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Trop de Morts arrivent sur le marché de l'emploi au sein de l'Univers. Les guides sont surbookés. Les âmes sont viciées. De plus en plus de vies s'éteignent avant de rejoindre DCM. Les Ombres pullulent, le climat se dérègle. La Jachère menace... Une suite, donc. Pas une suite de la suite, "Les Épilogues du Fou", non. Une suite au premier volume, "Le Fou, la deuxième seconde et la Mort". Une autre suite, pour tout dire. La même seconde dans un lieu différent. Révélée cette fois par un autre que Michael, qui préfère, à présent, se consacrer aux choses du vivant. La folie, il a donné. Dernier volume de la trilogie du "Fou", "Le singe sur l'épaule du Fou" apporte enfin plus de réponses qu'il ne pose de questions. Sur la Vie. Sur la Mort. Mais toujours pas sur Dieu, le Cerveau, la Machine. Chasse gardée ou non-sujet?
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Veröffentlichungsjahr: 2023
Du même auteur chez BoD, Book on Demand :
- Pick-up (2015)
- Elle pleure pas Lucy (réédition corrigée de Pick-up) (2017)
- Lough Neagh, le Monde de Maureen (2017)
- À propos de moi… S. Borges (2018)
Trilogie du Fou :
- Le Fou, la deuxième seconde et la mort (2019)
- Les Épilogues du Fou (2023)
- Le singe sur l’épaule du Fou (2023)
Image Pixabay
Une suite, donc. Pas une suite de la suite, « Les épilogues du Fou », non. Une suite au premier volume, « Le Fou, la première seconde et la mort ». Une autre suite, pour tout dire.
La même seconde dans un lieu différent.
Avec toujours,
Les Morts :
— Batchéva : Ancienne guide. Maîtresse-guide d’Einar.
— Einar : Ancien guide. Maître-guide d’Alfa.
— Alfa : Ancien guide. Maître-guide de Ryan Aonghusa.
— Ryan Aonghusa : Guide en exercice. Le petit dernier donc.
— Adèle : Revenante. Mère de Michael. Chérie de Ryan.
— Karl : Revenant voyageur.
— Pauline : Nouvelle Arrivée.
— Eugène : Revenant autodidacte.
— Lisa : Avatar.
— Lisa : Première Morte.
— Adèle (l’autre) : Avatar en cavale.
— Chilpéric : Avatar en cavale.
Les Vivants :
— Michael Leps. Écrivain ex-schizophrène, mais peut-être toujours dingue.
— Alicia : Ex-flique. Shamane non révélée.
— Henriette : Historienne, prof, bibliothécaire.
— Le singe : Guest star.
— Les Psychopathes : Le gros de la troupe ? Trop nombreux pour les énumérer, en tout cas.
Ni Mort ni Vivant :
— Eike : Liche.
— Liisi : Liche.
— Méli : Liche en attente de révélation.
— Le chat : Peut-être liche. Peut-être pas.
Dieu :
— Toujours pas de nouvelles…
Les auteurs :
— Michael Leps, Michel Plès, le Singe. Tous dingues.
Première Partie : ITOLEÏM
Le singe sur l’épaule du Fou
Jours -5 à 11 des Épilogues du Fou
Sur l’épaule de Lisa
Sur l’épaule de Lisa, l’avatar.
Sur l’épaule de Ryan
Sur l’épaule de Lisa
Le guide au travail
Sur l’épaule de Lisa
Les désarrois d’un jeune guide
Sur l’épaule de Lisa
Sur l’épaule du guide pour qui rien ne s’arrange
Sur l’épaule de Lisa
Sur l’épaule de Ryan
Euh…
Sur l’épaule de Lisa
Retour sur l’épaule du guide
Sur l’épaule de… Ryan ? Encore ?
Sur l’épaule de Lisa
Retour sur l’épaule de Ryan
Sur l’épaule de Lisa
Sur l’épaule de Ryan
Sur l’épaule de Lisa
Deuxième Partie : LISA OU LA GENÈSE DES ÎLOTS
Premiers Morts
Troisième Partie : LICHES
Sur l’épaule… d’un peu tout le monde
Dans l’esprit apaisé de Ryan
Le point
Révélation
Épaules multiples… trop de monde dans cette maison !
Épaules multiples, toujours
Sur l’épaule de Lisa
Rebelle
Sur l’épaule de Lisa (l’avatar).
Sur l’épaule de Lisa du Nid
Sur l’épaule de… Oh, my God ! Eike !
La sentence.
Jour 15 des Épilogues
Sur l’épaule de… Michael
« I’m a monkey ! »
Hurle Jagger quelque part dans l’immense maison.
« I’m m‘a m’a m’a Monkey ! »
Ouais, ben moi aussi.
Pas de quoi en faire un plat.
Un foutu singe, donc. Pardon : a fucking monkey.
La ferme, Mick ! C’est à mon tour.
Charlie lâche les fameux boum-boum annonçant les dernières reprises du morceau.
Ouf !
Quelqu’un, Alicia, Henriette, a baissé le son de la chaîne après l’avoir haussé juste pour cette chanson. Peut-être pour rappeler à Michael que, dorénavant, il lui faudra vivre ou du moins écrire avec un fucking monkey sur les épaules.
Pas un gros, hein ! Non, plutôt du genre euh… croisement improbable, mais petit et plus calme que Jagger.
Et plus silencieux.
Un doigt menaçant se dresse devant mon nez.
D’accord ! Ici, on ne critique pas les Cailloux.
Le singe, c’est moi. J’ai plein de choses à apprendre, encore. Je suis pour ainsi dire tout neuf. Je viens d’être embauché. Une sorte de CDD, ai-je compris. Avec option CDI, mais je n’y crois pas. Ils disent tous ça.
Non, mais… qu’est-ce que c’est que cette histoire, encore ?! Un singe ? Sur l’épaule du Fou ?
Ben voilà. La réponse est dans la question.
C’est fou.
Je me suis donc vu attribuer une mission. Pour un intérimaire, rien d’original jusque là. Encouragé par la rédaction de son dernier roman « La Vie Extrapolée d’Alicia Minnelli », Michael souhaite se consacrer à une production littéraire plus personnelle. Sans pour autant interrompre ses « déballages » de l’au-delà.
Et m’a donc confié, le fou, la poursuite de cette œuvre dont il m’a fallu au préalable ingurgiter les deux précédents tomes.
C’était la condition pour être embauché.
