Marie-Madeleine - Didier Moreau - E-Book

Marie-Madeleine E-Book

Didier Moreau

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Beschreibung

Qui était Maryam, cette jeune et noble femme de Magadan, qui a traversé des siècles d'Histoire sous le nom de Marie-Madeleine ? Bien des légendes ont enveloppé son mystère. Combien de récits apocryphes, de vérités cachées, de manuscrits interdits nous ont invités à déformer son image ?

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magda rogne benue

moult sainct rop sang fuent

Table des chapitres

Il est temps

En quelques minutes

Sans que le moindre mot

Unissant leurs derniers efforts

Sur sa barque

Narrer ses démarches

A quelques lieues

Zéle de par son éducation

Arivé depuis peu

Resté seul dans la taverne

Imaginer un seul instant

Nombre de citoyens

Un vent modéré et chaud

Surpris par l'attroupement

Epilogue

Glose et Compendium

Epitome

Carte maritime de l'exode

Chapitre premier

Il est temps de partir maintenant, pensait cet homme. Les yeux fixés sur le lac de Galilée, debout sur ses deux jambes solides, sa stature imposante ne pouvait trahir ses inquiétudes. Lui, l’homme qui avait réclamé et obtenu le corps de son Seigneur vénéré, l’esprit bouleversé d’incertitudes, cet homme se retourne. Lui, c’est Iosèphe. Il ne peut s’empêcher d’apostropher fermement sa maîtresse :

- Il est grand temps de partir, Maîtresse !… L’attelage est depuis longtemps prêt. La route va être longue et le soleil apparaît déjà. Elie nous revient de Jérusalem et les nouvelles qu’il apporte ne sont pas très bonnes. Nous allons devoir franchir le col et les romains doivent y être déjà. Il faut nous dépêcher !

Ce fier rabbi parle d'une voix calme et grave, mais assurée. Il sait, depuis leur première rencontre, que cette femme est sa Divine Maîtresse et qu’il faut lui porter assistance et protection. Il sait que de lui dépend cette engeance libératrice qu’elle porte en son sein. Il sait qu’il est de ces privilégiés, de ces élus qui, à jamais, seront aux côtés du Maître. Il est de l’équipage de « la Source » à la recherche des naufragés, voué à leur salut…

- Qu’en est-il de ma sœur ?

- Sainte Mère, je ne peux te répondre avec certitude.

Elle reste actuellement en Judée, en sa demeure de Béthanie, où elle est en sécurité, du moins pour l’instant présent. Mais je te le dis, il est fort probable qu’elle ait prochainement quelques ennuis et même de grosses tracasseries. Elle sera certainement en grand danger.

- D’où tiens-tu donc ces nouvelles ? Te voici devenu devin ou prophète ? Parle-moi avec vérité.

- Quand je te dis que les nouvelles apportées par Elie ne sont pas très bonnes, il n’est pas de ma volonté de te mentir ou de te cacher quelques embarras. La situation devient pesante à Jérusalem et, hier encore, plusieurs de nos frères ont été arrêtés et enfermés. Les romains n’en finissent pas de nous pourchasser. Les Pharisiens les ont renseignés sur ta présence dans tes terres et l’on dit même que certains de ces misérables ont évoqué quel pourrait être ton état de femme.

Il faut partir avant que les romains ne réitèrent leur chasse au roi…

Le souhait de ta sœur est de te faire parvenir une missive de bien-être dès la fermeture des ventes de votre domaine. Pour mener à bonne fin cette opération, et pour la sécurité de nos frères, tu dois malheureusement partir.

Un léger souffle de vent chaud s’est levé soudainement. La robe bleue de Maryam se balance avec grâce.

Iosèphe regarde maintenant la femme avec plus de douceur. Il ajoute :

- Elle te fait aussi savoir que vos destins sont divinement étroitement liés, qu’elle se rapprochera prochainement de toi et que, dans votre avenir, elle ne fera qu’une avec toi puisque, de l’issue d’un même nom, la parité de prénom ne peut couvrir que des destins semblables.

Ce sont ses propres paroles, Maîtresse.

Pardonne-moi pour ce péché d’omission volontaire, je ne voulais pas te mettre en situation d’inquiétude avant notre départ.

Il esquisse un signe de tête marquant son respect, tourne le dos, puis marche en direction de la porte principale de la grande maison. A quelques pas de là Elie, aidé d’un membre du domaine, s’affaire aux dernières vérifications. Il examine gravement les fixations des malles et des apprêts, insiste consciencieusement sur les attaches du seul cheval encore disponible au domaine.

Il lui faut aussi penser à la réserve d’eau indispensable aux voyageurs pour supporter la lourde chaleur des sentiers de Galilée. Trois poches seront emportées. Iosèphe, lui, portera quelques nourritures et un peu de vin.

Il est prévu une ou peut-être deux haltes en chemin.

Bien évidemment peu de personnes sont avisées de ce départ. Ce sont avant tout des frères fidèles, des âmes pieuses et charitables qui risquent leur sécurité pour voir leur Divine Mère une dernière fois.

Le soleil se lève sur le lac de Galilée. Une lumière presque timide, effacée, semble jouer avec les eaux paisibles en les parant de milliers d’étoiles scintillantes.

Iosèphe apparaît quelques minutes plus tard, sortant de la cour latérale de la grande demeure. Il est en compagnie de deux mulets dont l’un est déjà chargé, déjà sanglé. Il rejoint Elie encore affairé près de l’attelage.

Sentant sa présence, Elie se redresse et se tourne vers Iosèphe. Il prend les deux longes des bêtes et les noue à la petite charrette :

- Seigneur, tout est-il prêt ?

