Le pilier brisé - Manuel Desjardins - E-Book

Le pilier brisé E-Book

Manuel Desjardins

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Beschreibung

Ma mère, mes trois frères et moi avons sûrement déménagés une centaine de fois et fait neuf écoles primaires. C’était une vie de nomade sans la présence de nos pères et avec une mère qui devait elle-même gérer ses difficultés. Séjour en famille d’accueil, agressés et laissés la plupart du temps à l’abandon, nous nous sommes construits dans le monde réel, mais aussi dans un univers dans lequel mes frères et moi avons pu atténuer la douleur. Nous vivions constamment dans la peur, la frayeur d’être abandonnés, traumatisés par la peur et l’insécurité. Un récit dans lequel je raconte ma vérité de haut de la montagne que j’ai escaladée non sans peine, depuis mon enfance.


À PROPOS DE L'AUTEUR

Manuel Desjardins est à Saint-Jérôme, dans les Laurentides, le 27 janvier 1979.
Il a étudié les sciences humaines, le cinéma ainsi que les sciences sociales à l’UQAM. Il a parfait ses connaissances en effectuant un AEC en communications et médias ainsi qu’un AEC en assurances et dommages. Il œuvre comme courtier en assurances et dommages depuis maintenant dix ans. Il écrit des chansons et de la poésie depuis son adolescence et nous présente maintenant son tout premier livre.

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La photographie de la page couverture a été prise par Dominique Marchand

Couverture et mise en page : Ecoffet Scarlett

Toute représentation partielle ou totale est interdite sans le consentement explicite de l’auteur.

 

 

La révision linguistique de cet ouvrage est assurée par Nora Biscay.

 

Cette publication est dirigée par :

Téléphone : 418-271-6578

Courriel : [email protected]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À mes frères et ma mère…

À mes trois enfants…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les noms réels des personnes ont été modifiés pour des noms fictifs afin de préserver la confidentialité de chacun.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Préface

 

L

orsque Manuel et moi avons convenu que j’écrive sa préface, j’ai été très touchée de mériter cette place dans son livre.

 

J’ai connu Manuel au début de l’année 2023, mais j’ai rapidement compris qu’avec lui, son livre serait édité dans les plus brefs délais : intense, passionné dans tout ce qu’il entreprend, il ne pouvait en être autrement.

 

J’ai tout de suite été conquise par le sujet de son autobiographie. En tournant les pages, je ne parvenais pas à cesser ma lecture, tant le choix de ses mots était émouvant. Passant du serrement de cœur au rire, c’est un ouvrage qui nous fait ressentir plusieurs émotions.

 

La vie de Manuel n’a pas toujours été facile, et il a connu plusieurs traumatismes d’enfance. Et pourtant, ce qui émane de lui aujourd’hui est une belle sagesse, une belle sensibilité et une grande soif de vivre et de se réaliser.

 

Connaissez-vous le Kintsuji? C’est, à mon avis, la plus belle métaphore de la résilience. Cet art japonais invite à réparer un objet cassé en soulignant ses cicatrices de poudre d’or, au lieu de les cacher. Une fois réparé, consolidé et embelli, l’objet est en quelque sorte sublimé par ses blessures. Il est imparfait, mais authentique. Il devient encore plus précieux qu’à l’origine grâce à ses imperfections qui témoignent de son histoire. Mais l’objet ne peut se réparer seul, il a besoin de l’artisan. Et le procédé n’est pas magique. Le Kintsuji requiert du temps, du travail, de la créativité, de la patience et de la foi ; tous des éléments nécessaires au processus de résilience. Le résultat est magnifique et tellement unique.

 

Manuel, malgré ses traumatismes, a trouvé la force de continuer, de vivre et de se reconstruire. Il est parvenu à retrouver confiance en la vie et à croire le bonheur encore possible. Avec son livre, il expose sa vulnérabilité en faisant un retour sur un pan douloureux de son existence mais c’est précisément ce qui fait de lui un être à part.

 

Ce livre devrait être utile pour toute personne traversant une épreuve et qui fait le choix de se relever. Il est une source de réflexions positives, de résilience et j’ai beaucoup d’admiration pour son auteur.

