Le secret murmuré de Dieu - Marc Halévy - E-Book

Le secret murmuré de Dieu E-Book

Marc Halévy

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Beschreibung

La Kabbale juive a fait couler beaucoup trop d’encre. Elle est même devenue « cabale », c’est-à-dire « complot ». Absurde ! En revanche, depuis Marie-la-Juive, à Alexandrie, (sans doute au 4ème s. avant l’ère vulgaire) et Philon, contemporain de Jésus, toujours à Alexandrie, la tradition mystique juive interroge le texte biblique. Sans concession. Sans superstition. Sans bondieuserie. Sans dogmatisme. Qu’est-ce que ce texte ME dit ? La Bible hébraïque a été compilée entre le 6ème et le 3ème siècle avant l’ère vulgaire. Elle n’a jamais été dictée par Dieu à Moïse, sauf à voir en Dieu le symbole du cosmique et dans Moïse le symbole de l’humain qui se parlent dans le cœur et l’âme de tous ceux qui veulent vivre la Vie et non seulement leur petite vie. Elle reste le plus immense best-seller de tous les temps. Pourquoi ? Parce qu’elle a quelque chose à ME dire ! Et la Kabbale, ce « secret murmuré de Dieu » (et le mot « Dieu » est un mot symbole qui veut, tout à la fois, tout dire et ne rien dire, mais qui indique un chemin, un sens, une valeur, … celui de la Vie et de l’Esprit), ce « secret », disais-je, n’en est évidemment pas un. Comme toutes les mystiques, comme tous les ésotérismes, la Kabbale pose des questions sans se laisser piéger par les religions qui, elles, imposent des réponses !

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Couverture

Page de titre

A mon Maître : rabbi Shlomo Touati…

A Myriam Cohen pour l’amour qu’elle m’a donné…

et que la guerre de Kippour a broyée…

Zakor… Qu’ils reposent en Paix…

L’un aux Etats-Unis, l’autre en Erètz Israël.

D’Elie Wiesel :

« Quatre sages sont entrés un jour dans le verger de la connaissance interdite. L’un a regardé où il ne fallait pas, et il a perdu la raison.

L’autre a regardé, et a perdu la vie.

Le troisième a regardé, et a perdu la foi.

Il n’y a qu’un seul, Rabbi Akiba, qui est entré et sorti en paix… »

Prologue Pourquoi s’intéresser à la Bible, aujourd’hui ?

La Bible (en fait les deux Bibles) n’est pas un trésor mort ! Tout au contraire, elle vit d’une vitalité nouvelle et instille le goût d’un retour à la source. Nietzsche, grand pourfendeur du christianisme, a clairement établi qu’il n’y a rien qui n’ait une généalogie ; et plus cette généalogie est riche (et la Bible est d’une richesse inouïe), plus l’avenir qui reste à construire le sera aussi.

Qu’est-ce que la Bible ?

Le mot « Bible » désigne, en fait, par l’entremise du grec, une bibliothèque, un ensemble de livres dont rares sont ceux qui ne sont pas des livres à plusieurs mains, avec ajouts, corrections, réécritures, suppressions, transpositions, etc…

Il y a deux Bibles bien distinctes : la Bible hébraïque et la Bible christique. Ces deux Bibles n’ont pas grand’chose à voir l’une avec l’autre. Historiquement, Jésus et ses apôtres directs étant juifs, la Bible hébraïque formait leur contexte culturel et religieux de base et de référence. Philosophiquement, ces deux Bibles ne parlent pas du tout de la même chose :

•La Bible hébraïque traite de l’Alliance entre le Divin et la Maison d’Israël (et non l’homme universel) pour réaliser la Promesse sur Terre.

•La Bible christique, sous la férule de Paul de Tarse ; traite du Salut de tous les humains, dans une vie après la mort, au Ciel (cette notion de Salut de l’âme personnelle dans un au-delà du monde naturel, est totalement inconnue de la Bible hébraïque).