- Oui, Elie, lui répond Iosèphe d’une voix ferme. Puis il ajoute : Tu monteras cette mule apprêtée. Sa charge est précieuse, ne l’oublie pas ! Nous ferons comme nous en avons convenu.

A cet instant Maryam sort par la grande porte de la maison du domaine pour se diriger vers eux. Elle est sereine, heureuse, mais décidée.

C’est alors qu’Elie aperçoit l’ombre d’une vieille femme qui semble accompagner des yeux sa Maîtresse.

- Seigneur, n’est ce point Elisabeth ?

- Oui, Elie, acquiesce Iosèphe. Elisabeth nous est arrivée hier pendant que tu revenais de Jérusalem. Elle a aidé notre Maîtresse tout au long de cette dernière journée à préparer ses effets. C’est elle aussi qui a apprêté ce mulet que tu monteras.

- Mais alors, Seigneur ? Ce mulet, ces effets, les amendements de notre voie ?

Elie ne savait plus parler. Sa voix interrogative et incertaine trahissait presque la crainte de ne pouvoir supporter une telle responsabilité. Iosèphe le fixe alors et le surprend d’une voix grave :

- Oui, Elie. Tu conduiras la monture qui portera tous nos plus importants écrits. Il nous faut partir maintenant.

L’homme fait quelques pas à la rencontre de Maryam puis, s'adressant à elle :

- Maîtresse, il nous faut partir. Es-tu prête ?

- Oui, Iosèphe. Allons !

A l’instant où elle esquisse les premiers efforts pour se hisser sur le mulet qui lui est destiné, Iosèphe lève la tête et se fixe. Deux silhouettes se détachent sur le morne du sud, dévalant celui-ci avec précipitation. Elie, suivant le regard de son compagnon, s’exclame :

- Qui sont ces gens, Seigneur ? Que nous veulent-ils ?

Iosèphe a déjà reconnu Isée et David. Deux nobles marchands pêcheurs, des fidèles convertis issus de la tribu de Benjamin.

- Ces gens ne viennent pas pour nous rencontrer. Ils sont en route vers Magadan. C’est l’heure où les premiers bateaux viennent proposer leurs pêches. Hâtons-nous !

La suite s’ébranle doucement. Elle prend la direction de l’ouest, tournant le dos au lac de Galilée.

Iosèphe marque l’allure avec l’attelage. Les mules, habituées aux caravanages, suivent avec leurs divins.

En quelques minutes la petite caravane a déjà dépassé les dernières maisons du bourg. Il lui faut maintenant traverser les terres cultivées avant de s’enfoncer dans les passages tracés, au fil des siècles, entre les monts.

Bientôt la végétation se fera moins dense, presque inexistante. Le sentier, jusqu’alors large et plat, laissera place à une piste, étroite et rocailleuse, semée d’embûches.

Iosèphe se retourne. Il contrôle rapidement l’allure de sa suite. Rassuré sur les voyageurs et leurs précieuses cargaisons, il jette un dernier regard sur le lac devenu à peine visible.

Cela fait maintenant plusieurs heures que le saint équipage chemine. Le soleil, plus haut, est devenu plus chaud. Le paysage semi-aride de cette partie de Galilée semble ne jamais varier. Partout ce sont des monts, des vallées à peine couvertes d’une végétation rase. La légère brise reçue au visage marque la différence avec la chaleur pesante ressentie au dos des voyageurs. Devant, le vieux cheval marque le pas, imperturbable, martelant le sol poussiéreux de ses sabots. Les mules, elles, ne faiblissent pas. Peut-être fortes de leur conscience et de leur conviction de devoir inscrire dans l’Histoire cet exode important.

Iosèphe ne dit mot, les yeux toujours fixés sur l’horizon, guettant quelque danger qui pourrait survenir à tout moment. En position légèrement surélevée par le fait du banc de la charrette il peut voir plus loin et discerner plus facilement les détails susceptibles d'accroître la sécurité ou le confort de la caravane.

Il sait que la route commence à devenir pénible pour sa Maîtresse. Son état de future mère ne peut lui permettre de supporter plus longtemps cette lourde épreuve physique.

Si toutefois son appréciation du chemin déjà parcouru est correcte Iosèphe sait que, dans quelques minutes tout au plus, ils seront en vue d’un bosquet ombragé, sorte d’oasis où un maigre point d’eau subsiste, halte privilégiée, bénie des hommes et des bêtes.

Elie ferme la marche. Lui aussi observe avec attention son environnement et sa Maîtresse.

Soudain, son regard est attiré par une colonne de sable s’élevant au loin :

- Seigneur ! Seigneur !

Iosèphe se retourne et voit son compagnon qui, le bras tendu, désigne l’horizon. Il faut stopper la caravane.

Elie descend prestement de sa mule et rejoint Iosèphe :

- Seigneur, ce nuage de sable laisse deviner qu’une troupe approche. Le vent n’est pas assez fort pour engendrer un tel tourbillon.

Iosèphe a toute confiance dans le jugement d’Elie. Celui-ci est beaucoup plus jeune que lui et sa vue, sûre et précise. De plus, il connaît parfaitement les signes de la route et du désert.

Avisant un amas de roches sur la gauche, à quelques dizaines de pas de là, il décide immédiatement de gagner ce qui leur sera un abri de fortune.

Il manœuvre alors la charrette et prie Elie de le suivre tout en prenant bien soin de Maryam.

Celle-ci a déjà compris. Elle veut mettre pied à terre.

