le temps de l'espérance - Julien Sabidussi - E-Book

le temps de l'espérance E-Book

Julien Sabidussi

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Beschreibung

Damien, Hassan et Maelys se rencontrent lorsque leur enfance tourmentée se voit chamboulée à n'y plus rien reconnaitre. Découvrant ce lieu mystérieux au sein duquel ils sont envoyés, ce pour une durée indéterminée, la charge de leurs blessures s'évapore peu à peu, face à la force de leur amitié naissante, vouée à s'inscrire dans le marbre des écorchés. Commence alors une aventure saisissante, accompagnés d'êtres de lumière dédiant leur existence à l'altruisme, permettant aux trois protagonistes d'affronter leurs épreuves bouleversantes armés d'une boussole inaltérable : la quête d'une liberté lâchement volée. Parviendront-ils à changer leur destinée ?

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Seitenzahl: 273

Veröffentlichungsjahr: 2024

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PREFACE DE L’AUTEUR

Voici ce que j’ai de plus cher. Je vous l’offre avec humilité, mais non sans joie ni fierté, dévoilant là le cheminement d’un combat personnel, parfois éprouvant, que partagent peut-être beaucoup d’entre vous, de manière directe ou indirecte, au travers de ce long périple qu’est la vie. Je sais que le sujet, particulièrement lourd, de cet ouvrage peut repousser, faire hésiter, celles et ceux pour qui lire est un voyage qui se doit d’être agréable et enthousiaste et non une parenthèse de chagrin, de douleur et de désolation, prenant à la face le pire de ce que notre merveilleux monde peut produire, sans ne pouvoir rien n’en faire d’autre que se sentir désolé de vivre une existence plus heureuse. Sachez, mesdames, messieurs concerné(e)s par ce message, que vous pouvez entamer ces pages l’esprit tranquille. Ce que je vous propose n’est pas une punition à subir, mais bien une aventure à explorer. Le premier chapitre est délicat, certes, mais nécessaire pour aborder la suite, qui, elle, tentera de vous emporter en un lieu nouveau, une conception innovante, une exploration inattendue. Humblement, toujours, je tenterai de vous faire entendre cet engagement qui est le mien, à savoir la condition des enfants victimes de violences et/ou de maltraitances, avec bienveillance, dynamisme et un regard axé sur les solutions plus que les lamentations. Je sais ce sujet primordial, et je fais confiance à vos coeurs de pères, de mères, de frères et de soeurs, pour en saisir l’enjeu. Dans ce livre, il vous sera également dévoilé un environnement imaginaire évoluant sous la forme d’un Etat indépendant créé par mes soins, que j’ai nommé Cantus Silvae, à savoir « le chant de la forêt » en latin. Je vous laisse apprivoiser ce lieu, en découvrir ses secrets…

En espérant que cette lecture vous sera profitable et enrichissante.

Merci.

Julien Sabidussi

Sommaire

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

I

C’était un trajet qu’il connaissait jusque dans les moindres virages. Il l’effectuait chaque matin dans un état d’esprit similaire. Blotti au milieu de ce bus scolaire, l’épaule collée au bord de la fenêtre, il observait de son oeil triste cet horizon qui le rapprochait, mètre après mètre, de la sentence qu’il se devait de subir chaque fois que le soleil se levait. Isolé des autres, recroquevillé sur lui-même, son but était surtout d’être le plus invisible possible. Moins il existait, plus il pouvait respirer. Ce matin-là, Damien sentait toutefois que ce jour ne serait pas comme à l’habitude. Il avait croisé sa mère pendant qu’il prenait son petit-déjeuner, l’avait salué d’un hochement de tête, d’un regard brumeux et d’un sourire de façade, avant de la voir disparaitre au loin dans la maison. Droopy, son chien, l’avait fixé de ses gros yeux globuleux et s’était approché de lui comme pour comprendre cette angoisse qu’il percevait. Droopy était le seul qui savait. Ce chien n’était pas qu’un chien. Pour le jeune Damien, il était un frère, un Ami sans égal, un être irremplaçable qui était entré dans sa vie avec une mission. Le sauver. Le sauver de sa détresse sourde, le sauver du mal des Hommes dont il connaissait le coeur et les contours sans toutefois en saisir le sens. Droopy était son compagnon de misère et de souffrance, et ce matin-là, Damien eut le terrible pressentiment de lui dire au revoir pour la dernière fois…