La Bible hébraïque est traditionnellement divisée en trois grandes parties :

•Les cinq Livres de l’Alliance qui forment la Torah (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome ‒ qui, malgré l’étymologie grecque de son nom, n’est pas la « deuxième loi », mais bien la première, les quatre autres livres en étant le développement plus tardif). Ces livres décrivent, d’abord, la Genèse des mondes et, ensuite, les Alliances successives nouées avec, respectivement, Noé (l’Alliance de l’Arc-en-ciel), Abraham (l’Alliance de la Circoncision) et Moïse (l’Alliance des Tables de la Loi). Ils développent aussi le processus initiatique global qui fut celui de la Maison d’Israël : la Libération de l’Esclavage, la Révélation de la Loi et la Sacralisation dans le Désert. Ils donnent enfin les détails des pratiques rituelles dévolues aux Lévites au cours des diverses épiphanies liées aux sacrifices et aux commémorations (Shabbat, Pessa’h, Shavouot et Soukot).

•Les vingt-et un Livres de Prophétie qui regroupent, dans une première partie plus historique, les livres de Josué, des Juges, les deux livres de Samuel, les deux livres des Rois, et dans une deuxième partie plus visionnaire, les livres d’Isaïe, de Jérémie, d’Ezéchiel, et ceux des douze « petits » Prophètes : Osée, Joël, Amos, Obadia, Jonas, Michée, Nahoum, Habacuc, Céphania, Haggaï, Zacharie et Malachie.

•Les douze Livres de Sagesse qui rassemblent les Psaumes, les Proverbes, Job, le Cantique des cantiques, Ruth, les Lamentations, l’Ecclésiaste (le Qohélèt), Esther, Daniel, Ezra, Néhémie et les Chroniques.

Tels sont trente-huit livres (le nombre 381 s’écrit, en hébreu, L’H et signifie la « sève ») que le canon juif a retenu, mais qu’il faut encore compléter par les nombreux livres dits « apocryphes » qui, pour la plupart, sont des livres apocalyptiques écrits aux 3ème et 2ème siècles avant l’ère vulgaire : on y trouve, notamment des livres comme le Livre d’Hénoch, le Testament de Lévy, l’Apocalypse d’Abraham, le Siracide (l’Ecclésiastique), la Sagesse de Salomon, les livres des Macchabées, etc…

La Bible christique, de son côté, est traditionnellement divisée en cinq ensembles :

•Les Evangiles synoptiques avec, dans l’ordre chronologique de leur écriture : Marc (vers 70), Matthieu (vers 75) et Luc (vers 85). Ces trois Evangiles sont ceux de la mouvance paulinienne opposée à la mouvance judéo-chrétienne de Jacques (le frère de sang et le successeur de Jésus, à Jérusalem, qui n’a, à ma connaissance, laissé aucun écrit) et à la mouvance alexandrine (souvent gnostique, qui a laissé de nombreux et magnifiques Evangiles dit apocryphes : Thomas, Philippe, Marie, Judas, etc…).

•L’Evangile mystique de Jean qui n’est originellement pas dans la lignée paulienne mais que celle-ci a « récupéré » en le « corrigeant » de façon à sortir de la « guerre » entre pauliniens et alexandrins (les judéo-chrétiens ayant disparu avec la destruction de Jérusalem par les Romains en 70… sauf sous les forme des Ebionites, semble-t-il).

•Les Actes des Apôtres : une apologétique apostolique dont les éléments de base sont dus, vraisemblablement, à la plume de Luc dans les années quatre-vingt-dix.

•Les Epitres dont la plupart sont attribuées, certaines faussement, à Paul de Tarse, mais pas seulement.

•L’Apocalypse faussement attribuée à Jean qui est le fruit de la christianisation tardive (au deuxième siècle) d’un livre apocalyptique juif issu des deux siècles précédant l’ère vulgaire.

Répétons-le, ces deux Bibles ne parlent pas de la même chose : le première parle d’Alliance terrestre et la seconde parle de Salut céleste. Ces deux discours sont non seulement contradictoires mais totalement inconciliables, le premier étant moniste et panenthéiste (rappelons, d’ailleurs, que le Judaïsme originel n’est pas un monothéisme, mais seulement une monolâtrie : il y a de nombreux dieux, des Elohim, mais un seul, YHWH, est le dieu tutélaire de la Maison d’Israël), le second étant dualiste et monothéiste (d’inspiration beaucoup plus platonicienne que juive).

