Il faut vraiment que j’y aille. Je vous fais confiance, je sais que vous emploierez au mieux votre temps libre. Reposez-vous bien.

Elle le raccompagna jusqu’à la porte et le salua une dernière fois puis revint à son bureau pour finir de ranger ses affaires. Rien n’était plus déplaisant que de rentrer de congés et de trouver un bureau en désordre. Tout en classant ses dossiers, elle songea à la Corrèze. Bien entendu, elle y passerait quelques jours. Son frère Simon et sa meilleure amie, Loriane, fiancés l’un à l’autre, y vivaient ainsi que sa grand-mère Rose. Elle ne les avait pas vus depuis Noël et ils lui manquaient, même s’ils se parlaient souvent au téléphone. Mais, comme d’habitude, elle savait qu’elle n’y resterait pas longtemps. À chaque séjour prolongé chez sa grand-mère, aux Tilleuls, ses souvenirs la rattrapaient impitoyablement et elle se sentait en danger. Malgré les années passées, le sombre épisode du braquage de la bijouterie la hantait toujours. Tout en frissonnant, elle se força à donner une direction plus légère à ses pensées et réfléchit à ses vacances. Elle avait déjà plusieurs idées en tête : randonner avec des amis dans les Pyrénées, accompagner ses parents au bord de la Méditerranée, bien que cette perspective ne l’enchantait pas vraiment, ou bien partir seule à l’étranger. Les possibilités ne manquaient pas.

L’éventualité d’un voyage lui rappela Arnaud et son cœur se serra. Elle avait rompu avec lui un mois auparavant. Il lui avait souvent promis de l’emmener à Rome pour un week-end. Mais comme toutes ses belles annonces, celle-ci était restée vaine. Lui aussi était avocat et il travaillait pour un cabinet concurrent. Ils s’étaient rencontrés six mois plus tôt, sur une affaire, chacun plaidant pour l’une des parties. C’est elle qui avait remporté le procès, mais, peu rancunier, il l’avait invitée au restaurant le soir même. Très vite, leur relation avait pris une tournure plus intime, jusqu’au moment où elle avait découvert qu’il était marié. Amoureuse, elle avait toutefois voulu y croire, mais malgré maintes promesses, il n’avait jamais trouvé le courage de demander le divorce et Clara était parvenue à la triste conclusion qu’il ne le ferait jamais. Elle avait préféré mettre fin à leur liaison, même si ce choix avait été difficile, et s’était plongée dans le travail pour l’oublier. Épuisée, elle s’était enfin décidée à prendre des congés.

Elle avait toujours rêvé d’aller visiter l’Irlande. Peut-être était-ce le bon moment ? Des images de grands lacs, de landes, de côtes sauvages et de pubs animés s’imposèrent aussitôt. L’Irlande paraissait être un bon choix et dès demain, elle se rendrait dans son agence de voyages pour organiser son séjour. Il serait toujours temps d’aller en Corrèze après cette escapade irlandaise.

La sonnerie de son portable interrompit brusquement ses pensées. Sur l’écran, le prénom Simon s’affichait. Elle s’alarma aussitôt. Il n’était pas dans les habitudes de son frère de l’appeler en pleine journée.

— Simon, je suis contente de t’entendre ! fit-elle, malgré tout inquiète.

Il y eut quelques secondes de silence qui lui parurent très pesantes.

— Que se passe-t-il ?

— Je suis désolé de devoir te l’apprendre par téléphone, petite sœur, mais j’ai une horrible nouvelle. Grand-mère Rose est morte. Son aide-ménagère l’a retrouvée dans son lit cet après-midi, après la sieste. Elle nous a quittés durant son sommeil.

***

Le débit monocorde du curé qui parlait maintenant de la vie éternelle lassa très vite Clara. Assise sur le banc de l’église, aux côtés de ses parents et de son frère, elle regarda autour d’elle. L’édifice était à l’image de toutes les petites églises de campagne : un intérieur frais où régnait une forte odeur de renfermé, les murs blanchis à la chaux, les vitraux des rares fenêtres qui filtraient la lumière de dehors, et de part et d’autre, des peintures représentant la vie de Jésus. Sur la gauche, au milieu de la salle, la chaire en bois surplombait les rangées de chaises et les prie-Dieu. Face à l’assemblée se dressait l’autel, recouvert d’une nappe blanche, derrière lequel le curé officiait. Sur le côté, un vase contenait un énorme bouquet de fleurs dont les couleurs pastel égayaient les lieux et un chandelier aux bougies allumées dont les flammes dansaient à chaque mouvement du prêtre.