Le bus approcha le parking dédié à quelques dizaines de mètres de l’entrée du collège. Cette fois il n’était plus possible de reculer, de prendre une dernière bouffée d’air, ni de gagner quelques secondes supplémentaires. Damien dut se tenir prêt à affronter sa guerre. Son ventre se noua aussitôt, son visage se crispa, sa respiration accéléra, et son coeur palpita brusquement. Le chauffeur ouvrit alors la porte et demanda aux élèves de quitter le véhicule. Damien attendit son tour, baissant le regard afin de ne surtout pas croiser celui des autres camarades, ces yeux emplis de haine et d’une particule qu’il ne parvenait à définir, une forme de subtil mélange entre méchanceté gratuite, vile et dénuée d’humanité, le tout avec un plaisir, une excitation profonde absolument incontrôlable. L’un d’eux gifla avec fougue l’arrière du crâne de Damien en arrivant à son niveau. Le jeune collégien encaissa sans broncher, tremblant de peur, les yeux écarquillés. Il entendit les rires des autres tout autour, une sombre mélodie coutumière. « Aujourd’hui, t’es mort ! » lui assainit son bourreau, le visage rond, les mains épaisses, la voix juvénile mais le regard putride et déterminé. D’autres acquiescèrent aussitôt, « victime ! » et autres insultes fusèrent dans la foulée, avant que le dernier finisse par rejoindre la sortie du bus.

Damien hésita, puis, sous la demande du chauffeur, se résigna et se leva de son siège. Il rejoignit l’extérieur l’estomac rigide, la respiration douloureuse, se mêlant timidement à la masse compacte se dirigeant bruyamment vers l’entrée de l’établissement. Un long chemin gravelé semblait symboliser le couloir de la mort, que Damien empruntait chaque jour tel un condamné se livrant à ses dernières prières, avant que ce large portail sombre et imposant vienne sonner la fin dont il appréhendait la souffrance et enviait la délivrance. Damien avança, lentement, les pas lourds, le regard tétanisé, le coeur s’emballant chaque mètre un peu plus, pendant que d’autres camarades se tournèrent vers lui et rirent de manière narquoise. « Tête d’oeuf, il va prendre cher ! » lâcha l’un d’eux, causant l’hilarité de deux autres, dont une fille, petite de taille, le corps frêle, le regard privé de sentiment, l’expression malingre. Un violent coup d’épaule vint brusquer le jeune collégien, augmentant son rythme respiratoire avec frénésie. Marcher. Toujours marcher. Ne jamais s’arrêter, ne jamais se retourner. Ne rien exprimer. Ni peur, ni angoisse, ni colère, ni douleur. Une bousculade légère le projeta brusquement vers l’avant, pendant que des moqueries surgirent, le ton haut, quelques mètres plus loin, à sa droite. Le portail fut péniblement franchi. Il était maintenant au sein de la cour de ce collège qui hantait chacune de ses nuits. Les bordures ternes, grisâtres, arpentées de tags hideux. Ces bancs négligés, ce bitume chaud, ces tables de ping-pong moisissant tristement au milieu de la cour, et ces bâtiments dépeints, froids et antipathiques remplissant l’ensemble, au fond de l’espace, situés tout le long. Des centaines d’élèves, que Damien percevait comme des ennemis, des dangers notoires, peuplaient l’ensemble du lieu, gigotant, riant, hurlant, sautillant et frappant déjà avec une énergie invraisemblable. La violence était un jeu. Des « amis » jouaient à se cogner dessus, le plus férocement possible, se délectant du supplice et de la souffrance infligée.

Certains, plus faibles, s’écroulaient sur le bitume inconfortable et se recroquevillaient pour mieux supporter la correction matinale. D’autres formaient des cercles et prenaient plaisir à assister aux spectacles proposés, n’hésitant pas un instant à brandir leurs smartphones afin d’immortaliser l’instant. Tous avaient entre 11 et 14 ans, 15 ans pour les plus cancres d’entre eux. Bienvenue chez les enfants de l’ère moderne.

Damien traversa la cour le rythme soutenu, le regard alerte, l’attention portée sur tous les dangers possibles qui se trouvaient autour. Les regards, particulièrement malsains, se posaient sur lui comme celui d’un chasseur devant du gibier. Les plus grands, d’immenses carcasses effrayantes aux yeux du jeune collégien, l’observaient avec mépris et condescendance. Du haut de ses 11 ans et de son petit mètre quarante-six, il était un agneau à côté de tous ces grands adolescents déjà solidement charpentés, les voix masculines, les visages ne démontrant plus la moindre innocence, les mains rustres bien trop souvent utilisées à blesser et se protéger des autres mains, des genoux, des pieds et des éventuelles armes blanches qui se présentaient si fréquemment, au sein de cet établissement de zone sensible comme la France en comptait par dizaines au moins sur l’ensemble de son territoire.