 

Bonne lecture

Gwen Bobée

Éditrice Les Éditions Enoya

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Introduction

 

I

l y a des années que je réfléchis à écrire un livre, mes mémoires, ou à tout simplement raconter ma vie, mon vécu et tout le trésor qui se cache à l’intérieur de moi. Je ne prétends pas être spécialiste de quoi que ce soit, si ce n’est d’être quelqu’un at vécu à fond son existence et ses émotions de sorte que je suis justement humain, et je prétends être un expert de mon passage ici, sur cette terre. J’aime bien l’analogie à laquelle je pense toujours, qui définit chacun d’entre nous et comment nous nous sommes construits.

 

Nous avons tous gravi une montagne. Nous nous sommes préparés, depuis l’enfance, à escalader cette pente devant nous, avec notre savoir, notre expérience, nos valeurs et notre éducation. Par la suite, nous nous plaçons dans une certaine position sur cette montagne, afin d’y établir notre point de vue, notre perspective et évaluer le monde devant nous. Nous avons notre propre vérité, évidemment, sur notre vécu, englobant toutes les expériences énumérées plus haut. Chaque personne se situe quelque part sur sa montagne et y apporte son point de vue, son opinion et, dans certains cas, tente de comprendre sa vie. Oui, les cinq sens nous permettent évidemment de ressentir le monde de façon vibratoire en lien avec notre perception. Je sais depuis très longtemps que ma position sur ma montagne est très différente de celle de certains de mes proches et de mes amis. Elle présente ses défis et ses épreuves, mais elle est flexible, malléable et je ne demande qu’à changer d’idée, de perspective.

 

Je suis également conscient du fait que j’ai souvent eu tendance, tout comme ma mère, à parfois embellir la réalité, à la mettre à mon avantage, afin de la trouver plus « supportable » et moins difficile à accepter. La vérité, c’est que je donne l’impression d’avoir confiance en moi, mais tout au fond, je doute et ne me trouve pas si spécial. Je me trouve trop souvent « ordinaire ». J’ai toujours eu de la difficulté à trouver le beau dans les choses courantes : les belles couleurs, les saveurs… comme si je devais me déconnecter du « réel », afin de trouver un sens, en me réconfortant dans mes rêves et mes idéaux. Mon histoire vous montrera que pour m’adapter à cette enfance intense et difficile, à certains égards, j’ai dû me « caméléoner », mettre un masque ou un déguisement, afin de me sentir compris, accepté, et sentir que je faisais partie d’un moule. Je me suis inventé un monde, un univers dans lesquels je devais me sentir en sécurité, protégé et déconnecté. En réalité, j’ai été, toute ma vie, à la recherche d’un sens à mon existence, d’une direction. J’ai tenté de tout analyser et de faire comme si j’y saisissais quelque chose, quand en réalité, je n’y comprenais absolument rien. J’ai longtemps fait semblant de tout connaitre, comme si je possédais le savoir, quand en fait je ne sais rien du tout. Cela explique ma recherche constante de la vérité, celle du monde extérieur, mais aussi celle de mon monde intérieur. Ma vie, je la ressens, et même cette émotion, je suis encore en processus de tenter de la découvrir et de la contenir, afin de ne pas être affecté par le monde extérieur et ce qui s’y passe. Je suis un beau parleur, je m’exprime bien, mais en fait, je suis fragile, vulnérable, colérique, à cause de mon ignorance de la vie et de ce que j’y expérimente. Je suis extrêmement sensible, ce qui me met souvent dans des situations dans lesquelles je suis embarrassé. Je suis imprévisible dans mes comportements et je peux passer du noir au blanc sans vraiment savoir pourquoi. Il est évident que cela s’est balancé avec le temps, et s’est amalgamé avec mes qualités, mes forces, ma résilience et mon humilité. Je pense que si on veut réellement avancer dans la vie, on se doit d’être totalement honnête envers soi-même, envers les autres, afin de trouver ce sens qui sera la plus grande des libertés : être aimé pour qui on est réellement.

 

Je vais donc tenter, de vous raconter ma vie, mes ressentis, mes perspectives, du haut de ma propre montagne, en ne prétendant jamais vous faire croire que c’est la vérité, mais simplement la mienne. On m’a beaucoup parlé de ma vie et possédant une mémoire d’éléphant, plusieurs souvenirs, très clairs et très précis, habitent mes pensées et mon imaginaire. J’aime l’idée que c’est ma vérité, inspirée de faits vécus.

