Le secret de Jean-Jules - Herald Brend - E-Book

Le secret de Jean-Jules E-Book

Herald Brend

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Beschreibung

Sophie, ingénieure en informatique, travaille à la Direction Technique d’une entreprise de Lyon dont le siège est à Paris. Son patron organise un séminaire dans des conditions inhabituelles : coaching déroutant, jeux de rôles déstabilisants… de quoi mettre les nerfs de l’équipe à rude épreuve. Rien ne se passe comme prévu et les évènements se précipitent, soulevant des interrogations à propos de certains intervenants. Une remise en cause des certitudes, une plongée dans le passé entraînent Sophie et quelques collègues dans une enquête à rebondissements riche en aventures inoubliables.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Herald Brend est à l’écoute de ses contemporains : leurs joies, leurs peines, leurs souhaits. Il s’inspire du quotidien, d’expériences et d’anecdotes vécues, pour écrire des textes empreints d’humour qui donnent une raison d’espérer et de se sentir vivant. Le secret de Jean-Jules fait l’éloge de l’amitié, de la tolérance et de la liberté. Il s'agit du troisième roman de l'auteur après L’héritage de l’oncle Vincent paru aux Éditions Sydney Laurent et La chambre d’hôtes publié chez Le Lys Bleu Éditions.

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Herald Brend

Le secret de Jean-Jules

Roman

© Lys Bleu Éditions – Herald Brend

ISBN : 979-10-377-5513-1

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

Michel Vardel s’est décidé, il y a quelques mois, à faire valoir ses droits à la retraite. Après une carrière bien remplie, ce n’est pas facile, car il faut passer de la lumière à l’ombre. Pour lui, ce n’est pas cela le plus compliqué. Il n’a jamais cherché les honneurs ou les meilleures places. Partisan de la devise « pour vivre heureux, vivons cachés », il a toujours fait son travail avec sérieux mais sans zèle excessif, ce qui lui a valu d’être respecté comme un homme droit, sérieux et honnête. Il termine sa carrière dans une entreprise spécialisée dans l’installation, la maintenance et l’assistance de matériel informatique.

Le siège de sa société est à Paris, mais son activité dépend de la Direction Technique de Lyon, une antenne jeune et dynamique où les relations sont, en apparence, simples. En dehors du directeur, tous se tutoient. Son travail lui donne une grande liberté d’action puisqu’il est, avec deux autres techniciens, chargé de proposer des solutions aux entreprises. Il est responsable de l’équipe mobile de Lyon. À ce titre, il est très souvent en déplacement et ne repasse au bureau qu’en fin de semaine afin de faire le point, avec son patron, sur les dossiers en cours.

Il est justement sur place ce vendredi après-midi. La secrétaire, Anabelle Laumont, l’informe que le directeur souhaite le voir. Le rendez-vous est prévu vers dix-sept heures. Il apprécie la confiance qu’on lui accorde, mais est toujours heureux de rencontrer Jean-Jules Cortel. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, à l’allure sportive, direct dans ses relations avec le personnel :

— Bonjour Michel, du nouveau ?
— Nous sommes à jour dans nos installations, les équipements fonctionnent.
— Alors, cette retraite se prépare ?
— Calmement.
— Qu’en dit Martine votre épouse ?
— Qu’elle va devoir me supporter toute la journée !
— Vous savez que si vous vous ennuyez, nous pourrons toujours vous confier des missions. Votre départ nous force à nous réorganiser. Il nous faut un nouveau chef d’équipe !
— Il vous reste deux techniciens. Ce n’est pas assez pour gérer les projets en cours ?
— Nous verrons cela plus tard. À propos, avez-vous des informations au sujet de l’installation chez madame Troussard ?
— Non, pourquoi ?
— La Direction Administrative de Paris me dit qu’elle ne veut pas payer !
— Je vais voir, je vous tiens au courant.
— Merci, bon week-end.
— Également, à vendredi prochain.

Michel est tracassé par cette question comptable, car il est habitué aux contrats précis et aux travaux exécutés avec sérieux. Que cela arrive quelques semaines avant son départ à la retraite est très regrettable. Dès lundi, il en touchera deux mots à son collègue Guillaume Bouchard, chargé du suivi du dossier dans son équipe.