Plus il avançait, plus il sentait que quelque chose se tramait. Il y régnait comme une forme de calme avant la tempête. Un calme des plus relatifs, face à une tension palpable à l’autre bout du pays, mais Damien la connaissait comme un ami de toujours. Aujourd’hui n’était pas comme les autres jours. Cette sensation lui maintenait un stress monumental étouffant, chaque seconde qui passait. Il se dirigea vers sa salle de classe, rejoignant les autres camarades, en se gardant le soin de rester bien au fond de la file, comme il en avait appris la nécessité. Le professeur déroula sa leçon nonchalamment. Le désordre était la norme, les uns singeant, les autres piaillant en cercles décomplexés, puis ceux comme Damien qui essayaient d’en tirer un enseignement, celui que l’école était morte et qu’il ne fallut plus y compter. Les brutes de sa classe s’acharnèrent sur quelqu’un d’autre que lui, ce matin-là, à savoir Audrey, une pauvre petite souffrant d’obésité et portant des lunettes, le combo ultime comme ils disaient, que tous raillaient allègrement sans aucune retenue. Damien assista à la scène en coin de classe, collé au mur opposé, entendit les moqueries, « grosse vache », « minable », « mocheté », se répéter inlassablement sous l’indifférence du professeur blasé. Il vit les papiers envoyés en sa direction à plusieurs reprises, les coups de pieds sur le dos de sa chaise. Audrey ne moufta pas un mot, ne fit aucun geste, n’afficha aucune expression. Lorsqu’elle entrait dans ce collège, c’était acté. Elle n’était plus un être humain, une jeune fille avec des émotions et des sentiments, des rêves, des envies, des goûts et des espoirs. Non. Elle était « la grosse vache ». Etiquetée sur le front tel un vulgaire produit industriel, et rien n’y changerait. Certainement pas ce professeur dont la vocation avait disparue depuis trop longtemps, ni ces surveillant(e)s qui avaient décidé de fermer les yeux lorsqu’ils n’encourageaient pas les bourreaux en cherchant à les protéger, se reconnaissant probablement en eux comme les adolescents qu’ils furent ; ni ce proviseur parvenu ne sortant jamais de son bureau, qui voyait ses élèves comme des statistiques à offrir au rectorat. La souffrance était tue. Aucune échappatoire ne se présenterait…

Le deuxième cours s’enchaina, auprès d’une professeure à deux pas de la retraite, passant les trois quarts de sa leçon à faire la police, hurlant, vociférant, frappant continuellement d’une grande règle en fer sur son bureau en bois d’un blanc usé, face au vacarme incessant que lui proposaient les adolescents déchainés. Damien observa, au fond de la classe côté fenêtre, cette fois, et se pris de rêveries en tournant le regard vers la cour et cet extérieur qu’il désirait rejoindre plus que tout au monde. Après quatre heures de carnage et de brouhaha intrépide, la récréation sonna bruyamment. Damien, épargné depuis lors, sentit sa tension descendre peu à peu, sa respiration s’apaiser, son coeur retrouver un rythme stable. Il sortit du bâtiment et se dirigea d’un pas léger en direction des toilettes des garçons, à droite au fond du second préau. Il entra et se pencha vers les robinets qui peuplaient le centre de la pièce, tous en longueur, alors que des cabines bleutées meublaient l’ensemble face aux murs de chaque côté. Le bruit repris aussitôt dans la cour, les cris, les rires, les jeux violents et les plaintes des plus faibles résonnaient en choeur, offrant une mélodie pénible à l’extérieur des toilettes. Damien but plusieurs gorgées sous le premier robinet, ferma les yeux, puis se redressa une fois sa soif rassasiée. Le soleil sembla briller de toute sa puissance au travers de la fenêtre extérieure, au fond de la pièce, tout en haut de ce mur peigné de bleu marin. Le collégien se dit que ses angoisses n’étaient peut-être que le fruit de ses cauchemars répétés, en chaque nuit que la lune illuminait. Damien se tourna alors vers la sortie, et se figea aussitôt. Face à lui, un élève de deux ans son aîné, plus grand, plus corpulent, plus fort, la tête dure, le regard de chien de combat, l’expression tranchante. Tout autour, trois autres élèves, deux de sa classe, un trois ans plus vieux, la taille haute, les épaules larges, les poings serrés, l’attitude agitée, la haine au coeur. Damien déglutit. Son pouls s’emballa frénétiquement. Son ventre se noua.

