Le temps des vérités - Julien Sabidussi - E-Book

Le temps des vérités E-Book

Julien Sabidussi

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Beschreibung

Entrant désormais dans l'âge adulte, Damien, Hassan et Maelys se doivent d'affronter de nouvelles épreuves déroutantes susceptibles de remettre en question leurs aspirations profondes, leurs croyances et le regard qu'ils portent sur eux-mêmes. Entre un rêve semblant inaccessible, un coup de téléphone provoquant un véritable séisme émotionnel et une emprise de plus en plus prononcée sous le poids d'une addiction hors-de-contrôle, sans oublier un amour secret devenant bien trop lourd à cacher ; les trois amis vont devoir mener la plus grande des batailles, en quête de réponses pour que la vérité subsiste. Mais quelle est-elle ?

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Seitenzahl: 318

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Sommaire

INTRODUCTION

CHAPITRE 1

CHAPITRE 2

CHAPITRE 3

CHAPITRE 4

CHAPITRE 5

CHAPITRE 6

CHAPITRE 7

CHAPITRE 8

CHAPITRE 9

CHAPITRE 10

CHAPITRE 11

CHAPITRE 12

CHAPITRE 13

CHAPITRE 14

CHAPITRE 15

CHAPITRE 16

CHAPITRE 17

TROIS MOIS ET DEMI PLUS TARD

CHAPITRE 18

CHAPITRE 19

INTRODUCTION

Ce roman est la suite d’un précédent ouvrage intitulé « Le temps de l’espérance », qui avait pour thématique le combat contre le traumatisme à l’enfance, à travers trois pôles, chacun symbolisé par l’un des trois personnages principaux (Damien, Hassan et Maelys), le tout à travers un environnement imaginaire faisant office d’idéal que j’ai créé pour l’occasion.

Damien symbolisait dans ce livre les violences scolaires ; Hassan les violences familiales ; et Maelys l’inceste. Les trois personnages avaient onze ans et s’étaient rencontrés dans un centre dédié au traitement et au rétablissement face à des traumas durant l’enfance et l’adolescence, intitulé Centre Alves. Cette expérience aura fait office de véritable chamboulement dans l’existence des trois personnages. Renfermé, solitaire et marqué par des années de harcèlement à l’école l’ayant mené à une grave hospitalisation des suites d’une très violente agression ; Damien avait vécu son expérience au sein de ce centre comme l’occasion de se libérer et de s’exprimer à travers l’art.

Battu par son père et témoin récurrent de violences conjugales, Hassan était un enfant énergique et attachant, mais turbulent et colérique, canalisant cette rage et cette souffrance sur les terrains de football, où il s’avérait être un prodige.

Violée et abusée à de nombreuses reprises par son père ainsi que son oncle, ne trouvant aucun soutien auprès de sa mère biologique délaissant ses responsabilités et souffrant de toxicomanie ; Maelys était une jeune fille pleine de vie mais terrorisée par les hommes et en proie aux cauchemars et diverses crises émotionnelles déchirantes. Au Centre Alves, elle avait rencontré Hapsatou, une éducatrice passionnée et d’une grande bienveillance, qui fut si touchée par la jeune fille qu’elle eut fait sa petite protégée.

Dans cette histoire, Cantus Silvae est un Etat secret et indépendant offrant une alternative au système général de la France, que ce soit son économie, son éducation, son action sociale, sa justice, sa sécurité, son rapport à l’art, à la nature ainsi qu’aux animaux (entre autres), une volonté d’idéal née de mes rêves les plus fous que j’ai voulu mettre en scène et proposer aux lecteurs et lectrices. Pour les personnes intéressées par « Le temps de l’espérance » et découvrant la suite avant d’avoir lu le premier roman, je vous suggère d’y remédier afin de mieux vous imprégner de l’environnement, de l’évolution des personnages, et être davantage en compréhension face aux références présentes ci et là. Si ce n’est pas le cas, j’espère que ces explications vous permettront d’y pallier et que vous apprécierez la lecture de ce deuxième volume autant que j’en ai savouré sa rédaction.

Merci pour votre soutien.

Julien Sabidussi

CHAPITRE 1

Au monde des rêves appartiennent les lois faisant naitre d’un songe une réalité lorgnée d’accomplissements et de merveilles inespérées. C’est en cet édifice que fut conçu le Quartier des Artistes. Situé en plein cœur de Somnium, la capitale de l’état indépendant nommé Cantus Silvae, qu’évoluaient de multiples hommes et femmes offrant leur vie à l’amour de l’art, quel qu’en soit leur discipline, à travers une conception de l’existence se voulant la plus libre, la plus intense et la plus vivifiante que leur temps sur Terre puisse leur accorder. En ces lieux, l’art et la création siégeaient au trône, et les artistes avaient pour mission d’offrir aux cantusiens suffisamment de matière afin de les évader de leur vie terre-à-terre, routinière et matérialiste, oublier tracas et compromis, et ainsi voyager à travers les chemins de la sublimation. C’était cette mission qu’embrassait avec passion un certain Damien Leugnat depuis trois ans désormais. Il déambulait, ce jourlà, à travers la Place de l’Homme Libre, où se tenait une haute statue faite de marbre dévoilant un homme au regard déterminé, le menton haut, fixant l’horizon, portant de ses deux mains un livre brandi tel le rempart face aux maux de ce monde. De nombreuses personnes traversaient la Place, où déjà se présentaient à eux comiques, danseuses de ballet, mimes et musiciens, sous les flocons de neige arpentant de son blanc limpide le sol de pavé emplissant l’espace, en ce mois de janvier 2034. Damien s’arrêta un instant, observant ce spectacle qui ne cessait de l’émerveiller.