Elie se précipite alors pour la soutenir et l’aider. A peine descendue, elle le regarde. Il n’y a point d’inquiétude dans ses yeux. Elle le questionne alors de sa voix douce :

- J’ai vu cette poussière Elie. Crois-tu à un quelconque danger ?

- Oui, Maîtresse. Ce nuage ne peut en aucun cas être causé par une caravane de marchands. Il est trop important.

- Des romains, Elie ?

- Cela se pourrait, Maîtresse.

Tout en lui répondant, il se tourne vers l’horizon. C'est alors qu'il aperçoit brusquement quatre ou peut-être cinq points noirs qui se détachent du tourbillon. Ils avancent vite.

Maryam, aidée par Elie, a tôt fait de se mettre à l’abri. Son chariot est aussitôt caché.

Elie revient alors sur ses pas pour escorter les deux mules restées sur le chemin. Une fois harnachées à la charrette il gravit quelques roches pour trouver un observatoire sécurisé. De là haut, et pendant un bon moment, il observe de nouveau l'horizon puis rejoint son compagnon.

Iosèphe l’accueille par une question :

- Qu’as-tu vu, Elie ?

Maintenant qu'il est sûr de l’identité de cette troupe il peut répondre à son maître d’équipage avec précision :

- Ce sont des romains, Seigneur ! J’ai pu compter six cavaliers. Leurs montures ont l’air fraîches. Ils galopent aisément en direction de Magadan me semble-t-il.

Iosèphe paraît rassuré. Cette cache éphémère doit faire l’affaire. Il est certain, à présent, qu’il ne s’agit pas d’une patrouille de recherche mais de quelques centurions nantis d’une autre mission. Il se pose sur une roche, non loin de sa Maîtresse, puis s’adresse à Elie :

- Profitons-en pour nous rassasier et nous désaltérer.

Les romains n’ont pas pu nous voir car ont le soleil dans les yeux.

Du chargement de sa mule Elie décroche une poche d’eau encore pleine, prend quelques galettes, puis vient s’asseoir près de Iosèphe. Il ne reste plus qu’à attendre le passage de la patrouille…

Le bruit des sabots s’amplifie déjà. C’est à peine si l’on commence à ressentir les premières vibrations du sol, mais les cavaliers se rapprochent vite.

La patrouille ne doit plus être loin ; peut-être est-elle même toute proche. Le son devient plus sourd, semblable à un orage qui gronde.

Elie enjambe quelques rochers, ajuste un œil dans un interstice car il tient à s'assurer discrètement que les romains passeront sans les remarquer et constate qu'ils ont l’air trop pressés pour prendre un quelconque intérêt à leur environnement. Il les regarde alors disparaître en un galop soutenu soulevant un épais nuage de poussière. Lorsque plus aucune trace de cette petite tornade ne sera visible, ils pourront reprendre la route.

Une fois redescendu du petit monticule, tout est redevenu parfaitement calme. Il s’apprête alors à réunir les derniers restes de la collation et à fixer de nouveau la poche d’eau sur sa mule.

Iosèphe a compris qu’il fallait repartir au plus vite et gagner le point d’eau tout proche pour dépasser leur première halte de mi-chemin.

Elie détache les deux mules de la charrette et, en les faisant pivoter, s’adresse à son Maître :

- Seigneur, ces romains viennent certainement de Cana. Leurs montures ne montraient que peu de signes de fatigue. Cette voie est très fréquentée, Seigneur !

Ce conducteur bien avisé a déjà tourné la charrette.

Menant l’attelage vers le sentier il observe sa Maîtresse puis, ayant senti quelques hésitations dans la voix d’Elie, s’arrête et se tourne vers lui.

Il doit assurément quelques explications à son compagnon :

- Tu dois bien savoir que, venant de Cana, les romains passent usuellement par cette voie pour rejoindre Tibériade ou Capernaüm.

Nous sommes à quelques lieues du point d’eau, Elie. Après cette halte, il nous faudra peu de temps pour dépasser « les trois chemins », c'est-à-dire jusqu’à l'embranchement qui mène à Cana.

A ce croisement, nous prendrons la direction de Ptolémaïs. Seuls quelques marchands fréquentent cette route et les romains y sont peu nombreux.

Allons, Elie !

La petite caravane est de nouveau formée. Maryam, aidée de Elie, prend place sur son mulet et ne dit mot.

Iosèphe donne alors le signe du départ. Tous savent qu’un long chemin reste encore à parcourir.

Le sentier, tracé à mi-flanc du mont, amorce une légère pente. Soudain, au détour d’un amas rocheux, une masse verte apparaît en contrebas, sur la droite : c'est le point d’eau des «trois chemins ».

En quelques minutes le sentier devient plus pentu. Il faut prendre garde. Une charrette est plus difficile à maîtriser en descente.

Iosèphe met pied à terre. Il marchera devant en tenant la bride du cheval pour contrôler l’attelage, pour le ralentir si nécessaire.

Ils avancent ainsi, au pas, en direction de cette étape salutaire.

Le soleil, très haut, est peut-être à son point culminant.

Bientôt, les premiers cyprès de l’oasis apparaissent distinctement.

Le sentier devient plus plat, plus large, et donc plus sécurisant pour l’attelage. La végétation, bien que rase, est plus dense. Quelques oliviers se dessinent, tout proches. Il serait bon que le cheval puisse manger lui aussi.

Après quelques dizaines de minutes, enfin, ils pénètrent dans cet enclos de verdure. L’eau est là. Une maigre source souterraine alimente un bassin de quelques pieds carrés à peine.

Lorsque Iosèphe stoppe le convoi. Elie a déjà fait descendre Maryam. Il s’affaire maintenant à l’attache des mules. Ensuite, il préparera la collation.