Lorsque celui-ci se mit à évoquer la vie de la défunte, Clara posa les yeux sur le cercueil et, de nouveau, sentit le chagrin l’envahir. Si Rose n’était pas pratiquante, elle était en revanche très respectueuse des traditions et le passage à l’église pour ses obsèques en faisait assurément partie. Pour rien au monde, Clara n’aurait offensé sa mémoire en évitant cette cérémonie. Quand l’image de son aïeule se fit trop insistante, elle s’empressa de détourner le regard vers ses parents. Sa mère, Patricia, toute de noir vêtue, paraissait très éprouvée, mais elle restait digne dans l’épreuve et, un mouchoir à la main, se tamponnait discrètement les yeux. Alain, son père, réconfortait son épouse du mieux qu’il pouvait, d’un bras protecteur passé autour de ses épaules. La mort si soudaine de Rose avait ébranlé toute la famille. Elle avait fêté ses quatre-vingts ans l’année précédente et était encore en pleine forme si on exceptait les petites misères inhérentes à son âge. Personne n’aurait pu imaginer qu’elle tirerait sa référence sans aucun signe d’alerte préalable. La seule consolation de ses proches était la certitude qu’elle n’avait pas souffert, emportée durant son sommeil. Elle était morte aussi discrètement qu’elle avait vécu. Il n’en demeurait pas moins que sa soudaine disparition restait un choc.

Le regard de Clara se porta au-delà de ses parents pour se poser sur son frère et sur Loriane, sa compagne. La jeune femme blonde était aussi l’institutrice du village. Simon, le visage fermé, se tenait assis, droit sur sa chaise depuis le début de la cérémonie, les yeux figés sur le cercueil de sa grand-mère. Ils avaient toujours été très proches et la souffrance qu’il ressentait pouvait se lire sur ses traits creusés par le chagrin. Loriane tenait sa main dans la sienne, comme pour lui insuffler toute la force et tout l’amour dont elle était capable. En observant le couple uni dans l’épreuve ainsi que celui de ses parents, Clara se sentit soudain très seule. Certes, elle avait un caractère affirmé et tout le monde la croyait solide, mais à cet instant, elle aussi aurait aimé avoir quelqu’un à ses côtés pour la réconforter. Il y a peu de temps encore, Arnaud aurait pu être cette épaule. Elle soupira. Mieux valait de pas repenser à lui. Il ne servait à rien de s’appesantir sur le passé sauf à accentuer la peine qu’elle éprouvait.

Le cours de ses pensées fut interrompu par l’assemblée qui se levait sur l’invitation du prêtre. Il chanta un ultime psaume puis la cérémonie prit fin. Derrière le cercueil, porté par les agents des pompes funèbres, Clara emboîta le pas à ses parents, suivie de Simon et de Loriane puis du reste de la foule, accompagnés par le rythme sourd et lugubre des cloches. Le plus dur restait l’inhumation au cimetière où sa grand-mère allait reposer aux côtés de Gabriel, son époux, décédé plusieurs années auparavant.

Clara aurait souhaité une plus grande intimité, mais Rose avait toujours vécu à Chavignac. Elle était estimée au sein du village, et beaucoup souhaitaient la conduire à sa dernière demeure. La jeune femme redoutait surtout les condoléances. Si certains étaient sincèrement peinés et désiraient rendre un dernier hommage à la défunte, d’autres, en revanche, étaient là par simple convenance. Les plus âgés étaient en quête de cette pensée sécurisante de compter encore parmi les vivants, même si le temps les poussait inexorablement vers un destin similaire.

***

Dans la soirée, lorsque les derniers invités furent partis, et tandis que ses parents se reposaient dans leur chambre, Clara put enfin rejoindre Loriane sur la terrasse. Rien n’avait jamais nui à leur amitié, qui remontait à l’enfance, même les kilomètres qui séparaient Chavignac de Toulouse.

— Enfin seules ! soupira Clara en se laissant tomber sur une chaise.

Loriane la dévisagea. Depuis son arrivée, dans l’effervescence des obsèques, elles n’avaient pas encore eu le temps de se parler.

— Comment vas-tu ?

— Je ne sais pas trop. La mort de ma grand-mère a été si soudaine. Il va me falloir du temps pour réaliser.

— Ce décès a bouleversé toute ta famille, mais ta mère a l’air de bien réagir.

Clara hocha la tête.