Au sortir de la Place, le jeune homme de vingt-et-un ans prit le premier virage à la rue Mélanie Santos, grande comédienne et autrice de théâtre, où se tenait, à l’angle menant à une ruelle commerçante, l’imposant Théâtre des Rêves, solide bâtisse resplendissante d’élégance, de finesse et de clarté, dans lequel l’élite de l’art dramatique s’y épanouissait depuis plusieurs décennies. Damien se tint devant la façade où était écrit en de grandes lettres d’un rouge éclatant, la pièce du moment, à savoir « L’Escapade Romantique », écrite par Pierre-Yves Salmon, dont le nom brillait du même rouge, en bas de l’affiche prenant la largeur de tout l’avant du bâtiment. Le jeune homme fixa ces lettres d’un œil peuplé d’étoiles. Aspirant comédien depuis sa sortie du Centre Alves dix ans plus tôt, en intégrant d’abord une école combinant le théâtre et les études traditionnelles à l’établissement Comedia au sud de la ville de Lumius, Damien y eut approfondi sa culture, appris le métier d’acteur sous tous ses angles, toutes ses facettes et ses registres, développé son goût pour l’écriture et la mise en scène, rencontrer des professionnels faisant depuis de nombreuses années les beaux jours des théâtres de tout l’Etat, avant d’obtenir son diplôme avec mention Très Bien à l’âge de dix-huit ans. Comme le système cantusien oblige le milieu artistique à embaucher au moins trente pour cents de leurs effectifs à la sortie des écoles et des concours de jeunes talents, ceci afin de permettre à tous et à toutes de posséder une chance véritable de vivre de leur passion (lorsqu’en France ou ailleurs, le piston est roi, les portes du milieu fermées à quintuple tour, le tout en faisant miroiter aux rêveurs un discours de grande tolérance, d’ouverture et de bienveillance), Damien fut approché par une troupe de théâtre cherchant un second rôle en vue de nombreuses représentations. L’expérience dura environ un an, avant d’être dirigé vers la sortie dû à des divergences artistiques avec l’un des cadres de la troupe, ce dernier n’appréciant guère sa volonté d’écrire à défaut de se contenter de son rôle d’interprète. Au chômage durant plusieurs mois, le jeune comédien fut finalement recruté au sein d’un petit café-théâtre ne tenant qu’une petite vingtaine de places en son antre, dans l’optique d’y jouer des sketchs, en groupe ou seul sur scène, partageant la programmation des soirées avec de nombreux autres jeunes talents, une à deux fois par semaine. Damien y exerçait toujours depuis lors. Le salaire était maigre, les perspectives plutôt brumeuses, mais comme le système cantusien lui offrait une bourse d’Aspirant-Artiste depuis son diplôme, prenant en charge les frais de logement, de nourriture et la moitié des coûts en lien à son activité artistique et ce durant cinq ans, cela lui permettait de garder une certaine sérénité et se consacrer corps et âme en son projet. A l’affut de toutes les auditions qui se présentaient, il ne comptait plus les refus qui lui furent adressés. Il eut toutefois décroché un rôle dans lequel il eut posé sa voix sur le visage d’un personnage de dessin animé pour enfants, programme qui fut stoppé après seulement cinq épisodes. Il eut également intégré la troupe d’une pièce de théâtre écumant les clubs de la capitale, rapidement évincé par le producteur des suites, dans la version officielle, d’une mauvaise prestation, et, dans la version officieuse, d’une mésentente totale entre les deux hommes. Ne lui restait plus que ce minuscule café-théâtre qui, de l’extérieur, ne démontrait rien d’attrayant - les néons luttant incessamment contre leur fin de vie programmée, la devanture sombre et mal entretenue, les poubelles des voisins de l’immeuble décorant l’allée à deux pas de la porte d’entrée -, pour se prétendre encore comédien de métier. Pourtant, la comédie vivait dans chaque globule de son sang. Il arpentait les planches avec une telle joie, un tel amour, une fusion si enivrante, qu’il y vivrait et y dormirait en chaque jour et chaque nuit s’il le pouvait. Il n’était point dénué de talent. Depuis sa prestation dans la pièce « Le Temps de l’Espérance » à la fin de son séjour au Centre Alves (qui lui fut office de véritable révélation), il n’eut cessé d’entendre les compliments nourris provenant de l’ensemble des gens ayant assisté à l’expression de son jeu. A l’école Comedia, son professeur d’improvisation en cinquième année eut même affirmé avec conviction que se tenait devant lui un des futurs grands pour les décennies qui allaient suivre. Hélas, l’école n’est point la vie. Le talent ne suffit guère. Malgré un système permettant à un ancien villageois de classe moyenne à l’expérience scolaire française traumatisante, ayant grandi à mille lieux du monde des artistes, de poser un pied dans le cercle très fermé de ceux ayant transformé une passion en profession, Damien butait face à une muraille semblant beaucoup trop grande pour lui. Ce jour-là, sous cette pluie de flocons colorant de blanc son bonnet grisâtre et son anorak d’un noir profond, le jeune homme fixa le Théâtre des Rêvescomme un croyant devant son prophète. Les yeux humides, il interrogea ce lieu, figure de tous ses désirs, demandant dans le silence au sein duquel séjournait sa souffrance : « Pourquoi ne veux-tu pas de moi ? »