Le patriarche, anxieux, observe l’ombre projetée des arbustes proches de lui.

Elie le rejoint, apportant eau et nourriture.

- Quelque chose vous inquiète-t-il, Seigneur ?

Iosèphe ne peut cacher un visage sombre en lui répondant :

- Nous ne pouvons rester ici trop longtemps.

Regarde, Elie, le soleil est au zénith. Nous devons parvenir à Ptolémaïs avant la nuit.

Tu sais, tout comme moi, que notre chargement est précieux. De plus, notre Maîtresse ne peut courir aucun danger, si maigre soit-il.

Cette étape est incontournable pour les voyageurs ou les romains allant ou venant de Cana. C’est aussi une halte pour la route de la mer. Trop de gens passent ici. Ne nous attardons pas !

Sans que le moindre mot ne soit échangé, le repas se déroule dans une sincère convivialité. Une salve d’œillades partagées qu'accompagnent le recueillement et les prières de Maryam rassurent et apaisent Iosèphe. Tous ont conscience de l'importance de cet exode. Ils se savent en devoir de perpétuer l’œuvre de leur Divin Maître, d'assurer la pérennité du sang royal. Il leur faut, dès lors, répandre et cimenter la parole de leur Dieu pour élaborer, au sein des peuples, les fondations qui supporteront ses nouvelles églises.

Après cet instant de quiétude, Iosèphe pressent un danger. Et si quelqu’un les observait ? De l'endroit encaissé où ils se trouvent, il est très facile d’être épié sans être vu.

Il ne quitte pas des yeux le petit bâton qu’il a planté dans la terre devant lui à son arrivée. L’ombre projetée lui indique le moment de la journée et lui permet de mesurer le temps écoulé.

Maintenant, cette ombre est étale. Il faut repartir.

Mais Elie a déjà compris. Il oscille légèrement de la tête, se lève, et s’adresse à la fois à Iosèphe et à sa Maîtresse :

- Remettez-moi les restes de votre repas je vous prie !

Je vérifie de suite les montures puis m'en vais remplir les outres.

Iosèphe se lève à son tour. Regardant Maryam avec douceur, il lui dit :

- Maîtresse, vous resterez dans le chariot. Je monterai la mule. Votre état de Divine Mère ne doit souffrir aucune contrainte inutile. Il nous reste un long chemin à parcourir et nous n’arriverons au port qu’à la tombée de la nuit. Ensuite, il nous faudra prendre la mer.

Elle a entendu. De toute manière, elle sent la fatigue l’envahir. Elle connaît les lieux pénibles qui se découvrent jusqu’à Ptolémaïs mais sa foi en son compagnon et maître la soutient.

Iosèphe l’aide à se hisser dans le chariot et veille à ce qu'elle soit bien installée. Elle réajuste sa belle robe bleue et la tapote avec grâce pour ôter les quelques poignées de sable qui s’attachent encore.

Elie est maintenant de retour avec trois outres gonflées. Il enjambe son âne. Son regard se pose sur Iosèphe.

Donne le signal, Seigneur ! semble-t-il implorer.

Les voyageurs sont bien installés et prêts pour le départ. Iosèphe se saisit de la longe du cheval et, de son mulet, ouvre la marche. La caravane s’ébranle, reprend la route. Il leur faut continuer peu de temps dans la vallée pour parvenir aux « trois chemins ». C'est là où les pistes forment une fourche, l'endroit où les hommes dresseront plus tard une croix que les fidèles appelleront un calvaire. Ils marqueront ainsi la conjonction de ces trois routes gavées d’histoire, la trinité des chemins divins qui savent relier Ptolémaïs, Cana et Magadan.

Passant cette conjonction, Iosèphe est inquiet. Il n’a de cesse que d’observer et de fouiller les trajectoires de ces trois destinations. Il sait ses yeux pauvres en perception, mais sa confiance en Elie le rassure quelque peu. Ce fidèle et pieux compagnon aux yeux aiguisés, aux oreilles sans cesse en éveil, représente pour lui le maître chat du caravanage.

Cela fait déjà de nombreuses heures qu’ils cahotent sur les sentiers. Juste avant de franchir le sommet des monts les plus hauts, le soleil semble s’effacer. La journée, se voulant finissante, apaise la chaleur mordante qui épuise inlassablement les voyageurs. Mais le soleil est droit devant eux. Ils le reçoivent en plein visage. La lumière vive inonde leurs yeux les rendant ainsi aveugles, exposés à un danger potentiel qui devient maintenant invisible.

Pour protéger sa Maîtresse, Iosèphe, lors d’un insignifiant repos, a couvert le chariot d’une toile. Mais cette toile est blanche, encore plus remarquable, plus identifiable.

Elie ferme la marche. De ce fait, sa mule suit et se laisse guider. Désengagé de conduite, il a ainsi tout loisir pour scruter le moindre relief du paysage. Mais il est tourmenté. Il sent des vibrations, une présence.

Peu de temps passe avant qu’un bruit de tonnerre devienne perceptible, puis audible, puis… Cette fois, il n’y a aucun recours. Ils sont aveuglés par un soleil très agressif. Il est trop tard !

Une patrouille de romains, venue de nulle part, les aborde déjà. Huit cavaliers leur barrent promptement le passage puis les encerclent. L’arrêt brutal de cette troupe a soulevé un épais nuage mêlé de poussière et de sable. A peine immobilisé, le centurion de tête fait tressauter son cheval. Tirant par à-coups sur ses rennes, forçant sa tête de gauche à droite, il maintient ainsi sa monture dans un état d’énervement. Celle-ci impose, dès lors, la dictature de sa masse car ce ne sont pas de petits chevaux que montent les romains ! Rien à voir avec le vieux cheval du domaine, certes fier et courageux, mais court, plus enclin aux travaux des champs et au désert qu’à la course ou aux longues chevauchées pressées.

