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Se sachant condamné, le navigateur Franck Semedo décide de sortir la Grand-Voile pour une ambitieuse traversée du Pacifique et atteindre les Etats-Unis, retrouver le plus grand cadeau que la vie ait pu lui offrir, afin de rompre le silence et la douleur des regrets. Accompagné de la jeune Léa, une navigatrice en herbe au coeur généreux cherchant à se révéler, les deux acolytes embarquent pour une aventure sensationnelle, poignante et riche d'enseignements. Parviendront-ils à remplir la mission de leur existence ? Rescapée d'un terrible drame à l'âge de 11 ans, Justine affronte ses démons au quotidien, dévorée par sa psychose lui faisant peu à peu perdre pieds et s'enfoncer dans les abîmes du désespoir. La psychiatre Elise Polinski va alors prendre les choses en main et lui proposer un traitement révolutionnaire mais périlleux, poussant Justine à affronter ses peurs les plus saisissantes. Un combat sans retour possible. A l'approche de la trentaine, Nicolas se sent stagner dans l'existence et rongé par ses échecs. Lorsqu'il entend une publicité parler d'une machine permettant de vivre ses rêves en totale immersion, plus vraie que nature, il se jette sur l'occasion, s'offrant une nouvelle chance, un nouveau recommencement, une page blanche sur laquelle réécrire son histoire. Une expérience rocambolesque l'attend alors, un véritable périple qui le changera à tout jamais. Prenez place pour le voyage d'une vie, départ Méandre des Tourments, destination Place des Etoiles. Oserez-vous franchir le pas ?
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Seitenzahl: 223
Veröffentlichungsjahr: 2023
LE DERNIER VOYAGE
COMBATTRE LA BÊTE
UNE NOUVELLE CHANCE
L’aventure était son élément. Il ne vivait que pour cela. Au bord de son voilier, Franck devenait un autre homme. Comme parfaitement aligné avec les astres, qu’il percevait au milieu de ces tableaux vivants qui composaient son environnement. En mer, embarquant sur le port de la liberté, en quête d’horizons nouveaux encore jamais explorés, le navigateur se sentait propulsé dans une vitalité édifiante, consumé par une passion dévorante qui n’avait jamais cessé d’être. L’océan était son monde, le voilier sa maison. Jamais en cinquante-quatre ans, cette évidence n’avait pu être remise en question. De sa plus tendre enfance passée à parcourir le monde entouré de son père, grand navigateur lui-même, de sa mère, et de sa petite sœur, jusqu’à ses plus grandes conquêtes, ses plus brillantes victoires au Vendée Globe, et ses expériences inoubliables d’explorateur insatiable, risquant sa vie, parfois, surmontant des tempêtes terrifiantes, des pluies diluviennes, des rencontres dangereuses et des circonstances désastreuses ; Rien n'aurait pu atténuer son amour pour l’eau. Ayant toujours vécu intensément, le temps lui avait filé entre les doigts, un demi-siècle avait roulé comme un train fou, le regardant passer, ahuri, comme voulant l’attraper fermement et le maintenir ne serait-ce qu’un instant de plus à quai. Cette prise de conscience du temps qui passe et qui ne revient plus l’affectait désormais d’autant plus qu’il savait que son temps était compté. Fraîchement diagnostiqué d’une tumeur au cerveau à un stade relativement avancé, située dans une zone inopérable, toute sa perception de l’existence s’était vue chamboulée inexorablement vers une boule d’incertitude angoissante. Six mois. C’était le temps que lui pronostiquaient les médecins. Encore six mois avant que le voyage touche à sa fin, laissant derrière lui une multitude de souvenirs qu’il aurait voulu voir graver dans la pierre pour que jamais ils ne disparaissent. Deux choix s’étaient offerts à lui : rester dans sa maison, son village de Normandie, dans la Manche, se reposer et attendre la fatalité, ou bien tenter de réaliser son dernier défi, et pas des moindres… Oui, car, au dernier chapitre de son existence ô combien mouvementée, Franck ne comptait qu’un regret. Louise. Sa fille, alors âgée de 27 ans, vivait à New York avec son compagnon depuis trois ans, travaillant dans un cabinet d’avocats, et avait rompu tout contact avec son paternel. Deux années s’étaient écoulées sans entendre le son de sa voix, recevoir le moindre de ses messages, apercevoir une furtive étincelle dans ses yeux. Des erreurs successives, dont il n’avait