À l’heure où je prends la main pour en finir avec cette trilogie, fermer les portes laissées béantes par Michael, mettre en ordre les paquets déballés et mis de côté par celui-ci, bref, faire le ménage, vendre la baraque et retourner dans mon arbre, Michael, Alicia, Henriette construisent pas à pas leur nouvelle vie de trouple avec un succès inattendu ; inattendu pour Alicia… Henriette et Michael ne trouvant rien d’extra-ordinaire à la situation tout en la qualifiant d’extraordinairement émoustillante. À cette heure, toujours la même, où j’entame cette rédaction, nous sommes au Jour 42 des Épilogues, qui en compteront, comme l’a décidé Michael, autant qu’il en faudra à Méli pour revenir, et dont seulement onze ont été écrits. Tous les trois espèrent la venue prochaine de la jeune fille dans leur grande maison (sa chambre est prête, décorée par Henriette, parce que les deux autres… non !) et vaquent chacun à leurs occupations du moment. Henriette est en vacances et butine avec légèreté d’un amant à une amante ; Alicia, démissionnaire, se cherche une voie, de préférence pas de garage, et Michael… dort, déballe, écrit, et espère, donc attend, le retour du chat pour pouvoir se promener dans ces nouveaux territoires, devenus mystérieusement accessibles, de l’au-delà.
Mais uniquement en compagnie de ce foutu matou !
J’aimerais grimper sur l’épaule de chacun d’eux, assister à leurs échanges que j’imagine savoureux, peut-être coquins, tenter de percer leurs pensées et oui, même me mêler à leurs moments les plus intimes (je suis singe, ne l’oublions pas, impertinent, curieux, voyeur et un tantinet lubrique).
Mais voilà, j’ai du travail.
Je parlais de l’heure. De l’instant présent.
Un immonde psychopathe, à la tête d’une super puissance nucléaire, déverse des tonnes de bombes sur une jeune démocratie, pas parfaite, mais indépendante et pacifique. Que dire de plus qu’il n’a déjà été exposé, disséqué, analysé sans offrir de solution ? Ce qu’il faut rabâcher sans cesse avant que ce fait abject ne passe au rang de détail de l’Histoire : des gens, des hommes, des femmes, jeunes, mûrs, vieillards, enfants, bébés, civils, militaires, meurent en toute innocence, et d’autres, plus nombreux encore, les pleurent. Chaque jour. Chaque heure. Einar le Chinois l’a dit à Ryan qui n’a pu faire autrement que de le mettre dans l’un de ces paquets involontaires que Michael pêche dans l’éther des Mondes morts (je n’entends rien au déroulement de ce processus. Je suis sur son épaule, pas dans sa tête, DCM1 merci!). D’après le savant, l’immonde ordure responsable de cette destruction aveugle en serait à son quatorzième replantage2 et empoisonne donc la vie de l’humanité depuis environ sept cents ans ! Einar qui est plus métaphysicien qu’historien, n’a pas poussé ses recherches très loin. Il n’a eu vent que des deux précédentes réincarnations. Dans l’une, l’ordure se prénommait Adolf et a connu, et connaît encore, bien que post-mortem, une notoriété bien établie, et dans la suivante, qui a eu lieu en 1945, Robert. Mais cette incarnation fut brève. Le petit Robert se montrant dès sa naissance (il naquit la bouche déjà pourvue de quatre solides incisives et faillit arracher le téton de sa mère…) si vicieux, bête et méchant que ses parents n’eurent, après avoir tout essayé, tout enduré, d’autres solutions que de le noyer à l’âge de sept ans. En 1952, donc, date de la dernière et toujours en cours, réincarnation. Au vu des derniers événements, on est parfaitement en droit, d’après Michael, de regretter que les parents du petit Vladimir n’aient pas fait preuve de la même lucidité que ceux du petit Robert.
Mais il n’est pas, et de loin, la seule ordure meurtrière sur cette bonne Terre des Vivants et des Morts. Il a juste plus de moyens. Des moyens que ceux qui le combattent actuellement lui ont permis d’obtenir sans grand discernement.
À cette heure, donc :
Le dirigeant d’une autre grande puissance (nucléaire aussi, donc à l’abri de représailles) enferme une partie de sa population dans des camps de « formation » et de « rééducation » afin qu’elle accède enfin à la belle et généreuse pensée unique du Parti. Viols, stérilisations forcées des femmes, tortures, bourrage de crâne idéologique et bien sûr « accidents » mortels… la méthode a fait ses preuves.
On parle d’un (1) homme, toujours. Un homme à qui l’on a donné les moyens de son ambition et qui, lui-même, offre l’occasion à une multitude d’exprimer sa sauvagerie.
À la même heure :
Au Mexique, on ne compte plus les victimes, innocentes ou non, de la guerre des cartels de la drogue. Il y en a trop et pour la plupart si pauvres qu’elles n’apportent pas grand-chose à l’économie du pays. Bien moins que le trafic de stupéfiants.
En la maudite Haïti, deux cent trente-quatre morts ou blessés en cinq jours… Sur les actualités en ligne, la brève est brève. Pas une guerre au sens traditionnel du terme, là non plus, juste des hordes déshumanisées face à une humanité abandonnée.
En Iran, on tue les manifestants parce qu’il n’y a plus de place dans les prisons.
Au Mali…
Au Niger…
En Afghanistan…
En Birmanie…
Des morts, des mutilés, des déracinés, comme s’il en pleuvait.
Des larmes pour ceux qui restent.
Pourquoi viens-je pourrir votre journée en vous dressant cet état des lieux que personne à notre époque ultra-médiatisée ne peut ignorer ?
Trop de Morts arrivent sur le marché. Les guides sont surbookés. Les âmes sont viciées. De plus en plus de vies s’éteignent avant de rejoindre DCM. Les Ombres pullulent. La jachère menace.
Et s’il n’y avait que cela…
Les Vivants détruisent leur paradis.
Le Jardin.
Ils le savent, mais persistent… Ce qui n’a pas étonné les Premiers Morts. Il faut dire qu’il en faut plus pour surprendre des êtres morts depuis plusieurs centaines de milliers d’années (certains parmi les plus anciens, parlent de millions d’années. Affirmation invérifiable, mais jugée crédible vu l’apparence de ces Anciens).
Pas surpris, donc, mais alarmés.
Car cette triple situation du Monde vivant, l’augmentation inhabituelle du nombre de vies s’éteignant ajoutée à cette soudaine précarité écologique de la planète et au risque d’une guerre nucléaire, a remis à l’ordre du jour (ou du siècle) une question dont quasiment tous les résidents du Nid ont oublié la réponse.