Iosèphe n’a pas attendu la démonstration cavalière du centurion. Avant même l’immobilisation de la patrouille il est debout, fermement planté, dos à son mulet, les mains croisées devant au niveau de la taille.

Elie doit mettre pied à terre pour ne pas être versé. Il s’empare fermement de la longe de son mulet, la tire violemment, et va la nouer à l’arrière du chariot. Son cœur bat très vite.

Les romains semblent belliqueux. Plusieurs d’entre-eux ont déjà la main sur la poignée ciselée de leur glaive. L’étendard, tenu par le soldat qui ouvre la patrouille, est abaissé. Les lances pointent vers chacun des voyageurs.

C’est comme une accusation avérée pour Elie, le résultat d’une inquisition dont la sanction se veut rédhibitoire. Sa foi et son courage sont inhibés. Inconsciemment, sans doute pour vouloir se rassurer, il fait quelques pas maladroits en direction de Iosèphe.

Le centurion ayant jaugé l’apparence de la misérable caravane calme sa monture. Il se dresse, debout sur ses étriers, puis harangue Iosèphe d’un flot de phrases en latin.

Iosèphe est surpris par le ton agressif de son interlocuteur.

Il réalise soudainement que le centurion ne comprend que le latin. Calmement, il s’avance d’un pas dans sa direction pour se retrouver juste à son côté.

Elie regarde tour à tour Iosèphe, le centurion, puis chacun des membres de la patrouille. Il est décontenancé, désorienté.

Iosèphe a choisi de répondre, mais dans un mauvais latin. Bien que ce soit la langue officielle de cette province romaine, peu de gens la maîtrisent. Il lui faudra donc jouer le marchand. Un mélange d’hébreu, de latin et de grec, devrait le calmer, du moins le lasser. Iosèphe commence donc un exposé oral et gestuel, aux paroles rapides et aux gestes larges, sous le regard ébahi d’Elie, captivé, médusé.

A peine la voix de Iosèphe s’arrête-t-elle que le centurion hurle déjà quelques ordres à sa troupe. Trois hommes descendent de cheval et, le glaive à la main, gagnent la caravane.

Iosèphe reprend la présentation, mais cette fois appliquée et moins rapide. Il adopte de larges gestes, lents, plus explicites. Il va même jusqu’à esquisser quelques plans ou piètres dessins sur le sable. Le centurion l'écoute et semble le comprendre.

C’est l’instant que choisit Maryam pour quitter le chariot.

Elle avance avec grâce, avec douceur, réajustant sa robe à chaque pas. Sa longue chevelure rousse, ondulée, oscille avec le ponant devenu plus marquant. Depuis quelques lieues déjà, les vents plus forts, venant de la côte, se font ressentir.

Elie vient se camper derrière Iosèphe, un peu en retrait.

Au centurion, Iosèphe explique que cette femme est sa sœur et qu’elle doit retrouver sa mère mourante, à Ptolémaïs. Que, de là, ils ramèneront à Tibériade du matériel de pêche et des outils. Piètre mensonge en vérité. Que Dieu lui pardonne.

Un bref silence s’installe, soudain rompu par le passage d’un grand oiseau blanc.

Le centurion s’en trouve presque gêné. Son esprit s’égare un instant. Un aigle blanc ? Cela n’existe pas. Ce n’est pas possible !

La sainte femme ouvre les bras, regarde le militaire et, d’une voix presque monocorde, lui adresse ces mots :

- Seigneur, cet oiseau t’accompagne. Fasse qu’il te conduise en paix.

Puis, les bras croisés, elle s'en retourne et se dirige aussitôt vers l’arrière du chariot pour reprendre sa place.

Le centurion marque quelques hésitations se disant que cette caravane n’a aucun intérêt, que sa mission à Capernum (Capernaüm) lui apportera certainement plus de gloire. Il chasse prestement son long manteau pourpre vers arrière. Puis, de quelques mots nerveux, il invite la patrouille à se mettre en selle. Sur un signe les cavaliers se positionnent en formation, deux à deux, et s’élancent sans même prendre garde aux gens et aux bêtes de la caravane.

Elie les suit du regard.

Mais Iosèphe est déjà monté sur sa mule, prêt à repartir.

S’assurant que Maryam est installée, il donne un léger coup sur la croupe de sa monture et la suite s’ébranle.

Elie reste perplexe. Il n’a pas tout compris de l’attitude de Iosèphe mais s’interroge encore sur l’intervention de sa Maîtresse. Il rejoint Iosèphe à grands pas, laissant son mulet harnaché au chariot. Arrivé à son côté il lève la tête et lui demande :

- Seigneur, quel était ce jeu ?

- Ce n’était pas un jeu, Elie ! Je voulais amener les romains à croire que nous étions de simples gens voyageant pour retrouver leur famille, d’où ces artifices et ces mensonges.

Notre Seigneur et Maître me pardonne.

Ce péché d’usurpation volontaire ne cache aucun sentiment inavouable. Il n’avait de but que d’assurer notre passage.

- Et cet oiseau blanc, Seigneur ?

Iosèphe ne répond pas de suite. Il connaît la foi profonde d’Elie et il sait que celui-ci trouvera, seul dans son cœur, la réponse à cette apparition miraculeuse.

Ils cheminent encore quelque temps ensemble, côte-à-côte, s’échangent plusieurs impressions, commentent les paysages environnants.