Ces deux Bibles n’ont pas grand-chose à voir l’une avec l’autre, malgré les efforts inouïs qui ont été fait, dès les rédacteurs des premiers Evangiles, pour aller trouver, dans la Bible hébraïque, les prémices, promesses et prédictions du ministère messianique de Jésus. Même sur ce point, il y a totale maldonne : le Messia’h juif est un homme « oint » à l’huile sacrée afin de le charger d’une mission grave et importante, comme grand Prêtre, comme Roi, comme Prophète, etc… Ce Messie-là n’a rien d’un « Sauveur » au sens sotériologique ou eschatologique du terme. L’histoire juive a connu de très nombreux Messies. Il faut y insister encore : les idées mêmes de Salut, d’immortalité de l’âme personnelle, de vie après la mort, de fin des temps, de Jugement dernier, de résurrection des morts, etc… sont totalement absentes de la Torah et de l’orthodoxie lévitique et sadducéenne, et n’apparaissent, très marginalement, que dans l’hérésie pharisienne (dont Jésus était issu), dans la littérature tardive (les derniers siècles avant l’ère vulgaire) et dans la littérature talmudique (entre le 2ème et le 8ème siècles de l’ère vulgaire.

Un dernier mot sur le marcionisme. Marcion de Sinope (85-160) était un riche romain chrétien ; il avait parfaitement vu et compris la totale hétérogénéité et incompatibilité entre les deux Bibles. Il fonda donc une mouvance ‒ qui fut, malheureusement, considérée comme hérétique ‒ tendant à rompre définitivement, tout lien entre christianisme et judaïsme. S’il avait réussi, jamais l’antijudaïsme chrétien n’aurait pu émerger et, derrière lui, l’antisémitisme et, maintenant, l’antisionisme. Et jamais l’islamisme, héritier direct des communautés chrétiennes orientales (syriaque, monophysite, ébionite, etc…), n’aurait tenté, à son tour, de phagocyter tout ou partie de la Bible hébraïque avec les conséquences antisémites que l’on connaît.

Pourquoi étudier la Bible ?

D’une part, il y a les personnes religieuses, appartenant au judaïsme (y compris, bien sûr, les kabbalistes qui font l’objet du présent livre) ou à un des christianismes, pour qui les Bibles sont la source originelle de leur foi et de leurs croyances.

Etudier la Bible est pour eux non seulement un retour aux sources, mais un approfondissement de leur religiosité, voire de leur spiritualité.

Pour les Juifs, seule la Bible hébraïque compte et elle seule sera étudiée ‒ en particulier la Torah (le Pentateuque) encore appelée « les cinq livres de Moïse ».

Pour les Chrétiens, la Bible christique est la référence incontournable (même si les Evangiles apocryphes sont aussi de plus en plus étudiés). Quant à l’étude de la Bible hébraïque, elle est souvent intense chez les Protestants, mais faibles chez les Catholiques et les Orthodoxes.

D’autre part, bien des personnes appartiennent à des mouvements spirituels qui ne sont pas spécifiquement religieux, mais qui plongent leurs racines dans les traditions bibliques. On peut citer, en ce sens, la Franc-maçonnerie, la Rose + Croix, la Théosophie, les divers Hermétismes, le Johannisme, etc… Pour ceux-là, l’étude de la Bible est vitale s’ils veulent comprendre les origines et les fondements de l’ascèse spirituelle ou initiatique qu’ils pratiquent.

Enfin, pour les gens sans appartenances ni religieuses, ni spirituelles, ni initiatiques, mais qui, simplement, se sentent appartenir à la civilisation occidentale, il est important de bien comprendre que ladite civilisation est, dans ses tréfonds, une civilisation judéo-helléno-chrétienne où les Bibles et leurs suites, ont joué et jouent encore un rôle culturel et moral central.

Qu’étudier dans la Bible ?

Pour un Juif, tout est important, mais l’essentiel, c’est la Torah, les cinq Livres de l’Alliance.

S’il est kabbaliste, il s’intéressera bien sûr à tous les livres, mais avec une préférence pour les livres les plus mystiques : le début de la Genèse y compris les épisodes de Noé et de la Tour de Babel ; dans le livre de l’Exode, il préfèrera les épisodes du Buisson ardent, des Tables de la Loi et de la description du Tabernacle ; le Cantique des cantiques (le livre mystique par excellence) ; et la description du Char divin dans Ezéchiel.