À quel degré la survie du Nid est-elle dépendante de celle de la Terre ?
Voire de celle de l’humanité ?
Ils l’ont su, bien entendu, le contraire serait absurde puisqu’ils ont créé ce Monde que les Revenants appellent les îlots et eux nomment le Nid. Mais c’était il y a longtemps. Des centaines de milliers, voire donc, des millions d’années.
Bien avant la survenue du Cataclysme qui a éparpillé le Nid en îlots et qui leur a fait comprendre qu’ils avaient perdu l’essentiel de leurs pouvoirs. Comme une punition pour s’être pris pour des dieux.
Voilà où je voulais en venir en évoquant tous ces morts, toutes ces guerres, ces violences très réelles qui sortent du cadre habituellement plus léger, romantique, gentiment désespéré des deux précédents volumes : les Premiers Morts, les pères et mères de l’humanité, sont inquiets. Le Nid, ce reflet de la Terre des Vivants, est en danger. Car sans image d’origine, c’est une évidence, point de reflet.
1Dieu, le Cerveau, la Machine. Dieu, pour faire simple… (note de Michael).
2Rappel : Quand un psychopathe, un sociopathe, un assassin, un bourreau, un génocideur, une ordure de la pire espèce pour tout dire, meurt, son absence d'empathie le rend inutilisable à Dieu, au Cerveau, à la Machine. Mais son âme demeurant immortelle, il est donc replanté. Il renaît dans un autre corps… (note du singe)
3Ce calendrier correspond au rythme de déballage de Michael. En phase donc avec la rédaction des « Épilogues du Fou » et non avec l’écoulement (bordélique) du temps dans l’au-delà. (Note du singe)
Le singe que je suis s’y sent bien. Comme un bébé ouistiti accroché au cou de sa mère. Il faut dire que Lisa, en apparence, mais en apparence seulement, est moins éloignée physiquement de moi que ne le sont Michael, Alicia, Ryan et toutes mes futures épaules/hôtes.
Pour tout dire, Lisa est l’un de ces hominidés peuplant le Nid qui comptent en millions d’années.
Et, bien sûr, Lisa ne s’appelle pas Lisa. Elle porte un nom tout en images si riches de détails qu’il me faudrait les décrire en une œuvre distincte. Un CDD ne suffira pas. Lisa est le nom que Pauline attribuera à l’avatar de… Ah, Michael me signale que je vais trop vite, que les lecteurs de ce livre ne sont pas forcément les mêmes que ceux du précédent (ce que je comprends aisément, une fois suffit).
Nous sommes au jour 45 des Épilogues (je n’écris pas si lentement, mais Michael déballe au kilomètre, sans ponctuation ni saut de ligne. Remettre ça en ordre représente un sacré boulot).
Mon récit débute, lui, à J -5 de ces mêmes Épilogues. Cinq jours avant donc que Michael se rende à la clinique pour enfin rencontrer Méli en chair et en os, mais après les confinements qui, on s’en doute, ont peu affecté Michael. Après, également, le déclenchement des hostilités en Ukraine…
*
Lisa entre dans la nouvelle Maison du Regard. À pied, tout simplement. L’endroit est une copie si petite par rapport à sa grande sœur qu’Einar appelle la Salle des Vies, que l’on pourrait le croire miniaturisé. L’une ayant été le point d’orgue d’une hubris destructrice, cette nouvelle salle se devait de marquer le retour à l’humilité.
Après le Cataclysme.
La salle n’est donc guère plus grande qu’un hall de gare de ville moyenne et beaucoup moins peuplée. Et équipée. Pas de guichets, de bancs, de pancartes, de panneaux publicitaires, et, pour reprendre la comparaison avec la Salle des Vies, pas de tunnel/portail, ni de portail tout court, d’ailleurs. Sur les Trois Continents que les Premiers appellent le Nid, ceux-ci se téléportent à leur guise, sans artifices.
En dehors du Nid…
Mais on y arrive, justement.
La salle n’est pas entièrement vide. Cinq fauteuils semblables à des sièges de dentiste sont disposés en étoile en lieu et place du tunnel/portail. Quatre sont occupés par autant de Premiers qui semblent endormis. Un cinquième personnage attend, debout, à côté du siège disponible, un écran virtuel flotte à hauteur de son visage.
Il regarde Lisa qui s’approche.
— Tu es en retard, Lisa. Tes camarades ont commencé la gémination. Ils n’attendent plus que toi.
— Ils vont patienter encore, je n’ai pas eu le temps de me préparer. Cette décision est vraiment trop rapide ! Et puis moi ? Je n’ai pas voyagé depuis mille ans !
Elle s’installe néanmoins sur le fauteuil. Le Premier, appelonsle Daniel pour la même raison que Lisa ne s’appelle pas Lisa, règle l’assise à son anatomie, Lisa est petite, et sur ce siège prévu aussi pour des géants, semble perdue.
— Avoue que, pour la première partie de cette mission au moins, la Pensée ne pouvait désigner personne d’autre.
— Ce n’est pas cet aspect qui me dérange. Au contraire, je suis ravie de revoir Itoleïm. Mais la suite ? Pourquoi moi puisque je ne suis pas d’accord ?
— Tu n’en seras que plus objective.
— Parce qu’il y a quelque chose d’objectif à éliminer deux êtres humains ?
— Il n’y en a pas que deux…
— Je parle des avatars ! Pour les autres… je reste sceptique sur la méthode, quant au but… c’est un reniement inacceptable !
— Les avatars ne sont pas…
Daniel s’interrompt. Il n’est pas lui-même convaincu de la nécessité d’une obsolescence programmée des avatars. Lisa et lui sont du même camp. Quant au « reste », il ne veut pas y penser, car…
— Le débat a déjà eu lieu, Lisa. Et nous avons accepté la décision.
— Pour Itoleïm…
Daniel abandonne et revient à la préoccupation du moment :
— Tu as choisi ton plan d’arrivée ?
— Ryan Aonghusa. On m’en a dit du bien.
— Je vois sur l’écran que tu avais déjà choisi ce plan, il y a mille ans. Il s’appelait autrement alors… Au pied du guide ou seulement sur le plan ?
— Le guide. Mille ans, Daniel, je ne sais même plus à quoi ressemble le Monde vivant ! Je vais avoir besoin d’être accompagnée.
Daniel ne commente pas. Tous les Premiers savent à quoi ressemble le Monde vivant actuel. Personne au sein du Nid ne peut ignorer les rapports transmis par les avatars. Lisa est juste de mauvaise humeur.