Fatigué, Elie rejoint son mulet. Il laisse Iosèphe à ses pensées, à ses prières.

Le soleil s’affaisse déjà lorsqu’ils atteignent la dernière hauteur d’un morne. Soudain, ils retrouvent l’horizon qui semble se scinder en deux teintes remarquables de bleu. Un ton sur ton que Iosèphe et Elie connaissent bien. La mer est là, devant eux !

Chapitre II

Unissant leurs derniers efforts, les voyageurs redoublent d’espoir et de vitalité. Ils abordent la descente du mont avec sérénité. Le vent est plus frais et la mer est d’un bleu turquoise en cette fin de journée. Il leur semble que plus rien, ni personne, ne peut les atteindre ou les menacer. Et pourtant, il leur faut encore affronter d’autres dangers. Leur voyage commence à peine !

Déjà ils aperçoivent nettement les demeures du bourg. Les barques et les embarcations de pêche aux belles couleurs vives se détachent de l’azur des flots. Une galère romaine est ancrée dans le port. Elle s’identifie clairement. Peut-être était-ce celle qui transportait la patrouille qu'ils ont récemment rencontrée ?

En quittant la dernière pente du morne, arrivant sur les routes larges et plates de la plaine bordant l’arrière du bourg, Iosèphe sait où se diriger. De concert avec Elie, durant le voyage, ils ont élaboré l’itinéraire et revu mentalement le lieu probable du rendez-vous avec « le Grec ». Les masures du port de pêche de Ptolémaïs forment un village un peu à l’écart du bourg. De toute manière, ils éviteront le centre.

Ils avancent au pas, dépassent progressivement quelques demeures de belle facture, puis Iosèphe bifurque à gauche. Les abris modestes des pêcheurs se dévoilent. Avisant un bosquet, au bord du chemin formant une fourche, Iosèphe s’y dirige puis stoppe l’attelage. Il descend prestement du chariot. Il a pris son bâton et semble attendre.

Elie a lui aussi mis pied à terre. Maryam le rejoint et, ensemble, ils gagnent un bosquet : l’ombre attendue, l'instant de repos. Une branche basse, presque horizontale, leur sert de siège.

Trois hommes sont déjà passés devant eux, sans s’arrêter, sans les saluer. Une attente prolongée peut devenir inquiétante.

Venant du rivage, deux hommes apparaissent. L’un est de forte stature, l’autre plus petit. Ils se dirigent vers eux. Le plus fort aborde Iosèphe, toujours debout. Il le questionne en hébreu, fermement, avec un fort accent :

- Qui es-tu, l’homme ?

- Je me nomme Iosèphe. Je suis de Arimathée, aux confins de la Samarie et de la Judée.

- Si tu es l’homme que j’attends, connais-tu mon nom ?

- Oui, Elyzé, réponds Iosèphe avec assurance. Puis il ajoute : Tu es celui que l’on appelle « le Grec », car tu es Grec et ta foi est grande.

Le Grec baisse la tête.

- Seigneur, murmure-t-il en joignant les mains.

- Redresse-toi, Elyzé ! Dis-moi plutôt qui est ton compagnon.

- Il s’appelle Aleph, Seigneur Iosèphe. C’est mon meilleur marin. Peut-être le connais-tu ? Il est de la tribu de Juda. Ancien pêcheur sur le lac de Galilée, il a voulu choisir la mer. Il m’a été recommandé et adressé par les gens de Simon.

Seigneur Iosèphe, juste un moment !

Saluant Iosèphe, le Grec se retourne et fait quelques pas en direction de Maryam. Arrivé devant elle il pose un genou à terre, écarte les bras, murmure quelques phrases en hébreu, puis en grec. Est-ce une prière ? La sainte femme pose sa main droite sur la tête du Grec puis lui fait comprendre de se relever.

Il est maintenant debout mais, avant de s’en retourner rejoindre Iosèphe, il lui adresse maladroitement ces mots :

- Divine Maria, quel bonheur de te retrouver et de te servir !

Maintenant, les quatre hommes doivent s’entretenir de la suite des opérations à mener. Ils se consultent en toute confiance, échangent leurs expériences et leurs stratégies. La tâche est lourde. Il leur faut tout organiser, tout prévoir, même l’imprévisible !

Après quelque temps, le plan déjà finement préparé est achevé.

Ils embarqueront dès cette fin de journée. Mêlés aux barques qui partent en pêche de nuit ils seront ainsi mieux protégés. Le Grec connaît bien la mer et… surtout l’itinéraire qu’il a tracé ! Il sait comment naviguer de nuit. Il connaît parfaitement les courants, les étoiles et les routes migratoires des grands poissons. La mer est clémente en cette période de l’année. Les vents sont en majorité favorables.

Leur destination n’est plus Paphos, à Chypre, mais Salmone, en Crête. Il est trop hasardeux d’accoster à Paphos ! Avec les renseignements qu'ils ont obtenus récemment de l’équipage des grands navires il s’avère que, là-bas, la situation est tumultueuse. De Salmone il est plus aisé et moins risqué de prendre, de jour, la voie maritime de Rome. Il faut, malgré tout, se méfier du passage de Reggio.

La grande barque du Grec est apprêtée depuis déjà quelques heures. Une couche bien protégée est aménagée pour la Maîtresse et un espace lui est réservé pour ses effets. De nombreux vivres sont déjà embarqués.

Elie restera en Galilée. Il a pour charge de vendre le cheval et le chariot puis de s’en retourner à Magadan où il aidera la sœur de Maryam à vendre le domaine. Une fois cette tâche accomplie il gagnera certainement Béthanie ou Jérusalem.