Pour un Chrétien, le cœur de la Bible christique se trouve dans les trois Evangiles synoptiques, les Actes des Apôtres et dans les Epîtres surtout celles de Paul qui fondent le christianisme. L’Apocalypse paraît souvent par trop ésotérique et, pour les habitués des synoptiques, l’Evangile de Jean semble exogène (ce qu’il est) et plus difficile à approcher.

Pour un spirituel non religieux, du côté de la Bible hébraïque, il penchera vers les mêmes textes que le kabbaliste juif, et du côté de la Bible christique, il préfèrera l’Evangile de Jean et l’Apocalypse (il trouvera trop de « magie » dans les Synoptiques, trop de miracles, trop de guérisons, trop de surnaturel) ; de plus, il ira certainement voir du côté des Evangiles dits apocryphes, surtout celui de Thomas.

Comment étudier la Bible ?

Ne rêvons pas ! Bien sûr, il est, de très loin, préférable d’étudier les textes bibliques dans leur langue originelle, soit l’hébreu pour la Bible hébraïque, soit le grec pour la Bible christique. Mais qui le peut ? Beaucoup doivent se rabattre sur des traductions et chaque chapelle a la sienne. Comme le dit si bien l’italien, dans tous les cas : Traduttore, Traditore (« Traducteur, Traître »).

Il suffit, pour s’en convaincre, de comparer les traductions chrétiennes classiques du premier verset du premier chapitre du premier live, la Genèse, pour s’en convaincre…

Les traductions chrétiennes classiques donnent :

« Au commencement, Dieu créa le Ciel et la Terre ».

La traduction littérale, mot-à-mot du texte originel hébreu donne ceci :

« Dans un commencement il émergea des Puissances avec le Ciel et avec la Terre. »

Et tout à l’avenant !

De même, le premier verset du Prologue de l’Evangile de Jean est classiquement traduit par :

« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. »

La traduction littérale, mot-à-mot du texte originel grec donne ceci :

« A l’origine, était le Logos, et le Logos était au-devant du Dieu, et Dieu était le Logos. »

Le Logos, dans le philosophie grecque, est bien autre chose que la Parole ; il est le principe de cohérence qui fait du Tout une Unité globale.

Mais soit ! La plupart de nos contemporains n’ont pas d’autre choix que de lire et d’étudier les Bibles dans leur langage vernaculaire, le français en ce qui nous concerne ici. Les traductions les moins traîtreuses de la Bible hébraïque sont protestantes (Segond) et juives (celle du Rabbinat ou celle de Chouraqui) ; les traductions catholiques sont toutes biaisées (Jérusalem, Maredsous, Osty, etc…) puisqu’elles sont, le plus souvent, des traductions françaises de la traduction latine de la Vulgate de Jérôme, elle-même traduite depuis la traduction juive alexandrine des Septante en grec. Plus les couches des traductions s’accumulent, plus on accumule aussi les erreurs de traduction. Si, de plus, ces traductions ne sont pas neutres mais ont une visée idéologique et théologique, on devine les biais qui peuvent s’y installer.

Rappelons, encore une fois, qu’il faut lire la Bible hébraïque hors du contexte monothéiste chrétien : comme déjà dit, le Judaïsme originel n’est pas un monothéisme, mais seulement une monolâtrie : il y a de nombreux dieux, des Elohim, mais un seul, YHWH, est le dieu tutélaire de la Maison d’Israël. L’Alliance dont parle la Bible hébraïque, se tisse entre la Maison d’Israël et son Dieu tutélaire, YHWH, qui est tout sauf un Dieu universel ; YHWH est un dieu parmi beaucoup d’autres, mais Lui et Israël se sont choisis mutuellement (c’est cela « l’élection », et rien d’autre). La Bible hébraïque reconnaît l’existence de bien d’autres dieux : Moloch, Astarté, El-Elyon (le dieu d’en-haut), El-Tzébaot (le dieu des armées), El-Shaday (le dieu démonique des champs), etc… Vouloir, comme l’ont fait bien des traducteurs, tant chrétiens que rabbiniques, faire rentrer ce polythéisme monolâtre, dans le moule des monothéismes plus tardifs est une hérésie anachronique.