Il entama le chemin retour l’esprit mélancolique, en traversant la rue Inspirations Nocturnes, à l’est du Quartier des Artistes, une rue parsemée de petits immeubles peints de couleurs harmonieuses, tous encerclés de verdure et d’arbustes impeccablement taillés. Damien s’arrêta au troisième bâtiment sur sa droite, haut de quatre étages, coloré d’un bleu ciel évoquant l’océan, le voyage, l’aventure en des contrées aussi éloignées que méconnues. Il franchit la petite allée jonchée de pierres blanches puis pénétra l’entrée de l’immeuble où, dès les premiers pas, l’atmosphère égaya le cœur du jeune comédien. Le long couloir du hall était couvert de tableaux de peinture, dévoilant de somptueux paysages, l’expression d’émotions allant de la gaieté au sentiment amoureux interprétés à travers des jeux de couleurs, de nuances et symboliques subtiles, sans oublier quelques portraits d’animaux. Une magnifique sculpture se tenait à la bordure de la première marche des escaliers. Taillée dans la pierre, peinte d’un blanc étincelant, montrant une femme assise jouant du violon, le regard tendre et le visage épanoui, semblant ne faire qu’un avec son instrument. Cette œuvre ne cessait de captiver l’attention du jeune homme. En grimpant à l’étage, il croisa une voisine, la vingtaine énergique, descendant d’un pas soutenu, portant une guitare électrique sous une housse brune sur le dos, le saluant d’un large sourire, s’apprêtant à livrer une nouvelle prestation en cette douce soirée qui se présentait. Derrière les portes de l’appartement sur sa gauche, un joueur de clarinette répétait ardemment sa partition. Au deuxième étage, la peintre ayant peuplé de ses créations les murs du hall d’entrée se tenait au milieu du couloir, partageant l’expérience de sa dernière galerie d’art auprès de sa voisine de pallier, une femme sexagénaire vêtue d’un long chemisier fleuri, lorsque toutes deux saluèrent Damien en l’apercevant d’un rapide coup d’œil. C’était au troisième étage, appartement sur la gauche, que le jeune homme s’arrêta afin d’entrer dans ce cocon qui l’avait accueilli à son arrivée dans la ville trois ans plus tôt. Il louait une chambre chez les monsieur et madame Dumoulin, couple d’artistes musiciens aussi talentueux que fantasques, ayant transformé un appartement impersonnel et sans éclat à leur arrivée, en un véritable temple de la musique où le grand piano à queue se tenait fièrement au milieu du salon, arpenté de violons posés sur des trépieds tout le long du mur côté fenêtre, pendant que les visages des artistes ayant marqué le parcours de vie des hôtes coloraient l’ensemble du côté droit de la pièce. De faux instruments décoratifs se défiaient du regard à chaque angle, avant qu’une immense bibliothèque longe le mur opposé, face à la cuisine ouverte, remplie de vinyles que le couple collectionnait depuis plus de trente ans. Ces derniers furent absents, lorsque Damien foula le parquet, et pour cause : une représentation dans un opéra de la ville de Carmen, au nord-est de l’Etat, devant mille spectateurs, les attendait ce soir-là. Le jeune comédien traversa l’entrée, longea le salon, pénétra la cuisine, but quelques gorgées d’eau, puis s’arrêta un long instant, observant le piano silencieux emplissant le cœur de la pièce. Tous les artistes de l’immeuble semblèrent occupés pendant la soirée qui allait venir. Tous… sauf lui. Sa prochaine prestation au café-théâtre était prévue cinq soirs plus tard. Soudain, il reçut un message sur son smartphone. Il sortit l’appareil de sa poche et scruta l’écran. Sa mère, Véronique, lui souhaitait un bon spectacle, le tout arpenté de smileys emplis de cœurs. Ce n’était point la première fois qu’il mentait à ses parents quant à sa situation. Eux le pensaient explorer un début de carrière des plus prometteurs, jouant chaque soir dans des salles combles, son nom écrit en lettres rouge écarlate sur la devanture, assurant la première partie de vedettes reconnues. A cet instant, il se demanda combien de temps ce mensonge allait bien pouvoir tenir. Il imagina le visage de sa mère, ainsi que de son père, Charles, tombant de toute leur désillusion, eux qui depuis son entrée à l’école Comedia, firent porter sur les épaules de leur fils toutes les attentes, tous les espoirs d’une famille.