Iosèphe, quant à lui, accompagnera Maryam jusqu’à Rome. Làbas, les compagnons de sa Maîtresse la prendront en charge pour la suite du voyage. Il retournera alors en Judée pour se rendre au service de la sœur de sa Maîtresse, Martha. Il lui reste encore tant de choses à assumer !

Tout est dit. Que les tâches s’accomplissent…

Cette fois, c’est avec l'aide d'Aleph qu'Elyzé prend en charge l’équipage pour le conduire au bord du rivage. La barque est grande et même majestueuse pour une embarcation de pêcheur.

Sur les directives du Grec, Aleph conduit la Maîtresse dans une cabane qui se trouve à proximité. C’est celle d’Elyzé, rustique mais confortable, où elle attendra la fin des préparatifs.

Les hommes se mettent à l’œuvre : ils doivent terminer l’approvisionnement en vivres et eau, transborder la malle et les effets de la sainte femme et surtout… aménager une cache, sûre et sèche, pour les manuscrits sacrés.

Elie prend le plus grand soin pour ôter de sa monture le précieux chargement. Il s'agit de deux sacs, de toile grossière, qui en contiennent eux-mêmes six autres. Au total ce sont donc douze sacs dans lesquels se trouvent séparément douze manuscrits, écrits de la main de leur Divin Seigneur et Maître. Il s'agit de L’Administration générique de son Eglise, transmise aux Apôtres. Elyzé les connaît pour les avoir vus en Judée, il y a plusieurs printemps, lorsqu’il a été baptisé. Mais l’heure n’est pas au recueillement et encore moins à la prière ! Les hommes doivent s’activer davantage pour se mêler au départ imminent des barques.

Sur le bateau, Elie est intrigué par une pierre plate posée à la poupe. Elle est large de presque un pied et percée d'un trou. Croisant Aleph qui embarque quelques outres de vin, il l’interpelle :

- Aleph, à quoi sert cette pierre ?

- Ah ! Cette pierre ?

Cette pierre me sert de lest lorsque je plonge dans la mer. Elle me permet de m’enfoncer plus vite et ainsi je peux passer plus de temps en profondeur. C’est Elyzé qui a ramené cette technique de Crête. Là-bas, les pêcheurs d’éponges et de coraux l’utilisent depuis des siècles. Moi, je la prends pour pêcher des crabes, des langoustes, des grillons ou les gros oursins de fond, mais rarement pour les éponges si ce n'est pour répondre à nos propres besoins.

- Mais pourquoi est-elle plate ?

Aleph se saisit de la pierre et simule une plongée :

- Vois, Elie :

Lorsque tu plonges, la tête la première et les bras tendus, la pierre que tu tiens à deux mains, à bout de bras, t'entraîne automatiquement vers le fond. Pour ralentir ou freiner ta descente, il te suffit de l'orienter face à toi. Une fois arrivé à la profondeur que tu désires, tu la lâches. Tes mains libérées te permettent alors de pêcher librement. Tu peux donc rester plus longtemps sous l'eau

- Et le trou dans la pierre ?

- Il sert à y attacher une fine corde fixée au bateau. Elle permet à la fois de récupérer la pierre, de sentir ma présence et de signaler ma profondeur. C’est un peu mon « fil de vie ».

- Elyzé est vraiment un pêcheur ingénieux et toi, Aleph, un marin très courageux. Mais je ne voudrais pour rien au monde descendre sous la mer ! Il dit que la mer appartient à un Dieu très puissant que tu dois d'abord honorer et vénérer quand tu pénètres chez lui.

Surtout, tu te dois de respecter son royaume et ne le violer que pour assurer ta propre nourriture.

Elyzé a beaucoup prié pour protéger notre traversée.

Disant ceci, Aleph s’est retourné et se dirige de nouveau vers la cabane.

Elie sent l’heure du départ approcher. Maintenant, tout semble être à bord.

Elyzé vérifie la franchise des attaches de son mât. Il sait sa voile épaisse et solide. Se relevant, il aperçoit les premières barques quittant le port. Elie les a vues aussi.

Déjà, la Maîtresse les a rejoints. Le groupe se trouve réuni. Maintenant, ils procèdent aux adieux par accolades, en mots rassurants, pleins d’espoir…

Le soleil, encore flamboyant, est tout juste au-dessus de l'horizon.

Elyzé monte le premier à bord. Puis vient Iosèphe soutenant sa Maîtresse. Elle devra rester invisible dans le petit habitacle où sa couche est aménagée car les femmes ne sortent pas en mer ! Il ne faut surtout pas qu’un pêcheur la voie embarquer. Ces gens sont simples et d’un naturel aimable mais, lorsque la pêche est bonne, ils aiment à fêter leurs prises. Ces marins, bien qu’inoffensifs, sont plutôt rustres et la vue ou le fait de savoir une femme sur un bateau pourrait mener à des escarmouches ; une simple parole échappée pourrait menacer grandement la sécurité de la traversée.

Elie jette un dernier regard vers la barque, croisant celui de Aleph debout à l’arrière. Tous deux ont presque le même âge. Ils auraient certainement pu être de bons amis ! Il détache le dernier bout et le lance à Aleph puis, joignant ses mains, commence à prier. Il priera ainsi une bonne partie de la nuit, rendant grâce à Dieu pour la protection qu’il accorde à ses missionnaires.

Alors qu'Elyzé a déjà hissé une demi-voile, la grande barque quitte lentement le port mettant cap sur l’horizon. En quelques minutes elle se confond avec la mer. Maintenant, elles ne font plus qu’une.

