Pourquoi Victor ? - Herald Brend - E-Book

Pourquoi Victor ? E-Book

Herald Brend

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Beschreibung

Septembre 2022. Carole organise une fête à l’occasion du départ en retraite de son mari Didier. Les plus proches collègues sont invités pour un week-end dans leur maison de campagne, au cœur des Pyrénées. Tous sont dans la joie de partager ce moment, mais un évènement inattendu vient perturber les festivités. Les complications s’accumulent alors que tout était soigneusement planifié afin que cette circonstance reste un souvenir inoubliable. Une histoire étrange, des personnages au comportement complexe, des non-dits lourds de conséquences…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Herald Brend est à l’écoute de ses contemporains : leurs joies, leurs peines, leurs souhaits. Il s’inspire du quotidien, d’expériences et d’anecdotes vécues, pour écrire des textes empreints d’humour qui donnent une raison d’espérer et de se sentir vivant. Pourquoi Victor ? ? est son cinquième roman après L’héritage de l’oncle Vincent paru aux Éditions Sydney Laurent – Prix du Roman « Anne Bert » Royan-Pontaillac 2022 –, La chambre d’hôtes, Le secret de Jean-Jules et Shadia publiés chez Le Lys Bleu Éditions.

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Herald Brend

Pourquoi Victor ?

Roman

© Lys Bleu Éditions – Herald Brend

ISBN :979-10-377-8558-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

L’héritage de l’oncle Vincent, Éditions Sydney Laurent, 2021 (Prix du Roman « Anne Bert » Royan-Pontaillac 2022) ;

La chambre d’hôtes, Éditions Le Lys Bleu, 2021 ;

Le secret de Jean-Jules, Éditions Le Lys Bleu, 2022 ;

Shadia, Éditions Le Lys Bleu, 2022.

Chapitre 1

Confortablement installée dans le salon de leur appartement de la rue des Moines, dans le XVIIe arrondissement de Paris, Carole attend le retour de Didier. Elle vient de prendre sa retraite, apprécie cette liberté, laisse vagabonder son esprit et se projette dans sa nouvelle vie. Que le temps passe vite ! Trente-cinq ans de mariage, une existence en pente douce qui les a fait glisser lentement vers cet univers inconnu qui s’ouvre à eux.

En ce milieu d’après-midi de juillet 2022, elle fait une pause, buvant son thé par petites gorgées. Le magazine, qu’elle lisait il y a encore quelques minutes, est posé sur la table et elle n’a pas envie de le reprendre, plongée dans une espèce de torpeur exquise à mi-chemin entre le sommeil et l’éveil. La sonnerie du portable la ramène brusquement à la réalité :

— Je suis retenu au bureau par un dossier à boucler avant demain.
— Tu rentreras tard ?
— Je fais au plus vite. Si je ne suis pas de retour avant vingt heures, ne m’attends pas pour dîner. Je t’embrasse.
— Moi aussi. Sois prudent sur la route.

Dans quelques mois, Didier s’arrêtera également. Elle mettra cette période à profit pour organiser leur départ vers d’autres horizons. Ce contretemps la déçoit car elle aurait aimé profiter de cette soirée pour en parler et faire le point sur les décisions à prendre. C’est une battante, dotée d’un caractère volontaire et impatient. Lui, il est plus calme, conciliant, tempérant ses ardeurs.

Elle regarde avec dépit son téléphone porteur de nouvelles contrariant ses projets. Quand pourront-ils enfin avoir une discussion de fond ? Partir de Paris, dès qu’ils seront libres tous deux, n’est tout de même pas si difficile ! À chaque fois que ce sujet est abordé, elle se rend bien compte qu’il se défile, cherchant à gagner du temps… c’est-à-dire à lui en faire perdre !

Carole aime cette ville, ses quartiers qui sont, pour certains, comme des villages. En particulier le leur, si attachant avec le Marché des Batignolles et, tout proche à l’ouest, le « Parc Clichy-Batignolles Martin Luther-King », le « Square des Épinettes » au nord, un peu d’oxygène et de nature dans cette citée grouillante d’activités. À l’est, le « Cimetière de Montmartre » où sont enterrées des célébrités. Tous les deux sont natifs de la capitale et ne l’ont jamais quittée, prisonniers de leurs activités professionnelles.