 

Manuel

 

CHAPITRE 1

 

J

e suis né à Saint-Jérôme, dans les Laurentides, au Québec, avec le cordon autour du cou, un soir froid, fin janvier. Ma mère m’a bien raconté cette histoire des centaines de fois, me mentionnant, chaque fois, qu’elle avait crevé ses eaux en brassant de la soupe chez elle. Mon père était venu la rejoindre à l’hôpital, mais il était affecté par des substances. Cocaïne et héroïne, je pense. Qui ne l’était pas dans les années 1970? 1979, pour être plus précis. J’étais le plus désiré des quatre enfants. Je pleurais beaucoup, comme bien des enfants, ce qui, selon les dires de ma mère, avait provoqué la colère de mon père qui m’avait lancé dans ma couchette. J’avais, par la suite, été hospitalisé, car j’avais une méningite. Semble-t-il qu’à l’époque, mon père fourguait de la drogue pour des gens pas nets, qu’il avait dû se sauver à un certain moment pour se laver de ses dettes, en se cachant à Winnipeg. Version de ma mère que je n’ai jamais validée avec mon père. Non pas qu’on ne la croyait pas, mais j’ai souvent affronté ma mère dans des disputes. Elle savait provoquer et n’avait peur de rien ni de personne.

 

Quand on était très jeunes, ma mère nous a raconté sa vie, ses déboires, ses souvenirs et ses problèmes avec ses amoureux et sa famille. On n’avait qu’une seule version des faits, mais vous comprendrez qu’à cet âge, on adulait notre mère et sa vérité était souvent la nôtre. Selon elle, mon père était violent, gelé et irresponsable. On l’avait crue jusqu’à notre adolescence, car on l’aimait sans condition. Je me disais avec le temps qu’ils se chamaillaient sûrement et qu’ils se donnaient des coups. Tous les propriétaires chez qui on habitait étaient des fuckés, des malades et des gens qui ne comprenaient pas. Les ex de ma mère étaient tous des débiles et ils avaient des problèmes. Sa famille, eh bien, c’était le chaos. Tout le monde riait fort, parlait fort, pleurait fort, ou se chicanait. Les gènes de ma mère n’avaient pas été épargnés. Je me souviens qu’il ne nous était pas facile de composer avec cette négativité envers les autres. C’était le point de vue de ma mère et sa perspective et on n’était pas toujours d’accord avec elle. Donc, on allait évidemment vérifier si cela était vrai auprès des gens concernés. Chez les Desjardins, chaque fois qu’il y avait une fête – Noël, jour de l’an – il y avait un conflit. Ma mère pleurait, se chicanait avec ses parents, sa sœur, son frère ou ses cousins. Elle n’a d’ailleurs jamais supporté l’alcool et quand il était mélangé aux médicaments, cela devenait un cocktail explosif. Il me semblait que ma mère était passée maître dans l’art du scandale et des querelles. Elle était le mouton noir de la famille, selon sa version. Hyper intelligente, avec beaucoup de charme et d’entregent, elle savait manipuler les hommes et avait parfois tendance à jouer à la victime. Notre vie n’était pas facile, alors il était question, bien souvent, d’appels à l’aide. Je pense que toute sa vie, elle a essayé d’équilibrer ses qualités avec ses défauts, comme nous tentons tous de le faire. C’était une femme à l’écoute, ouverte d’esprit, qui prêchait le respect, l’égalité et l’équité. Avec elle, il n’y avait aucun tabou. Elle véhiculait des valeurs de paix et de respect : le respect du consentement et de la femme dans son ensemble, des minorités, des moins nantis, dont on faisait partie, des personnes handicapées, des gens blessés émotionnellement. Elle nous inculquait des valeurs spirituelles en nous faisant comprendre que la vie n’était pas que matérielle. Et dans cette famille, laissez-moi vous dire que ça parlait fort.