« Tu m’as dénoncé, sale enfoiré ! Tu croyais que j’allais te laisser faire sans rien dire ? » commença le premier, se tenant d’une posture agressive et menaçante. Tous les autres l’encerclèrent alors.

« J’suis pas comme toi, moi ! J’suis pas une sale victime ! » lança-t-il dans la foulée, sous les rires du reste de la bande. Damien sentit sa bouche se sécher. Ses mots se coincer dans sa gorge.

« Tu croyais que ça allait changer quoi que ce soit ? » lui demanda-t-il en s’approchant lentement. Damien hocha la tête sur la négative, reculant timidement. « T’as été chialer vers la prof de français en disant qu’on te tape tout le temps, tu pensais trouver du soutien, hein, pas vrai ? » continua-t-il, le narguant délibérément. « Ils s’en battent les couilles de toi ! Eh ouais ! T’es rien ! T’es personne ! T’existes pas ! Mais rien que pour le fait d’avoir osé balancer sur moi, on va te le faire payer ! Tu vas comprendre qu’il y a des règles, ici, et que C’EST MOI QUI LES FAIT ! » hurla-t-il alors, fronçant les sourcils, les yeux exorbités, l’expression machiavélique. Tous les autres autour attendirent le signal, l’attitude nerveuse, gesticulant d’une rage édifiante. Damien essaya tant bien que mal d’appeler à l’aide, mais il sut pertinemment que personne ne viendrait. Certains surveillants étaient probablement dans le coup, car faisant copains-copains avec ces brutes, et étaient certainement en train de faire diversion un peu plus loin. Ou alors ils découvriraient la scène tardivement, prendraient cela à la rigolade et continueraient leur chemin comme si de rien n’était. « Des chamailleries d’enfants, voilà tout ! ». Le collégien était seul. Livré à lui-même. La porte était obstruée par ce groupe d’agresseurs, qui l’encerclaient de plus en plus, commençaient à le bousculer et grogner comme des loups en rut. Rien, aucun signe, ne lui permettait de se sauver, de trouver la moindre once d’espoir de s’en tirer. Il se résigna alors et capitula. Il baissa la tête, pris une dernière inhalation…