Il inspira profondément et se promit de résoudre cette problématique dans les plus brefs délais, se rappelant finalement la chance qu’était la sienne de vivre et d’évoluer dans ce qu’il aimait nommer « son paradis ». Il reprit une gorgée de croyance et se dirigea vers sa chambre, tout au fond du couloir. Se tenait au-dessus du lit un grand cadre dévoilant l’intérieur du Théâtre des Rêves, vu de la scène, la salle illuminée de mille lumières scintillantes éclairant les deux mille spectateurs donnant vie en ce lieu mythique. En face du lit, côté mur opposé, se tenait un bureau de bois sur lequel reposait le dernier manuscrit composé de la plume et de l’esprit du jeune comédien, intitulé « Quand viendra la nuit », une pièce du registre dramatique racontant l’histoire d’un homme apprenant être atteint d’une grave maladie, qui, en conséquence, rejoue le film de sa vie et tente de rattraper ses erreurs, lui qui est rongé de remords depuis la mort de son meilleur ami durant un tragique accident de voiture, véhicule que le personnage principal conduisait en état d’ébriété, sans compter la douloureuse séparation avec « son plus grand amour », dont il était en grande partie responsable de par un comportement négligeant et colérique. Un seul en scène décryptant la psychologie du personnage, se montrant de plus en plus sombre, comme s’enfonçant dans les abîmes du désespoir et d’un mal être poignant, mais dévoilant également une grande sensibilité, une profonde envie de vivre jaillissant au plus près de la mort, jusqu’à cette nuit qu’il redoutait tant. Damien croyait en cette pièce plus que toute autre. Ses trois précédents manuscrits emplissaient ses classeurs rangés dans le premier tiroir à droite, à l’étiquette « projets refusés ». Le classeur du projet accepté, lui, ne comptait encore aucune page en son antre. Mais cette fois, il en était persuadé, cette pièce allait changer la donne. Bientôt viendrait son heure. En attendant, il se jeta de tout son poids sur le matelas et alluma la télévision. Il était hors de question de rater l’évènement. Le match de football de l’équipe du Somnium FC allait bientôt débuter, pour un quart de finale de la Coupe des Titans, un tournoi annuel voyant s’affronter les meilleurs clubs des états secrets indépendants d’Europe. Fervent supporter de l’équipe de la capitale cantusienne, Damien ressentait déjà une certaine excitation en percevant les premières images du stade rempli à rasbord, les supporters chantant, exultant, gesticulant. Le jeune comédien fut rapidement enivré par l’enjeu. D’autant plus qu’au sein de son équipe préférée évoluait l’un de ses meilleurs amis. Un moment qu’il ne raterait pour rien au monde…

CHAPITRE 2

Le stade grondait déjà. Les milliers de supporters, la plupart aux couleurs du club local, Olho de Deus, à savoir le premier du championnat de Nova Terra, petit état secret et indépendant situé à l’Ouest du Portugal, s’époumonaient aux chants déclarant leur flamme pour ce club qu’ils comptaient bien porter jusqu’au sommet. D’une beauté magistrale, cet Etat dont le mantra était une économie souveraine et prospère, permettait à la population de vivre aisément et profiter de perspectives d’avenirs alléchantes, le tout à travers un cadre absolument somptueux, un mode de vie familial et chaleureux, en adéquation avec les valeurs de ce peuple lusignien des plus agréables, authentique et travailleur. Mais dans le couloir menant au terrain, se tenaient les onze joueurs de cette équipe de Somnium FC que rien ne semblait pouvoir ébranler. Les regards concernés, les mâchoires serrées, les mentons hauts, les athlètes tout de bleu vêtus attendaient tels des guerriers prêts à entrer dans l’arène. Ce trophée manquait encore à leur palmarès, mais cette saison était la leur. Rien ni personne ne les en empêcherait. Dotée d’une équipe solide, emplie de jeunes joueurs affamés capables de véritables prouesses collectives, comptant en son rang trois joueurs trentenaires, expérimentés et d’une grande intelligence de jeu ; Somnium avait de quoi imposer le respect. Mais l’élément qui accaparait la plus grande attention, tant des équipes adverses, des commentateurs que des supporters, était l’éclosion d’un phénomène comme Cantus Silvae n’avait encore jamais connu jusqu’alors. Haut de son mètre-quatre-vingt-six, la coiffe brune impeccable, l’expression impassible, le maillot floqué d’un numéro dix dévoilant une silhouette à la fois svelte et une musculature sculptée ; Hassan Bentia observait l’horizon d’un œil de conquête. A seulement vingt-et-un ans, il était la révélation de son club, grandissant saison après saison, au point de suivre les pas de ces joueurs qui étaient davantage que des joueurs de football, mais plutôt des artistes du ballon, capables de chambouler un match, de réaliser des exploits hors-ducommun, de porter toute une équipe et tout un peuple sur leurs épaules, et proposer des rêves de grandeur auprès d’une génération entière. Professionnel depuis ses dix-huit ans, comme l’impose la règle cantusienne obligeant les joueurs, même hors-normes, à mener à terme leurs études avant d’entrer dans la cour des grands ; Hassan ne cessait d’attirer la lumière et les attentes de supporters tant son football relevait du sublime. Ce soir-là ne devait point faire exception. Au signal, les deux équipes foulèrent enfin le gazon, sous les acclamations du public ne tenant plus en place. Hassan entra en dernier, comme pour s’assurer que tous les regards allaient, une fois de plus, se porter sur lui. Il fixa droit devant, bombant le torse, l’expression combative, pendant que la caméra de télévision s’arrêtait sur son visage un long instant. Il se voulait être la terreur de ses adversaires et l’emblème de son drapeau. Il s’acharnait à la tâche depuis sa sortie du Centre Alves, dix ans auparavant, lorsqu’il eut intégré le centre de formation de Somnium FC. Promulgué dans la catégorie des moins de quinze ans lorsqu’il ne comptait que douze bougies, il dut affronter un niveau d’exigence conséquent ainsi qu’une concurrence des plus rudes à son poste, à savoir celui d’attaquant ou, plus précisément, comme il est dit dans le jargon, le « neuf et demi », celui dont la mission consiste à nourrir le jeu offensif, transpercer la défense dans les trente derniers mètres, être redoutable dans les couloirs et efficace devant le but. Un poste qui aura vu briller pendant plus d’une décennie les monstres sacrés du football mondial tels que son idole et modèle de toujours, Cristiano Ronaldo, ainsi que Lionel Messi. C’était sans compter le soutien indéfectible de sa mère, Aïssa, venue s’installer au quartier populaire de Somnium, trouvé un emploi comme secrétaire médicale, et étant parvenue à emmener son fils à chaque entrainement, chaque match, en semaine, chaque weekend, partout dans cet Etat et parfois même au-delà, des années durant. Arrachée des griffes de son ex-mari toxique et violent, Aïssa était devenue une femme libre, goûtant aux douces saveurs de l’existence sans qu’aucun compte ne lui soit jamais quémandé, et fit de son fils, au départ un enfant talentueux mais perturbé par une enfance chaotique, un jeune homme d’exception, à l’éducation irréprochable, déterminé à gravir la montagne des désirs les plus audacieux.