— C’est difficile pour elle, mais elle saura faire face avec le temps. Par contre, je m’inquiète un peu pour Simon. D’ailleurs, où est-il ? Il s’est éclipsé au milieu de la réception et je ne l’ai pas revu depuis.

Loriane la rassura. Simon était allé s’occuper de ses juments à l’écurie et il désirait aussi être un peu seul. Clara comprenait son besoin de solitude.

— Rose était presque une seconde mère pour lui. Ils ont toujours eu une relation privilégiée et elle va laisser un grand vide dans sa vie.

Loriane approuva d’un signe de tête, le visage grave. Leur couple avait connu bien des vicissitudes et ils avaient traversé une période de séparation de quatre ans, lorsque Simon était parti vivre en Suède. Mais à son retour, quelque seize mois auparavant, ils s’étaient retrouvés. L’épisode tragique de l’année précédente, au cours duquel Estelle, leur amie d’enfance, avait perdu la vie dans un incendie de forêt, les avait à jamais rapprochés.

— Simon est vraiment très affecté et même si c’est quelqu’un de solide, il n’avait pas besoin de ça. Lui qui vient juste de se remettre de la mort d’Estelle. En plus des difficultés qu’il rencontre depuis qu’il a repris la scierie, j’ai peur que ça commence à faire beaucoup. J’essaie de le soutenir, mais j’avoue que je me sens souvent impuissante. Et puis, tu connais ton frère. Il a tendance à se renfermer sur lui-même lorsque ça ne va pas.

Clara la fixa avec consternation. C’était ce qu’elle craignait. Même si son frère était fort, il allait lui falloir du soutien. Elle prit aussitôt sa décision.

— Je vais rester ici pour mes vacances. Je n’avais rien de prévu de toute manière.

Loriane la considéra, surprise.

— Passer plusieurs semaines ici ? Tu es sûre que c’est ce que tu veux, toi qui fais des cauchemars dès que tu passes plus de trois nuits à Chavignac ?

Le regard déterminé, Clara se redressa.

— Cette fois, c’est différent. Simon a besoin d’aide.

Elle marqua une légère pause, comme pour mieux se convaincre de ce qu’elle allait dire.

— Et puis, il est temps que je tourne la page. J’ai décidé que cette histoire m’avait assez pourri la vie.

Elles se regardèrent d’un air entendu.

— C’est vrai, depuis tout ce temps… Je trouve toujours étrange qu’aucun de ces hommes n’ait cherché à te retrouver, murmura Loriane.

— Tu peux me croire, j’ai retourné toutes les éventualités possibles des centaines de fois, sans jamais aboutir à une réponse satisfaisante. J’ai fini par arrêter de me poser cette question. Avec les années, j’ai appris à vivre avec. Pour l’instant, je ne m’en sors pas trop mal, n’est-ce pas ?

Loriane s’empressa d’acquiescer. Elle avait toujours admiré la force de caractère dont faisait preuve son amie. Ce secret qu’elles partageaient, elle n’en avait jamais fait part à quiconque, et elle espérait bien qu’il resterait enfoui à jamais, pour le bien et surtout, pour la sécurité de Clara.

***

Simon reprit son activité à la scierie dès le lendemain des funérailles, ne supportant plus l’ambiance triste et pesante aux Tilleuls et surtout, l’absence de Rose. Il préférait se noyer dans le travail pour ne plus penser à elle, même s’il s’en voulait d’abandonner ainsi Clara et ses parents, restés pour s’occuper des papiers.

Assis derrière son bureau, il ne parvenait cependant pas à se concentrer. L’image de Rose l’obsédait toujours. Oppressé, il se leva et regarda par la fenêtre qui donnait sur l’entrée de l’entreprise. Un camion, en provenance directe de la forêt, déchargeait sa cargaison dans le parc à grumes, là où les troncs étaient triés suivant leur longueur, leur diamètre, et en fonction des commandes en attente. Pour se distraire de son chagrin, le jeune forestier suivit du regard la circulation des arbres ébranchés que la grue déposait un à un sur le pont roulant qui les conduisait jusqu’à la ligne de sciage dont la première étape, après le passage au détecteur de métaux, était l’écorçage. Chaque tronc passait dans un anneau équipé de lames, sorte de retors, qui les débarrassaient de leur couche externe. Puis venait la circulation dans un tunnel où un système à laser mesurait le volume de chaque grume. Ensuite, la scie de tête coupait le billon de bois rond en plusieurs sections pour le transformer en un rectangle que la scie de reprise débitait en planches pour obtenir les sections standards ou sur mesure.