— Bien. L’avatar, maintenant… Mâle ou femelle ?
— Femelle.
Lisa envoie une image sur l’écran. C’est une œuvre d’art, un tableau ancien pour un humain, contemporain pour un Premier. Daniel ne l’a jamais vu.
— La femme sur le coquillage, précise Lisa.
— Elle est jolie ?
— Aux yeux d’un homo sapiens, elle est canon…
Puis elle ferme les paupières et se livre, s’abandonne, se dissout avec une jouissance toujours renouvelée, malgré l’éternité passée, dans la Pensée collective. La gémination est si avancée que la création de son avatar ne prend que quelques secondes.
Comme un orgasme trop tôt survenu…
Elle ouvre les yeux, quitte le fauteuil en même temps que ses cinq « camarades », les remercie comme c’est l’usage et sort de la Maison du Regard.
Dans l’esprit d’un Premier, un mur se dresse, tapissé de milliers d’écrans. Des images, des pensées, des échanges, perçus par tous. Lisa en choisit un. Elle voit et entend ce que voit et entend Lisa.
L’avatar.
Et soupire:
« Ça commence bien ! »
(Jour 48 des Épilogues.)
Le lecteur fidèle l’a peut-être deviné, ce récit a vocation à raconter ce qui s’est passé dans l’au-delà alors que Michael, trop occupé par la rédaction de ses Épilogues du Fou et de La Vie Extrapolée d’Alicia Minnelli, s’est contenté d’entasser, pêle-mêle dans son ordinateur, la chronique de ces événements qui se sont déroulés pourtant dans le même temps.
Mais il est vrai, pas dans le même espace.
Je viens donc de sauter de l’épaule de Lisa (du Nid) pour m’agripper à celle de Lisa (l’avatar). Qui, elle aussi, pourrait murmurer, à l’instar de la version originale : « Ça commence bien ! »
Je ne vais pas m’attarder sur la description de la nouvelle Lisa. D’une part, parce que mon point de vue (je parle de ma position, pas de mon avis), si intéressant soit-il, manque de recul, et d’autre part… tout le monde connaît le fameux tableau du maître florentin4. Pour singer – moi le singe – la voix de Chilpéric : « En statique, ça envoie déjà, alors en mouvement… ! »
*
Lisa ne murmure pas, mais s’avoue quand même déroutée.
Surprise, à tout le moins.
Pas par l’endroit, le toit d’un immeuble de la ville de Bogotá, personne, même les Premiers, ne maîtrisant le point de chute, mais parce qu’elle ne s’y trouve pas seule. Vingt-trois Nouveaux Arrivés hébétés, effrayés comme il se doit, lui tiennent compagnie. Lisa, qui est l’exacte et complète copie mentale de la Lisa restée au Nid et donc maîtrise des pouvoirs psychiques que même les guides ne peuvent imaginer, est d’abord tentée d’apaiser ses nouveaux camarades, de leur expliquer, de… Elle s’abstient lorsqu’elle capte un nuage de pensées confuses, qu’elle attribue au guide. Il est dans les escaliers et parcourt les couloirs de l’immeuble. Il les cherche. Ou plus exactement, cherche un ou une Nouveau-Nouvelle Arrivé.e.
L’apparition simultanée de vingt-trois Nouveaux Arrivés (vingt-quatre avec elle) bouscule son plan, mais de manière positive. Elle avait prévu de se faire passer pour une Revenante, le guide Aonghusa étant connu pour son hospitalité envers ces derniers. Se faire passer pour l’une des Nouveaux Arrivés l’aidera à prolonger son incognito, car les avatars, dans leurs analyses, se montrent unanimes, les guides décèlent rapidement les anomalies télépathiques. Il faut apprendre à émettre comme un enfant, pas comme un expert plusieurs fois millénaire. La décision de l’envoyer et surtout son départ ont été si rapides qu’elle est peu certaine d’y parvenir. Lisa a donc prévu d’être muette télépathiquement au sein du Monde mort, et oralement si le guide les emmène dans un îlot. Ce genre d’anomalie l’intriguera moins qu’une Nouvelle Arrivée s’exprimant avec la clarté et la puissance d’une divinité. D’autant que le guide, débordé par cet afflux extraordinaire de clients, n’éprouvera guère le désir de s’attacher aux cas particuliers. Elle aura ainsi le temps d’apprendre de ses nouveaux camarades.
Et de décider du moment où elle se dévoilera. Dévoilera l’existence des Premiers Morts.
Elle frémit rien que d’y penser.
Quelle folie !
L’arrivée du guide l’arrache à sa réflexion.
4La Naissance de Vénus, Sandro Botticelli. (note d’Henriette)
(Jour 49 des Épilogues.)
En fait d’épaule, il serait plus exact d’écrire « dans la tête ». J’ai tenté d’en débattre avec Michael, mais ce dernier, plongé par le biais d’internet dans les dernières et peu rassurantes nouvelles du Monde, m’a – pas gentiment – envoyé balader. C’est donc de ma propre initiative que je décide de laisser le texte de Ryan en mode subjectif. Pour le dire franchement, je ne sais pas comment faire autrement, tellement Ryan est un être… intérieur. Un cérébral écorché. Une pompe à émotions. Un sentimental qui ne vit que par ce qu’il ressent. Ses faits et gestes présentent peu d’intérêt, il est plus spectateur qu’acteur. La valeur de son témoignage se situant dans la perception qu’il a de ses Mondes.
Cette précision pour éviter toute confusion : le « je » qui suit n’est pas celui du singe, mais celui de Ryan.
Écoutons-le, alors qu’il découvre sans y croire ce qui l’attend sur le toit :
*
« Je ne sais même pas si les vingt-quatre personnes agglutinées peureusement autour de cette cheminée captent ma pensée ! Jamais encore je n'ai parlé à une foule ! Vingt-quatre Nouveaux Arrivés ! Bon, c'est mieux que les trente que j'avais tout d'abord estimés, mais merde ! Vingt-quatre ! Cette Machine n'est pas seulement défectueuse, elle est folle !
Le toit plat sur lequel nous nous trouvons est celui d'un immeuble pauvre situé dans la banlieue d'une mégalopole sudaméricaine ou d'Amérique centrale. Peut-être Mexico, Rio ou Bogotá ou... Calcutta, pour ce que ça change. Aucun d'eux n'a effectué le grand saut sur ce toit. Le protocole veut que le coup de pied au cul final les envoie à des centaines, voire des milliers de kilomètres de l'endroit où ils se sont…
Pris de court et à défaut d’une méthode éprouvée, j’attaque fort :
— Il me revient de vous dire que vous êtes... morts. Chacun de vous a été assassiné.