Avec lassitude, elle va chercher les albums photos, tourne les pages, faisant défiler leur vie. Tout ce temps passé, voire gâché, à faire des choses insignifiantes, observées avec du recul ! Elle se sent envahie par le spleen, sensation jusqu’alors inconnue. Décidément, cette oisiveté ne lui réussit pas !

Elle se ressaisit et décide de passer en revue leur existence avec méthode, puisqu’il lui reste un moment avant l’arrivée de Didier. Ce retour en arrière lui permet de faire ressortir les étapes marquantes depuis leur première rencontre. De cette période, ils n’ont pas de clichés, impliqués qu’ils étaient dans leurs études à l’Université Paris VI de Jussieu. C’est là qu’ils se sont trouvés, dans les années 80, l’un et l’autre inscrits en sciences. Elle a poursuivi son cursus en physique, tandis que, brusquement intéressé par la « filière Carole », il a choisi un cycle plus court lui laissant du temps libre pour s’occuper de sa nouvelle passion.

Carole, amoureuse mais déterminée, a continué en troisième cycle et soutenu sa thèse dans un laboratoire de Jussieu. Didier ayant du travail en région parisienne, ils ont emménagé dans un studio, au Quartier latin. À présent, elle mesure que son mari a peut-être écourté ses études pour leur permettre de vivre ensemble et se sent soudain mal à l’aise. Avec la remontée de tous ces évènements, elle mesure le chemin parcouru. Lui, ingénieur depuis de nombreuses années chez IGBT, une société d’Ingénierie Génie Biologie Technologie située à Rueil-Malmaison, elle, fraîchement retraitée de l’Enseignement Supérieur, après une carrière de Maître de Conférences.

Des années d’études, elle se souvient de leurs engagements syndicaux rapidement déçus par les affrontements de mai 80 à Jussieu. L’occasion de réfléchir au rapport entre revendications et violences, de prendre de la distance avec les « jusqu’au-boutistes » toujours prêts à préférer la contrainte à la raison et au dialogue. Puis il y a eu 81, les années Mitterrand, les espoirs et les déceptions. Autant d’excuses pour se désintéresser de la vie publique, d’échafauder des projets personnels pour échapper au quotidien. Toujours plus volontaire et libre que lui, elle avait poussé à l’achat de cet appartement rue des Moines. Didier, pensant que c’était risqué, avait finalement abdiqué.

Les jours se sont écoulés d’une manière monotone, accoutumés à ce train-train, accaparés par leur travail. Les premières photos datent d’une rencontre avec des collègues de Didier. Tous étaient plus jeunes, sans doute moins désabusés qu’à présent. Mais que savent-ils de leurs activités respectives ? Pendant tout ce temps, ils se sont efforcés de cloisonner leurs vies. En dehors de ces quelques clichés, elle ne sait rien de son métier, ses difficultés s’il en a eues. De son côté, l’a-t-elle tenu au courant des luttes internes du laboratoire dans lequel elle travaillait ? Ils se sont épaulés dans le déni de ce qu’ils vivaient en dehors de leur foyer, uniquement préoccupés de leur quotidien.

Elle se demande brusquement pourquoi ils n’ont pas eu d’enfants. Elle ne saurait l’expliquer. Les années se sont enchaînées au point qu’ils ont réalisé trop tard qu’il n’était plus raisonnable d’en avoir, calculant leurs âges lorsque les jeunes auraient vingt ans… Ils se sont résignés à tout, sans dépit, juste par apathie.

Carole continue à tourner les pages, son visage se détend et s’illumine devant des photos de montagne présentant une maison ancienne à différentes étapes de restauration. Ces vues la font sourire, lui permettant de s’échapper des pensées négatives qui l’ont envahie. Elle ne se rend plus compte du temps qui passe et c’est ainsi que Didier la trouve en rentrant du travail. Ne l’ayant pas entendu arriver, elle sursaute :

— C’est toi ?
— Qui veux-tu que ce soit ?
— Je regardais les albums, j’étais dans mes pensées.
— As-tu dîné ?
— Quelle heure est-il ?
— Presque vingt et une heures.
— Avec ce soleil de juillet, c’est trompeur.