Le premier coup fit l’effet d’un choc frontal avec un véhicule porté à pleine vitesse. Damien recula brusquement de plusieurs mètres, ce qui motiva la troupe à le poursuivre et s’acharner davantage. Les plus petits de la bande, ceux de sa classe, furent les plus virulents. Ils frappèrent avec une hargne démesurée, les visages possédés, les mâchoires serrées, les expressions emplis d’animalité primitive. Damien tenta de se protéger le visage, mais les coups portés sur son petit corps chétif plurent abondamment, l’enchainant de coups de poings dans le ventre ainsi que dans les côtes, des coups de pieds sur le tibia, le fémur, des coups de genoux violents, d’une brutalité sans nom, assénés dans son estomac et dans sa mâchoire, heureusement encore protégée par ses bras longilignes. Il recula dos au mur et tenta une première échappée vers le côté droit du muret tenant les robinets alignés, mais les plus grands de la bande se tinrent face à lui, devant la porte, le frappant avec plus de force, plus de haine, plus de cruauté. Damien commença à voir trouble, tant à cause des nombreux coups qu’il encaissait que par cette peur qui le dominait totalement. L’un des plus petits se jeta de tout son poids, le pied levé, droit dans son dos, le faisant voler pour percuter le bord du mur à la droite de la porte des toilettes. Damien se fracassa le visage de plein fouet, puis se retourna, le regard apeuré, les yeux ronds, pupilles dilatées, le souffle rapide et bruyant, la gestuelle raide et lourde. Tous les quatre s’approchèrent alors et le rouèrent de coups à n’en plus compter, d’une violence dépassant tout ce que le jeune collégien avait pu endurer jusqu’alors. Il ne sentit plus ses jambes, ni son thorax, que les coups anesthésiaient peu à peu. Il s’enroula dans ses bras et tenta de se protéger autant qu’il le put, mais le premier bourreau lui en attrapa un brutalement et le balança tout contre le muret, le dos cognant violemment l’un des robinets, lui coupant instantanément la respiration. L’un des petits se jeta avec furie, le pieds gauche sur le bord du lavabo, et lui attrapa les cheveux, enfonçant ses ongles dans le cuir chevelu avec démence. Damien hurla de douleur, mais rien n’y fit. Sa tête bascula violemment vers l’arrière, le visage pleinement découvert, observant, le temps de quelques longues secondes, les regards rouges et les expressions démoniaques de ces jeunes qui n’étaient pourtant que des enfants. Un gros coup de poing atterrit en plein nez du jeune collégien, un autre lui ouvrit l’arcade dans la seconde. Il se sentit coincé la tête entre le lavabo et le robinet, les jambes maintenues fermement, comme livré à un supplice qui ne semblait jamais finir. Les coups arrivèrent avec fracas, martyrisant son visage juvénile avec bestialité. Il sentit alors un bras l’attraper par le col et le flanquer violemment sur le carrelage. Il perçut son sang couler abondamment sur le sol froid. Il sentit des coups de pieds lui démolir le dos et l’arrière du crâne, qui saigna à son tour. La vision trouble, comme dans un état second, il entendit les cris, les insultes et les raclements de ses bourreaux comme un bruit sourd, lointain. Il se trouva propulsé brusquement sur le dos, faisant de nouveau face à ces êtres qui venaient de perdre définitivement leur appartenance à l’espèce humaine. Il ne perçut que leurs silhouettes, sentit son souffle emplir sa cage thoracique malmenée et se rappela ainsi qu’il était encore en vie, au moins pour un instant. Soudainement, les coups devinrent indolores. Son corps sembla se détacher de lui. Il resta allongé-là, des coulées de sang giclant de son visage, lui brumant partiellement la vue déjà troublée. Il cracha du sang à plusieurs reprises, sentit son pouls ralentir lourdement, son souffle agoniser, son esprit s’étioler dans le néant. Il pensa à sa mère. A son pauvre père. A Droopy… Il vit leurs sourires, la fierté et le bonheur affiché sur chacun de leurs visages lors de son dernier anniversaire, pendant qu’il soufflait sa onzième bougie. Il pensa à cet amour s’évaporant comme son âme s’effaçait lentement. Usé, fébrile et le souffle court, il leur adressa un dernier A Dieu avant de clore ses paupières. La torture quotidienne avait suffisamment duré. Au milieu des toilettes, baignant dans une mare de sang sur le carrelage décrépit, entouré d’adolescents se jetant d’une hargne sauvage sur son visage méconnaissable, Damien cessa de lutter et quitta alors le monde conscient.

