Le temps des barbares - Didier Moreau - E-Book

Le temps des barbares E-Book

Didier Moreau

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Beschreibung

L'agonie de la Pax Romana voit s'engloutir bien des espoirs. A ses ruines se sont mêlées celles des crises politiques, de la déchirure des institutions, des effets de l'anarchie militaire romaine... Mais, plus encore, elle aura engendré l'effondrement de l'Empire, l'affliction des invasions et des guerres, cause de désastres et de misère. Cette fin du IIe siècle subit l'incursion massive de tribus Chattes s'infiltrant dans la Gaule Belgique. Puis, au milieu du IIIe siècle, les Francs et les Alamans pénètrent les territoires du nord et de l'est de la Gaule, ravageant et pillant, absorbant la population. Cent ans plus tard, des hordes de Vandales déferlent par l'est avec femmes, enfants, bétail et charrois. Viennent ensuite les Bagaudes et les Burgondes puis, de nouveau les Alamans, les Suèves et les Vandales s'élançant vers le sud en route vers l'Ispania. Déjà fortement affaibli et diminué par les occupations franques, annihilé et presque anéanti par les incursions Vandales, maintes fois saccagé, Calagum n'est plus qu'une ombre désolée. Son domaine et ses vici sont languissants. L'axiome de cette nouvelle déferlante de barbares, les huns, ne confirme en rien l'instabilité de ces temps troublés. Pourtant, à l'issu de ce dramatique épisode, le domaine, terrassé, ne se relèvera pas... Jamais.

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Sommaire

Préambule

Chapitre premier

Chapitre deuxième

Chapitre troisième

Chapitre quatrième

Chapitre cinquième

Compendium

Préambule

Cette année MCCIV de l’Empire (+451) s’annonce fort hostile et difficile. L’enceinte renforcée de la cité impériale et sa deuxième défense extérieure, insignifiante, reflètent l’image d’une crainte caractérisée. Les vivres s'avèrent maigres, le luxe et l’opulence qui faisaient la splendeur des riches quartiers ne sont plus que souvenirs. A l’extérieur des murs quantité de cabanes et d’abris de fortune offrent à une population miséreuse un ramassis de tuguria inconfortables et puantes.

Depuis que l'Empereur Constantinus avait transféré le siège de l’Empire à Byzance, en cette fâcheuse année MLXXXIII (+330) de Rome, les choses allaient de mal en pis. La corruption, le vice, les débauches et quantité d’excès s'étaient installés. Après les conclusions du concile de Nicée la foi devait être rassemblée en une seule, inéluctable. Malheureusement, il n’en fut rien. Les barbares mugissaient toujours à chacune des frontières provoquant la fougue des chefs de guerre Romains. Les armées étaient tenues en perpétuelle alerte, repoussant chaque jour de nouveaux assauts.

Cette décision d’établir la nouvelle capitale en Orient faisait vaciller l’Empire et changeait considérablement sa situation. Rome n’était plus le centre du monde. Les menaces d’invasions grondaient sans cesse, ce qui obligea le Sénat à nommer plusieurs chefs de guerre à la tête des armées dorénavant morcelées. Les Gaules restaient les terres de convoitise par excellence et chaque jour de nouveaux peuples hostiles s’amassaient le long des frontières. Mais l’appauvrissement de cette puissance colossale avait véritablement débuté quelques années plus tôt…

En l’an MLVI de l’Empire de Rome (+303) le Cæsar Diocletianus ou plutôt les Cæsars, devrait-on dire car ils sont alors quatre, tentent de relever l’Empire d’une période anarchique prolongée. Iatinum fait désormais partie de la province de la quatrième Lyonnaise et le Gouverneur réside à Agedincum. La lourde machine administrative s’enlise, se disloque. Face à des généraux de plus en plus indispensables, prenant de l’importance, le Sénat de Rome voit son influence diminuer, réduite à entériner les décisions des militaires.

Depuis une cinquantaine d’année les incursions barbares ne cessent de se multiplier, poussées par la révolte des peuples frontaliers. Les tribus franques et alamanes pénètrent régulièrement sur les terres de la Gaule et y séjournent.

Même si les empereurs successifs persistent à les repousser, celles-ci parviennent malgré tout à mener des campagnes de plus en plus nombreuses et finissent par s’installer.

Cependant, pendant un temps, un climat de prospérité et de sérénité semble s’établir. De nouvelles monnaies sont frappées et, par un édit se voulant de bonne volonté, les prix des marchandises se trouvent bloqués. Mais cette mesure se voit rapidement dépassée par la réalité. La multiplication des fonctionnaires, les fastes de la cour et les dépenses engagées pour des constructions démesurées pèsent lourdement sur le budget de l’Empire. Les sommes colossales nécessaires pour entretenir une armée toujours plus importante, les cantonnements, les machines de guerre et l’infrastructure militaire plombent littéralement le trésor. Une réforme fiscale, tout d’abord bien accueillie par la populace, se décline bientôt en un appauvrissement progressif des domaines et des civitas. Les saisies de biens des propriétaires terriens et des artisans se multiplient. Les petites gens grondent. Des bandes de paysans ou de petits notables ruinés se forment. Ces hommes, devenus des bacaudæ, se déversent dans les bourgs insuffisamment protégés de même que sur les petites exploitations fragiles.