Passant rapidement à table, il la questionne :

— Que regardais-tu ?
— Les photos de « La Bergerie ».
— Tu veux toujours l’appeler comme cela ? Il n’y a jamais eu de brebis !
— C’est un symbole de la région. Cela fera plus couleur locale !
— Comme tu voudras.
— Tu es toujours d’accord pour partir le week-end du 23 ?
— Oui, j’ai vu avec les collègues. Je resterai joignable en cas de problème.
— Ils sont arrangeants, tu dois t’y sentir bien.
— Depuis le temps que j’y travaille ! De toute façon, ils se sont fait une raison.
— Pourquoi ?
— Mon départ en retraite !
— Je suis bête… à force d’y penser, j’en oublie que ce n’est pas encore fait !
— Ce sera bien assez tôt.
— Pourquoi dis-tu cela ?
— La transition.
— Moi, j’ai été aidée par l’ambiance. On ne peut pas s’imaginer ce que certains peuvent pourrir la vie des autres gratuitement !
— Ah ! Tu ne m’en as jamais rien dit !
— À quoi bon ?

Le repas se poursuit sans un mot. Carole reprend :

— Tu préfères voyager samedi ou dimanche ?
— Dimanche, c’est mieux, il y a moins de camions.
— J’ai hâte !
— Tu es impatiente comme une enfant !
— J’espère que les travaux sont terminés.
— C’est toi qui t’en es occupé. Que restait-il ?
— Finir les chambres.
— Au total, il y en a combien ?
— Huit.
— Huit ! Mais pour quoi faire ?
— Recevoir des amis.
— Tu sais bien que nous n’en avons pas !
— Tu exagères !
— Si peu !
— Et pourquoi ?
— Je te retourne la question !
— Nous n’avons fait que travailler !
— Comme des fourmis…

Sur cet amer constat, ils terminent le repas et s’installent dans les fauteuils pour regarder la télévision. Comme tous les étés, il y a beaucoup de rediffusions et les émissions nouvelles ne brillent pas par leur intérêt. Ils décident d’éteindre le poste et de reprendre leurs échanges :

— Qu’as-tu prévu pour les vacances ? demande Didier.
— Un équilibre entre aménagements et promenades.
— Nos parents passeront-ils ?
— C’est moins que certain. Ils sont fatigués et voyager une journée pour venir dans les Pyrénées ne les réjouit pas.
— Nous aurons tout loisir de choisir notre chambre !
— Ne sois pas ironique. On s’en servira bien un jour !
— Si tu le dis ! Quelle idée aussi de s’installer en vallée d’Aspe !
— J’espère bien que notre résidence secondaire deviendra rapidement principale !
— C’est loin d’être fait !
— Pourquoi ?
— Je n’ai pas l’intention de quitter Paris !
— Que trouves-tu ici de si spécial ?
— J’y suis né.
— Moi aussi. J’aime Paris, mais j’ai besoin de respirer l’air pur des montagnes.
— Ne précipitons rien. Allons déjà en vacances, maintenant que tout semble en état.
— Il était temps ! Te souviens-tu qu’il aura fallu près de dix ans pour y arriver ?
— Nous n’étions pas sur place.
— Surtout, tu ne t’y es pas intéressé, te reposant sur moi pour les décisions et les contacts.
— Nous n’allons pas nous disputer !
— Rappelle-moi quand tu pars en retraite ?
— Tu me fais marcher !
— Juste pour que tu réalises que tu n’as rien prévu ! Comment vas-tu assurer la transition ?
— On verra !
— Tu me fais peur. Qu’en disent tes collègues ?
— Qu’ils espèrent que la direction me remplacera.
— C’est tout ? Pas un peu de regret.
— M’as-tu tenue au courant des conditions de ton départ ?
— Me l’as-tu demandé ?
— Tu n’es pas de bonne humeur. Allons dormir.

Ils se préparent, se couchent, mais, excités l’un et l’autre, n’arrivent pas à s’assoupir :

— Tu dors ? demande Didier.
— Tu sais bien que non ! Je suis énervée. Le travail me stressait. L’inactivité me pèse. J’ai du mal à retrouver un équilibre. Je m’inquiète pour toi.
— D’ici le début octobre, j’ai le temps d’y penser.
— Ça arrivera vite. Partir dans les Pyrénées nous fera du bien.
— Sans doute, mais je n’ai pas l’intention de m’isoler.
— Qui te parle de cela ?
— J’ai besoin de la ville, de ses facilités.
— Que risquons-nous ?
— Je veux pouvoir choisir, ne pas me retrouver coincé.
— Tu aimes la montagne.
— Certainement, mais que deviendront ces régions dans quelques années ?
— Que crains-tu ?
— La désertification des campagnes a commencé et s’accélère. Que ferons-nous sans médecin, peut-être sans secours ?
— Tu es pessimiste.
— Réaliste.
— Nous en reparlerons lorsque nous serons à « La Bergerie ». Plus que quelques jours à attendre.
— J’envie ton enthousiasme…