même pas eu conscience à l’époque, avaient créé de fortes tensions qui s’étaient vu éclater avec fracas un soir de réveillon de Noël. Des reproches fusèrent de part et d’autre, le ton monta brusquement, les mots dépassèrent les pensées, et la porte claqua bruyamment, laissant depuis l’amertume d’un long silence pesant. Il était temps de recoller les morceaux. Il était temps de se retrouver, de se dire les bons mots, les mots qui comptent, qui sortent tout droit du cœur, nagent dans les larmes de la repentance et volent jusqu’au cœur de l’autre. Il était temps de se pardonner. Le temps, justement, lui manquait, il se devait d’en faire bon usage. C’est alors que, contre toute attente, face au désarroi exprimé par tout son entourage, Franck décida de rouvrir la Grand-Voile et partir direction l’Amérique afin de retrouver la prunelle de ses yeux. Ce serait là son plus beau voyage, sa plus grande quête, et sa meilleure façon de dire un dernier A Dieu à cette vie qu’il avait tant aimé…
« Franck ! Viens voir ! » s’exclama une jeune femme gracile, au bout du mât-avant de ce voilier conçu pour les plus grandes courses, les plus grandes traversées. Elle se retourna à plusieurs reprises avec un enthousiasme enfantin, gigotant sur place, le sourire éclatant. « Franck ! » répéta-t-elle plus fort. « Ça va, ça va ! J’arrive ! » répondit-il alors, sortant de la cabine et grimpant lentement sur la coque. Il releva les yeux et comprit aussitôt. Il s’approcha doucement de la jeune femme, le regard comme obnubilé par le sublime qui s’exprimait tout autour de lui. « Regarde ! C’est beau, non ? » commenta-telle, les yeux pétillants. Franck resta bouche-bée un long instant. Devant eux s’offrait un coucher de soleil rayonnant, au milieu d’un ciel couleur pourpre, dans un dégradé de violet jonché de nuages tendant subtilement vers le bleu, reflétant une lumière douce, comme emplie de bonté et de sagesse, sur une mer sereine aux petites vaguelettes lancinantes. Un vent doux caressait chaleureusement les visages des deux marins, dont l’iode nourrissait les poumons de ce que l’on pouvait trouver de plus pur. Tous deux observaient ce paysage somptueux, dans une poésie où le silence écrivait les rimes, et savouraient cet instant avec le plus grand délice. « Je crois que je ne m’y habituerai jamais. » dit finalement Franck, pendant que Léa, de son prénom, affichait un sourire dépassant presque son visage, les longs cheveux châtains battant le vent. « On fait un selfie ? » demanda-t-elle alors, se retournant avec hâte. Franck n’eut même pas le temps de répondre qu’elle sortit son smartphone de sa poche, et enchaina les poses avec une énergie débordante. Franck se prit au jeu et grimaça bêtement à chaque photo, tous deux riants de bon cœur, pris par cette joie indescriptible que leur provoquait la vue. Franck avait voulu faire ce périple seul, au tout début. Mais cette jeune femme, haut de son mètre cinquante-huit, avait insisté, insisté, tellement insisté, usant de tous les arguments possibles, armée de son large sourire semblant vissé aux lèvres, de son tempérament intempestif et d’une passion pour l’océan qui semblait lui coller à la peau jusqu’à en sortir de ses pores, que Franck avait fini par lâcher la corde et abdiquer. Elle n’avait pas manqué de culot, à venir l’alpaguer sans retenue, sur le port, pendant qu’il entretenait son bateau, mais, au fond, c’était ce qui avait plu au navigateur. Il aimait les gens ayant du cran, ne se posant pas de questions inutiles, les fonceurs, ceux qui n’avaient peur de rien. Il vit toutes ces qualités en elle au jour où il l’observa monter sur son voilier pour la première fois. Touché tant par sa fraicheur que par ses facultés d’apprentissage et sa force remarquable déployée dans les tâches les plus rudes, il comprit qu’il eut pris la bonne décision. Après tout… Quitte à ce que ce voyage soit l’achèvement de sa resplendissante carrière, autant qu’il soit joyeux et animé. Sur ce point, il ne fut aucunement déçu. La demoiselle se trouvait être une véritable pile électrique. D’une énergie déconcertante. Le contraste pouvait se faire ressentir, au côté de cet homme quinquagénaire un tant soit peu affaibli et rongé par la tristesse des amers regrets. Au fond, tout ou presque les opposait, mais quelque chose d’encore indéfinissable les unissait d’un lien indéfectible.