Il n'y a pas de bonne façon d'apprendre ça. Autant se débarrasser de la corvée rapidement. À leurs expressions et surtout au déluge de pensées qui déferle dans mon cerveau, je comprends que tous m'ont entendu.
Je n’avais encore jamais expérimenté, et surtout subi, l’effet d’une bombe mentale. Je prends note, alors que je plie les genoux et tombe la tête sous le choc, d’éviter ce genre d’épreuve à l’avenir.
Je me redresse et tente en vain de bloquer les vingt-quatre pensées tonitruantes. En désespoir de solution, je me livre à une pantomime qui risque de faire voler en éclats le peu de dignité qu’il me reste. Je fais… le poirier. Puis je marche sur les mains, effectue quelques roulades, saute en frappant des talons, à droite, puis à gauche. Attention ! Petite course, saut périlleux suivi d’une vrille, d’une double vrille ! Enchaînement de cinq roulades, salto arrière qui me dépose, les bras en croix, face à mes spectateurs suffisamment ébahis pour enfin la fermer.
Je ne perds pas de temps à saluer mon public et, profitant de son hébétude face à mes acrobaties de clown ivre et surtout du silence qu'elles ont provoqué, lui envoie une bulle énorme, lourde de pensées positives, d'amour, de compassion, de réveils alanguis, de caresses apaisantes, de plages, de soleils, de petits déjeuners copieux, tout ce que j'ai en stock... La situation n’est pas à la radinerie ! Je n'ai d’ailleurs pas besoin de chercher, tout est déjà en moi. Je suis Guide. L'empathie, l’humanité, suinte par tous les pores de ma peau immatérielle. Mais je ne donne pas seulement, j'éponge aussi, les douleurs, les désarrois, les frayeurs et même les haines. J'aspire les saletés que la vie a déposées sur les âmes de mes Clients, j'astique les consciences abîmées pour, qu'enfin libérées, elles puissent devenir éligible à... Mais c'est une autre histoire, déjà relatée. Une histoire qui, depuis peu, depuis Méli, depuis la découverte de la Salle des Vies, depuis... Adèle, troisième version, laisse mon enthousiasme de guide sur le carreau.
Oh, après seulement quarante ans de fonction j'ai bien sûr encore le désir d'accueillir, d'aider, de compatir ; je l'ai dit, je suis Guide ; j'ai été choisi parce que j'avais cet inhabituel potentiel en moi et il est loin d'être usé. Einar a rempli ses fonctions de guide pendant trois cents ans, Alfa a tenu deux cents années. Avec mes quarante ans de service, je fais figure de bleu dont le réservoir d'empathie est encore aux trois quarts plein. Oui, le désir est toujours présent, c'est la finalité de ma mission qui m'indispose. Car je ne doute plus. C'est bien le problème. Douter c'est encore croire. Dorénavant, je sais que je fais œuvre de charité pour mieux envoyer mes clients au casse-pipe. Ou peu s'en faut. Un casse-pipe déshumanisant.
Pour faire court, mon job consiste à ôter de l'esprit des nouveaux morts tout ce qui les empêche de poursuivre leur chemin dans l'au-delà. Lorsque j'y suis parvenu, la chose que je nomme tantôt la Machine, la Boule de Lumière, le Grand Enfoiré, tantôt, plus simplement, Dieu, arrache de leur âme ce qui l'intéresse et annihile le reste.
C’est en tout cas la conclusion à laquelle nous sommes arrivés dans l’état actuel de nos maigres connaissances, Einar, moi et peut-être Alfa.
À mes vingt-quatre nouveaux morts, je ne transmets rien de tout cela, bien sûr. Pas encore. Si le mode de communication dans cette après-vie interdit le mensonge direct, il permet la dissimulation. Comme ils sont toujours nus et en semblent affectés, je leur montre comment habiller leurs corps immatériels, leur explique que la faim et le froid qu'ils ressentent feront dorénavant partie de leur " vie " provisoire dans ce couloir de transit au sein duquel ils viennent d'émerger... je leur sors mon bla-bla touristique, quoi ! »
« Maintenant qu’ils sont vêtus et relativement calmés, j’élude, pour l’instant, la question de leur nombre et les considère dans leur ensemble. Les vêtements qu’ils se sont choisis semblent tellement passés de mode, même à moi qui n’y connais rien, qu’il me vient l’image d’une soirée à thème. J’élude à nouveau. En déboulant sur ce toit, sidéré par la vision d’un groupe de Nouveaux Arrivés, ébloui par la soudaine lumière du soleil, j’ai cru contempler une certaine diversité. Il n’en est rien. Mes " clients " sont tous de type caucasien et dans une moyenne d’âge plus proche de soixante ans que de quarante ou cinquante. À l’exception de deux d’entre eux. Deux femmes de moins de trente ans, il me semble. L’une s’est choisi des vêtements masculins, mais qui n’enlèvent rien à sa féminité et l’autre, d’une beauté troublante qui, bizarrement, réveille dans ma mémoire un vague souvenir, est couverte d’une robe blanche, vaporeuse, peut-être antique, que le butor en moi compare à une chemise de nuit.
J’improvise. En temps normal, c’est-à-dire, en présence d’un seul client, nous aurions rapidement quitté cet endroit, qui n’est qu’un point de chute aléatoire sans grand intérêt. Devant vingt-quatre, il me semble nécessaire de temporiser, au moins, pour faire connaissance.
Les vingt-quatre, donc :
La parité de genre est apparemment respectée. Apparemment, car le groupe compte onze femmes, douze hommes et une femme née homme. La mort a rectifié l’erreur d’aiguillage. Il n’y a pas que des inconvénients. Même si, dans sa forme immatérielle actuelle, la mise à niveau présente peu de pertinence, l’intéressée se montre ravie. Il s’agit, bien sûr, de la jeune femme habillée en homme. Elle rectifie d’ailleurs son premier choix de vêtement, dû à l’habitude, me dit-elle, en apparaissant en robe de soirée rouge, anachronique encore, largement échancrée, peu adaptée à nos futurs déplacements. Je ne lui en fais pas la remarque, tant son bonheur ostensible relève mon moral et, déjà oui, me séduit. Je reconnais ce ressenti. Je sais déjà que mon " travail " débutera par cette femme qui choisit de s’appeler Pauline, " tout simplement ", car son prénom lorsqu’elle était vivante était Paul.