Chapitre 2

Il ne reste pas longtemps, avant le départ du dimanche 24 juillet, pour préparer les bagages. Carole est seule à s’en occuper et ce n’est pas plus mal, Didier trouvant qu’elle en prévoit toujours trop. C’est souvent un sujet de discorde car, comme elle aime le lui rappeler « tu es bien content de trouver les affaires qu’il te faut quand tu en as besoin ! ». Ce n’est pas faux mais, comme beaucoup d’hommes, il rechigne, comme il dit, « à transporter la maison pour les vacances ».

Mécaniquement, elle range les vêtements dans les valises en les pliant soigneusement. Pendant que ses mains travaillent, son esprit est déjà dans les Pyrénées et elle revit leurs promenades, la découverte des paysages, les pauses après les ascensions fatigantes, la joie de respirer l’air pur à pleins poumons.

Pendant les premières années de mariage, ils ont parcouru la France, découvert plusieurs régions agréables, à la recherche d’un lieu qui leur apporte paix et dépaysement. Carole a besoin de calme, de sorte que le littoral ne lui convient pas, toujours surpeuplé durant l’été. Elle aime la montagne mais n’apprécie pas les climats trop rudes et les Pyrénées constituent un bon compromis en accord avec ses goûts.

Plusieurs années de suite, ils ont parcouru les vallées, marché sur les sentiers, admiré les couchers de soleil. Ils ont essayé plusieurs types d’hébergements, pratiquant le camping, fréquentant les hôtels et les gîtes. En rencontrant les populations locales, ils se sont aperçus que cet environnement leur convenait. Ils ont découvert les fermes auberges proposant des produits locaux savoureux, de sorte que, progressivement, l’idée leur est venue d’acquérir une résidence secondaire.

Elle laisse son esprit vagabonder, se rappelant avec plaisir les étapes de recherche du lieu choisi. Encore une fois, c’est elle qui s’en est occupé, Didier la laissant faire. Soudain, elle repense à leurs derniers échanges et sa réticence à s’y installer définitivement. Ce choix était-il le sien ou le leur ? N’est-elle pas trop dirigiste ? Un point à approfondir parmi d’autres, la retraite les réduisant, dans un bref délai, à un huis clos qui pourrait devenir pesant, faute de consensus sur des questions si essentielles.

Elle revoit les lieux de transhumance entre le Col de Marie-Blanque et le Plateau du Bénou, les Crêtes Blanches au-dessus de Gourette et cette vision magique, certains jours, des nuages en contrebas d’où sortent des troupeaux de brebis. Spectacle inoubliable d’ovins apparaissant et disparaissant tour à tour avant que le soleil dissipe ce brouillard étalé comme un tapis.

Longtemps, ils ont balancé entre les deux vallées, hésitant entre celle d’Ossau ou d’Aspe. Finalement, ils ont trouvé un compromis, arrêtant leur choix sur la transversale allant d’Asasp-Arros à Arudy. C’est là qu’ils ont acheté et patiemment rénové des bâtiments anciens, engloutissant toutes leurs économies dans une réalisation qui comble Carole de bonheur. Il serait complet si Didier montrait plus d’enthousiasme et elle espère bien le convaincre rapidement de tout l’intérêt d’y résider au plus vite.

Il rentre du travail et la trouve ainsi, rêvant tout en s’activant autour des valises :

— C’est la nuit, ici ?
— Tu sais bien qu’il faut tirer les persiennes le plus tôt possible, avec ce soleil !
— As-tu bientôt terminé ?
— Encore un sac ou deux.
— Toujours plus ?
— Tu seras bien content de retrouver tes encombrantes chaussures de marche. Rien que pour elles, il en faut un !
— Qu’as-tu prévu ? On se promène ou on finit l’aménagement ?
— Il y aura du temps pour tout faire !
— Je le souhaite. Nous avons déjà perdu tant d’étés à bricoler, améliorer les extérieurs !
— On n’a rien sans rien ! J’ai hâte d’y être !
— J’espère que c’est la dernière ligne droite.