Cette même année paraît un autre édit qui autorise la persécution des chrétiens.

Ce vaste programme, mené par le co-Empereur Caius Galerius, vise sans aucun doute à évincer ces impies des hautes fonctions administratives ou militaires. Ceux-là, que l’on nomme « les mauvais soldats », sont encore peu nombreux certes, mais ils sont partout.

Quelques décennies plus tard, en l’an romain MCXXXI(+378), la situation devient vraiment très préoccupante. Quarante années après la mort de l’Empereur Constantinus, le peuple des Huns passe pour la première fois le Danube et s’apprête à piller l’Orient, mais il est battu par les troupes du grand Empereur Theodose qui les force longtemps à respecter les frontières.

L’année suivante, durant le mois de Februarius, les tribus des Alamans franchissent en nombre le limes rhénan. Ces barbares envahissent et saccagent tout l’est de la Gaule de la même manière qu’ils l’avaient déjà fait douze années plus tôt en traversant le Rhin gelé. A cette époque, ils avaient subi une cruelle défaite dans les plaines de Durocatalaunum et l’Empire, fort de cette victoire, les croyait fédérés pour toujours. Les plaies de l’histoire se rouvriraient-elles ?

Leur incursion n’est pourtant que de courte durée. L'Empereur Gratianus les repousse trois mois plus tard en leur infligeant de nouveau une sévère punition près de la civitas de Argentovaria.

Dans le même temps, en Orient, les Goths, poussés par le froid et la faim, franchissent le Danube pour marcher avec haine et désespoir vers le sud des terres de Thrace. Ils emmènent avec eux femmes, enfants, bétail et chevaux. Cette fois, les hommes sont fortement armés, déterminés, prêts à en découdre avec l'Empire morcelé, rongé de l’intérieur, vieillissant. Unis aux Huns et aux Alains, sous la conduite d’un chef Wisigoth de grande qualité nommé Fritigern, ils atteignent sans grande difficulté les riches plaines de la cité d’Andrinople.

En ce lieu, la mutinerie des fédérés Goths se heurte aux troupes de l’Empereur d’Orient, Flavius Julius Valens. Mais, contre toute attente, à la fin de l’été, les Goths et leurs alliés sont vainqueurs. Ils déciment leurs assaillants puis mettent le siège devant la riche cité où sont entreposés les trésors de l’Empire d’Asie. Toutefois, impuissants devant cette civitas solidement fortifiée, ces peuples repartent furieux, rivalisant de pillages, de destructions et de haine envers leur ennemi commun : l’Empire romain.

Quelques années plus tard, les Goths, menés par les Huns, et sous la conduite d’un chef nommé Alaric, dévastent la Grèce sans défense.

En ces temps, l’Empire chancelle de toutes parts. Les conflits et leurs ravages sont partout, en Occident comme en Orient.

Survient ensuite cette funeste année où les mêmes hordes envahissent l’Italie, saccagent la cité impériale, puis se répandent telle la lave d’un volcan dans tout le pays. La famine, les épidémies et la peur remplacent l’opulence et la splendeur de Rome pourtant déjà bien diminuée depuis près d'un siècle.

En ces temps de Rome MCCIV (+451), les Gaules sont bien morcelées entre les Francs, les Alains, les Bourguignons et les Wisigoths admis successivement au titre d’alliés. L’administration et l’armée de l’Empire d’Occident sont maintenant incapables d’enrayer définitivement les flux des réfugiés barbares que les régions de l’est du Rhin vomissent inlassablement. Les légions parviennent malgré tout à stopper ces hordes de guerriers avec des succès variés et, de ce fait, conscients de leurs limites, les militaires s’efforcent de composer avec eux. L'Empereur Flavius Placidius Valentinianus, troisième du nom, réside maintenant à Ravenne, terre de sa naissance. Mais c’est surtout le Consul et Général en chef des armées de l’Empire d’Occident, le Patrice Flavius Ætius qui, soutenu par l'armée et la milice, contrôle les Gaules voire la totalité de l'Empire...

Si, sous le règne du puissant Cæsar Hadrianus, à l'époque de la pax romana, le domaine de Calagum était véritablement prospère, les pagi environnants : Tillius, Gaudiacus, Eboriacum rayonnaient et leurs vici attachés, comme celui du Buyd ou de Columa, étaient en tranquille expansion. L'oppidum de Dodunum était souvent investi par les druides et nombreuses étaient les cérémonies de la vie quotidienne qui se déroulaient près du fanum. Mais la voix populaire dit qu’aujourd’hui les sentiers qui y mènent sont devenus étroits et semés d’embûches.