Le match débuta. Très vite, l’intensité fut particulièrement soutenue. Les joueurs de Olho de Deus menèrent le jeu, se montrant prudents et stratèges, jaugeant leurs adversaires. A la sixième minute, une action fulgurante des locaux sema la panique dans la défense cantusienne, heureusement apaisée par un tir dévié frôlant la barre transversale. Dans la foulée, une puissante tête d’un défenseur lusignien obligea le gardien de Somnium FC à bondir et boxer du poing le ballon, sous l’expression de déception particulièrement audible des supporters. Le milieu défensif des cantusiens, âgé de trente-deux ans et désigné capitaine de l’équipe depuis le début de saison, ordonna à ses coéquipiers de se montrer plus agressifs, plus mordants, frappant dans ses mains afin d’encourager ses troupes. Tous se replacèrent et tentèrent de reprendre davantage le contrôle du ballon qui leur échappait totalement. Les minutes qui suivirent dévoilèrent une équipe de Somnium davantage impliquée, gagnant en confiance, déroulant un jeu construit, avançant lentement vers la seconde moitié de terrain, mais le bloc défensif de l’équipe adverse repoussa continuellement les tentatives. Frustré de constater chacun de ses élans coupés par le marquage impeccable des locaux, Hassan sentit cette rage, qui le caractérisait depuis toujours, l’envahir sournoisement. Ce fut à la trenteneuvième minute qu’il décida d’en finir avec ce mur irrépressible, servi par une magnifique passe lointaine de son meneur de jeu, situé au couloir gauche du terrain lorsque lui se tenait à l’opposé. Grâce à un contrôle orienté absolument magistral, digne d’un Zidane en état de grâce, il élimina son premier adversaire, lui laissant une dizaine de mètres de champ libre, le poussant à entamer une offensive lancée à pleine vitesse, obligeant l’équipe adverse à reculer le plus rapidement possible vers leur surface, les coéquipiers du numéro dix tentant de le suivre et se montrer disponible. Un défenseur s’essaya à le stopper avec vigueur, sans succès. Un second se rua sur son ballon et n’en vit point la couleur. Percevant un groupe de joueurs adverses se diriger droit sur lui avec détermination, Hassan envoya la balle à un de ses coéquipiers qui lui rendit d’une passe somptueuse entre les lignes adverses, pendant que ce dernier entamait un sprint fulgurant dans le dos des défenseurs, entrant dans la surface de réparation, récupérant le ballon, tenant bien sur ses appuis malgré la charge d’un joueur adverse dans son dos, perçut le gardien s’approcher, écarter les bras, le regard alerte et la gestuelle nerveuse. Le numéro dix déposa un plat du pied entre les jambes de ce dernier, à travers un timing parfait, laissant finalement le ballon s’épanouir dans les filets du but quelques mètres plus loin. Le stade plongea dans un silence de plomb, pendant qu’Hassan exultait sa joie au bord du terrain, près du poteau de corner côté droit, spontanément enjoint par ses coéquipiers, se jetant sur lui avec ferveur, hurlant comme des damnés, enlaçant leur prodige sous les regards médusés des supporters observant la scène depuis la tribune à quelques dizaines de mètres. Ce but permettait à son équipe de respirer, prendre l’ascendant psychologique, et à un tel niveau de jeu démontré par les deux clubs, ce détail était primordial.