II

Assise sur un siège blanc, au fond de ce long couloir d’hôpital à moitié désertique, Véronique semblait plongée dans un cauchemar éveillé. Elle avait été au travail, dans son bureau au sein de l’agence d’assurance où elle exerçait, lorsqu’elle avait reçu le coup de fil. Les mots qu’elle avait entendus marmonnaient encore une chanson angoissante qui se répétait en boucle inlassablement en son esprit. Son fils de 11 ans était en réanimation, et seul un mur blanchâtre et froid les séparait. Elle avait d’abord cru à un accident. A cet âge, cela peut arriver. Une mauvaise chute, probablement. Lorsque la médecin l’avait prise à part et lui avait expliqué que quatre autres élèves de son collège l’avaient roué de coups et avaient continué de le tabasser lorsqu’il avait perdu connaissance, Véronique avait sembler prendre un violent coup de poignard en plein ventre. Son monde s’était effondré tel un château de cartes. La médecin lui avait indiqué l’état grave dans lequel se trouvait sa progéniture, mais avait tenté de la rassurer en lui indiquant que ses fonctions vitales étaient encore en bon état, que son cerveau fonctionnait correctement, et donc que son pronostic vital n’était pas engagé, malgré qu’une de ses nombreuses côtes cassées ait bien faillit perforer un poumon, à une poignée de centimètres près. La mère s’était vautrée sur le siège, sentant ses jambes faillir, et était restée figée, immobile, des heures durant, le regard dans le vide, l’oeil vitreux. Comment cela avait-il pu se produire ? Le matin-même, elle se souvint du sourire que lui avait affiché le jeune Damien. C’était ainsi chaque matin et chaque soir durant. Ce même sourire. Jamais il n’avait dit le moindre mot quant à un éventuel problème à l’école. Son tempérament discret et introverti ne l’avait pas inquiété outre-mesure. Il aimait se retrouver seul dans sa chambre, laisser libre court à son imagination. C’était ainsi qu’il avait toujours fonctionné, après tout… Véronique tenta de rembobiner le film afin de tenter d’y déceler le moindre fragment de signe qui aurait dû l’alerter. En vain. Ce qui lui causa la plus grande stupeur était le fait qu’un évènement pareil puisse avoir lieu à l’école. Son esprit ne parvenait à le concevoir. Eternelle bonne élève, elle avait grandi dans la France des années 80 et 90, un temps où les adolescents regardaient encore les dessins animés les mercredi après-midi, se pavanaient devant des programmes télés innocents, paisibles, allant de « l’Ile Aux Enfants » en passant par « La Petite Maison dans la Prairie » puis « Les PowerRangers » au plus violent qu’était « Dragon Ball Z ». Elle avait connu une école qui, bien qu’imparfaite, était le lieu privilégié où le savoir et la camaraderie étaient les fers de lance. Véronique avait adoré sa scolarité. Ses professeurs s’étaient montrés garants de l’apprentissage et symboles d’une institution inspirant le respect auprès de la majeure partie des élèves mais aussi des parents. A l’école, Véronique y avait des ami(e)s, et se construisait dans le cycle des choses. Cette expérience avait fait d’elle une conseillère en assurance épanouie, elle qui était fille d’ouvrier et de femme au foyer. Lorsqu’elle envoyait son fils, le jeune Damien, faire sa rentrée des classes, elle l’y emmenait le coeur chantant, pensant lui offrir ce cadeau dont elle avait pu elle-même bénéficier, comme lui léguant le relais d’une vie réussie. Véronique n’avait pas vu que le temps, justement, avait changé de visage. Elle n’avait pas perçu les signes. N’avait pas entendu les plaintes de ces professeurs dépassés à qui l’on demandait toujours plus avec moins de moyens. N’avait pas saisi le changement effarant de rapport de l’enfant face à l’autorité, inversant les valeurs jusqu’à son paroxysme. Elle n’avait pas conscience du niveau de violence banalisée à laquelle les enfants et adolescents étaient confrontés au quotidien, en chaque écran vers lequel leurs yeux se tournaient. Elle n’avait pas compris qu’une partie de la France n’était plus qu’un constat d’échec, et que son déclin se voyait symbolisé par son éducation tel le porte-drapeau d’une chute inéluctable. Elle en prenait désormais conscience, giflée d’une main cloutée, en sachant son fils défiguré et inconscient dans la chambre juste derrière elle. Son monde s’écroulait, ses croyances s’évaporaient, et elle comprit en cet instant que plus rien, désormais, ne serait jamais plus comme avant.

Les jours passèrent et Damien resta plongé dans l’océan comateux, maintenu au monde vivant par sa respiration elle-même aidée par une intubation constante. Véronique venait chaque matin, incapable de travailler, afin de le regarder dormir, de longues minutes durant, comme au bon vieux temps de l’insouciance. Le visage du jeune collégien était partiellement bandé, l’oeil droit tuméfié, le nez gonflé et cabossé, la dentition clairsemée. Ses cheveux se voyaient rasés en des zones éparses, affichant de larges cicatrices rougeâtres le long du crâne. Un plâtre enroulait son torse, et un autre bandage dessinait son genou gauche. Véronique le contemplait inlassablement, lui caressait la main droite comme pour lui implorer de revenir à la vie, mais se voyait douter quant à la volonté de son enfant de continuer les jours…

« Je suis désolée, mon bébé… tellement désolée… » pleura-t-elle au troisième jour, la main dans ses longs cheveux châtain frisés et volumineux. « Je ne savais pas… » continua-telle, la voix fragile, ses yeux bleus scintillant de larmes. Le jeune n’afficha pas la moindre réaction, un quelconque mouvement.

« Je te promets que ça ne va pas en rester là. Je vais te changer d’école et ça va aller, d’accord ? » se prit-elle à espérer, lui serrant fort la main molle et endormie.

« Reviens-moi vite, mon bébé… s’il te plait… » sanglota-t-elle, les larmes coulant à flot, seule, au milieu de cette chambre d’hôpital où chantaient les électrocardiogrammes et les machines respiratoires dans une chorale insoutenable. Véronique sécha ses larmes, embrassa son fils sur le haut du crâne, l’observa une dernière fois, puis quitta la pièce avec la ferme intention de faire régner justice. Ce qu’avait subi son fils ne devait aucunement rester impuni.