Le contexte étant brossé, il reste une question : quelle méthode pour aborder l’étude fertile des Bibles ?

Pour ma part, par mes études rabbiniques, j’ai appris la méthode de l’herméneutique kabbalistique qui n’est praticable qu’à partir de l’hébreu. Elle ne peut concerner que les hébraïsants. En revanche, c’est le mot « herméneutique » qui est précieux et central. L’herméneutique est un art. Ce mot dérive du nom du dieu grec Hermès qui fut aussi le dieu de la connaissance et des secrets (mais aussi celui des mensonges et des voleurs). L’herméneutique prend les techniques d’analyse de texte à revers. Il ne s’agit pas du tout de décrypter ce que le texte « veut dire », mais bien de ruminer ce que le texte « me dit ». Le texte ne veut nous dire rien du tout. Il a été écrit par un homme (ou une femme), sans doute inspiré, qui n’appartenait ni à notre époque, ni à notre culture, ni à notre langue. Il écrivait soit pour lui-même et ses proches, soit pour convaincre ses contemporains de mieux vivre dans l’Alliance ou dans l’Amour.

Un court exemple de rumination…

« Dans un commencement… ». C’est donc qu’il y a un commencement. Mais qu’est-ce qui commence ? Quelle est la nature de ce qui commence ? Et pourquoi « un » commencement ? Y en eut-il plusieurs ? Y en a-t-il encore qui commencent maintenant ? Qui dit « commencement » dit « temporalité » : mais qu’est-ce que le « temps » ? On dit qu’il passe, mais ne s’accumulerait-il pas dans la mémoire des hommes et des livres ?

J’arrête là mon questionnement du texte (même pas un texte, un seul mot, le premier de la Bible hébraïque : B’rèshit… Six lettres : B, puis R, puis ‘E, puis SH, puis Y, puis T. Six comme les six « jours » de la Genèse du monde…).

Les Bibles ne disent rien à ceux qui ne croient pas qu’elles ont quelque chose à LUI dire. Il ne s’agit pas d’en faire le coffre-fort recelant tous les secrets de la métaphysique, du bonheur, de la connaissance et de la morale. Il s’agit seulement de voir que si, pendant des milliers d’années après leur rédaction, ces livres ont nourri des milliards de méditations profondes sur la vie, la joie, l’amour et la mort, cela signifie qu’ils sont une nourriture spirituelle de premier ordre.

Les Bibles sont considérées comme des livres sacrés ou saints pour cette raison-là (comme les Upanishads indiens ou le Tao-té-King chinois ou, dans une très moindre mesure, le Coran musulman) : ils sont intarissables. On les dits « révélés ». Je préfère penser qu’ils sont « révélants » puisqu’ils nous révèlent à nous-mêmes. On les dit venus de Dieu. Je préfère penser qu’ils nous aide à découvrir le Divin.

***

1 Si, comme parfois, on compte les 12 petits Prophètes pour un seul livre, le comput tombe à 26 livres. De plus, si l’on compte les deux livres des Rois et les deux livres de Samuel pour seulement deux livres, alors le compte des livres descend traditionnellement à 24 (qui, en hébreu, s’écrit KD et qui signifie la « cruche » qui contient le vin). A noter : la cruche n’est pas le vin… elle se contente de le contenir !

PREMIÈRE PARTIE : LE CONTEXTE

Pour le dire d’un mot, le kabbalisme est la tradition ésotérique et mystique du judaïsme. Le phrase est nette et tranchante comme un sabre au clair. Certes. Mais les pièges se tendent derrière les mots…

Que signifie « tradition » ?

Que signifie « ésotérisme » ?

Que signifie « mystique » ?

Que signifie « judaïsme » ?

Et, in fine, en conclusion : que signifie « kabbalisme » ?

Il me semble que dans les domaines de la philosophie, en général, et de la spiritualité, en particulier, le définition précise des mots que l’on emploie est indispensable. Trop de malentendus, surtout dans les espaces sensibles de la spiritualité et de la religiosité, tournent à l’aigre et induisent sinon des « haines », au moins des rejets.