En quittant l’enceinte de Iatinum par la porte de l’est, après avoir franchi le pont, il faut parcourir deux ou trois stadia en traversant les regroupements de tuguria misérables plantés au milieu des osches formant la périphérie de la cité pour atteindre l’embranchement des « trois chemins ». C'est là que se tiennent quelques marchands, un rassemblement de tavernes hétéroclites, ainsi que des artisans offrant de multiples services pas toujours recommandables.

Toute cette population se trouve sous l’étroite surveillance indifférente de quatre décuries. Ces militaires sont censés protéger ce carrefour stratégique mais, en réalité, ce sont les gens eux-mêmes qui se gardent. Ils ont interdiction de porter quelque arme que ce soit et, de ce fait, pour leur propre sécurité, ils ont tissé un réseau de guet et d’alarme fort efficace.

Afin d’assurer leur protection vis à vis de la milice urbaine, un système de corruption hiérarchisé est établi. Il semble que cette situation siée à l’ensemble des intervenants. Ce qui frappe immédiatement, c’est l’accoutrement et la tenue désordonnée des soldats. Leur armement est nettement hétéroclite, disparate et mal entretenu.

De cette place se détachent trois directions distinctes : celle de Noviodunum qui permet d’atteindre le port de Gesoriacum par la civitas de Nemetacum, celle de Durocortorum et celle de Durocatalaunum d’où l’on peut poursuivre vers la grande cité marchande de Treverorum ou gagner le limes extrême de l’est : le limes rhénan.

Sur une lieue encore, si l'on poursuit vers l’est, le chemin devient pénible, harassant pour les montures, bien que son aménagement soit agréablement entretenu car on accède au plateau par un long sentier charretier très fortement pentu. A ce point haut, dominant la vallée, si l'on s'accorde quelques instants de repos, on ressent une grande satisfaction et le sentiment de puissance semblable à celui qu'à dû ressentir le Cæsar Julius lorsqu’il s’est retourné pour admirer le somptueux paysage de cette enclave îlienne de Iatinum, vaincue et définitivement sienne…

Tournant sur la droite, plein sud, la voie a été élargie et consolidée.

En suivant vers le sud la portion de l'itinéraire commun du cursus publicus, celle probablement empruntée en son temps par Julius, cette chaussée mène d’une part à Rigobriga en passant par Calagum pour atteindre Lugdunum et, d’autre part, permet de doubler Metlosedum pour rejoindre Aurelianum. C’est sur cette voie, menant à Iatinum, que convergent les axes secondaires venant du sud, de l’ouest et de l’est. De ce fait, ce trajet est très fréquenté.

Une lieue plus loin, juste avant la villa rustica du Colombarium, la voie se scinde de nouveau en deux, recevant les voyageurs des pagi de l’est. Les paysans appellent cette ferme fortifiée le castrum. Il est vrai qu’à plusieurs reprises, pendant les troubles des années précédentes, ils furent pressés de s’y réfugier pour y trouver la sécurité. Cette place est l'une des principales bases du cursus publicus. Elle détient presque quatre mille pigeons qui assurent, par tous les temps, l'échange rapide d'informations commerciales et civiles mais surtout militaires.

En obliquant vers le lieu-dit du « menhir des quatre chemins », sur la gauche, les larges sentiers maintenant aménagés mènent directement à Dodunum. Il faut compter cinq lieues gauloises pour atteindre cet oppidum sacré.

Même s’il est nécessaire de traverser d’épaisses forêts et quelquefois coucher de l’épée une poignée de branchages envahissants, le relief est agréable. Point de rivière ou de ru à traverser, pas de ravine abrupte non plus ; le trot peut se faire paisiblement sur un terrain quasiment plat. A mi-chemin, la végétation s’éclaircit pendant presque une demi-lieue pour reprendre immédiatement sa vigueur naturelle. À droite, ce sont les limites des plateaux cultivés du Tillius, ou ses essarts, et les parchets de Alnutium. A une autre demi-lieue encore on aperçoit cet envoûtant oppidum boisé avec, à son sommet, son fanum. Ce n'est pas par peur de le trouver abandonné ou détruit, mais par respect des temps anciens, qu'il est préférable de ne pas s'y rendre et de continuer à s'imaginer que nos druides y sont encore présents bien que l'on sache que ces sages n’ont pu résister aux coups répétés de l’Empire, à leurs soldats incultes ainsi qu'aux barbares. Il est donc préférable de prendre la direction du sud, vers le gué des Morins.

Deux lieues plus loin, traversant le vicus du Buyd par son côté est, quelques masures sont réunies dans une place que l’on nomme la Broccia. Le sentier qui descend en serpentant sur le flanc du coteau sud, derrière les granicæ, est tortueux. De cette hauteur, on peut apercevoir le gué. Une grande activité semble y régner et, sur les berges, une multitude d’enfants courent en criant. En aval, des tanneurs s’activent tandis qu'en amont les pêcheurs paraissent satisfaits de leurs prises.

Quelques bœufs franchissent le passage, escortés d’une bonne dizaine de paysans et d’un chariot gorgé de marchandises. Sur le versant sud, de l’autre côté du gué, le petit village de Britaniacum s’est agrandi. Nombre de chartils et de bâtisses supplémentaires ont été élevés.