Mais en attendant de commencer ce travail, j’essaie d’installer une foutue méthode. Je communique avec chacun.
Ou plutôt, tente de communiquer…
La mémoire de plus de la moitié d’entre eux est définitivement cramée. D’après mon expérience de guide, seuls les esprits de personnes gravement déséquilibrées durant leur existence terrestre subissent un tel " nettoyage " en mourant.
J’élude cette découverte, encore.
Les souvenirs des autres ne valent guère mieux. Quelques fumerolles à peine décelables, dont l’odeur…
Si j’élude cette fois, ce n’est pas parce que je ne comprends pas… Je n’aime pas découvrir chez mes clients une innocence tronquée. Ma motivation en prend un coup.
Je ne compte pas l’autre jeune femme dans cet inventaire. Comme Pauline, elle sort du lot. C’est une beauté aux traits… botticelliens. Ce mot, qui n’existe peut-être pas, est venu comme par magie dans mon esprit. Ce n’est pas un hasard. Le souvenir, qui est resté caché lors de mon premier regard sur elle, se dévoile : un tableau exposé dans un musée à Florence. Adèle avait attiré mon attention sur l’œuvre. J’avais trouvé que le personnage lui ressemblait.
Ce n’est pas seulement la beauté de cette femme qui la distingue à mes yeux de ses camarades d’infortune, c’est son esprit. Sa mémoire n’est pas cramée comme celle de la moitié du groupe. Elle ne s’effiloche pas en lambeaux toxiques comme pour l’autre moitié, ni n’est éparpillée, mais intacte, prête à surgir au premier stimulus, comme dans l’esprit de Pauline. Elle est… présente. Vaste. Si vaste… les sondes télépathiques que j’envoie ne peuvent que survoler de très très haut un Monde mental qui, c’est évident, n’a subi aucun traumatisme. Mais qui reste inaccessible. Et mutique. C’est une première dans ma vie de guide. Cette femme est muette télépathiquement. Elle est incapable de transmettre la moindre pensée, mais il me semble qu’elle peut recevoir, car son regard se pose sur celui ou celle qui " parle ". C’est cette particularité aussi qui m’interpelle. Elle sait qui émet dès qu’une pensée d’un membre du groupe émerge. Ce que même moi, pour le moment, suis incapable de déterminer, n’ayant pas encore, dans cette situation inédite, pointé la signature télépathique de chacun.
Je ne comprends pas, donc oui, j’élude une nouvelle fois. Je ne sais si ce nouveau réflexe devient la méthode recherchée, mais je doute qu’elle se montre efficace.
Comment puis-je faire autrement ?
À part emmener tout ce petit monde devant le Maître de mon Maître, mon grand-maître donc, Einar, le Chinois, qui aime résoudre ce genre d’énigme. »
« Deux portails donnent accès aux Mondes d'Einar, la ville Monde, le jardin et la Salle des Vies. Un, près de la ville où vit Michael (qui est en fait une projection de celui de la Salle des Vies), et un autre dans la forêt de Brocéliande, en Bretagne. Autrement dit, tous les deux à quelques milliers de kilomètres du toit où sont apparus mes vingt-quatre. Les distances, dans cette autre vie, ne posent pas de problème, car les modes de transport, ceux du Monde vivant, ne manquent pas et le temps du Monde mort se montre accommodant. Il est facile de voyager plusieurs jours en ayant le sentiment que quelques minutes seulement se sont écoulées.
Du moins, quand on voyage seul ou à deux.
À vingt-quatre, l'exercice s'annonce délicat.
Je donne le signal de départ.
Et en route, reviens, comme aimanté, à Pauline. »
*
Et moi, m’extirpe, très étourdi, des pensées de Ryan pour rejoindre l’épaule de ma nouvelle copine.
Euh, je l’ai déjà vu, ça...
(Jour 50 des Épilogues.)
— Le temps a fait un saut… en arrière ! Hé! Tu m’écoutes ? Michael soupire et lève les yeux de son écran :
— Et alors ?
— C’est… normal une chose pareille ?
Il hausse les épaules et replonge dans ses lectures d’articles de presse en ligne. Cette nouvelle marotte m’agace ! Je comprends que cette subite instabilité mondiale soit inquiétante, mais qu’elle perturbe un misanthrope de son espèce ?
Ne comptez donc pas sur Michael ou sur moi pour vous expliquer un phénomène auquel je n’entends rien et que mon employeur maussade semble trouver normal (je suis peut-être le dernier à penser que Michael est réellement dingue, donc sa perception de la normalité...). Peut-être que dans un roman fantastique, le cahier des charges ne mentionne pas la cohérence temporelle. Je suis un gost writer5 limité à la littérature générale, n’est-ce pas ? J’ai accepté cet emploi parce qu’il faut bien que, l’écrivain intérimaire, de temps en temps, il mange. Mais le fantastique, même réel, pour moi, c’est un peu de la science-fiction. Il va donc falloir que je m’y habitue. En tout cas, au moment où je saute sur l’épaule de Lisa, Ryan fait son apparition sur le toit de l’immeuble.
Je vous jure que c’est la vérité !
*
La première surprise passée — la présence inhabituelle de vingt-trois Nouveaux Arrivés simultanément à la sienne —, Lisa doit s’avouer une nouvelle fois déconcertée par la nature des pensées du guide surgissant sur le toit.
Ryan Aonghussa émarge sur la liste des guides bienveillants depuis ses débuts dans la fonction. Il a ainsi accueilli à son insu une bonne dizaine de voyageurs se faisant passer pour des Revenants. Lisa ne l'a cependant pas choisi pour sa bienveillance, réelle, ni pour ses qualités de guide, même si celles-ci s'élèvent à une moyenne honorable, mais parce qu'il a ses entrées dans ce qu'il appelle la Salle des Vies et surtout pour son carnet d'adresses. Car bizarrement, ce jeune guide, qui ne prétend à rien d'autre que d'exercer en toute quiétude sa fonction le plus longtemps possible, s'est lié d'amitié avec des Vivants et des Morts dont les agissements sortent franchement du cadre conventionnel de l'avant et après mort. L'ancien guide appelé Einar en premier lieu : Aucun guide n'a poussé la recherche de la connaissance des Mondes à ce point. Malgré sa croyance infondée en une entité peut-être disparue, il est celui qui s'approche de la vérité au plus près. Un danger, donc, ou une recrue de choix. Dans l'entourage du guide Aonghusa, il y a aussi quelques Revenants de la ville/Monde qui méritent une attention particulière, des Revenants voyageurs en quête de la société parfaite et puis cette femme que l'on appelle tantôt Élise, tantôt Adèle : vivante, elle a engendré une... aberration. Un Vivant qui communique de manière intelligible, intime pour tout dire, avec un Mort (le guide Ryan Aonghusa, encore), dont l’esprit abrite une colonie d'Ombres en mode symbiotique ainsi qu’un couple d’avatars en cavale, et reçoit et décrypte les pensées venues de l’éther sans pour autant s'apparenter à une liche ou, même, à un shaman !