Et lorsqu’il s’agit de judaïsme, la sensibilité est décuplée du fait des horribles réalités que furent l’antisémitisme européen et la Shoah, et qu’est encore, aujourd’hui, sous couvert d’antisionisme, le furieux antisémitisme coranique et salafiste.

L’auteur de ces lignes est Juif. Il est issu d’une famille doublement tolédane, Halévy et Bernal (la synagogue de Tolède, aujourd’hui encore, s’appelle la synagogue Halévy ou, mieux : ha-Lévy). Cette famille fut expulsée d’Espagne en 1492, puis du Portugal quelques années plus tard, et finalement accueillie à Amsterdam pendant plus de quatre siècles…

Cette histoire est aussi celle de la famille de Baroukh Spinoza qui fut formé par le kabbaliste Abraham Cohen de Herrera et que, j’ose l’imaginer, mes ancêtres fréquentèrent et… qui, j’ose l’imaginer encore plus fort, le défendirent contre les ridicules accusations d’athéisme qui aboutirent à son ‘Hérèm, c’est-à-dire à son expulsion de la communauté amstellodamoise.

***

Tradition

Qu’est-ce qu’une Tradition ?

C’est un édifice qui se construit, générations après générations. Il se construit toujours plus haut, toujours plus beau, mais en préservant les grandes lignes, les grands axes, mais en construisant le « nouveau » dans le plus grand respect de la construction antérieure, et en parfaite harmonie avec elle.

La Tradition est la parfaite antithèse de la « révolution », de la Tabula rasa, qui s’arroge le droit de détruire l’édifice ancien pour reconstruire quelque chose de résolument neuf… et dont l’histoire des hommes montre qu’il ne tient guère longtemps.

Toutes les « grosses » révolutions (la révolution robespierriste de 1792, la révolution socialiste de 1848, la révolution bolchévique de 1917, le révolution nazie de 1933, la révolution maoïste de 1948, etc…) ont échoué (et engendré des hécatombes et des dégâts immondes) et ont remplacé des Temples par des baraques préfabriquées qui n’ont pas résisté à la première tempête. Mais il était trop tard ; le mal était fait ; les ruines et les gravats étaient souvent irrécupérables.

La sagesse populaire (pour autant qu’elle existe…) dit que l’on ne peut pas « faire du neuf avec du vieux ». Mais la réciproque est encore plus vraie : « on ne peut pas faire du vieux avec du neuf » (même avec cette mode passablement absurde de vendre « neuf » des jeans dûment usés, déteints, déchirés et rapiécés, dans les usines, par des machines spécialisées). Le faux vieux et le traditionnel n’ont rien en commun.

La mode se réinvente tout-le-temps, la tradition ne se réinvente jamais.

Nos brocanteurs regorgent de fausses antiquités, de faux rustique, de faux traditionnel… La mode est au (faux) vieux ; mais la Tradition n’est jamais vieille puisqu’elle se renouvelle tout le temps, éternellement recommencée et toujours pareille à elle-même.

Plus précisément, on ne peut pas faire du solide, de l’ancré, de l’enraciné, de l’éternel pour tout dire (même si rien d’humain n’est éternel), avec des bricolages semi-industrialisés, improvisés à la va-vite ou pensés en termes de « mode » éphémère ou d’idéologie passagère.

La cathédrale de Reims subjugue depuis presqu’un millénaire ; les « barres » de Le Corbusier écœurent instantanément.

Bach enchante ; le rap fait vomir.

La Tradition est une aventure vivante, pleine de vitalité ; elle est aussi l’antithèse de ces folklores momifiés que l’on perpétue sans plus trop savoir pourquoi.

Il faut rattacher la notion de « Tradition » à celles de « mémoire » et de « généalogie ». Comme le dit si justement Régis Debray : « Il n’y a pas de projet sans mémoire » (in : « Le siècle vert » ‒ Gallimard ‒ 2020).

Il exprime là, partiellement, un des grands modèles de la physique des processus complexes (ma spécialité scientifique) que l’on peut, sans souci, appliquer aussi à la réalité de la Tradition, quelle que soit celle-ci.

Faisons un bref détour par ce modèle… afin de poser les bonnes questions à propos des Traditions.

Un processus est poussé par une généalogie (sa mémoire accumulée) et tiré par une téléologie (sa raison d’exister qu’il est souvent difficile de décrypter).