Depuis un an que Simon avait repris la scierie, il baignait quotidiennement dans cette ambiance bruyante, où l’odeur chaude du bois, des écorces et de la sciure se mêlait au grondement incessant des chariots mécaniques, des moteurs des machines, du bruit aigu et strident des lames qui mordaient le bois, et du claquement sec des planches qui basculaient sur les ponts roulants puis sur le sol, en fin de chaîne.

Le jeune forestier avait longuement hésité à se lancer dans l’aventure quand, à son énorme surprise, Victor Chassagne, l’ancien propriétaire, lui avait légué la scierie, alors qu’ils n’avaient jamais été en bons termes tous les deux. Mais après la mort tragique de sa petite-fille, Estelle, dans un incendie de forêt dont il était directement responsable, l’ancien maire du village n’avait pu supporter le poids de sa culpabilité et il avait mis fin à ses jours après avoir fait don à Simon, par testament, de son entreprise. Il avait estimé que le jeune forestier était le plus apte à prendre la relève, car celui-ci connaissait bien le milieu des bois. Après des études dans une école forestière, il avait appris le métier dans différentes scieries, dont celle de Victor, avant de s’exiler durant quatre ans en Suède, où il avait découvert le débardage à cheval. Fort de cette expérience, il avait acheté deux chevaux de trait, Paloma et Tosca et était revenu en France seize mois auparavant, pour s’installer à son compte à Chavignac, comme débardeur à cheval. Ses débuts avaient été chaotiques, cette activité étant peu reconnue dans le milieu forestier et il avait failli baisser les bras. Pourtant, à force de persévérance, il avait fini par obtenir la considération de ses pairs et son carnet de commandes commençait à se remplir lorsque Chassagne, à sa mort, avait bouleversé ses projets en lui léguant la scierie.

Les yeux toujours rivés sur le camion, Simon se remémora ses débuts. Son arrivée avait été assez bien perçue par la dizaine de salariés. Inquiets du devenir de la scierie, ils avaient accueilli le nouveau propriétaire avec soulagement. Malgré sa jeunesse, puisqu’il n’avait qu’une trentaine d’années, ce n’était pas un débutant, ce qui avait été apprécié des ouvriers. Seul, le contremaître, Xavier Delnaud, s’était montré hostile dès le premier jour. Simon avait tout d’abord mis cette attitude sur le compte du choc de la disparition de son patron aux côtés duquel cet homme avait travaillé près de vingt ans. Mais les mois s’étaient succédé et Delnaud n’avait pas modifié son comportement. Si son travail restait irréprochable, il s’opposait systématiquement à toutes les propositions et initiatives de Simon et leurs confrontations étaient fréquentes. Sans doute avait-il du mal à être dirigé aujourd’hui, par ce jeune forestier, qui avait auparavant été sous ses ordres, lorsqu’il était employé à la scierie.

Las de son inaction, Simon finit par se détourner de la fenêtre et décida de se rendre à l’atelier. Peut-être serait-il plus utile là-bas qu’à se morfondre dans son bureau ? Il fit un détour par le parc à bois, où étaient entreposées les pièces de bois après le sciage. Empilées et séparées les unes des autres par des lattes pour favoriser la circulation d’air, elles étaient stockées à l’air libre pour un séchage naturel, sous un hangar sans murs, pour les protéger de la pluie et de la neige, favorables aux attaques de champignons et pourritures, mais aussi du soleil, qui provoquait l’apparition de fentes et de déformations.

Un peu plus loin, Simon, mécontent, remarqua des planches entassées dans un coin, sans protection. Il était vraiment temps pour la scierie de passer au séchage artificiel pour éviter ce genre de problème de stockage. Au même moment, un homme le rejoignit.

— Patron… glissa-t-il, avec un signe de tête en guise de salutation.

L’homme, la cinquantaine, les cheveux bruns, était de taille moyenne. Son front haut, légèrement dégarni, était barré par des rides bien prononcées. Des sourcils épais encadraient ses yeux bleus, d’un bleu si éclatant que son visage s’en trouvait éclairé et son regard s’animait d’une vivacité particulière. De chaque côté de ses lèvres, des rides d’expression se creusaient quand il souriait, ce qui était rarement le cas lorsqu’il se trouvait face à Simon.

Devinant ce que ce dernier s’apprêtait à dire, il le devança et montra les piles de bois.