Après une plainte déposée au commissariat de police, elle écrivit une lettre auprès du directeur du collège. Une lettre courtoise dans la forme, respirant toutefois la douleur et la colère d’une mère meurtrie dans sa chair en chaque ligne rédigée. Elle l’envoya avec la conviction que ses mots allaient impacter l’esprit de cet homme qui devait certainement être un professionnel concerné et impliqué, malgré l’incident, et qui usera de ses compétences pour rétablir l’ordre et le bon sens. Les jours passèrent. Aucune réponse. Une semaine. Deux semaines. Rien. Le silence absolu. Déterminée, Véronique se tourna alors vers le rectorat régional, et rédigea une nouvelle lettre dans laquelle elle y exprima la puissance de son chagrin, la douleur de sa peine, et la noirceur de sa colère. Elle y implora une réponse significative. Les jours passèrent. Une semaine. Deux semaines. Trois semaines. La boite à lettres resta vide d’indifférence. Désemparée, sans solution, elle se tourna maintenant vers le ministère de l’éducation. La lettre fut envoyée. Les jours passèrent. Les semaines. Rien. Le néant.

Damien, après tout ce temps, finit par revenir à la vie. Véronique courut à l’hôpital à l’annonce de la nouvelle, d’un enthousiasme saisissant. Elle vit son oeil droit se poser sur elle, un oeil maussade et fatigué, mais bien vivant, pleinement présent. Elle s’effondra alors sur le bord du lit et le prit dans les bras de la chaleur d’une mère qui n’eut besoin que de cela pour continuer à affronter les jours. Charles, son mari, fit ensuite son apparition, de la même énergie, du même bonheur, pleurant à chaudes larmes pour la première fois depuis l’évènement, soulagé de pouvoir enfin lâcher le poids de cette douleur atroce qui lui avait causé de terribles insomnies des semaines durant. Tous deux enroulèrent leur bambin sans ne plus pouvoir le lâcher. Ce fils, cet enfant, cet être autour duquel leur vie entière tournait depuis onze années déjà. Le percevant épuisé et lasse, ils durent écourter leur joie afin de laisser le jeune Damien se reposer et laisser jaillir de nouveau la flamme en chaque élément de son corps et de son esprit. Les parents quittèrent la pièce sur un nuage, lâchant un sanglot de libération, face à la certitude, désormais, que leur fils, leur plus grande fierté, allait continuer à vivre, à bouger, respirer et rire, qu’il allait bientôt poser de nouveau les pieds dans cette maison de campagne qui l’avait vu grandir, et prendre Droopy dans ses bras comme au premier jour…