« Pour le moment, les conditions sont au top. La météo s’annonce optimale pour les jours qui viennent, pas de gros temps à l’horizon.» décrivit Léa, tablette à la main, pendant que Franck balançait son regard entre une immense carte représentant l’océan Atlantique, et son équipière qu’il écoutait avec une grande attention. « Tant mieux ! Toutefois, il faudra faire attention à ne pas se retrouver dans cette zone, » répondit-il, pointant du bout du stylo un cercle au milieu de cet océan dont il connaissait les pièges comme s’il les avait créés lui-même. « Pourquoi ? » demanda la jeune femme, « J’y suis déjà passé… Mieux vaut éviter. » se contenta-t-il de répondre, marquant un silence éloquent. La jeune femme acquiesça d’un haussement d’épaules, puis continua. « Normalement, si tout se passe comme prévu, dans un peu moins de vingt jours, tu seras avec ta fille ! » conclut-elle, au sourire bienveillant. Franck esquissa un léger sourire, les yeux dans le vague. « Eh bien quoi ? Cela ne te réjouis pas ? » s’étonna Léa. « Si, si, bien sûr ! Mais… » réagit prestement le navigateur. « Mais quoi ? » continua la jeune femme, avant de lire dans les yeux de son hôte. Baissant son sourire, elle lui prit chaleureusement la main droite, et dit : « N’ai aucune crainte, Franck ! Deux ans sont passés… » ; « justement, c’est peut-être trop tard… Peut-être que je… » douta-t-il, la mine tombante, « Peut-être que rien du tout ! » le coupa brusquement Léa, d’un ton dynamique et assuré. « Lorsque tu la retrouveras, tu auras traversé plus de mille kilomètres à la voile pour lui demander pardon. Quel enfant ne s’en verrait pas touché ? » asséna-t-elle avec conviction. « Pourquoi vous êtes-vous brouillés, d’ailleurs ? » interrogea-t-elle dans la foulée. « Oh, c’est une longue histoire… » répondit Franck en se levant de sa chaise pour rejoindre la petite kitchenette de cette cabine étroite sentant le bois.
« J’ai tout mon temps. » rétorqua alors Léa, les bras croisés, l’air déterminé. Franck sourit alors, reconnaissant le tempérament combatif de sa jeune équipière. Il se servit un grand verre d’eau, but plusieurs gorgées, puis se lança.
« J’ai passé ma vie dans un navire. Le plus souvent en solitaire. Lorsque Louise a commencé à grandir et se trouver en âge de comprendre, j’ai commencé à l’emmener avec moi. C’était magique… Fallait voir son visage, lorsqu’elle apercevait la mer, le ciel, et toutes ces couleurs qui s’exprimaient autour de nous, » raconta-t-il, le sourire nostalgique. « On a fait le tour du monde, ensemble. On était vraiment heureux… » expliqua-t-il, marquant une pause pesante, « Sa mère a commencé à montrer des désaccords, quant à l’éducation que nous voulions lui apporter. L’idée de lui faire la classe sur le bateau et de l’embarquer dans mes explorations ne la goutait que trop peu. On n’était plus en phase, elle et moi, on ne se comprenait plus. Les années ont passé et nous ont fait devenir de parfaits étrangers. Je ne reconnaissais plus la femme que j’avais épousé… » se livra-t-il, se rasseyant lentement devant la grande carte posée sur la petite table à manger faite de bois fin. Léa l’écoutait, l’air grave. « On a continué à vivre, ou du moins en avoir l’air, dans ce mensonge étouffant, jusqu’au jour où la limite avait été franchie. » continua-t-il, le regard quelque peu assombri. « Je te la fais courte… En gros, il y a eu tromperie, » lâcha-t-il furtivement comme pour se débarrasser d’un poids de ses épaules, « c’en était trop, alors, on a décidé d’arrêter cette mascarade et de divorcer. » Léa hocha la tête sans broncher. « On a obtenu une garde