— J’ai demandé aux gars de les mettre à l’abri dès que possible, mais ce matin, le chariot élévateur est en panne, il sera indisponible toute la matinée.

— Il me semble pourtant que ces planches traînent ici depuis plusieurs jours. Tu sais ce que j’en pense.

— Ouais, je sais. Tout doit être couvert, répliqua Xavier d’un ton où perçait un certain mépris. Victor ne prenait pas tant de précautions !

Simon se raidit.

— Chassagne travaillait avec les méthodes qui lui convenaient. Moi, j’utilise les miennes et elles ont fait leurs preuves.

La sonnerie de son portable l’interrompit.

— Excuse-moi, dit-il en cherchant son téléphone, tandis que Xavier accompagnait son geste d’un regard furieux.

C’était Irène, la secrétaire, employée à mi-temps, qui le demandait. Tout en rangeant son portable dans sa poche, il désigna les bois.

— Je ne veux plus les voir ici demain.

La mâchoire du contremaître se contracta, mais il se contenta d’acquiescer. Tandis que Simon lui tournait le dos en s’éloignant, il marmonna :

— Et ça prétend diriger la scierie !

Mais sa voix, plus forte qu’il ne le pensait, atteignit Simon qui faillit se retourner pour le remettre à sa place. Il n’en fit pourtant rien, refusant une fois de plus d’affronter cet employé dont l’aversion à son encontre était flagrante. Las de cette collaboration conflictuelle, il avait maintes fois songé à se séparer de lui, mais Xavier Delnaud était un personnage incontournable au sein de l’entreprise. Si Simon maîtrisait parfaitement l’aspect technique et le côté production et rendement de la scierie, Xavier jouait un rôle primordial pour tout ce qui concernait les relations commerciales et sa connaissance du marché. De plus, il encadrait le travail des ouvriers qui reconnaissaient et respectaient son autorité, car, s’il lui arrivait de donner des coups de gueule, c’était un chef d’équipe compétent, ayant débuté comme simple bûcheron, vingt-cinq ans auparavant. Pour la bonne marche de l’établissement, Simon avait donc tout intérêt à le garder. Peut-être devrait-il prendre Xavier entre quatre yeux et lui demander ce qu’il avait contre lui ? Pour l’instant, le jeune patron se retenait, mais il savait qu’un jour cette mise au point deviendrait inévitable.

Il n’avait pourtant pas besoin de ce souci supplémentaire, alors qu’il se débattait déjà entre la scierie et sa propre entreprise de débardage. Malheureusement, la première lui prenait tout son temps et il négligeait de plus en plus ses juments, qui auraient dû travailler régulièrement pour rester efficaces. Cette situation le minait chaque jour davantage, car il avait l’horrible sensation que la scierie l’entraînait dans une spirale infernale qui aspirait tout sur son passage.

***

Quelques jours après les funérailles, le rendez-vous chez le notaire ayant été fixé à la semaine suivante, les parents repartirent à Bergerac, laissant Clara et Simon seuls aux Tilleuls. Ce dernier décida de consacrer du temps à ses juments et de retourner travailler sur une parcelle qu’il avait commencé à débarder quelques jours avant le décès de sa grand-mère. Malgré ses difficultés relationnelles avec Xavier, il savait qu’il pouvait lui laisser la scierie en toute confiance. Son chantier durerait plusieurs jours. Il s’agissait d’une commande d’un propriétaire forestier qui, soucieux d’entretenir et de préserver sa futaie, voulait extraire des bois de diamètres moyens sans dégrader les plus gros dont quelques-uns étaient centenaires. Les arbres avaient déjà été abattus. Il restait à les amener sur le bord de la route où ils seraient chargés par un camion.

Simon choisit Tosca pour ce travail. C’était la plus expérimentée de ses juments et la plus maniable pour se faufiler entre les chênes et les hêtres sur pied. Après avoir rejoint la parcelle, il entreprit d’ébrancher les troncs et d’évacuer le feuillage. Tosca entra alors en action. Grâce à son agilité et à sa maniabilité, les têtes des arbres furent rapidement sorties ainsi que les plus grosses branches, afin de pouvoir ensuite dégager les bois les plus lourds. Le cheval de trait, à l’écoute, suivait docilement les consignes de son meneur. Le tandem avait l’habitude de travailler ensemble et leur confiance était mutuelle.