Ils dînent d’un repas froid, évitant d’apporter de la chaleur avec des cuissons. Dehors, l’air est difficilement respirable :

— Nous serons bien mieux en montagne !
— En vallée d’Aspe, tu te souviens comme il peut faire chaud !
— Ne sois pas négatif. Cela dépend des années, il y a parfois des orages, de la pluie et l’air est plus léger.
— Nous verrons. Nous n’avons jamais été aussi près de le savoir…
— Ne grogne pas. Tout ira bien !

Il est tard et ils se préparent à se coucher. Carole, nerveuse, a mauvaise conscience : laisse-t-elle assez de place à Didier ? Avant de s’endormir, elle le questionne :

— Tout se passe bien au travail ?
— Oui, pourquoi ?
— Tu as des années chargées. Ces vacances te feront le plus grand bien. Que voudras-tu faire ?
— Me reposer !
— Tu trouves que nous en faisons trop ?
— Ce n’est pas cela, je suis dans une phase de transition. Trop maintenant, peut-être pas assez par la suite…
— Tu t’arrêtes demain soir ?
— Oui, je n’y retourne pas samedi !

Elle comprend qu’il est inutile, pour l’instant, d’aller plus loin. Ils devront attendre plusieurs jours, laisser tomber le stress du travail, avant de reprendre cette conversation.

Samedi soir, tout est prêt, les valises et les sacs placés près de la porte. Dimanche matin, Didier part très tôt chercher la voiture stationnée dans un parking souterrain du quartier. Le tout chargé rapidement, ils prennent la route vers sept heures en direction d’Orléans. Ils passeront par Limoges, Périgueux, Langon et Pau, un trajet de plus de huit cents kilomètres. Didier conduit sans rien dire et Carole lui trouve l’air soucieux et fatigué :

— Ça va ?
— Tout va bien.
— Tu ne dis rien !
— C’est notre dernier trajet après le travail.
— Je ne comprends pas !
— Ensuite, nous voyagerons comme bon nous semblera.
— Ça te pose problème ?
— Depuis notre mariage, nous n’avons fait que trimer. La retraite, c’est le vide !
— J’y suis bien ! Où est le problème ?
— Une femme trouve toujours à s’occuper. Pour un homme…

Carole ressent, dans sa voix, une détresse qui l’émeut. Elle ne sait pas comment l’aider plus qu’elle ne le fait. S’il pouvait s’intéresser à « La Bergerie » ! Au contraire, il en parle comme s’il l’avait en grippe. Petit à petit, l’idée lui vient d’organiser une fête pour son départ en retraite et de garder secrète cette organisation en s’appuyant sur son entourage professionnel. Sans s’en rendre compte, elle se détend en pensant à ce projet :

— Pourquoi souris-tu ?
— J’ai des pensées positives !
— Je peux savoir ?
— C’est confidentiel !
— Alors…

Ils font une pause vers midi, s’alimentent d’un sandwich, prennent un café et repartent rapidement. En approchant du but, Didier s’informe :

— Qu’as-tu prévu pour les clés ?
— Nous les prenons au café à Asasp-Arros, comme d’habitude.
— Espérons que tout sera terminé.
— J’ai eu le chef de chantier au téléphone au début du mois, il était optimiste.
— Quand on n’est pas sur place !

Après avoir traversé Oloron-Sainte-Marie, ils entrent dans la vallée d’Aspe. Au loin, la montagne ferme l’horizon, enserrant le gave, dévidoir de tous les ruisseaux dévalant les pentes. Après une courte pause à Asasp-Arros, ils tournent à gauche en direction de Lurbe-Saint-Christau et Arudy, suivent la route si souvent parcourue pour rejoindre cette maison si chère à Carole. Elle se trouve à quelques kilomètres de l’embranchement, au milieu d’un cadre verdoyant, à proximité du Bois du Bager, près du gave d’Ossau.

Les bâtiments sont simples et fonctionnels, construits en galets du gave, donnant à l’ensemble un aspect robuste. C’était sans doute une ferme délaissée. Elle s’est toujours imaginée une ancienne bergerie comme on peut en voir ailleurs dans les Pyrénées. L’habitation principale est composée d’un vaste séjour avec une cheminée monumentale d’époque qui a été conservée. Le reste du rez-de-chaussée est réservé à la cuisine et aux pièces de service. Les chambres et commodités sont au premier étage. La maison est prolongée par un long toit en pente permettant de s’abriter en cas de pluie.