Et bien sûr, parmi les proches turbulents du jeune guide un brin flegmatique, figurent, à la place d'honneur, les liches jumelles, Eike et Liisi.
Les descendantes directes des Premiers Morts.
Lisa n’a pas à se donner la peine, donc à prendre le risque, de s’infiltrer dans l’esprit du guide. Elle constate aussitôt que « flegmatique » n’est pas l’adjectif le plus pertinent pour définir l’homme. Un nuage de pensées, de sentiments, de frustrations, d’incompréhension, enveloppe littéralement Aonghusa. Mais surtout un doute prégnant qui donne à ce nuage une couleur sinistre qui cadre peu avec les descriptions des précédents voyageurs qui ont côtoyé le guide. Elle distingue de la douleur, de la culpabilité, de la colère, le guide est sous le coup d'une perte qui ravage son esprit habituellement placide et conciliant. Dévaste même sa conviction d’œuvrer pour le bien, le juste et l'infaillible. L'événement qui a provoqué cet effondrement moral a trait à une très jeune Nouvelle Arrivée que le guide n'a pu retenir. Lisa comprend que ce n'est pas, et de loin, la première fois, mais que cette fois a été celle de trop. La Première aimerait approfondir son inspection, il est exceptionnel, voire unique, qu'un guide si jeune soit plongé dans une telle situation de doute. Mais il lui faudrait alors traverser le nuage et pénétrer dans l’esprit du jeune homme, et ce qu’elle devine de ce flot de sentiments non maîtrisé l’incite à la prudence. Ce débordement de pensées pourrait bien être l’indice d’une puissance télépathique hors du commun (encore une particularité que les voyageurs n’ont pas décelée…). De toute façon, elle n’en a pas le temps. Aonghusa annonce sans ambages à ses vingt-trois nouveaux camarades ce qu’il en est de leur sort. Il est puni de sa brusquerie par un tsunami de pensées horrifiées qui lui fait plier le genou et baisser la tête. De toute évidence, recevoir plus d'un Nouvel Arrivé consiste en une expérience nouvelle pour lui. Il fait taire la cacophonie d'une manière... originale, peut-être un peu puérile (mais qui fonctionne), et entame son boulot de guide en chassant sa colère et sa douleur, mais sans parvenir à disperser la vilaine couleur du nuage.
Durant la prise de contact du guide avec ses clients, Lisa perçoit l’intérêt qu’elle suscite chez celui-ci. S’en amuse un peu, en le laissant survoler de très haut son esprit. Une des femmes du groupe semble aussi s’intéresser à elle. Jeune, jolie, d’abord vêtue d’habits masculins, puis d’une robe longue, rouge très… sexy (les Premiers sont restés très actifs dans ce domaine, malgré ou à cause de l’éternité). L’apparence que Lisa a choisie semble émoustiller la jeune femme.
Le guide donne le signal de départ. Pauline attire Lisa près d’elle en une attitude très protectrice et semble décidée à ne pas la quitter durant le voyage qui les amènera, selon Aonghussa, dans un endroit proche du paradis. Lisa devine qu’il s’agit de la demeure Monde du Chinois. Elle en est satisfaite. Elle n’aura pas à diriger le jeune guide.
Tandis qu’ils quittent l’immeuble et se mettent à la recherche d’un transport pour se rendre à l’aéroport, elle caresse l’esprit de Pauline avec un plaisir certain. Mais sans profondeur. Le guide, maintenant à l’écoute de tous ses clients, et particulièrement de sa « préférée », avec laquelle d’ailleurs il commence son « travail », pourrait détecter une intrusion trop agressive.
Pauline se montre si heureuse que son corps soit enfin en harmonie avec sa nature, qu'elle escamote rapidement le contrecoup de sa nouvelle situation. Au point de venir spontanément en aide au guide qui peine, faute à un manque d'expérience ajouté à ses tourments existentiels, à maintenir une certaine discipline au sein du groupe. Pauline remarque rapidement que celle qu'elle a appelée Lisa n’émet aucune pensée (elle a attribué des prénoms de son cru à tous ceux qui ne se souviennent pas des leurs, la grande majorité du groupe). Elle prend ce mutisme pour un handicap, s'en émeut et réserve une attention particulière à la Première. Une attention... non dénuée d'une certaine ambiguïté.
Lisa laisse le guide « travailler » et s’attarde sur les souvenirs de ses vingt-trois camarades, car oui, même pour une Première Morte, leur présence simultanée sur le même plan/ guide semble pour le moins inhabituelle.
5Non, je ne m’excuse pas de cet anglicisme. Le terme français étant parfaitement ignoble. (note du singe, cosignée par Henriette et Michael)
« Si elle connaît son prénom, Pauline ne se souvient pas de son patronyme. Elle est persuadée d'avoir exercé la profession d'instituteur.trice, d'avoir été marié.e à une femme, puis divorcé.e ou séparé.e, pas à cause de son orientation, elle se dit lesbien.ne, mais juste par lassitude. Elle ne se souvient pas des circonstances de sa mort, ce qui, sauf cafouillage de la Machine, est habituel. Elle vivait près de la même ville que Michael. Là aussi, rien d'étonnant. Les guides reçoivent de préférence les victimes de meurtres des endroits qu'ils fréquentent le plus. Ma clientèle vit en majorité en France avec un point de rayonnement situé dans la ville de Michael et Alicia, et puis aussi en Irlande qui est ma patrie d'origine. La clientèle d'Alfa était internationale, car mon ex-mentor n'avait eu de cesse de parcourir le monde (en évitant la France). Pauline a trente-deux ans, les cheveux châtain, bouclés et mi-longs, un visage doux, sensible et espiègle. J'aurais aimé la recevoir seule, car la connexion télépathique entre nous s'opère avec une évidente affinité. Son adaptabilité à sa nouvelle condition (je parle de sa mort, pas de sa nouvelle féminité) est surprenante malgré la déception d'apprendre qu'elle ne pourra, immatérialité oblige, expérimenter ses nouveaux attributs de vraie femme. Elle m'aide, grâce à son expérience d'instituteur.trice, à maintenir une certaine cohésion du groupe lors de nos déplacements.