Au terme d’une matinée de travail, rythmée par les ordres donnés par Simon et le pas tranquille du cheval, plusieurs troncs avaient été amenés en bordure de la route qui se situait à une cinquantaine de mètres du lieu de coupe, Simon fit une pause. Après avoir abreuvé Tosca, il lui servit une bonne ration d’avoine puis il se sustenta à son tour. Pour la première fois depuis des jours, il se sentit plus serein. Travailler au cœur de la forêt avec ses chevaux contribuait à son équilibre et c’était le meilleur dérivatif à sa peine et à ses soucis. Il fallait vraiment qu’il consacre plus de temps au débardage. Il était satisfait, car le chantier avançait bien et s’il gardait ce rythme, trois jours suffiraient pour le mener à son terme. Après ce temps de repos indispensable à la jument, le travail reprit. Absorbé à guider Tosca, Simon n’entendit pas le coup de frein et le bruit sourd qui provinrent de la route. Quelques instants plus tard, un homme surgit. Simon stoppa la jument et laissa l’individu s’approcher tout en l’observant avec curiosité. Il était grand, la silhouette athlétique et le jean maculé d’herbe et de terre.

— Bonjour, fit celui-ci d’une voix précipitée. Vous tombez à pic ! Je viens de mettre ma voiture dans le fossé en voulant éviter un chevreuil. Est-ce que je peux vous demander de l’aide pour la sortir ?

Simon désigna de la tête sa jument.

— Nous allions justement amener cette grume jusqu’à la route. On en profitera pour dégager votre voiture.

L’individu parut soulagé.

— Génial, j’ai de la chance de vous avoir rencontré.

Restant en retrait, il admira la puissance du cheval qui s’ébranla sous le commandement de son meneur. Les traits métalliques se tendirent et le tronc glissa. Simon, à l’aide du cordeau – sorte de longue rêne –, maniait son cheval tout en douceur, alliant la voix et la main. Quelques ordres bien précis lui suffisaient à se faire comprendre de l’animal. Cette relation étroite prit tout son sens lorsque le duo parvint à la route, près des bois déjà rassemblés.

— Avance ! À gauche ! Non, recule ! la guidait Simon qui n’oubliait jamais de l’encourager à chaque manœuvre.

— Bien ma belle ! Avance ! Petit pas ! félicita-t-il tout en effectuant une petite traction sur le cordeau.

La jument, attentive, s’exécutait dans le calme. D’un sabot sûr, elle avança entre les autres troncs et la grume qu’elle tirait vint s’aligner sur les autres avec précision.

— Ho !

Il lui flatta l’encolure puis retira le crochet de la chaîne qui enserrait le tronc.

— Impressionnant ! s’exclama l’homme qui n’avait pas lâché la scène du regard, et combien faut-il de temps pour qu’un cheval obéisse ainsi à vos ordres ?

Simon fut heureux de l’intérêt que cet inconnu portait à son métier.

— Il faut environ deux ans pour former un bon cheval de débardage, pour lui apprendre à s’habituer au harnachement, au collier et aux traits et à ne pas avoir peur des tronçonneuses, ni des tracteurs ou des arbres et pour qu’il apprenne les différents ordres qu’on peut lui donner.

— Combien de mots peut-il comprendre ?

— Environ une quinzaine.

L’homme, décidément intéressé, désigna les troncs alignés. Tout en parlant, il caressait la crinière de la jument qui, curieuse, tendait ses naseaux veloutés vers lui.

— C’est vous qui avez sorti ces bois ? Ils paraissent énormes !

Le débardeur sourit tout en repoussant Tosca qui, avide de caresses, devenait trop pressante auprès de l’inconnu. La tête d’un cheval de trait pouvait vite devenir très lourde, posée sur une épaule. L’animal finit par s’éloigner de quelques pas et se mit à brouter l’herbe sur le talus.

— Elle peut tirer des grumes qui peuvent mesurer jusqu’à vingt mètres de long et qui dépassent parfois les quatre-vingts centimètres de diamètre, mais pour la préserver, je n’utilise jamais le maximum de sa force durant toute une journée.

L’inconnu hocha la tête, admiratif. Si ce n’était la crainte de se montrer trop envahissant, il aurait volontiers prolongé cette conversation avec ce forestier qui paraissait si passionné.

— Sortir ma voiture du fossé va être un jeu d’enfant pour votre jument.

— Allons voir ça de plus près, décida Simon en reprenant le cordeau qui le reliait à Tosca.

Un peu plus loin, à la sortie d’un virage, ils virent la berline blanche qui gisait sur le flanc, sur le bas-côté de la route. L’homme avait joué de malchance, car à cet endroit, le fossé était particulièrement profond.