 

Deux ans après ma naissance s’écoulèrent avant que j’aie mon tout premier souvenir et que j’aie conscience de qui j’étais. C’est exactement comme si j’avais allumé la télévision ce jour-là, que mes yeux s’ouvraient pour la première fois et que je réalisais que j’étais en vie. Je portais un coton ouaté bleu ciel et une salopette. Comme ma mère essayait de dormir le matin, de temps en temps – ce qui n’était pas facile avec trois enfants à l’époque – je m’étais débrouillé pour monter sur le comptoir et me prendre un bol en verre de couleur verte transparent pour me servir des corn flakes et les manger à la fourchette. Cette journée m’avait particulièrement marqué, puisque je me souviens que la toilette était bouchée et qu’elle avait débordé. Un monsieur s’était agenouillé devant moi, avec un uniforme couleur kaki et un chapeau, pour me dire qu’il partait. Mon père nous quittait pour l’armée à l’époque, mais je me souviens que j’avais l’impression de ne pas connaître cette personne, même si elle m’était familière. Comme pour mon réveil de conscience, j’apercevais cet individu pour la première fois. Je ne le reverrai ensuite que deux ans plus tard, à l’aube de mes 4 ans. Pourquoi je me souviens qu’il avait le siphon dans les mains et qu’il avait débouché cette satanée toilette? Je ne le sais pas. Peut-être que cela devait m’impressionner. Allez savoir ! Mon père, quant à lui, me raconta, des années plus tard, à quel point je jasais toujours et posais des questions sans arrêt. J’étais déjà très curieux de nature.

 

Je garde le souvenir encore très frais, des déménagements. Il y en a eu plus d’une centaine. Je tenterai avec vous d’en faire le compte, on parle peut-être de record. Déjà à cette époque, il y en avait eu quelques-uns. On avait habité un vieil appartement vétuste situé au deuxième étage et le feu avait pris dans le matelas de mon frère Mathieu. Ce dont je me rappelle, c’est de m’être fait lancer en déboulant dans les marches en tapis, afin d’être protégé par ma mère. Le feu avait débuté depuis une prise de courant au mur et s’était propagé rapidement, puis la fumée abondait dans l’appartement. Ensuite, on est allés dormir chez la voisine dans un sous-sol, avec le plancher en béton peint en gris souris et des jouets partout. Cet évènement est frais dans mon imaginaire, bien que sûrement modifié par le temps. J’ai souvent entendu dire que nos souvenirs sont souvent altérés et que l’on s’en souvient à notre avantage, sans la souffrance qui s’y rattache. Comme une idée embellie avec une trame de fond, conditionné par nos années à regarder du cinéma. On fait la même chose, que cela soit un bon ou un mauvais souvenir. Et parfois, on construit de faux souvenirs à partir d’une photo, d’une vidéo ou d’une histoire que l’on nous a racontée. La mémoire se bâtit elle-même un scénario, ce qui est fascinant.

 

Quelque temps plus tard, on avait déménagé dans une grande maison de campagne, tout près d’un lac, à Saint-Magloire-de-Bellechasse, dans la région de Québec. Ma mère me raconta, des années plus tard, qu’elle s’était éloignée, afin de couper sa dépendance à la cocaïne. Un genre de retour à la terre je présume. C’était une petite maison canadienne, avec deux étages et des planchers de bois qui craquaient. Un grand balcon en bois en face de la maison s’étendait sur les côtés. Ironiquement, quand j’ai eu mes enfants, le rêve d’avoir ce genre de maison habitait mes pensées. Je l’ai réalisé avec ma famille et j’ai même trouvé mieux. Maison dans laquelle j’habite toujours.

 

Ma mère écoutait beaucoup l’album Dark Side of the Moon de Pink Floyd et j’avais une peur irrationnelle des sons que j’entendais dans ces chansons. Surtout les morceaux Breathe et Time. Je me cachais dans mon coffre à jouets en bois, peint en blanc, dans lequel mes frères et moi, on avait pissé à quelques reprises. Plusieurs journées m’ont marqué à cette époque, comme si le temps s’était arrêté et que le bonheur faisait sa marque et ses trous de ver, afin que je puisse y retourner dans mes souvenirs. Des journées de pleine conscience, d’amour et de liberté où je savais qui j’étais, et je ressentais pleinement le bonheur qui m’habitait. Je riais, je jouais dans l’herbe, dans les bois, les champs, et je me sentais épanoui. Il y avait beaucoup d’accolades avec mon frère Mathieu que je sentais déjà aimer profondément et que je voulais protéger et serrer contre moi, afin de lui montrer à quel point je tenais à lui.