En remontant au pas vers le plateau, les parcelles cultivées sont de moindres étendues et dispersées. Même les vergers et les jardins semblent de petite superficie.

Sur le sentier charretier qui remonte vers le domaine, on constate que Calagum fut sévèrement endommagé durant les attaques des dernières invasions. Les troupes de guerriers Vandales ont laissé des plaies ouvertes qui ont peine à s'effacer. Le domaine est amoindri, meurtri, vidé de sa réputation et de ses fastes. Son Seigneur actuel se nomme Aulius Cornelius mais il se fait appeler tout simplement Aulius par ses gens. Cornelius, son père, est décédé il y a maintenant huit automnes, quelques jours après les fêtes de Samain. Quant au régisseur qui seconde ce dominus, c'est un étranger, un Franc qui répond au nom de Fredebert.

Le gué des Morins traversé, une demi-heure à peine est suffisante pour franchir l’enceinte du domaine de Calagum.

Chapitre premier

Ces nones de Martius bénéficient d’un temps plutôt agréable. Hier, une petite pluie fine est tombée pendant quelques heures, mais sans vraiment pénétrer les terres. Pour cette journée, le temps est clément. Le soleil n’est pas encore très chaud bien que le ciel soit dégagé. Seules quelques traînées de nuages, d’un blanc immaculé, tachent cette voûte céleste d’un bleu intense.

Débouchant à flanc de coteau des bois qui protègent Britaniacum par le nord, un sentier carrossable mène à cet imposant portail de la villa de Calagum. À droite, quelques bœufs, entourés de jeunes cabris jouant inconsciemment, paissent avec empressement les premières herbes naissantes. A cette époque, même si le temps est incertain et que les nuits restent froides, la majorité des bêtes est déjà dans les champs. Certaines regagnent leur abri chaque soir, d’autres non. Malgré tout, le fourrage est distribué chaque matin car les ressources de la nature demeurent encore faibles.

Sur la gauche s’étale le plateau cultivé. Les labours de rafraîchissement de la terre débutent déjà. Sur deux parcelles toutes proches, quelques hommes s’affairent à guider les araires tractées par de puissants bœufs qui en parcourent inlassablement la surface. Lorsque chacune d'elles aura été sillonnée dans un sens, les hommes et leur machine repasseront une nouvelle fois perpendiculairement à leur précédente trace. Cette pratique permet de mieux aérer la terre en formant ainsi des sillons croisés.

Dès que la terre est entièrement bousculée, les araires s’éloignent plus loin pour reprendre leurs manèges. Le lendemain, les herses sont mises en mouvement. Tractées elles aussi par un bœuf solide, elles égratignent la surface de la terre pour en faire une nappe meuble parfaitement uniforme. Ces grandes plaques de bois, hérissées de longues pointes métalliques, lestées différemment en fonction de la nature du terrain, brisent les mottes rejetées par la lame de l’araire.

Les terres cultivées sont davantage plus morcelées et plus petites qu'au temps de la pax romana. De ce fait, chaque parcelle peut être travaillée en une seule journée, ce qui permet de se garantir journellement d’une tâche accomplie. Leur surface n'est souvent que d’un demi-jugerum, voire d'un jugerum au maximum. Les événements guerriers de ces deux derniers siècles ont considérablement modifié la manière de travailler puisque les grandes surfaces d’exploitation ne sont plus de mise aujourd’hui. L’époque est révolue où, hier, une trentaine d’hommes œuvraient de concert sur un seul champ et où deux valli fauchaient, à la rencontre l’un de l’autre, une même grande parcelle d’une surface de trente ou cinquante jugera. De ce fait, le seul vallus restant à Calagum n’est presque plus utilisé.

Ainsi, ces petites unités de terres cultivées présentent des avantages certains lors de ces temps troublés. Si l’une des parcelles est piétinée, détruite par la chevauchée d’une bande armée, incendiée, ou si elle reçoit un campement sauvage improvisé, l’autre peut être épargnée et rester intacte.

Sur les plateaux, là où les vents sont les plus forts, des fossés sont creusés pour délimiter les parchets tout proches. Cette démarcation assure à la fois un drainage des terres et une ligne coupe-feu.

Le lendemain, ou quelquefois le jour même après le zénith, ont lieu les semailles, traditionnellement opérées en touffes, à la volée.

Aux quatre vents du domaine, les hommes s’affairent. Depuis quelques étés les récoltes sont bonnes. Peu à peu, année après année, les réserves de grains consacrées aux semailles se remplissent davantage éloignant le spectre désolant de la famine ou même du manque. Le bétail, les cochons, les chèvres et les moutons sont eux aussi plus nombreux.