alternée de Louise, mais sa mère s’est installée avec son amant, et a profité de mon mode de vie pour survoler quelque peu ses devoirs à mon égard… Elle l’a utilisée pour me nuire, pour me causer du tort. Elle lui a monté la tête, des mois, des années durant, et j’en ai perçu les effets de manière foudroyante. Du jour au lendemain, elle avait cessé de m’appeler « papa ». » dit-il, l’émotion montant dans sa gorge. « Une distance s’était créée entre elle et moi, il était fini, le temps où je lui chantais des chansons en la portant sur mes jambes, ou lorsque l’on s’amusait à parler aux mouettes qui pouvaient nager aux abords du bateau… » continua-t-il, l’œil triste. Un silence se posa. « Je me suis réfugié dans mes voyages. Cette solitude était autant un tombeau qu’une bénédiction. Je pouvais fuir tout ce qui me déchirait le cœur. Sur la terre ferme… J’étais un chien errant. Je n’avais plus rien auquel me raccrocher, auquel croire, auquel m’identifier. Je n’avais plus rien… » se confia-t-il à fleur de peau. « Malgré tout, j’ai toujours tenté de garder le contact avec Louise, je l’ai invité je ne sais combien de fois à venir avec moi, à partir ensemble, comme au bon vieux temps… Je me suis toujours débrouillé pour être présent à ses anniversaires et à Noël, j’ai toujours essayé de faire de mon mieux… Ma hantise était de la perdre définitivement. » Léa le fixa avec attention. « Il y a deux ans, lors du Réveillon de Noël, j’ai appris finalement que je n’étais qu’un crétin, un égoïste, incapable de prendre mes responsabilités, que je n’avais jamais été là, que je n’avais jamais fait le moindre effort, et pire encore, que je les avais lâchement abandonnés, sa mère et elle… » continua-t-il, l’air foncièrement dépité. « Je n’ai pas supporté, et… » s’arrêta-t-il subitement. Un silence s’installa un long instant. Léa baissa les yeux, sans prononcer un mot. Franck sembla contenir une douleur poignante emmitouflée dans son antre. Incapable de continuer le récit. Son équipière s’approcha délicatement et lui tapota légèrement l’épaule, compatissante, le sourire ému. « Ça va aller, Franck. Tu vas bientôt la retrouver, ta Louise adorée ! Parle-lui avec ton cœur. Moi, si mon papa avait fait toute cette aventure pour me voir, je lui aurais sauté dans les bras ! » dit la jeune femme, le sourire lumineux et les yeux embués, pendant que Franck se contenait avec force pour ne point craquer. « Parle-lui de vos souvenirs, parle-lui d’elle étant enfant. Tu verras, dans ses yeux, des étoiles vont aussitôt apparaitre ! » continua-t-elle, de son ton enjoué comme de coutume. Franck sourit alors, sans répondre, d’un sourire un brin apaisé, puis lui caressa doucement la main en signe de douce reconnaissance. « Aller, on y croit, Franck ! A nous l’Amérique ! » s’enthousiasma-t-elle alors, lui secouant les épaules avec fougue. Le navigateur hocha alors la tête, et d’une voix tremblante répéta : « A nous l’Amérique ! » levant le poing en l’air, les yeux emplis de larmes qui, elles, ne navigueront pas. « Aller, histoire de se changer un peu les idées… » dit ensuite la jeune femme, se dirigeant vers la petite radio au design vintage, comme sortant tout droit des années quatre-vingt-dix, y insérant une cassette, pressant le bouton « play » avant de se tourner brusquement vers son équipier, le sourire jusqu’aux oreilles, lorsqu’une musique retentit. « Tu la connais, n’est-ce pas ? » demanda Léa, sachant d’avance la réponse, « Si je la connais ? Tu te moques de moi ? » rétorqua aussitôt Franck, se levant de sa chaise avec hâte, acceptant l’invitation d’une danse du réconfort.