Sept autres se souviennent de leur prénom. Pauline a gardé en mémoire les prénoms de tous les élèves de sa dernière classe, elle les attribue au reste amnésique de la troupe selon des critères mystérieux qui la font sourire.
Aucun ne se souvient de son patronyme, de l'endroit où il vivait, ni même de sa dernière seconde de vie. Tous sont effrayés et en colère d'apprendre qu'ils ont été assassinés, sauf, peut-être, Pauline qui ne semble pas avoir à cœur de découvrir ce qui a entraîné sa mort, ce qui est pourtant la raison fondamentale de sa présence dans ce couloir. Son désir d'aider ses " collègues ", son don pour apaiser, son empathie évidente, en font une candidate au Départ immédiat.
Je la surveille donc, ainsi qu'un homme doux dont tous les souvenirs sont effacés, mais qui semble mystérieusement en quête de… rédemption, Antoine, et cette femme qui m’intrigue que Pauline a appelé Lisa. Ces trois-là, d'après mon expérience, ne devraient pas tarder à partir vu la célérité avec laquelle leur colère s'apaise, si elle a existé un jour.
Je ne veux pas qu'ils partent avant que je puisse leur donner la possibilité de choisir.
Ça, c'est mon nouveau job. Un travail que je ne peux effectuer que dans le monde d'Einar. Avec l'aide du Chinois et, accessoirement, celle des liches jumelles. Et pourquoi pas, avec un coup de main de Michael et d'Alicia.
Et, pour ceux qui choisiront de rester... Avec l'aide d'Adèle, de Karl et des autres Nihilistes insoumis.
Le nouveau Ryan Aonghussa est arrivé ! Et il joue collectif !
Du moins, essaie-t-il...
C'est l'autre raison pour laquelle je ne veux pas voir partir Pauline. Son aide m'est trop précieuse. Un guide ne peut remplir son office qu'avec une seule personne. La relation télépathique et empathique est d'une telle intensité, si fusionnelle qu'elle s'apparente à une relation amoureuse. Je l'ai encore vécu, dernièrement avec Méli, et j'en garde encore les sensations extrêmes en mon esprit et dans ce qui me sert de cœur. La douleur, aussi, car je n'avais pas pu la retenir. Je ne peux ou ne sais pas installer une telle relation avec vingt-quatre personnalités différentes. À traîner mes Nouveaux Arrivés à travers la ville (Bogotá, mon GPS intégré avait vu juste) jusqu'à l'aéroport El Dorado en prenant les transports en commun (bus et train...), à les maintenir groupés dans l'aéroport (ils tiennent tous à profiter, c'est compréhensible, des pouvoirs éphémères sur le Monde vivant que leur donne leur statut de Nouveaux Arrivés), à les faire monter dans un avion et les faire asseoir sur les genoux des Vivants, je me sens plus moniteur de colo que guide spirituel. Et en matière de colo, Pauline se montre plus expérimentée que moi.
Nous arrivons à Rio. Les vingt-quatre commencent à s'agiter. Nous (Pauline et moi) allons avoir du mal à leur faire prendre un nouveau vol pour Paris sans les emmener à la plage... »
« Comme le laissait prévoir l'agitation des vingt-quatre, nous avons visité la ville de Rio de Janeiro. Pauline ne m'a été d'aucune aide pour convaincre ses petits copains de nous rendre directement à Paris. Elle a eu, elle aussi, l'envie de jouer les touristes.
Et puis... Je reconnais que l'expérience est intéressante. Pas la visite de la mégalopole qui me voit trop occupé à surveiller ma troupe pour en profiter, mais l'observation de ladite troupe. Mes Nouveaux Arrivés se remettent rapidement du traumatisme de leur mort. La socialisation de leur malheur en atténue l'impact dévastateur. Des couples, des groupes se forment et se défont au gré des situations ou des idées, des opinions exprimées. Ils profitent à plein de leur nouveau mode de communication. Je m'étais attendu à un charivari de pensées incontrôlables, mais ils ont appris vite à sélectionner leur ou leurs interlocuteurs, m'apprenant par la même occasion à le faire, car cette situation est aussi inédite pour moi que pour eux. Les échanges sont souvent savoureux, intelligents, humoristiques, sensibles, émouvants... et parfois âpres, coléreux...
Oui, j'apprends. Au point que de temps en temps, je ne suis plus Guide, mais juste le vingt-cinquième...
Puis reprends mes fonctions lorsque Pauline hurle dans mon esprit qu'il nous en manque un...
… que nous retrouvons rapidement, mais mon aide de colo commence à trouver la tâche trop lourde.
— Ils sont comme des gamins. Pas moyen de les tenir ! Il faut que l'on reprenne l'avion. Au moins ils ne pourront pas en sortir !
Je suis d'accord. »
« Dans l'avion pour Paris, les vingt-quatre ont tous subi (Pauline comprise) le contrecoup habituel de leur situation. Après l'hébétude, la peur, la colère, l'exaltation de la découverte est venue la tristesse. Depuis l'instant où je les avais vus sur le toit de l'immeuble, le temps s'était écoulé d'une manière linéaire. Seul ou à deux, les heures tombaient dans l'oubli lorsqu’aucun échange ne se produisait. À vingt-quatre, les creux dans la conversation n'existaient pas. Une question fusait, à laquelle je répondais, ce qui entraînait une autre question, une autre réponse... Et puis des commentaires isolés, entre couples, entre groupes, que j'écoutais sans toujours les rectifier, car, si la situation se montrait inédite, mon ignorance restait inchangée. Je n'avais que des hypothèses à leur fournir. Quelques-unes vérifiées, mais la plupart incertaines.
Cela fait donc cinq jours que nous avons débuté notre périple. Cinq jours pleins. Sans saut de temps. Cinq jours pour tout leur dire. Ils en savent maintenant autant que moi de ces hypothèses vérifiées. À cause de leur nombre et dans l'incapacité de gérer leurs souffrances, leur révolte, leurs désarrois d'une manière globale, j'ai pris plus de précautions qu'à l'ordinaire. Là où deux ou trois heures auraient suffi avec un accompagnement télépathique rassurant pour une seule personne, cinq jours pour vingt-quatre se sont avérés nécessaires.