Entre son passé qui le fonde et son futur qui le stimule, l’intérieur du processus est habité par une axiologie (toutes les règles, les méthodes, les modèles, … qui le guident dans son accomplissement) et son extérieur est contraint par une écologie (la pression et les évolutions de son milieu). Au milieu de toutes ces tensions, le processus évolue, pas à pas, jour après jour, en suivant son métabolisme, selon sa propre éthologie (son comportement réel, dans l’instant, dans son vécu actuel).

Une tradition spirituelle ne vit que si des humains s’en nourrissent intérieurement, régulièrement, assidument, passionnément. Quelle est leur « bonne raison » de faire cela ? Que cherchent-ils ? Quelle est leur question ? Quelle est leur quête ?

Toute Tradition spirituelle est une chemin qui n’a de sens et de vie que si des chemineaux y cheminent (des chemineaux et non des cheminots : les chemins de fer ne sont pas une voie spirituelle… seulement syndicale, au mieux).

Ainsi, pour qu’une Tradition spirituelle vive, se développe, s’enrichisse et s’accomplisse, elle doit répondre aux besoins spirituels de ses adeptes, non pas avec des réponses toutes faites (ça, c’est le rôle des religions), mais avec des outils, des modèles, des rites, des méthodes, des balisages, des symboles, etc… qui puissent les accompagner dans leur cheminement intérieur.

Que doit donc proposer une Tradition authentique ?

D’abord une téléologie : une « bonne raison » d’en devenir adepte, une promesse, une intention globale (mais qui n’est ni un but précis, ni une finalité fixée). La Kabbale promet un chemin pour atteindre la source ultime du Réel et d’en participer pleinement.

Mais aussi une généalogie : une « bonne mémoire » où se sont accumulées les traces de tous les cheminements antérieurs et qui constitue un terreau riche où planter ses propres racines et de laquelle tirer une sève abondante et vivifiante. La Kabbale accumule, depuis deux milles cinq cents ans des myriades d’expériences spirituelles, toutes entées sur la Bible hébraïque et formant un arbre fractal de pistes et des voies vers la Lumière du premier jour.

Ensuite, une axiologie : des méthodes, des règles, des modèles, … pour guider le cheminement, pour ne pas devoir constamment réapprendre à marcher, pour ne pas réinventer continuellement la roue ou le fil à couper le beurre. Au travers de la guématria ou du tsérouf (voir plus loin), au travers le « verger mystique » (idem), au travers d’un « arbre de vie » appelé aussi « arbre séphirotique » (idem), et de tant d’autres, la Kabbale fourni un outillage d’une inépuisable richesse.

Puis, une écologie : le monde des « cherchants » évolue, les modes et modalités de cheminement aussi, mais, globalement, la tension et la pression demeurent les mêmes ; les spiritualités évoluent, à présent, dans un monde foisonnant où les textes et les connaissances, où les humains et les idées, circulent affolés dans un maelström où il devient de plus en plus difficiles de trier le vrai du faux, le génial du nullissime, l’authentique du farfelu, le maître du charlatan, le penseur du menteur, le mystique du loustic, etc… Sur ces thèmes, la Kabbale a réussi à devenir quasi intemporelle, loin au-dessus des modes et des tartufferies… mais elle est, à son corps défendant, aussi un marché (juteux ?) pour des charlatans comme ce « rabbin » californien nommé Berg, ou comme certains « pisseurs de livres » qui écrivent et publient n’importe quoi…

Enfin un métabolisme, une éthologie : une pratique, autrement dit. On ne chemine pas si l’on ne marche pas soi-même. Avec courage, avec ténacité, avec fermeté, avec régularité, avec passion. Toute démarche spirituelle est avant tout un effort, un travail, une ascèse… On n’arrive à rien, en ne faisant rien. La Kabbale nourrit le kabbaliste, mais elle ne peut faire le chemin à sa place !

***

Esotérisme

Qu’est-ce que l’ésotérisme ?

L’étymologie grecque est limpide : est ésotérique l’enseignement réservé au cercle « intérieur » (éso-) d’une école philosophique. Est exotérique, son contraire : l’enseignement dispensé au monde « extérieur » (exo-).