Il rentre chez lui, préoccupé. Martine s’en aperçoit :

— Tout s’est bien passé ?
— Heureux de voir arriver le week-end. La semaine a été rude car nous avions du retard à rattraper pour respecter nos engagements.
— Il me semble que quelque chose ne va pas ?
— J’espère que ce n’est pas grave. C’est avec Guillaume.
— Qu’a-t-il encore fait ?
— Pourquoi encore ?
— Tu dis souvent qu’il n’est pas sérieux !
— Pour le travail, je n’ai rien à dire, c’est juste qu’il mène une vie de patachon !
— Ah ! Bon, ça le regarde !
— Tu as raison.

Le dimanche après-midi, Michel ressasse cette histoire. Dans une entreprise, les relations ne sont pas toujours simples. Dans la sienne, il y a trois directions entre lesquelles c’est parfois tendu. Les administratifs s’occupent des facturations, des salaires, de la partie juridique et ont l’œil rivé sur le chiffre d’affaires. Les commerciaux font la promotion des produits et organisent les ventes : pas de publicité, pas de résultat ! Les vendeurs veulent placer des produits qui ne sont pas toujours achevés. La Direction Technique a finalement le sentiment que tout repose sur ses épaules : pas de solution matérielle, pas d’entreprise ! Ils travaillent dans l’urgence pour satisfaire tout le monde.

Ce souci vient certainement de la Direction Administrative ! Sans doute un rond de cuir qui n’a rien compris à la situation ! Le soir, il s’endort sur cette contrariété.

Tôt, le lundi matin, il appelle Guillaume :

— Tu sais ce qu’il y a chez madame Troussard ?
— À quel propos ?
— L’informatique dont tu t’es occupé.
— Ça fonctionne, pourquoi ?
— Normalement, on ne fait pas d’installation chez les particuliers. Que s’est-il passé ?
— Tu dois te rappeler, elle a un gîte. Je travaillais dans une PME de Grenoble et elle m’a hébergé.
— Oui, je m’en souviens. Pourquoi être intervenu ?
— Son système informatique était hors service et elle en avait besoin pour ses activités. Elle nous avait rendu service et tu étais d’accord !
— C’est vrai. Je me renseigne, c’est encore un coup du service comptable, ils n’en ratent pas une ! Salut Guillaume.
— Salut.

En raccrochant, Michel n’a rien appris de nouveau. Tout compte fait, il s’agit d’un problème de facturation et il a bien d’autres questions techniques plus urgentes à solutionner. Ils verront cela entre eux ! Il reprend son programme de travail de la semaine et, de toute façon, ne pourra s’en occuper que vendredi lors de son passage au bureau.

À Lyon, le lundi matin est toujours consacré au briefing. Jean-Jules Cortel retrouve ses troupes dans la salle de réunion. Il y a les trois ingénieurs : Sophie Bancol, Pierre Moulinier, Jérémie Florent, les deux techniciens Sébastien Duroc, Simon Pontareau et la secrétaire Anabelle Laumont. Dans cette société aux activités tournées vers les nouvelles technologies, les relations sont cordiales et détendues. Les informations sont échangées clairement et chacun évite de pratiquer la langue de bois. Le directeur prend la parole :

— Bonjour à toutes et à tous. Cette semaine, je dois me rendre au siège à Paris. En mon absence, la direction sera assurée par Sophie. Des questions ?
— Oui. On se partage sa clientèle pendant la semaine ?
— Sophie, qu’en pensez-vous ?
— Non, je vais y arriver.
— Bien, venez à mon bureau pour que nous fassions le point avant que je parte.
— Entendu.
— D’autres questions ?
— Non.
— La séance est levée, merci.

Une fois dans le bureau de Jean-Jules Cortel :

— Pourquoi me choisir ?
— Vous êtes célibataire, donc plus disponible.
— Il y a aussi Jérémie.
— Vous êtes dans la société depuis plus longtemps. Alors ?
— Les autres peuvent se dire « pourquoi elle et pas moi ».
— S’il y a des interrogations, j’assumerai ! Je suis absent de mardi matin à jeudi soir. Vendredi, réunion à dix-sept heures.
— C’est noté. Merci.

Sophie est une jeune femme de trente-cinq ans, brune et décidée. Dans l’ensemble, les membres de l’équipe ont tous entre trente et quarante ans. De retour dans son bureau, elle capte les regards de ses collègues, preuve qu’ils ont accusé le coup. Elle a franchi, temporairement, un échelon dans la hiérarchie.