Damien fit des progrès remarquables. Les médecins se montrèrent particulièrement encourageants. Son retour familial n’était qu’une question de temps. L’inquiétude, cependant, grimpait dans l’esprit tourmenté de Véronique. Il était hors de question qu’il retourne dans ce collège qui n’avait montré aucun remord, aucune excuse, ni le moindre soutien à son égard. Aucune annonce quant à une sanction éventuelle infligée aux bourreaux de son fils. Aucun mot, aucune pensée. Le rectorat s’était finalement décidé à répondre, expliquant regretter l’incident mais que la colère ne pouvait être une raison valable pour s’en prendre à l’institution, et se montra même un brin menaçant. Alors que faire ? Changer d’école ? Véronique se renseigna scrupuleusement au sujet des autres collèges du secteur. Tous portaient la même étiquette. « Etablissement difficile », « ZEP », « excellent proviseur, des professeurs impliqués mais problèmes de racket et d’agressions récurrentes dans et autour du collège »… Tout cela semblait acceptable, normal au sein d’une institution ayant pourtant été à la pointe, un modèle pour de nombreux pays voisins et même mondiaux, à une époque révolue. Véronique se tourna alors vers un établissement privé, situé à trente-cinq kilomètres de son domicile, sans bus scolaire, et donc se devant de prendre la responsabilité du transport chaque matin et chaque soir, malgré des horaires rudes et de longues journées éprouvantes. L’école sembla effectivement à hauteur des attentes, mais son prix la fit reculer d’un mètre, quant à l’exigence élevée promue par l’établissement, elle ne correspondait pas aux résultats moyens de son fils. Elève précoce, il avait montré des qualités prodigieuses durant toute son enfance. Mais ces deux dernières années et notamment depuis son entrée au collège, Damien avait vu ses résultats chuter considérablement. Véronique se dit qu’il était probablement là, le signe qu’elle avait tristement manqué… Sans véritable solution, les questions continuèrent de tournoyer en ses pensées des jours entiers. Puis vint le moment tant attendu. Le retour de Damien. Il sortit de la voiture d’un geste lent, maladroit, gêné par les nombreux plâtres et bandages qui lui enroulaient le haut du corps, sans compter une attelle au genou gauche qui le faisait boiter péniblement, heureusement maintenu par deux béquilles, une à chaque main. Son visage était libéré de tous ses bandages, et s’offrait alors au soleil qui illuminait ses blessures. Le nez fracturé, les lèvres coupées, les dents fraichement remodelées et remplacées, une profonde cicatrice le long de la joue gauche, s’étalant jusqu’au milieu du crâne, l’oeil droit encore partiellement tuméfié, la chevelure ingrate, les cicatrices rosées peuplant l’ensemble de son crâne brillant à la lumière du jour. Son père, affichant un sourire contrasté, lui ouvrit la porte du véhicule et lui facilita le chemin. Ils traversèrent tous deux l’allée menant à la porte d’entrée, puis Charles, les mains tremblantes, lui ouvrit, et le laissa retrouver sa demeure. Droopy vint le premier. Aboyant avec fougue, gigotant sur lui-même, sautillant d’une joie enfantine, se collant à son Ami de toujours, après des mois passés à souffrir le vide, l’absence et le manque de celui qui colorait son existence depuis quatre ans maintenant. Damien était sa famille. Il était toute sa vie. Tous deux s’enlacèrent avec énergie, l’enfant riant de joie, les yeux embués, face à cet être sans parole dont les gestes écrivaient des livres entiers. Véronique se tenait droite, seule, au milieu du salon, se redressant en une fraction de seconde du canapé cuivré se trouvant au milieu de la pièce, et observa la scène en silence, les larmes dansant sur ses joues, le coeur fredonnant un air amoureux. Elle n’avait rêvé que de cet instant. Elle en oubliait les blessures, les cicatrices et les plâtres qui décoraient lamentablement son fils. Damien, le sens de son existence, était de retour. Voilà tout ce qui comptait. Le monde pouvait s’embraser des flammes de l’enfer que son âme continuerait de chanter. Elle remercia la vie de lui avoir laissé encore une chance. Une chance de rattraper les non-dits, d’entendre les cris sourds, et de percevoir les nuages brumeux dans les yeux de son enfant. Une chance de mener le combat et de réécrire l’histoire. Oui, Véronique remercia la vie. Au moins une valeur, une institution à laquelle elle pouvait encore croire…

Véronique reprit le travail. C’est de retour au bureau qu’elle exprima son désarroi, face à une solution qui ne se présentait pas. Sa collègue et amie, Joselyne, écouta le plaidoyer, et hésita un instant, avant de finalement se lancer… « Est-ce que tu as déjà entendu parler de Cantus Silvae ? » lui chuchota-t-elle discrètement, entre deux regards portés vers les alentours. Véronique lui répondit de son silence. « C’est un Etat indépendant, qui se trouve à quoi… deux heures et demie de route d’ici, et qui est très particulier. » continua Joselyne, le ton convaincu, sous l’attention entière de Véronique.

« Un Etat ? Comment ça ? » s’étonna la mère de Damien, pensant à de l’esbrouffe.

« Je ne peux pas t’en dire trop, parce que leur but est de rester un peu secret… » se gêna alors la collègue, la mine empathique. « Essaie de m’en dire ne serait-ce qu’un petit peu, ça serait déjà ça ! » rétorqua alors Véronique, visiblement intriguée.

« C’est un endroit assez surprenant, ils ont un fonctionnement à part, une autre vision du monde, de la société, et, surtout… » expliqua-t-elle, se frottant nerveusement les mains, « Ils ont un centre pour les jeunes comme ton fils. » asséna-t-elle brièvement.

« Quel genre de centre ? Ne me dis pas que tu parles d’un hôpital psychiatrique ou d’un centre de rééducation, rassure-moi ?! » s’agaça alors la mère du collégien.

« Non, non ! Bien sûr que non ! Parle moins fort, s’il te plait, Véro ! Je ne suis pas censée t’en parler… » s’inquiéta alors son interlocutrice. Un silence se posa.

« C’est un centre qui s’occupe des jeunes victimes de violences et d’abus. » finit-elle par