Un bruit sourd de martèlement de sabots surpasse le son mélodieux d’un vent léger. Six cavaliers se détachent en silhouettes sur la crête et déboulent à bride abattue en direction de la villa. Ils paraissent fortement armés. Quelques-uns poussent des rugissements inquiétants. Arrivés à un actus de l’enceinte ils ralentissent subitement leur monture pour pénétrer, au pas, dans la grande cour carrée principale. Ce sont les gens de Calagum et de son vicus client : le Buyd. Il y a là le dominus Aulius Cornelius, son pecorum et maître de la milice, Tarantann, le vicanus Prenitius et son régisseur ainsi que deux gardes du domaine. En fait, ces gens reviennent d’une âpre entrevue avec les décurions Romains cantonnés au Tillius. Pour calmer leur nervosité, ils ont décidé de mener une course sur les hauteurs depuis le gué de Nantoritum.

Une vingtaine de soldats Romains, tous mercenaires fédérés venant d’horizons différents, sont rassemblés dans ce pagus voisin et ami. Ils sont assistés de douze cavaliers comprenant les deux chevaliers qui commandent l’ensemble de ce petit contingent. Leur charge consiste à veiller à la sécurité du pagus et de ceux environnants afin de garantir le ravitaillement des troupes qui y font régulièrement halte.

Pour cela il faut assurer la tranquillité des paysans, garder les sentiers et les voies de communication, éloigner les bacaudæ et surveiller les entrepôts. Les granges, les greniers et le tullianum doivent être toujours copieusement garnis, du moins dans la limite du possible. Ce poste rural fournit aussi tous les renseignements indispensables à l’Empire concernant les passages des hommes, leur identité et la nature de leur cargaison.

Le moindre mouvement de masse est immédiatement signalé aux præses de Iatinum et de Agedincum.

Cette armée romaine est bien différente de celle, majestueuse et puissante, formée sous le règne du Cæsar Hadrien. Son efficacité vaut bien moins par sa discipline que par la vaillance de ses soldats. Quatre ou cinq peuples se côtoient sans trop se comprendre bien que leur langue commune soit le « latin vulgaire ». Leurs coutumes et leurs cultures sont différentes, la plupart du temps fort éloignées les unes des autres. Les seules choses qui les rassemblent sont qu’ils ont tous été enrôlés de force, ou du moins sans en avoir vraiment fait le choix, et qu’ils sont payés pour tuer. Le costume et les armes aussi ont changé. Les fantassins ne portent que la lance, longue ou plus courte suivant les circonstances de leur intervention. Leur bouclier n’est plus ce large rectangle de fer à la couleur pourpre. C’est maintenant, du moins pour ceux-ci, un grand bouclier rond formé de planches de bois et recouvert de croûte de cuir.

Les cavaliers ne portent plus le glaive. Ils ont à leur ceinture la spatha, une épée ressemblant étonnement à notre épée gauloise, tranchante des deux côtés avec une lame large et longue, mais avec une garde étroite. De la hauteur de leur monture il est ainsi plus aisé de frapper et de porter efficacement leurs coups.

C’est le villicus Fredebert qui va à leur rencontre. Il s’approche du museau du cheval de son maître, flatte un instant la bête puis, se saisissant des rênes, s’enquiert adroitement du résultat de leur visite :

- Je t’ai vu arriver, Seigneur. J’ai cru un instant que vous étiez agressés mais j’ai vite compris que ce n’était qu’un jeu. Mais tu n’as pas gagné, Seigneur. Tu aurais sans doute pu faire mieux…

- Je ne suis pas motivé ! Le domaine commence à peine à se relever. J’ai maintenant suffisamment de gens dévoués et compétents, mais subitement ces soldats veulent reconstruire la villa du Tillius !

- Mais la villa a été reconstruite, Seigneur, et puis, elle n’a pas brûlé totalement…

- Certes, mais cette armée romaine prévoit de la fortifier et de rajouter une bâtisse. De toute façon j’ai refusé en leur demandant de choisir entre le ravitaillement ou les fortifications. Mes gens sont des paysans, pas des mationes !

Fredebert parcourt d’un regard interrogateur le petit groupe. C’est le villicus du Buyd qui conforte la position de son dominus :

- Je n’ai moi non plus pas assez de bras pour une telle entreprise. Fortifier, pourquoi ? Il n’y aurait même pas assez de soldats pour les poster à l’intérieur de l’enceinte et assurer sa défense…

Tarantann renchérit immédiatement :

- Prenitius a raison. J’ai même essayé de leur faire comprendre que, soit ils étaient soldats de piètre expérience, soit ils n’avaient jamais vécu le siège d’un castrum de leur vie !!!

Aulius se retourne vers l’homme en pointant l'index dans sa direction :

- Tarantann, je t’ai déjà averti. Tu es trop agressif avec ces gens de troupe. Sois plus modéré dans tes paroles et aussi dans tes gestes quelquefois. C’est quand même l’armée de l’Empire romain !

Note du Franc

Fredebert

Fredebert est un homme de grande stature, bien charpenté et aux muscles saillants. Ses longs cheveux châtain clair et sa moustache touffue pourraient faire penser de lui qu’il est Gaulois de pure souche. En fait, il n’en est rien. C’est un homme aux origines franques, un Franc salien. Tous les membres de sa famille sont arrivés en Gaule il y a déjà plus d’un siècle, chassés de leur domaine par les barbares Alains. C’était à ses dires un pagus prospère, riche de cultures, d’élevage et de sel, dont son ancêtre était le maître, le roi. Ils se sont alors installés dans un vicus, au sud de la Gaule Belgique. Lors des dernières grandes migrations, il y a de cela trente printemps, beaucoup des gens de sa tribu sont morts et les survivants se sont décidés à descendre plus au sud, en quête de meilleure fortune.