Pendant les trois jours qui suivent, elle traite les affaires courantes et aucune décision importante n’est à prendre. Il y a toutefois ce message venant du siège et concernant madame Troussard. Par prudence, elle attend le retour du patron pour s’en occuper. L’équipe fonctionne parfaitement, signe que le personnel recruté est compétent et autonome.

Les trois jours passent vite, le directeur est de retour le vendredi matin. Dès neuf heures, il fait venir Anabelle dans son bureau :

— Cette fois, nous n’organiserons pas notre séminaire annuel dans nos locaux. Nous allons louer un chalet dans la région de Bourg-Saint-Maurice. J’en connais un qui est parfait, il peut héberger une vingtaine de personnes. Il faudrait le retenir rapidement, voici l’adresse de l’agence qui s’en occupe.
— Pour quelle période ?
— Courant novembre pour huit jours, du dimanche soir au lundi matin. Assurez-vous que la restauration est comprise ou alors, trouvez-nous un traiteur.
— Bien, je fais le nécessaire.
— Merci. Pas un mot au service. J’en ferai l’annonce lors de la réunion.

Michel arrive en début d’après-midi. Jean-Jules Cortel lui demande de passer le voir :

— Quelles sont les nouvelles du terrain ?
— Rien à signaler pour la partie technique. J’ai appelé Guillaume pour l’installation de madame Troussard. Il ne comprend pas.
— J’ai du nouveau !
— Que se passe-t-il ?
— L’installation remonte à quand ?
— Entre un et deux ans. Depuis le temps, le service de facturation a dû faire des relances !
— Madame Troussard dit que sa fille Cindy a mis au monde des jumeaux qui se portent bien, mieux que leur mère !
— Je ne vois pas le rapport.
— Pourtant il y en a eu un !
— Oh !
— Oui, Guillaume l’a mise enceinte !
— Je suis confus !
— Vous n’y êtes pour rien !
— Que vont-ils faire ?
— C’est le problème de la Direction Générale. Ce soir, j’organise une réunion et je vous demande de vous joindre à nous.
— J’y serai.

D’habitude, les techniciens sont sur le terrain et ne participent pas aux réunions du staff. Cette invitation intrigue Michel qui a hâte d’y assister. Leur patron les retrouve à l’heure prévue :

— Je reviens du siège et il y a du nouveau. La Direction Générale tient à féliciter notre service pour son sérieux et sa progression. Pour nous remercier, elle me propose d’organiser notre rencontre annuelle dans un lieu agréable, hors de nos locaux. J’ai carte blanche et j’ai demandé à Anabelle, ce matin, de nous réserver un chalet dans la région de Bourg-Saint-Maurice.
— C’est en cours, dit Anabelle.
— Parfait. Ce sera huit jours en novembre prochain, l’occasion pour nous d’assurer la cohésion de l’équipe et de nous motiver pour être toujours plus efficaces.
— D’ordinaire, je ne participe pas à ces séminaires, déclare Michel.
— J’y viens. Comme je ne suis pas limité par le budget, nous serons ensemble du dimanche soir au lundi matin en huit pour l’équipe habituelle. Le deuxième week-end, les conjoints qui le souhaitent pourront nous rejoindre ainsi que Michel et son épouse, une façon de le remercier, avant son départ en retraite, pour tout le travail accompli depuis qu’il est dans la société. Je vous en dirai plus prochainement, dès qu’Anabelle nous aura confirmé l’opération. Bon week-end à tous.

Rapidement, l’agence adresse à Anabelle le planning des réservations. La restauration sera assurée par un traiteur de bonne réputation. Elle informe Jean-Jules Cortel qui donne son accord pour une location de huit jours la deuxième semaine de novembre.

C’est au cours du briefing du lundi suivant que l’information est donnée officiellement par le directeur :

— Nous devons parler de notre prochain séminaire. Anabelle nous a trouvé un agréable chalet dans les environs de Bourg-Saint-Maurice. Pouvez-vous nous en dire plus ?
— Le séjour est prévu courant novembre, du repas du dimanche soir au petit déjeuner du lundi de la huitaine. On peut s’y rendre, soit par le train jusqu’à Bourg-Saint-Maurice puis prendre un taxi, soit en voiture. La distance est de l’ordre de deux cents kilomètres. Veuillez passer au secrétariat pour que je vous remette de la documentation. C’est tout pour moi.
— Merci. Vous indiquerez rapidement quels sont les conjoints qui nous rejoindront le second week-end afin de finaliser l’organisation des repas avec le traiteur. Des questions ?
— Non.
— Dans ce cas, bonne semaine.