« Enjoy The Silence, de Depeche Mode ! C’est toute ma jeunesse ! Un classique ! » s’enthousiasma le navigateur, commençant à gigoter en rythme avec maladresse, sous le rire jovial de la jeune femme. Cette dernière se déhancha avec simplicité, dévoilant, au passage, l’attrait inattendu de ses courbes qu’elle peinait, d’ordinaire, à mettre en valeur, et ne quitta son sourire même ne serait-ce qu’un bref instant. La mélodie cultissime, envoûtante, battait son plein, voyant Léa tournoyer ses cheveux telle une hippie en transe, trémoussant son corps à la pulsation des percussions, sous le regard amusé de Franck qui semblait retrouver une seconde jeunesse fortuite. Le navigateur enchaina les mouvements avec exagération, joignant les mains à hauteur du visage et faisant valser légèrement les bras tout en les descendant jusqu’au nombril, fixant sa partenaire d’un regard audacieux, une sorte de Patrick Swayze, le talent et le charme en moins. La jeune femme se montra copieusement hilare, avant de lui faire signe que le refrain arrivait. « All I ever wanted / All I ever needed is here in my arms ! » hurlèrent alors les deux acolytes, mimant le microphone à pleine main et singeant des expressions burlesques plus vrais que nature. Franck prit alors Léa par les mains et la fit basculer lentement vers l’arrière, lui maintenant le dos de sa main droite, et la paume de sa main du côté opposé, tout en beuglant la suite des paroles du refrain, devenant désormais un crooner des années cinquante totalement assumé. Tous deux se fixèrent, riant allègrement, puis s’arrêtèrent subitement. La musique continua son chemin, mais quelque chose sembla les troubler. Ils s’approchèrent l’un de l’autre, séparés d’une quinzaine de centimètres tout au plus, et continuèrent de se regarder dans le blanc des yeux. Franck sentit son cœur battre la chamade, une tension fut particulièrement palpable. Leurs yeux pétillaient de mille étoiles, leurs âmes semblaient s’ouvrir à la lumière dévoilée par l’instant présent. Ils s’approchèrent encore. « Hum ! Je… Je crois qu’il est temps d’aller se coucher, hein ? Pas vrai ? » s’empressa soudainement Franck avec gêne, se retournant fougueusement et se dirigeant plusieurs mètres plus loin, sous le regard désemparé de Léa, qui ne bougea pas le petit doigt. « Merci pour... Pour cette soirée. Je…hum... Bonne nuit ! » conclut le navigateur, tentant péniblement de retrouver ses esprits. Il entra dans sa minuscule chambre, referma la porte dans la foulée, et laissa la jeune femme seule, immobile pendant que la chanson déroulait son second couplet. « De rien. Bonne nuit. » répondit-elle alors, sans émotion, figée au milieu de la cabine, le regard perdu. Elle coupa la musique, et le bruit des vagues, lent et régulier, compensa brièvement l’immense solitude qui envahit son cœur désenchanté. Elle sortit alors de la cabine, grimpant la petite échelle qui menait à la coque du bateau, avança timidement vers l’arrière-mât, vérifiant la bonne tenue de la barre qui dirigeait le bateau mécaniquement, et jeta les yeux dans ce panorama stupéfiant. Une pleine lune éclairait ce ciel obscur et faisait briller l’océan d’un éclat doré, jouant de contrastes édifiants entre ombres et lumières, dans l’immensité de ces milliards de litres d’eau où un monde dans le monde s’épanouissait à livrer ses merveilles. Jonglant entre ses émotions refoulées qu’elle ne maitrisait qu’en surface, et touchée par la grâce que cet environnement majestueux semblait posséder, elle laissa une larme couler lentement sur sa joue pouponne. Un fort sentiment de culpabilité l’envahit alors. Se sentant agir comme une idiote, voulant guérir la blessure ancrée dans sa chair qui lui brutalisait l’existence depuis des années, en répondant à ses plus puériles pulsions et en cherchant par tout moyen à étouffer cette peur de l’abandon qui vivait en elle du plus profond de son être. Léa pensa à son père. Cet homme mystérieux, qu’elle n’avait que trop peu connu, parti du foyer familial lorsqu’elle n’avait que neuf ans, dont elle avait attendu le retour patiemment, nuit après nuit, année après année, espérant un miracle qui ne s’était jamais produit. Des années durant, elle tenta de trouver des réponses, de comprendre l’incompréhensible, de mettre des mots sur l’indicible, de panser des blessures irréversibles sur ce cœur juvénile. Atteinte très jeune par le virus de la navigation par ce même-père, elle grandit en n’ayant qu’un seul rêve : traverser l’Atlantique et parcourir cette planète emplie de promesses, de joyaux et de grandiloquences, pour qu’à défaut de voir réapparaitre son paternel dont le spectre se montrait omniprésent en son esprit, qu’elle puisse vivre une aventure hors du commun et fuir l’angoisse de cette solitude de la terre ferme, bien plus prenante, bien plus saignante et plus destructrice… Ayant suivie et admirée le parcours de Franck Semeno, ce grand navigateur devenue figure incontournable sur toute la côte normande, elle entendit au désir d’un père de reconquérir le cœur de sa fille par les grands moyens, une chanson familière. Un miracle resté en un rêve brumeux d’une jeunesse malmenée, sans modèle, sans pilier, sans père, et qui, désormais, avait une chance de voir le jour. Elle se devait d’y participer, de poser ses pieds sur ce bateau légendaire, et se donner une chance de devenir la femme qu’elle avait toujours voulu être, ainsi que de rompre le fardeau de cette jeune fille qui pensait pendant longtemps être condamnée à évoluer loin des étoiles. C’est seule à la bordure de la coque qu’elle se laissa bercer par le flux de ses émotions, quelques larmes séchées furtivement d’un coup de la main, devant cet océan lunaire qui semblait observer sa peine avec sagesse. Elle contempla les reflets de la lune sur ces vaguelettes avenantes et d’une parfaite sérénité, sous ce vent marin exaltant, emportant avec lui les blessures pour ne laisser que les rêves et cette insouciance jouissive qu’est la liberté. Demain serait un autre jour. Il était l’heure de fermer les yeux et laisser vagabonder son esprit dans les tendres bras de Morphée.