C’est au terme de leur fuite que Fredebert et les siens foulèrent pour la première fois la terre de Calagum, à l’automne, pendant les fêtes de Samain. C’était alors un tout jeune homme, encore un gamin. A cette époque, c’était le père de Aulius qui dirigeait le pagus et ses clients.

Nombre de familles et d’hommes vaillants avaient été massacrés durant les dernières incursions de ces bandes sauvages. Certains villages s’étaient quasiment vidés de leurs habitants et de grandes surfaces n'étaient plus exploitées.

La famille de Fredebert fut parquée sur le site de Maroialos en condition de quasi-esclave.

L’hiver fut rude cette année-là. L’un des hivers les plus méchants que l’on ait jamais connus. Les arbres craquaient et se fendaient sous le poids de la neige, mais surtout à cause d’un froid piquant, acéré. Les rivières et les rus sont longtemps restés barrés par une couche de glace de deux à trois pouces d’épaisseur. Pour ceux qui devaient s’aventurer à l’extérieur, il leur en coûtait des engelures sévères et souvent irréversibles. La terre glacée collait aux chausses elles-mêmes gelées. Les réserves étaient vides, la famine s’accentuait de jour en jour. Pour ne pas dépérir, on se nourrissait de soupes d’herbes confites retrouvées sous la neige. Un rat des champs ou un corbeau accommodé de fruits secs, de châtaignes ou de pommes, était un met réconfortant. Mais une menace plus terrible encore rodait en permanence autour des masures et des étables. Les loups, les chiens errants et même les harets semblaient vouloir se liguer pour achever ce que le froid avait commencé. Les loups étaient bien plus nombreux que les années précédentes, sans doute dérangés et chassés de leurs terres de l’est. Mais, du fait qu'ils n’attaquent qu’en bande, après avoir soigneusement sélectionné leur proie, leurs hurlements permettent de les localiser facilement. Il n’en est pas de même pour les chiens errants dont les meutes disparates attaquent sans discernement, à l’aveuglette, d’une manière sauvage et désordonnée.

Deux paysans sortis chercher du bois, dans le petit rassemblement de cahutes voisin, se sont vu amputer de quelques lambeaux de chair au bras et à la cuisse.

Malgré son jeune âge, le petit Fredebert rassemble les hommes de Maroialos et, grâce à son charisme, parvient à les mobiliser. Par un froid terrible et meurtrier, plus que chaudement vêtus, les pieds outrageusement protégés, ce groupe de paysans guerriers tente une chasse hasardeuse. Ils ramèneront un loup, deux chiens de belle taille et même une biche égarée par la faim. Cette sortie force le respect des gens du village envers ce jeune chef. Mais ce qui provoque davantage l’admiration de cette population, c’est la manière dont ce jeune homme a tué le deuxième chien lors de l’attaque de la meute. Alors qu’il avait déjà jeté sa lance sans succès, l’un des chiens le charge hargneusement sur sa droite. Ayant à peine le temps de faire face, il offre son avant-bras gauche à la gueule grande ouverte de l’animal. Dès que celui-ci s’en saisit, il tombe sur les genoux en tirant de sa main droite son grand couteau lacé sur le devant de sa ceinture. Dans cette position, le couteau fortement serré dans la main, il pousse son avant-bras plus avant au fond de la gueule de son agresseur, l’obligeant ainsi à pencher la tête en arrière et à découvrir son cou. Il l’égorge par deux passages, au milieu des aboiements canins et des hurlements des hommes. La tête du chien à demi décollée, pendante, est coupée puis abandonnée sur place.

Cette brillante expédition apporte de la nourriture pour plusieurs semaines, de quoi redonner de la force aux habitants et leur permettre d’attendre la fin de ces sinistres intempéries, mais elle a aussi le mérite de faire découvrir un chef. Pendant les années qui suivent, il dirige le bourg comme un maître paysan sans jamais rechigner à seconder un voisin ou même à prendre sa place lorsque celui-ci est alité. Il fait planter des saules, des noyers, des coudriers et multiplie les poulaillers en hauteur et fermés. Il oblige presque chaque chef de famille à étendre son jardin et à créer des réserves d’eau. Fredebert se met même en tête d’élever les lapins qu’il capture par poignées, tout ceci afin de ne jamais revivre ce trop dur hiver.

Plus tard, Cornelius, le père de Aulius, las d’entendre parler de ce nouveau dirigeant, le fait mander à la villa. Celui-ci n’y arrive que plusieurs jours après son invitation, tenant un petit cochon d’un mois à peine en guise d’offrande. Alors que le dominus, courroucé, lui fait remarquer son retard inconsidéré, le jeune Franc s'explique calmement :

- Ceci est pour toi, Seigneur. C'est un cadeau, avec tous les honneurs qui te sont dus, que ma mère mourante t’adresse !