Ce séminaire dans un lieu inhabituel est source de curiosité et d’intérêt. L’originalité du cadre doit être propice à la détente et favoriser les contacts. Aucune comparaison, sans doute, avec la salle de réunion impersonnelle de l’entreprise. Les conjoints n’ont pas de mal à accepter de rejoindre le groupe dans la vallée de la Tarentaise !

Le vendredi précédent le départ, Jean-Jules Cortel réunit son staff en fin d’après-midi :

— Je vous ai fait venir pour vous souhaiter une bonne installation dans le chalet réservé. Je viendrai plus tard, étant retenu par des obligations professionnelles en début de semaine. Je vous tiendrai au courant de mon arrivée. Profitez pleinement de ces moments de liberté pour échanger et organiser l’avenir de notre département technique.
— Viendrez-vous rapidement ? demande Anabelle.
— Je n’en sais encore rien. Vous serez informés. Bon voyage et bon début de mission.

L’équipe est décontenancée par cette nouvelle qui perturbe son fonctionnement. Qui prendra en charge l’organisation des débats ? Que cache cette absence ?

Chapitre 2

Les collaborateurs arrivent sur les lieux dans le milieu de l’après-midi. Ils sont tous venus en voiture, une solution qui leur permettra d’aller chercher leurs conjoints au train de Lyon le week-end suivant. Le chalet est bâti en pierre et une grande partie supérieure est en bois, ce qui lui donne un aspect robuste et chaleureux. Ils sont accueillis par la gérante qui leur indique la répartition des locaux suivant les instructions données par Jean-Jules Cortel. Le rez-de-chaussée est réservé aux pièces de service. Une vaste terrasse au premier étage permet d’admirer la chaîne des Alpes et regroupe les lieux de vie. Les deux niveaux les plus élevés, où se trouvent les chambres, disposent de balcons bien exposés et, la plupart, ont une vue magnifique sur les environs. Tous les murs sont recouverts de lambris procurant une sensation de bien-être. Celles du dernier étage sont mansardées et pleines de charme. Toutes sont d’un grand confort et disposent d’un maximum d’équipements.

Les informations indispensables au déroulement du séjour leur sont fournies, ainsi que des dépliants sur la région et les visites disponibles en cette saison. Ces possibilités ne pourront éventuellement être utiles que le dernier week-end, puisque la semaine à venir sera consacrée au travail. Les services du traiteur se limitent aux heures des repas et, pour toute demande spécifique, ils devront contacter la gouvernante par téléphone. Un vaste réfrigérateur, bien garni, est à disposition ainsi qu’un ensemble de machines en libre-service pour la préparation de boissons chaudes.

Chacun s’installe confortablement en attendant le dîner prévu à partir de dix-neuf heures trente. Pour ce premier soir, ils ne sont que six, un peu perdus autour de la grande table de réception. Anabelle et Sophie se sont installées face à face, une façon de se soutenir, entourées par Pierre, Jérémie, Sébastien et Simon. La parité dans le travail est difficile à respecter, particulièrement dans les milieux techniques où les femmes peinent à trouver leur place. Résultat, sans doute, d’une éducation qui tarde à reconnaître que les sciences sont accessibles à tous…

Le début du dîner est silencieux car cette situation est inhabituelle et la conversation peine à démarrer. Sophie, choisie par leur patron pour prendre la tête de l’équipe en son absence, se sent dans l’obligation de lancer les échanges :

— Êtes-vous bien installés ?
— C’est parfait, répond Anabelle, reconnaissante de cette parenthèse.

Les autres collègues acquiescent d’un mouvement de tête sans quitter leur assiette des yeux. Le repas terminé, Sophie propose de passer au salon pour faire le point :

— Comment voyez-vous le déroulement de la semaine ?
— Attendons l’arrivée du chef, répond Pierre sur un ton un peu provocateur.
— Cela ne nous empêche pas de réfléchir !
— On pourrait voir ça demain !
— Je suis assez d’accord avec Sophie, avance Jérémie.