 

Porter un chandail Superman, manger une tartine à la confiture, cueillir des fraises dans un contenant vide de margarine, s’enfarger dans une roche dans un champ de blé et taper les mouches à merde dans notre cou pour ne pas se faire piquer… Des journées exceptionnelles au cours desquelles je me souviens d’avoir pu identifier le bonheur avec précision. L’hiver arrivant, on allait jouer tout près du lac. Ma mère dormait tard, alors on partait à l’aventure avec mon frère Mathieu qui avait 3 ans. Moi, j’en avais 4. On avait marché sur le lac gelé, mais la glace était fine. Je me souviens de l’avoir entendue qui commençait à craquer. J’ai pris mon frère par le bras et on s’est mis à courir. Cependant, sa botte gauche était restée dans la glace. On s’en est sorti indemnes. Juste avant l’hiver, par la fenêtre, j’ai le souvenir d’une plume d’oiseau qui tombait très lentement. Ma mère me disait que c’était un signe de l’hiver qui approchait et cela m’excitait au plus haut point, moi qui aimais la neige et surtout Noël. Déjà, j’étais un enfant extrêmement sensible, et je ressentais mes émotions tel un tsunami. J’adorais ça. Je n’avais aucune idée de comment gérer cela, et je n’essayais pas, d’ailleurs, mais je savais que cela me remplissait de joie. J’étais démonstratif, autant dans mes joies que dans mes peines et mes colères. Disons que ma personnalité était forte et que je prenais déjà beaucoup de place.

 

Je m’étais levé très tôt un matin, aux aurores, et, en regardant mes super-héros à la télévision, je m’étais dit que cela serait une bonne idée de toucher à une manivelle près du foyer, car elle dépassait et devait être baissée. Eh bien, toute la cendre accumulée s’était déversée dans le salon. Il y en avait partout. Un homme était apparu, nu, en criant que c’était stupide d’avoir fait ce que je venais de faire. Il se nommait Ben ; c’était le conjoint de ma mère. On le voyait se promener tout nu sans vêtements dans la maison. La télévision fonctionnait dans le vide, sur un match de football que probablement personne ne regardait. Un bruit de fond pour enterrer les autres sons… C’était sûrement l’après-midi des ébats amoureux, qu’on ne comprenait pas encore. Il était de plus en plus présent, il s’était même installé chez nous.

 

Ma mère était allée voir le groupe Hall and Oates au Forum de Montréal et on s’était fait garder par les voisins qui se nommaient Bernard et Sylvie. C’étaient des hippies. Je me souviens d’être allé dormir chez eux et ils se promenaient tout nus dans la maison. Comme je commençais à être en amour avec ma mère, je ressentais quelque chose d’étrange. J’ai vu le fils de Bernard et Sylvie dormir nu avec sa mère, nue, elle aussi, dans le lit. Cela devait m’exciter en quelque sorte. Bref, je commençais déjà à comprendre et à ressentir beaucoup de choses dans mon corps. Ils avaient leur jardin et vivaient à l’ancienne, tels des nomades, avec une liberté que je comprends mieux aujourd’hui avec mes yeux d’adulte.

 

La nuit, les souris grattaient les murs, et ma mère en avait une peur bleue. On avait deux chiens, croisés berger allemand et Husky, qui se nommaient Cousteau et Cid. Je les aimais tellement et je sentais qu’ils veillaient sur nous. Ma mère crut, à l’époque, que les mettre devant la porte allait la protéger des souris. On avait une mini cour asphaltée en forme de carré, avec de vieux vélos à trois roues. Il y avait un tas de bois qui traînait dehors sur cette surface et une couleuvre y vivait. C’était tellement impressionnant pour mon frère Mathieu moi. On a tout essayé afin de la faire bouger ou de la voir, mais en vain.

Je fouillais l’autre jour dans mes vieilles choses et j’ai trouvé un sac rempli de photos de ce passage à Saint-Magloire. Je me souviens des vêtements, été comme hiver, des tuques, des mitaines, des manteaux, de la maison, des voitures et de ce que je voyais. De petits tiroirs dans ma tête avec des odeurs, des sensations et des émotions intenses que je découvrais.