Admirative, Carole découvre, avec plaisir, les dernières réalisations qui correspondent aux instructions données tandis que Didier, soulagé d’être arrivé, décharge la voiture des valises et paquets :

— Que penses-tu du résultat ? demande-t-elle.
— Ça te plaît ?
— Ce n’est pas la question. Ton avis ?
— Cela fait confortable. Avec l’épaisseur des murs, nous devrions rester au frais, c’est appréciable !
— Montons voir les chambres.

Elles sont distribuées de part et d’autre d’un long couloir. Certaines ont une douche, d’autres un point d’eau. Deux d’entre elles peuvent communiquer, une idée de Carole, en cas d’hébergement d’une famille avec enfants :

— Il ne nous reste plus qu’à les équiper. J’espère qu’il n’y aura pas trop d’attente pour avoir les lits !
— Heureusement, nous avons le nôtre. Tu attends du monde ? demande Didier.
— Non, au cas où !
— Nous avons tout le temps pour nous en occuper. Cette répartition est fonctionnelle, mais fait un peu caserne…
— Tu n’es jamais content !
— Je te propose d’aller dîner à Asasp-Arros.
— Chez Germaine ?
— Comme tu voudras.

Le « Compostelle » est un restaurant en bordure de l’unique route de vallée d’Oloron au Col du Somport, une voie empruntée chaque jour par de trop nombreux camions, motif de tensions entre les riverains et les pouvoirs publics. Ils y arrivent en quelques minutes et apprécient ce moment de détente après la journée de voyage :

— Tu n’es pas trop fatigué ?
— Non, j’aime bien conduire, le plus difficile est de veiller à tout, tenter d’anticiper les risques. Cette route depuis Paris me semble monotone, nous l’avons faite tant de fois !
— Tu préférerais changer d’itinéraire ?
— Une maison secondaire, c’est un fil à la patte.
— En cas de problèmes, ça peut être une sécurité, tu as vu, avec les périodes de confinement !
— C’est tout de même un gouffre financier !
— Tu regrettes ?
— Non ! Changeons de sujet… Nous avons trois semaines de congés, essayons d’en profiter.
— Tu as raison. Après une bonne nuit, nous serons en meilleure forme pour programmer nos sorties.

Le repas terminé, ils ne s’attardent pas et rentrent chez eux. Une contrariété les attend car l’eau est coupée :

— Zut, comment allons-nous faire ?
— Attendre demain. À la nuit, difficile d’agir.
— Tu es certain ?
— Absolument ! Je vais me coucher.
— Tu n’as pas besoin de te rafraîchir ?
— Si nous étions à l’hôtel, nous n’aurions pas ces difficultés !
— Je vois, monsieur est de mauvaise humeur !
— Viens dormir, tu te laveras demain !
— Ah ! Les hommes…

Carole est la première levée, impatiente de solutionner cette coupure d’eau. Didier la suit, se doutant bien qu’elle va avoir besoin de lui :

— As-tu bien dormi ?
— Comme un loir.
— Tu te détends ici !
— J’en ai bien besoin. Il me semble que le compteur d’eau est en bordure de propriété. Allons voir.

Rapidement, ils retrouvent l’emplacement envahi par les herbes, soulèvent la plaque de protection protégeant le robinet d’arrêt. Avec peine, Didier l’ouvre :

— Qui a bien pu le serrer comme ça ?
— Certainement le maçon.
— Heureusement qu’il y a un homme dans la maison !

Après leurs ablutions et la remise en route du réfrigérateur, ils partent faire des courses à Oloron. La matinée passe vite, ils rentrent chargés après avoir assuré le ravitaillement pour la semaine :

— Ouf, les corvées sont terminées.
— Je te propose de nous occuper des lits cet après-midi.
— Déjà ! Nous arrivons à peine !
— Le temps de se faire livrer. Nous ne restons que trois semaines.
— Nous n’en aurons jamais fini !
— Après, je te promets que je ne te demande plus rien.
— Si ça pouvait être vrai !
— Tu es injuste.
— Réaliste et un peu las. Ça passera !

Chapitre 3