Par prudence, Sébastien et Simon écoutent sans s’engager. Le ton de Pierre laisse entendre qu’il est en compétition avec Sophie et que le choix du patron a laissé des traces. Sans se départir, elle les interpelle :

— Qu’en pensez-vous, vous deux ?
— Comme vous voulez ! On peut décider à la majorité !
— Attendre n’est pas une solution. Nous risquons de perdre du temps et monsieur Cortel peut arriver dès le soir. Que pensera-t-il si nous n’avons pas avancé ?
— Je vais me coucher, conclut Pierre.

Il sort et monte dans sa chambre, les laissant décontenancés. Son attitude arrête toute discussion. Ce coup de tête ne présage rien de bon pour la suite. Elle enrage de cet échec dès le premier soir et cherche à reprendre la main :

— Jérémie, tu as une idée ?
— Nous pourrions dresser un bilan de l’année, sortir les points positifs. Définir une stratégie pour éviter les déconvenues.
— C’est intéressant. Je souhaite que nous analysions en profondeur nos échecs. Ils nous enrichissent tout autant que nos succès. Ils nous renforcent et nous apprennent à devenir meilleurs ! Nous pourrions nous retrouver pour en parler demain matin en salle de réunion à neuf heures.

Sur ces sages paroles, ils se quittent pour regagner leurs chambres. Sophie est préoccupée par la réaction de Pierre et devra sans doute s’en expliquer avec lui avant que la situation ne se complique.

Il est encore tôt pour s’endormir et les derniers propos échangés ne sont pas de nature à apaiser les esprits. Elle décide de redescendre au salon afin de prendre une boisson chaude et découvre qu’elle n’est pas seule à avoir eu cette idée :

— Toi non plus, Jérémie, tu n’as pas envie de dormir ?
— Je me sens un peu énervé. Peut-être l’altitude ?
— Pour moi, c’est plutôt l’attitude de Pierre qui me contrarie.
— Il se sera sans doute calmé demain.
— S’il persiste, nous n’avancerons pas.
— Tu as compris sa position ?
— Je me doute qu’il n’a pas digéré le choix du patron !
— Il doit estimer que cela lui revenait !
— De quel droit ?
— Il est sorti d’une école réputée. Tu sais, il faut voir ce qu’ils leur mettent dans la tête !
— Nous faisons tous le même travail.
— Chacun son parcours.
— Le principal est tout de même la compétence !
— Tu as certainement raison. En tous cas, ça ne me dérange pas si c’est toi qui es choisie pour un avancement.
— Je ne pense pas que ce soit cela. C’est sans doute seulement un test d’aptitude de la part du patron ! Je vais essayer de dormir, bonsoir.
— Bonsoir.

Ce lundi matin, ils se retrouvent tous autour de la table du petit déjeuner vers huit heures. En cette saison, le jour peine à se lever et le ciel est gris. Les éclairages se réfléchissent sur les lambris, procurant une appréciable impression de chaleur. Chacun est dans sa bulle, réfléchissant à cette situation nouvelle.

Ils passent dans la salle de réunion, au même étage. Malgré les nuages, ils admirent le spectacle des montagnes si proches. Cet environnement les change du lieu habituel de leurs débats. Pierre ne laisse pas le temps à Sophie de prendre la parole :

— Je souhaiterais animer la matinée. Y a-t-il une opposition ?

Difficile, dans ces conditions d’aller contre, au risque de provoquer des discussions à n’en plus finir. Après un temps de silence :

— Bien. Je propose de faire le point sur l’année passée. Qui commence ?
— Je pense, qu’au préalable, nous devons définir une méthodologie, répond Sophie. L’objectif de ce genre de réunion n’est pas de pratiquer la langue de bois. Chacun doit pouvoir s’exprimer en développant un sens critique.
— Où veux-tu en venir ?
— Que chacun parle clairement et sans peur, c’est ainsi que nous avancerons !
— De quoi aurions-nous peur ?
— Il faut que le débat soit ouvert, qu’il n’y ait pas de barrière entre techniciens et ingénieurs, que les points de vue soient objectifs.
— C’est bien ce que nous faisons d’habitude ?
— Pas toujours. Il y a souvent une retenue bien compréhensible ! Le subordonné reste souvent sur une prudente réserve par rapport à son supérieur. Les fautes ne viennent pas toujours d’en bas !
— Je te trouve bien revendicatrice. Deviendrais-tu une passionaria de la technique ?
— Tu es bien ironique ! Cela te gêne que nous procédions ainsi ?
— Pas le moins du monde.
— Dans ce cas, qui veut parler des dossiers à problème ?