 

Goldorak et Albator baignaient mon enfance. On habitait maintenant à Château-Richer. Ma mère avait reçu par la poste, avec la compagnie Columbia, le disque en vinyle de Thriller de Michael Jackson. La pochette à l’intérieur me fascinait et m’apeurait à la fois. Je me rappellerai toujours la fois où le vidéoclip était passé en entier et que ma mère l’avait regardé avec des amis. J’avais incroyablement peur, mais je ne pouvais m’empêcher d’y jeter un œil, car je le trouvais tellement bon danseur et c’était un artiste que j’adulais. J’étais caché derrière le divan et je sortais après sa transformation en loup-garou qui était très impressionnante – surtout avec les sons – pour être ensuite envoûté par la chorégraphie. C’est en revanche à cette époque que le héros de tous les héros est apparu dans ma vie. Superman. Je regardais beaucoup de dessins animés avec des super-héros, mais aucun ne m’a marqué comme lui. J’étais fasciné et en adoration devant lui. Ma serviette accrochée au cou, je me promenais en sifflant comme si j’étais lui. Il faut dire que l’acteur Christopher Reeves et ses films étaient très réussis. Toutefois, le vrai super-héros de ma vie allait apparaître sans que je m’y attende. « Manu, je te présente ton papa! ». Cet homme barbu, drôle, agréable et affectueux m’a assis sur ses genoux, et le coup de foudre a été instantané. Barbe brune tirant sur le roux, cheveux longs bouclés, T-shirt et jeans serrés, il était rempli de charme. Il avait une pomme dans les mains et la faisait rebondir dans les airs en la laissant tomber dans le pli de son bras. Mon frère et moi, on regardait cet homme, comme si Clark Kent venait de s’asseoir chez nous et qu’il voulait être notre père. J’étais envahi de bonheur : papillons et voix changeante d’excitation étaient au rendez-vous. Il nous promettait déjà de passer nous chercher à la fin de semaine, afin de faire plein de choses avec lui. On était conquis, il savait comment s’y prendre. Il était charmant et nous parlait en nous regardant dans les yeux. Il n’avait pas de prénom. C’était juste « papa ». Je me souviens de son odeur. Aujourd’hui, je sais que c’était le bâton antisudorifique Speed stick original de couleur verte. À cette époque, je trouvais cette fragrance tellement agréable et je l’associais à de bons souvenirs. Je le pensais fort, rassurant, et il devenait une présence dont je ne soupçonnais pas l’importance. Maintenant, je sais que la personne qui était partie dans l’armée quand j’avais 2 ans, c’était lui. Mais à cette époque, je ne le comprenais pas. Il était peu présent et c’était comme si je ne le connaissais pas. Je me souviens d’une promenade avec la famille Rock, le nom de famille de mon père, où on avait marché tous ensemble. Mon oncle Norm me prenait sur ses épaules. J’avais très peur de ses lunettes de soleil, mais être tout là-haut accroché à son cou, me procurait un plaisir fou.

 

J’ai d’ailleurs beaucoup écrit sur l’arrivée de mon père dans mon enfance. Un poème, une chanson, pour moi, c’est la même chose. Ce qui les différencie, c’est seulement la façon de délivrer le message. C’est celle-ci qui me touche le plus cependant. Celle qui se relie aussi aux monstres qui n’auraient peut-être pas grandi au fond de moi, s’il avait été présent plus souvent dans ma vie.

 

Elle se nomme White like a bone et je l’ai écrite en 2003. Je vais traduire le texte, car elle a été écrite en anglais.

 

 

“Blanc comme un os”

 

« Un petit garçon tout mince, si mince, que même son corps ne

faisait pas d’ombre au soleil

Si inquiet et blanc comme ses os, il tentait de faire son chemin

dans la vie, se sentant si seul,

Ses monstres ont grandi en lui et ils sont devenus plus forts,

Mais il n’a jamais perdu la foi, jusqu’à ce que tout s’écroule

devant lui,

Nulle part où aller, nulle part où se cacher, faisant face à ses

démons devant le miroir,

Quelqu’un lui dit un jour : “Tu rencontreras l’homme qui est

ton père”,

Seulement le mot et son appellation l’aidaient à se sentir

meilleur,

Ses monstres ont grandi en lui, et ils sont devenus plus forts,

Mais il n’a jamais perdu la foi, jusqu’à ce que tout s’écroule

devant lui,

Nulle part où aller, nulle part où se cacher, faisant face à ses

démons devant le miroir,

Jusqu’au jour où il trouva la clé de la pièce en lui qui était

barrée,

Il ouvrit la porte et apprivoisa ses peurs et il devint entier,

Pour enfin se rendre compte que son identité n’était qu’une

singularité. »

 

Je me souviens qu’après la rencontre avec mon père, plus rien n’a jamais été pareil.