La seconde mi-temps fut un véritable récital. Somnium domina assez largement, malgré quelques contre-attaques dangereuses des lusigniens menant notamment à un but non-validé pour cause d’un hors-jeu, mais Hassan sembla marcher sur l’eau. Primordial dans le jeu, se montrant créatif et altruiste, ses cavalcades terrassèrent la défense adverse, d’abord à travers deux occasions manquées de peu, puis une traversée de plus de trente mètres balle au pied, éliminant tout ce qui pouvait se présenter sur son chemin, proposant des passements de jambes inspirés, des gestes magnifiques, une feinte trompant un des défenseurs centraux dans la surface, avant d’avancer vers l’axe plusieurs mètres durant, laissant tout le monde dans l’expectative, puis d’envoyer une frappe du gauche enveloppée, rebondissant sur le poteau avant de s’enfoncer dans la lucarne opposée. Tout le banc cantusien bondit spontanément, bras en l’air, les yeux écarquillés, sautillant et jubilant. A la soixante-quinzième minute, lors d’un corner, on le vit jaillir de nulle part et flanquer une tête croisée de toute beauté, le ballon terminant sa course sous la barre transversale, avant d’offrir, trois minutes plus tard, une passe majestueuse à son binôme de l’attaque qui frappa de toute ses forces, trompant une nouvelle fois le gardien et permettant à l’ensemble des joueurs sur le terrain, des remplaçants et du staff de courir d’une énergie effrénée jusqu’au buteur qui se trouva rapidement enseveli par une masse humaine, laissant s’exprimer une joie démesurée, des sensations transcendées comme le football en tenait la recette.

« Quel match ! Quelle équipe ! » s’exclama l’un des commentateurs de la chaine de télévision Cantus 2 au coup de sifflet final, « Gagner quatre à zéro à l’extérieur face à l’une des équipes les plus redoutables qui, jusqu’à aujourd’hui, pouvait prétendre au titre sacré… c’est absolument fantastique ! » continua-t-il dans son micro, gesticulant sur son fauteuil, le visage rayonnant.

« Oui, tout à fait, Guillaume ! Cette équipe de Somnium nous montre, encore une fois, qu’elle a les moyens de se tenir à la table des plus grands, grâce à un mental d’acier, une force collective remarquable, une capacité à s’adapter à n’importe quelle situation, le tout en proposant un football comme on l’aime, offensif et combattif ! » renchérit son collègue, ancien joueur professionnel à Cantus.

« En effet, mais vous oubliez un élément essentiel, Pascal… Que dire de la prestation d’Hassan Bentia ? » demanda le premier, le sourire jusqu’aux oreilles, fan du joueur depuis ses débuts professionnels.

« Ah mais évidemment ! Hassan nous a de nouveau livré une masterclass ! Je vais vous dire les choses très sincèrement : j’ai été joueur jusqu’à il y a une quinzaine d’années et ai assisté à l’évolution, le développement du football cantusien qui s’est considérablement professionnalisé ces dernières années. Dans ma carrière, des bons joueurs, j’en ai vu, mais jamais, je dis bien jamais, je n’ai pu observer une telle pépite ! Rapide, technique, imprévisible, puissant, buteur invétéré, intelligent, altruiste quand il le faut et capable de faire les différences à lui tout seul lorsque c’est nécessaire ; c’est un régal de le voir jouer. C’est le genre de joueurs dont nous avions besoin. Cela va faire beaucoup de bien à nos centres de formation, à notre championnat qui va gagner en attractivité et donc en moyens ; cela fait venir davantage les gens dans les stades, davantage d’audiences, ce qui est très bénéfique. Tous les enfants, à Cantus, lorsqu’on les voit dans les tribunes ou jouant dans leur quartier portent, pour la plupart, un maillot au nom de Bentia et de son numéro dix. Il fait rêver les plus jeunes, et la jeunesse a besoin de modèles. C’est une chance qu’un tel joueur puisse évoluer chez nous ! Pourvu que cela dure… »

Hassan et sa troupe rentrèrent à l’hôtel après un bon repas et une célébration de la victoire particulièrement festive, les jambes lourdes mais l’esprit léger, empli d’un sentiment du devoir pleinement accompli. Le numéro dix s’enferma dans sa chambre spacieuse et confortable, profitant du silence et d’une profonde tranquillité contrastant drastiquement avec l’ambiance enflammée du vestiaire. Il enfila sa tenue de nuit et s’allongea sur ce lit king size des plus mœlleux, lorsqu’il reçut plusieurs notifications sur son smartphone. Il l’attrapa d’une main, déposa le regard sur l’écran, et lut :

« Bravo Champion ! Tu m’as fait vibrer ! T’es le meilleur ! » signé Damien. Hassan sourit et lui répondit chaleureusement, pianotant avec rythme.

« On est en demi ! Chapeau, t’as assuré ! On se voit demain soir tous ensemble, pour fêter ça ? Bisous, Hassan. » enchainait la page des messages reçus, celui-ci provenant d’une certaine Maelys. Le prodige lut le texte non sans plaisir, pianotant de nouveau une réponse des plus amicales, lorsque, tout à coup, la sonnerie retentit. Il fixa l’écran et perçut un numéro inconnu. D’abord hésitant, il décida finalement de répondre à la curiosité qui l’animait soudainement.