« Papa ! » résonnait furtivement d’une voix de fillette aux oreilles de Franck, le propulsant tout à coup du labyrinthe de l’inconscient au cynisme du réel. Il ouvrit un œil, la vision trouble, et perçut une silhouette, debout devant lui. « Papa ! » répéta la voix, fluette et innocente, causant un sursaut du navigateur, assis au bord de son lit. Il fixa la silhouette qui s’éclaircit peu à peu, et eut le souffle coupé en un éclair. Les yeux exorbités, figé sur le matelas, il resta comme hypnotisé.
« Louise ?! » lâcha-t-il alors, estomaqué. La fillette, blonde portant deux couettes rouges, sourit lumineusement, dévoilant un regard empli d’amour. « Tu viens, papa ? On va regarder les étoiles ? » demanda-t-elle alors, la voix résonnant en réverbération. Franck ne la quitta pas des yeux, sentit le ventre se nouer, sa tension grimper, son esprit perdre le contrôle. « Mais… Ce n’est… Ce n’est pas possible ! » balbutia-t-il, le souffle court. La fillette tangua la tête lentement vers sa gauche, la moue boudeuse. « Pourquoi ça ? » répondit-elle fébrilement. « Tu n’es… Tu n’es pas réelle… ça ne peut pas… » peina-t-il à trouver les mots, envahit tant par le chagrin que le doute. La fillette afficha alors un visage triste, les yeux humides. Un silence se posa un court instant. « Pourquoi tu ne m’aimes pas ? » pleura alors la fillette, la voix tremblante. « Mais enfin ! Bien sûr que si, je t’aime ! Louise, voyons ! » se précipita le navigateur, balançant la couette à même le sol et se projetant hors du lit afin de l’approcher, lui prendre tendrement ses mains frêles, les emplissant d’une chaleur protectrice rassurant les âmes grises. « Je t’aime, ma puce ! Je t’ai toujours aimé ! Je suis là ! Papa est là, ma chérie ! » enchaîna-t-il avec une douceur fragile, séchant de son index une larme naviguant sur la joue cossue de la petite fille sanglotant douloureusement de toute sa détresse et de son innocence enfantine.