CHAPITRE 2

 

U

n déménagement était en vue. Ma mère désirait retourner à Saint-Jérôme, car famille et amis s’y trouvaient. Elle devait partir, faute de moyens financiers, mais surtout afin d’y retrouver la civilisation. L’école débuterait bientôt pour moi, alors il fallait s’en rapprocher. On avait emménagé dans un grand immeuble face au manège militaire, au premier étage, en haut du rez-de-chaussée. Il y avait plus d’une vingtaine de logements dans ce bâtiment, où des gens avec de faibles revenus y demeuraient. Je me suis aussitôt fait un ami, Christian, du même âge que moi, et avec les mêmes intérêts. On se balançait, on jouait au carré de sable et on allait chez notre voisin, Dominique-Alexis. Une femme à l’extérieur nous jasait souvent de son balcon, situé tout juste au-dessus du nôtre, avec un petit bébé en couches. Diane. Cette femme est devenue une grande amie de ma mère. Son fils, Elijah, devint ami avec mon frère Mathieu et sa fille, Julie, amie avec mon frère Yan.

 

Oui, alors je me dois de vous raconter un peu notre histoire. On est quatre garçons issus de la même mère, mais de trois pères différents, ou peut-être quatre. Cela n’a jamais été mis au clair. Ma mère a connu Michael, elle s’est mariée avec lui et ils ont eu mon grand frère Yan. Elle a ensuite divorcé et rencontré mon père. Ils nous ont eus, mon frère, Mathieu, et moi. Enfin, me semble-t-il. Et à l’époque, elle était avec Ben, le père de mon dernier frère, Alexis. Il venait d’ailleurs de naître. J’avais 5 ans. Yan habitait maintenant chez son père, car ma mère, des années plus tard, m’a expliqué que comme mon paternel était violent, elle préférait que celui de mon frère ait sa garde, pour sa sécurité. J’avais d’ailleurs une petite photo de Yan dans un cadre, cachée dans mon coffre à jouets, que je regardais de temps en temps en pleurant, car il me manquait. Je ressentais un profond amour pour lui, tout comme les gens qui m’entouraient et qui m’entourent encore aujourd’hui.

 

Alexis était tout petit, tout joufflu. Ma mère le surnommait « Bouddhi ». Je l’adorais, je jouais avec lui et j’avais surtout envie de lui croquer les joues. D’ailleurs, j’aimais beaucoup tous mes frères, moi qui étais devenu le plus âgé, le plus grand, l’homme de la maison depuis le départ de Yan.

 

Un soir, alors que je dormais tranquillement, j’ai entendu ma mère crier. J’étais très énervé, ne sachant évidemment pas ce qu’il se passait. Je suis allé au salon et j’ai vu Ben, les deux genoux sur les épaules de ma mère, en train de l’étrangler. Il était saoul, de ce que j’en ai entendu. Ma mère m’a dit que c’était pour une question d’argent, pour deux dollars. Je suis allé, du haut de mes 5 ans, cogner à la porte du voisin, qui me répondit aussitôt et, attrapant sa carabine de chasseur, se dépêcha de venir au secours de ma mère. C’était un homme obèse, et, de mémoire, très gentil. En bobettes, la bedaine pendante il a pu séparer Ben de ma mère et il a aussitôt appelé la police qui est venue, mais sans se presser. À cette époque, dans les années 1980, la violence conjugale était banalisée et les conséquences très peu punitives. Les policiers ont seulement fait dormir Ben dans sa voiture en bas, en guise de représailles. Vous vous imaginez ?! Ensuite, ma mère a quitté Ben qui est retourné vivre à Montréal, ou Québec, je n’en suis plus certain.

 

Le téléphone a sonné un matin et, fier de pouvoir répondre comme un grand, j’ai pris le combiné et j’ai répondu un « allô » bien senti.

 

— Est-ce que ta maman est là, mon grand? demanda ma grand-mère.

— Oui, mais elle fait dodo.

— Grand-Minou est morte, mon grand. Va réveiller ta maman !

Je courus vers la chambre et criai à ma mère :

— Maman ! Grand-Minou est morte !!