Le vieux notable, captivé par la présence de ce jeune homme, décide de le garder quelque temps au domaine. Sur sa demande, il est même autorisé à fréquenter la scolari une demi-journée par semaine.

Un jour où Aulius et son père l’observent tandis qu’il dirige adroitement deux hommes pour la réfection d’un charroi, le vieux maître le questionne :

- Dis-moi, Fredebert, quelle est ta terre ? Es-tu de nos gens, de notre peuple ?

- Ici je suis bien, Seigneur. Alors, cette terre est ma patrie.

Lorsque le père de Aulius rejoint ses ancêtres et que son régisseur est devenu trop âgé pour assumer ses tâches, le nouveau dominus, Aulius, le prend à ses côtés et le nomme villicus.

Tarantann et les gardes s’emparent des chevaux qu’ils mènent jusqu’à l’entrée du stabulum, là où ses gens les prendront en charge. Puis, le fougueux guerrier s’en retourne rejoindre son dominus dans l’atrium de la villa. En cette période l'air est encore froid durant la journée et, lorsque le soleil décline, il vaut mieux se réunir à l’intérieur, autour des brûlots, une coupe de zythe à la main. La petite assemblée palabre jusque tard dans la soirée à propos de cette nouvelle demande de fortification. Un grand caccabus débordant d’un sauté de poule et agrémenté de topinambours calme pour un temps la ferveur des discussions. Puis les échanges verbaux reprennent et, tout en étant par moments houleux, les hommes sont néanmoins tous d’accord sauf pour ce qui à trait à l’extension des dortoirs pour satisfaire au nombre plus élevé des soldats. De tels ouvrages monumentaux sont inutiles pour le moment et, s'ils devaient se faire, cela ne pourrait être envisageable qu’après les moissons et les vendanges, juste à l’entrée de l’hiver.

Les journées suivantes se passent à superviser les ultimes labours et les dernières semailles. Maintenant, tout semble prêt. Il ne reste plus qu’à surveiller la montée prochaine de la troche. Aulius et son villicus poussent leur tournée d’inspection jusqu’au Buyd mais ils n’ont pas d’inquiétude particulière. Ils savent que le vicanus Prenitius s’est déjà acquitté de toutes ses tâches et que la récolte prochaine sera bonne. Seulement, il y a aussi les problèmes de sécurité à l’intérieur du pagus. Le Buyd forme un vicus frontalier avec ceux des environs. Son chef est appelé régulièrement à la table de Calagum. C’est un ami de Aulius. Non seulement les deux hommes se connaissent depuis leur plus tendre enfance mais leurs forces complémentaires et leurs positions les protègent l'un l'autre.

Les patrouilles opérées par les soldats romains sont répertoriées, analysées, voire surveillées. Il n’est pas rare que des plaintes surviennent suite à des altercations verbales entre les patrouilles romaines et les guerriers de Prenitius ou de Tarantann. Il faut dire que Prenitius, en bon gaulois de souche, ne fait pas que garantir la sécurité lorsqu’il maraude avec ses hommes : Il chasse aussi.

Sa dernière course avec un cerf l’a conduit loin à l’intérieur des terres de Dodunum. Sur le chemin qui le ramenait alors au Buyd, quelques soldats l’attendaient. Il s’est fait sérieusement sermonner et même, quand il a voulu les convaincre que le dominus de Dodunum n’en était pas à un cerf près et qu’il terminait lui aussi quelquefois ses courses sur les terres du Buyd ou du Tillius, le ton est monté très haut. Il s’en est fallu de peu pour que cette rencontre ne tourne à l’affrontement.

Les autorités romaines n’apprécient guère que des pagi voisins communiquent ainsi en parfaite entente et qu’ils puissent se réunir pour conjuguer leurs forces. Ils préfèrent les voir sagement divisés, fédérés et chacun chez soi.

Ce jour-là, peu après la douzième heure, presque à la tombée de la nuit, quatre cavaliers se détachent sur le sentier venant du gué des Morins. Ils chevauchent d’un trot rapide, ne semblent pas vouloir ralentir à l’approche de la villa, mais ne paraissent pas pour autant belliqueux. Deux gardes arrivent aussitôt à la porte nord et fouillent de leurs yeux le crépuscule naissant. L’un des cavaliers force l’allure pour se porter en avant. A un peu plus d’un actus de l’enceinte, il hurle en levant le bras :

- Faite place à Ambianus, dominus de Gaudiacum ! Place à Ambianus !

Fredebert, qui rapportait quelques outils dans les chartils placés derrière la culina, se fige en entendant cette voix qu’il connaît bien : Ambianus ? Ambianus à cette heure ? et avec ses meilleurs hommes !