« Allo ? » lança-t-il, intrigué. Un silence se posa. Une respiration haletante attira l’attention du jeune homme.

« Allo ? » renchérit-il alors.

« Oui, salut. Je… j’te dérange pas, j’espère ? » commença une voix masculine, le ton faiblard.

« Vous… vous êtes qui ? » interrogea Hassan, fronçant les sourcils.

Silence.

« Allo ? » s’agaça-t-il légèrement.

« Oui… » se contenta de répondre l’homme, semblant tétanisé à l’autre bout du fil.

« Vous êtes qui ? » répéta le footballeur, se tenant prêt à raccrocher à la seconde, pensant se tenir devant un énième farceur téléphonique comme sa notoriété grandissante engendrait.

« Je… hum… c’est moi. » répondit timidement l’inconnu, d’une voix éteinte.

« Qui ça, « moi » ? » s’impatienta le jeune homme.

« Ton papa. »

Ces deux mots firent l’effet d’un puissant choc électrique foudroyant chaque organe de son corps. Hassan ne parvint plus à prononcer le moindre mot, ressentant sa gorge se bloquer, son estomac se tordre douloureusement, et son pouls s’emballer dangereusement. Il perdit furtivement le contrôle de sa main droite, la sentant trembloter frénétiquement jusqu’à laisser glisser le smartphone le long de son avantbras pour s’effondrer sur le matelas.

« Hassan ? Tu es là ? » continuait la voix, au loin, mais il n’entendait plus aucun mot ni aucun son. Un profond séisme émotionnel l’enivra dans toute son entièreté.

« Hassan ? Hassan ? C’est moi, ton père… » répéta l’interlocuteur, la voix fragile, pendant que le jeune homme fixait le mur opposé de la pièce, les yeux exorbités, immobile, happé par ce mélange d’émotions violentes et contrastées qui le submergeaient totalement. Comme si, à travers le conflit de ses sentiments torturés, se réalisait à la fois un désir refoulé et le cauchemar hantant ses nuits depuis dix ans. Un désir refoulé car grandir sans figure paternelle n’est aisé pour personne, et Hassan en souffrait le manque au plus profond de son être à chaque instant où la solitude l’enveloppait, chaque exploit sur le terrain qui, durant ses années au centre de formation, le voyait se tourner vers les gradins, espérant trouver le regard d’un père, d’un papa, fier et bienveillant, qui d’un sourire et d’un hochement de tête lui exprimerait sa satisfaction et l’expression de son amour, pendant qu’en réalité, l’absence s’illustrait de manière aussi sinistre qu’impitoyable. Le cauchemar, également, car ce père était un bourreau. Un homme à la carrure large, le regard noir, les mots d’une dureté et d’une violence sans égal, lorsque les gifles, les coups de poings et de pieds brutaux et sans aucune pitié eurent terrorisé l’enfant qu’il fut. L’homme, Walid, de son prénom, séjournait au sein d’une prison située dans une zone industrielle du nord de l’Etat depuis une décennie. Hassan ne reçut aucune nouvelle, aucune lettre, aucun signe de vie, toutes ces années durant… jusqu’à cet instant. Une longue minute s’écoula, et peu à peu, le footballeur recouvrit ses esprits. Il observa la pièce nerveusement, comme revenant au monde conscient, se tourna vers le smartphone à sa droite, l’écran posé sur la couette, la voix de l’homme répétant des « Allo ? Allo ? » continuellement. Il inspira profondément. La main tremblante, il attrapa le smartphone et le déposa rapidement sur son oreille, la respiration haletante.

« Oui, je suis là » répondit-il finalement. Il ressentit comme un soulagement contenu de l’autre côté de l’appareil. Silence.

« Je… je tenais à te féliciter. » commença Walid, un léger trémolo dans la voix, visiblement à fleur de peau. Hassan écouta attentivement sans répondre. « Je te regarde, à la télé, tu sais ? Je vois tous tes matchs. Franchement… tu es impressionnant ! » se livra-t-il, sous le silence de sa progéniture.

« Ici, à la prison, tout le monde te connait. Ils ne me croient pas quand je leur dis que tu es mon fils… » ajouta l’homme, semblant soudainement sourire. Hassan sentit sa gorge se nouer, des larmes emplir ses paupières. Comme si ces mots paraissaient irréels. Il se demanda un court instant s’il n’allait pas finir par se réveiller et tenter d’oublier cet énième rêve qu’il n’osait jamais évoquer, d’autant plus auprès de sa mère, elle qui fut prête à sacrifier sa propre vie pour échapper à ce tortionnaire qui avait bien faillit tuer de ses mains le sens de l’existence de cette femme, Aïssa, dont l’amour pour son fils dépassait toute mesure. Mais l’instant semblait ancré dans la réalité la plus réelle qui soi. Le jeune homme se tint un long moment dans le silence de sa stupeur.