Après cette passe d’armes, les collègues ont le nez baissé vers les documents déposés devant eux. Ils les regardent avec une concentration qui ferait plaisir à voir en d’autres circonstances ! Après un silence pesant, Jérémie propose de reparler d’un dossier épineux :

— Vous souvenez-vous de notre intervention dans une PME de Grenoble ?
— Vaguement, répond Pierre.
— Qui s’est occupé de l’offre ?
— C’est moi, pourquoi ?
— Le client s’est plaint qu’elle soit inadaptée à ses besoins.
— C’est pourtant lui qui les a exprimés ainsi !
— Ce n’est pas ce qu’il dit une fois le travail terminé.
— C’est sans doute un défaut de mise en service, cela relève du technicien.
— C’est facile ! commente Sophie.
— À propos, c’est Guillaume Bouchard qui s’en est occupé ! Je ne l’ai jamais trouvé très sérieux.
— Tu as d’autres exemples ?
— Vous n’êtes pas au courant des bruits qui courent ?
— Lesquels ?
— Il aurait mis enceinte la fille de sa logeuse !
— Quel rapport avec l’installation technique ?
— Peut-on faire confiance à un individu surtout préoccupé par la bagatelle ?
— Qu’en sais-tu ?

À court d’arguments, Pierre se tait, furieux d’avoir été mis en défaut par Jérémie. Que cherchent-ils tous ? Il est le plus diplômé de l’équipe et cela devrait suffire pour qu’il n’ait pas de comptes à rendre !

L’absence de leur patron semble avoir déchaîné les passions. Afin de détendre l’atmosphère, Anabelle propose de faire du café et de profiter de cette pause pour parler d’un point annexe. En attendant qu’elle revienne, Sophie parle avec Jérémie et tente, sans succès, d’associer Pierre à leur discussion. Ce dernier reste drapé dans sa dignité, vexé que la situation se soit retournée contre lui. À son retour, elle déclare :

— Le week-end prochain, Michel Vardel sera parmi nous avec son épouse. Ce sera la dernière fois, puisque nous fêterons son départ en retraite. Nous pourrions lui faire un cadeau, qu’en pensez-vous ?
— C’est une bonne idée, répond Sophie.
— Je vous propose de faire circuler une boîte ce soir, avant le dîner, pour collecter les fonds.

Pierre, resté muet, lâche entre ses dents :

— Je trouve ces pratiques ridicules. En plus, c’est lui le responsable de Guillaume Bouchard et il n’a rien vu venir !
— C’est tout de même un bon collègue, répondent Sébastien et Simon.

Ils recommencent leurs échanges sur les dispositions à prendre pour améliorer leurs relations avec les clients et surtout contrôler la pertinence des offres. Sophie fait une proposition :

— Toute demande devrait être discutée en équipe.
— C’est la fin de toute initiative, c’est la république des soviets, répond Pierre.
— Pourquoi le prends-tu si mal ?
— Que fais-tu de la liberté d’entreprendre ?
— N’es-tu donc pas d’accord pour limiter les risques d’erreur ?
— Je suis pour le respect des procédures, la rigueur, la responsabilisation de chacun.
— Te crois-tu infaillible ?
— Le niveau hiérarchique doit suffire, les diplômes valident les compétences.
— En es-tu si certain ? L’autorité doit découler de l’expertise !
— Je propose que l’on s’arrête là, suggère Jérémie. Je pense que nous en avons assez entendu pour aujourd’hui ! Vos à priori vous aveuglent et nous éloignent de la cohésion, objet de cette semaine de réunion.

Ils partent déjeuner dans la vaste salle dont les grandes baies vitrées sont tournées vers les montagnes. Il y a un pâle soleil qui accentue les reliefs. Chacun reprend sa place. Les jeunes femmes échangent un regard complice. Elles ont l’une et l’autre de l’estime pour leur patron dont la présence aurait évité ces passes d’armes entre belligérants. La suffisance de Pierre exaspère Sophie. L’humanité de celle-ci le déstabilise. Deux conceptions du monde qui s’affrontent.