Il abandonne aussitôt sa charge qu’il jette au pied du mur puis se dirige d’un pas rapide vers la cour centrale. Son dominus a lui aussi entendu le bruit des chevaux et le cri du garde. Ils se retrouvent pratiquement côte-à-côte au centre de la curtis. Les quatre montures franchissent au pas la porte nord de l’enceinte. Le garde marche déjà en direction du villicus lorsque Ambianus met à peine pied-à-terre. Fredebert regarde l’homme, interloqué, presque inquiet. Ils se connaissent depuis de longues années, ont le même âge et il est Franc comme lui, ce qui leur a permis de forger une belle amitié :

- Bienvenue, frère. Mais pourquoi toi et ton maître êtes-vous en chemin par cette heure tardive ? Y aurait-il grand danger ?

- Pas encore, mais tu vas le savoir maintenant.

Aulius accueille son voisin et son ami les deux bras grands ouverts. L’autre lui répond de même et prend de suite la parole :

- Je te demande l’hospitalité pour cette nuit, Seigneur. Nous ne te dérangerons pas. Nous repartirons très tôt demain, dès la première heure.

- Ce n’est pas ton habitude d’arriver à une heure aussi tardive. Et pourquoi viens-tu par ce chemin ? Ce n’est d’ordinaire pas ta route.

- J’ai à te parler, frère. Une situation qui peut devenir préoccupante pour nos deux pagi.

Aulius hoche la tête puis d’un signe de la main invite ses hôtes à pénétrer dans l’atrium. Près de la grande table il balaye de sa main les bancs pour les inciter à prendre place. Interpellant son régisseur, il lui signifie de s’assurer auprès du coquus que les mets servis pour la cena seront suffisants et dignes de son hôte.

C’est toujours ainsi que ce notable chrétien reçoit ses invités des pagi environnants devenus depuis de longues lunes des amis. Sa table est toujours ouverte et son stabulum toujours prêt à accueillir une monture de plus.

Ambianus explique qu’il a pris le sentier longeant la rive droite de la rivière des Morins. Il a ainsi débouché aux brocciæ puis pris le gué en toute hâte. Lui et ses hommes ont chevauché au galop depuis pratiquement la sortie de Gaudiacum.

Il s'empresse de narrer ce qui le tourmente :

Tôt dans la matinée, une quarantaine de cavaliers surgissent des coteaux sud de Gaudiacum et passent tranquillement le gué au pas. Ils remontent paisiblement vers sa villa au grand désarroi de ses gens, pétrifiés, s’éparpillant en tout sens et cherchant à se protéger. Une bien curieuse réaction de peur face à ces guerriers fortement armés, mais qui pourtant voyagent sans la moindre intention de nuire. S’ils avaient voulu attaquer et massacrer cette populace, ils auraient fondu sur eux sans coup férir…

Arrivés devant l’enceinte de sa villa, cette petite armée se range dans un ordre parfait sur six montures de profondeur formant un carré d’une impressionnante barrière de six cavaliers de front. Leur chef et deux de ses lieutenants mettent pied-à-terre.

Lorsque Ambianus apparaît, escorté d’une dizaine de gardes préparés en toute hâte, ce chef les salue généreusement, la main droite sur le cœur. Il s’annonce dans un latin parfait :

- Ave, Seigneur Ambianus, vale noble Dominus.

Ambianus s’avance alors sans crainte car ce n’est pas vraiment une attitude de barbares ou de bacaudæ que de saluer poliment les gens que l’on espère égorger. Sans doute afin d’appuyer la qualité de leur visite pacifique, les deux lieutenants débouclent le ceinturon qui retient leur épée, puis la leur offre à bout de bras.

D’un geste symbolique, Ambianus balaye doucement la troupe du bras, les doigts écartés signifiant ainsi aux deux guerriers de rattacher leur arme.

Leur chef s’appelle Gondioc ou Condiac, mais les échanges se feront sous le nom de Condiacus. Ce sont des Burgondes, des Bourguignons et cet homme est leur roi. Ils se sont rassemblés à Autricum et se dirigent à marche forcée vers Noviodunum où ils doivent établir une jonction avec les Francs de Merovius.

L’homme demande l’hospitalité pour lui, ses guerriers et leur monture. Il dit avoir traversé avec peine ces pagi forestiers aux voies étroites et difficiles. Il mande une seule journée de repos et de bien-manger s’il en est possible. Ils paieront.

Aulius l’interrompt un moment, étonné :

- Des Burgondes ? Des Burgondes dis-tu ? Mais ces gens sont loin de leurs bases ! Pourquoi ce peuple négocie-t-il avec les Francs de Merovius ?

- Calme-toi, frère. Laisse-moi finir et tu aviseras.

Le dominus de Gaudiacum reprend son exposé en précisant que ce roi l’a largement rémunéré et que sa troupe était tout ce qu’il y avait de plus correcte. Ils ont soigné eux-mêmes leurs chevaux et amplement participé aux tâches subalternes. Puis il poursuit en relatant quelques anecdotes insignifiantes. Lassé de ce surplus de détails, Aulius l’arrête d’un signe de la main :

- Mais enfin, Ambianus, tu ne me dis toujours pas ce que ces Bourguignons faisaient si loin de chez eux et aussi pourquoi ils parcourent plus de cent lieues gauloises pour rejoindre Merovius.