Il la prit alors dans ses bras chaleureux, et la porta jusque sa hauteur. Il entrevit un sourire esquissé entre deux larmes, et perçut ses yeux briller soudainement. « Allons regarder les étoiles. » dit-il d’une voix apaisante, sourire aux lèvres, le cœur léger, pendant qu’il sortit de la chambre et se dirigea vers l’échelle menant à l’air libre, la fillette accrochée à son cou. Grimpant à l’extérieur du voilier, le vent frais enrôla aussitôt les corps, pendant que la nuit dominait l’océan. Franck inspira profondément, et observa la vue de fond en comble, avant de lever les yeux au ciel, et se laisser porter. La fillette sembla voler au pays des anges, et s’extasia face à cette œuvre de la nature. « Regarde comme elle brille, celle-là, papa ! » s’enthousiasma-t-elle, désignant du doigt la Grande Ourse. Franck acquiesça, le visage rayonnant. La fillette sembla happée par cette étoile, comme communiquant avec à distance. Son père se tourna alors vers elle, fasciné par sa lumière, par son entrain et sa tendresse, et sourit d’un bonheur d’une pureté divine. « Tu crois qu’il y a des gens, là-haut ? Qui tiennent les étoiles et qui nous regardent ? » demanda alors la fillette, en prise à des questions existentielles. Franck la regarda, d’abord surpris, puis observa cette fameuse étoile qui semblait l’obnubiler. « Peut-être, ma puce. Les anges s’y posent peut-être afin de nous éclairer de leur bonté, pour nous montrer le chemin à suivre, et nous dire que nous ne sommes pas seuls… » répondit son père, d’un ton lyrique, sous l’attention absolue de la fillette dans ses bras. Elle fixa de nouveau l’étoile, les yeux ronds, rêveurs. « Plus tard, lorsque je partirai rejoindre les anges, je tiendrai mon étoile, à mon tour, et je t’illuminerai. Chaque nuit, tu me verras te saluer de là-haut, et te suivre de ma lumière, parce que je serai toujours là pour toi, ma puce. Toujours. Lorsque mon corps te quittera, mon étoile brillera de tout l’amour que je te porte. Et tant que tu vivras, je te suivrai. » ajouta-t-il, d’une voix douce, sous le son des mouvements berçants de l’océan. La petite fille sourit aux éclats,et enroula ses deux bras autour de son père, collant délicatement son front contre le sien, admirant les reflets de lune sur cet océan enivrant. Tous deux apprécièrent cette symphonie en silence, et savourèrent chaque seconde de ce que la vie pouvait offrir de plus grand. « Franck ! » s’écria soudainement une voix de femme. Le navigateur bascula, perdant l’équilibre. « Franck, réveille-toi ! » asséna alors la voix, semblant venir de très loin et de très proche dans le même temps. Il sursauta alors de son lit, et vit Léa, reculant instantanément, frôlant de peu la collision. Franck observa furieusement la pièce, et fut surpris de reconnaitre sa petite chambre, sombrant dans l’obscurité nocturne, dans un coin de la cabine du bateau. Seul. « Ça va, Franck ? » s’inquiéta son équipière. Il gigota nerveusement sur lui-même, comme essoufflé, semblant chercher quelque chose, ou bien quelqu’un. « Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que tu cherches ? » demanda alors Léa, le visage consterné. Franck montra un air perdu, et ses yeux se remplir de larmes, se levant violemment de son lit. « Franck ! Dis-moi ! » insista la jeune femme, le suivant du regard. Il fit le tour de la pièce étroite, haletant ses respirations bruyamment, et chercha, chercha. En vain. « Franck ! Qu’est-ce que tu cherches, bon sang ?! » s’agaça alors Léa. Le navigateur se tourna alors fugacement vers elle, les yeux rouges, une larme glissant sur sa joue et atteignant le haut du menton, les sourcils froncés, se montrant comme désorienté. « Louise ! Je ne la trouve pas ! Elle était là ! » lâcha-t-il entre deux inspirations rapides, la tension haute. Léa l’observa avec désarroi. Elle resta sans réponse. « Franck… » l’appela-t-elle alors timidement, approchant lentement sa main de son épaule. Il continua de tout secouer, tout balancer avec force. « Franck, arrête… » continua-t-elle, s’approchant encore, avec méfiance. Il ne répondit pas. « Franck, ta fille n’est pas dans le bateau... » avoua-t-elle alors, posant délicatement sa main sur son épaule, le stoppant net dans sa fureur. Il se tint droit, comme sonné. Il se tourna alors lentement vers elle, le visage tombant de désillusion. « Je suis désolée… Elle… Elle n’est pas là. Tu… Tu as dû faire un rêve… Je suis vraiment désolée… » enchaina-t-elle, le ton posé, la main chaude et rassurante. Elle l’accompagna d’un geste tendre à rejoindre son lit, et s’y allonger calmement. « Je l’ai vue… Je l’avais dans mes bras… » pleura-t-il, le regard brisé, se posant lentement sur le matelas sous la douceur de son équipière. « Je sais, Franck, je te crois. » répondit-elle d’un ton solennel, le regard profondément empathique. L’homme posa alors son index et son pouce au creux de ses yeux, pleurant silencieusement sa douleur qui écrasait son