 

Ma mère se leva aussitôt. Elle prit le téléphone et se mit à pleurer. Grand-Minou était mon arrière-grand-mère, mais la grand-maman préférée de ma mère, du côté maternel. On l’appelait « Grand-Minou », car elle possédait plein de chats siamois ou persans blancs – je ne suis pas certain – et quand on allait chez elle, c’était l’excitation de voir tous ses félins qui nous rendaient heureux. Assise en boule par terre, avec un pyjama de Mickey Mouse orange, ma mère était inconsolable. C’était la première fois que je fus confronté à la mort. Maman m’avait demandé quelques semaines auparavant de faire plein de dessins pour Grand-Minou, car elle lui disait qu’ils étaient magnifiques et remplis de joie et de couleurs. Elle voulait les mettre sur ses murs blancs d’hôpital qu’elle trouvait déprimants. On m’a raconté qu’elle était décédée avant de les recevoir, et que ma grand-mère avait décidé de les mettre dans le cercueil avec elle, dans la terre. Elle devenait, en quelque sorte, mon ange gardien. Je lui parle encore aujourd’hui et j’ai gardé une photo d’elle que j’ai fait laminer. Si on a des anges gardiens dans la vie, elle en est un pour moi et le sera toujours.

 

C’était une période où beaucoup de choses se passaient. J’entendais constamment ma mère crier le soir, et très souvent, je me levais et disais au monsieur nu couché sur elle : « Arrête de faire mal à ma mère ! ». Des hommes, il y en avait. Très peu sont restés le matin suivant. Ma mère m’a eu à 23 ans, alors je réalise aujourd’hui, en étant père, que c’est très jeune, et qu’elle devait vivre le début de sa vie d’adulte en même temps qu’elle tentait d’élever ses enfants. Cela devait tellement être lourd d’avoir quatre enfants à cet âge. Une tâche colossale, qui devait être un fardeau à porter, qui a également causé beaucoup de dysfonctionnements.

 

Nous avons déménagé, l’année suivante, dans l’appartement 21, au deuxième étage du même immeuble, au moment où je commençais l’école maternelle. Ma mère travaillait alors on avait commencé à se faire garder par le voisin sur notre étage et sa femme. On portait des pyjamas, un morceau de tissu avec une grande fermeture éclair au-devant et des pattes en guise de bas. Sylvain aimait descendre la fermeture de notre pyjama, et jouer avec notre pénis. Mathieu, Yan, et moi, on a été victimes de ses comportements de pédophile pendant quelques semaines. Même si cela n’a pas été douloureux sur le plan émotionnel, ça a été tout de même marquant. Je n’aimais pas ça du tout et je le disais à Sylvain. Je me souviens que je me sentais coupable, car je croyais fermement que ma mère le savait. Cela n’a pas dû être agréable pour mes frères non plus, mais on n’a pas tellement jasé de ça entre nous, si ce n’est que des farces et du dégoût face à ces moments peu joyeux. Ce n’est que quelques années plus tard, assis à table, avec mes frères en riant, au souper, que l’on s’est mis à en parler et que ma mère l’a appris. On avait tenté de chercher Sylvain pour en informer la police, mais sans nom de famille et avec seulement le bottin téléphonique, il était impossible de le retracer. On avait, par la suite, oublié cette histoire, on l’avait mise de côté, et on avait continué notre vie.

 

La magie de Noël m’avait quitté à cet âge et à cet endroit. J’étais persuadé d’avoir entendu et vu le traîneau du père Noël dans le ciel. J’adorais tellement Noël, l’excitation, les jouets, comme tous les enfants. La musique de Noël, les couleurs… j’étais en amour avec cette fête. J’étais conscient de la magie et du caractère spécial de cette célébration. Il n’y avait rien de religieux. On n’était pas pratiquants et on n’allait pas non plus à l’église. On y est allés quelques fois, mais pour les messes de minuit seulement. Une année, on avait d’ailleurs reçu de la famille et un ami de ma mère. J’avais déballé un Iron Man, un Captain America, un Superman et un Aquaman. Ils dormaient avec moi sous mon oreiller. On se faisait réveiller à minuit pour les cadeaux et on était extrêmement excités. La cousine de ma mère, Josée, qui ressemblait véritablement à un homme, mais était d’une infinie gentillesse, était déguisée en père Noël. C’était évident et, en plus, elle était saoule. Je me suis rendu compte à cet instant précis que le père Noël n’existait pas. J’étais déjà très perspicace avec mes questions, mais ce soir-là, tout s’est confirmé dans mon esprit, avec beaucoup de déception.