« Tu sais, Hassan, je… j’ai eu un comportement impardonnable, et je comprendrais si tu ne veux pas me parler, mais… » se confia le père, le ton posé, avant de s’arrêter plusieurs secondes, comme pour maitriser son émotion, « je t’ai toujours aimé. »

Hassan laissa cette phrase pénétrer son cœur et l’envelopper tant de douleur que de délivrance, éveillant un torrent effroyable secouer ses tripes jusqu’à la trachée, avant de lâcher-prise et voir le jeune homme éclater en sanglot, faisant danser un océan de tristesse le long de ses joues, redevenant pendant quelques longues minutes, seul dans sa chambre, l’enfant blessé qui ne l’eut jamais quitté…

CHAPITRE 3

Un soleil orangé colorait ce ciel couvert de nuages blanc et laineux en ce début de matinée au-dessus de l’un des paisibles quartiers résidentiels de Lumius, ville moyenne agréable et dynamique, située au sud-ouest de l’Etat. Au deuxième étage de l’une de ces bâtisses blanchâtres peuplant le lotissement verdoyant, une famille s’activait déjà à l’élaboration de cette journée prenant une teneur spéciale. Au milieu de la cuisine, s’agitant frénétiquement, une certaine Hapsatou se démenait à la tâche. Aux frontières de la quarantaine, les cheveux noirs et bouclés attachés, une longue robe de chambre où une pléiade de chiens et de chats sympathiques souriaient au milieu d’un rideau pourpre, la mère de famille préparait les petits-déjeuners avec l’énergie des grands jours, pendant qu’apparurent soudainement les visages de ces êtres dont elle chérissait la présence chaque instant que la vie pouvait lui accorder. Déjà vêtu de son costume, les cheveux poivre et sel brossés avec soin, l’expression ouverte et assurée, Thibault, son mari, entra en scène, se dirigeant spontanément vers la table de travail afin d’offrir une aide à son épouse, comme il en avait pris l’habitude. Derrière lui accourut avec fracas le jeune Arthus, les cheveux bruns coupés à ras, la peau caramel, les joues pleines et le regard vif, ayant fêté ses onze ans cinq mois plus tôt ; ce dernier se rua sur sa chaise en bois poli, attendant la nourriture avec envie.

« Sers-lui son bol, s’il te plait, chéri. » demanda Hapsatou, les mains à l’épreuve.

« Bien sûr, mon amour. » répondit posément l’ancien chef-urgentiste devenu directeur de l’hôpital public de Lumius, déposant le bol jaune rempli à ras-bord de lait chocolaté, sous le sourire affamé de son fils, avant que s’ajoutent une magnifique assiette de viennoiseries succulentes au centre de la table au bois de campagne.

« Qu’est-ce qu’elle fait ? Elle est levée ou pas ? » s’inquiéta la mère, se tournant vers son mari.

« Je ne sais pas. Tu veux que j’aille voir ? »

« Non, ça va. Mais il ne faut pas qu’elle traine, sinon elle… » répondit-elle, rapidement coupée par une voix féminine faisant soudainement son entrée, « Je suis là, maman. Tout va bien, ne t’inquiète pas. » Hapsatou opéra un demi-tour en un quart de secondes, observant sa fille adoptive, Maelys Sanusi, née Nollet, ayant changé de nom de famille des suites de l’adoption officielle du couple huit ans auparavant. Cette dernière fixa Hapsatou, le sourire indulgent, avant de se joindre à la tablée, côté droit, à deux pas de l’entrée de la pièce. Devenue jeune femme, la taille frôlant le mètre-soixante-quinze, les cheveux châtain clair soyeux et longeant la moitié de son dos, les traits fins, le regard bleuté pénétrant, de longues jambes sveltes et des courbes dévoilant une féminité sans pareil, le tout valorisé par un sens de la mode transmis par sa mère adoptive ; à vingt-etun ans, Maelys offrait l’apparence d’une femme accaparant tous les regards. Se régalant avec entrain au milieu du brouhaha emplissant rapidement la pièce, la jeune femme sentait toutefois ce nœud dans l’estomac qu’elle reconnut dès son apparition. Ce nœud des jours de vérité, où l’enjeu ne laissait aucune place à l’erreur.

Intelligente, curieuse et passionnée, l’école était rapidement devenue pour elle le théâtre de toutes ses aspirations, brillant d’un esprit éclairé et d’une soif d’apprendre inébranlable. Sautant une classe à l’âge de quatorze ans afin d’intégrer un lycée général réputé pour former à l’excellence, elle s’y était pleinement épanoui, s’endormant parfois les livres blottis tout contre sa cage thoracique, le sourire au bord des lèvres, trouvant son paradis au monde des mots et de la connaissance. Extirpée d’un cercle familial de naissance absolument désastreux où l’abus et l’absence d’amour véritable écrivirent le quotidien de son enfance, elle eut profité de l’accueil qui lui fut réservé à sa sortie du Centre Alves, dix ans auparavant, au sein de ce cocon respirant l’affection et la bienveillance, ainsi que de sa grande proximité avec Hapsatou - anciennement éducatrice au Centre Alves, où elles se sont rencontrées, et exerçant depuis au sein d’un centre dédié aux enfants atteints de handicaps sévères, physiques et mentaux – pour enfin se libérer du poids immense que lui infligeaient les exactions