Jérémie prend l’initiative en début d’après-midi afin d’éviter de nouveaux affrontements :

— Je propose que nous échangions sur nos attentes, les uns et les autres, au sein de l’équipe.
— Qu’entends-tu par là ? demande Simon.
— Que nous disions, par exemple, ce qui peut être amélioré dans nos relations quotidiennes.
— Que les techniciens soient plus impliqués dans les décisions, les choix techniques !
— Le rôle de l’ingénieur est de choisir la meilleure solution technique, celui du technicien est d’exécuter, répond Pierre.
— Si nous continuons sur ce ton, nous n’avancerons pas, déclare Sophie.
— Les techniciens pourraient avoir un rôle consultatif, commente Jérémie.
— À quoi ça sert si l’on est écarté des décisions ?
— À faire circuler l’information, à prendre conseil auprès de toutes les compétences.

Faute d’un leader reconnu, la parole se libère et les conflits éclatent, fruits des attentes des uns et des autres dans un système dont l’équilibre semble rompu. Dans l’après-midi, Anabelle reçoit un SMS de leur patron annonçant son arrivée dans la soirée. Cette nouvelle apaise les esprits et les conversations se concentrent sur la gestion des problèmes du quotidien. En fin d’après-midi, on fait circuler la boîte pour le cadeau de Michel. Chacun participe, certains peut-être de mauvaise grâce, les plus généreux n’étant pas toujours les plus fortunés.

Jean-Jules Cortel les rejoint pour le dîner. L’atmosphère est plus calme et réservée. Personne ne s’aventure à commenter les échanges de la journée. Après le repas, ils vont au salon car il est encore trop tôt pour remonter dans les chambres, mais ce moment passé ensemble rencontre peu d’enthousiasme et les conversations sont d’une consternante banalité. Petit à petit, les uns et les autres s’éclipsent discrètement. Sophie et Jérémie restent seuls :

— Jérémie, que penses-tu de cette journée ?
— Je n’en souhaite pas d’autres sous cette forme !
— J’ai sans doute été trop loin.
— Il le méritait. Pourquoi est-il si cassant et certain de détenir la vérité ?
— Une conception simple du monde. Le doute lui fait peur, la rigidité le rassure.
— Peut-être le signe de sa faiblesse. Essayons de reprendre nos débats demain d’une manière apaisée.
— Je l’espère aussi. Bonsoir.
— À demain.

Chapitre 3

Une surprise les attend au cours du petit déjeuner. Le patron semble de fort bonne humeur et leur annonce :

— Afin de nous aider à mieux préparer l’avenir, notre siège nous offre la présence d’un coach jusqu’à la fin de la semaine.

Cette information n’est suivie d’aucune réaction apparente et chacun se demande ce que cette nouveauté peut bien cacher. Vers neuf heures, un homme d’une cinquantaine d’années se présente au chalet :

— Je viens pour la séance de coaching.
— Nous vous attendions, répond Jean-Jules Cortel.

Tous se dirigent vers la salle de réunion. Après un temps de silence :

— Je vous présente Franck Bournot, envoyé par notre direction générale pour nous aider à réfléchir à notre mission.
— Merci de cette introduction. Je suis ici pour vous apprendre à mieux vous connaître. Pour faciliter les contacts, appelez-moi Franck. J’ai une formation de coach et de psychologue. Je vais vous proposer une session sur quatre jours. Avez-vous des questions ?

L’équipe fait bloc et il s’en rend compte. Il va devoir ramer pour gagner la confiance de ses interlocuteurs. Sa présence a, déjà, le mérite de restaurer la cohésion du groupe. Il reprend :

— Je vous propose un thème par jour. Le sujet peut évoluer en fonction du bilan quotidien, c’est pourquoi je ne vous donne pas aujourd’hui les sujets à venir. Aujourd’hui, nous allons travailler sur les sept péchés capitaux. Je vais donc vous demander d’en établir la liste par ordre d’importance. C’est un travail personnel pour lequel vous aurez une heure. Vous en profiterez pour développer les raisons de votre classement individuel. Je vous laisse pendant ce temps de réflexion.