Elie, qui a le soleil couchant dans les yeux, est aveuglé par son halo de feu. Troublé, fébrile, inquiet, il reste seul.

Chapitre III

Sur sa barque, Elyzé mène ses affaires bon train. Le Grec est joyeux, avenant, et, malgré sa stature lui valant bien cinq talents, il saute comme un cabri et s’occupe de tout. Il a préparé lui-même le repas et l’a servi à son marin. Il a aussi relégué Aleph à l’arrière du bateau en le sommant d’ouvrir l’œil et d’exécuter fidèlement ses directives. Il a même sermonné Iosèphe à demi-mot pour ne pas mieux s’occuper de Maryam alors qu'elle présente les signes évidents de nausée causés par la houle. Maintenant il chante aux côtés d'Aleph. Entre deux couplets, pour conforter sa formation, il le gave de mouvements d’étoiles, de caprices de vents, lui parle de Phéniciens, de Crétois, de Romains et même de Gaulois ! C’est sa technique à lui pour rester éveillé en navigation de nuit.

Les ténèbres ont enveloppé la barque et son équipage. Le vent est plus calme. Seule la lune apporte une maigre visibilité. Elle fait miroiter la surface de la mer comme si les étoiles s’y baignaient.

Suivant les conseils d'Elyzé, Iosèphe s’est endormi aux trois quarts avant du bateau.

Maryam est maintenant endormie elle aussi. Après le repas, Elyzé lui a coupé un citron vert pour qu’elle le passe régulièrement sur ses lèvres. Cela lui a profité.

Aleph a bloqué la barre mais il reste malgré tout vigilant car il doit s’aider au maximum des courants et des vents tout en s’écartant de la route des galères de combat qui risqueraient de les aborder.

Le Grec a prévu une provision de vivres et d’eau pour cinq jours bien qu'il compte parvenir à Salmone avant trois jours. Il a déployé pleine voile.

Au lever du soleil le bateau n’avance plus ; les vagues le ballottent comme une noix. Pas un souffle de vent ne se fait sentir.

Elyzé vérifie un instant la trajectoire de sa route puis prévient qu’il va dormir.

Aleph, qui a somnolé par intermittence durant la nuit, reste aux commandes.

Quand le soleil s’élève plus haut, le vent se lève avec lui et la voile est gonflée.

Le repos d’Elyzé aura été bref : une heure à peine.

Il gagne l’arrière de la barque où il se concerte avec Aleph. Celui-ci lui montre les nuages noircis venant de l’est, mais il ne semble pas inquiet. Il rejoint Iosèphe et la Maîtresse puis, ensemble, ils prennent la collation du matin.

-Il faut nous attendre à la pluie avant la nuit, signale Elyzé.

Iosèphe esquisse un sourire :

- C’est bien. Nous pourrons prendre notre bain !

- Cette large vasque à la poupe nous permet de recueillir l’eau de pluie. Demain elle sera certainement pleine. Il y aura assez d’eau pour quatre bains !

Le vent s’est renforcé. Il n’est pas violent mais soutenu et, ce qui est parfait, il souffle toujours dans la même direction : l’ouest.

La grande barque semble fendre les vagues, laissant derrière elle un sillage prononcé.

Ce n’est que lorsqu’un timide soleil se lève, le matin du quatrième jour, que les feux de Salmone, encore visibles, dévoilent la terre toute proche. L’effervescence gagne les occupants de la barque. Dans quelques dizaines de minutes à peine ils toucheront le port.

Elyzé et Aleph s’affairent à remettre de l’ordre dans l’embarcation. Ils s’emparent de tous les coffres et des outres vides.

Les sacs de provisions sont réunis, triés, et les vivres restés consommables sont rassemblés dans d’autres sacs.

Le Grec attend un ami qui doit l’accueillir à Salmone. C'est un Grec, comme lui, mais qui souhaite devenir citoyen romain. Il est de famille aisée, mais son appétit de marchand lui dicte d’installer ses offices à Rome. Elyzé n’a pas une grande confiance dans cet homme même s'il lui est venu en aide à plusieurs reprises dans le passé. Ce n’était jamais pour rien, ou presque. Pourtant, Elyzé lui a promis de lui faire partager sa route contre un renouvellement de vivres.

Ils ne sont plus qu’à quelques encablures du port. Aleph prépare déjà les amarres tandis qu'Elyzé affale de moitié sa voile. Lorsqu’ils touchent la jetée de Salmone, la joie est grande.

A peine Aleph a-t-il sauté à terre et amarré les bouts qu’une silhouette s'approche. Elyzé a de suite reconnu cette démarche. Il s'empresse de rejoindre Aleph. L'homme, de bonne taille, mais de corpulence presque malingre, s’avance. Avisant Elyzé, il l’apostrophe directement :

- Elyzé, vieux compagnon, tu es fidèle à ta réputation !

Elyzé le regarde, heureux de retrouver Acrisonis.

-Acrisonis, tu es déjà là ! Comment sais-tu ?

- Une galère a vu ta voile à quelques miles d’ici. Elle est très reconnaissable ! Et puis… je suis prêt depuis hier déjà, les vivres et mes effets aussi !

- Tes effets ?

- Crois-tu que je pars sans quelques trésors cachés ? Ton marin est-il de confiance ?

–C’est mon meilleur marin et ami.

Il est chrétien comme moi.

Quels sont tes effets ? En vérité… il y a peu de place sur la barque pour toi.

- Je n’ai que dix ou douze sacs de médecines et d’épices rares avec, bien sûr, en plus, mes deux sacs d’effets personnels.

Je connais ton navire, Elyzé. Je sais que tu me trouveras un endroit.

- Ecoute, Acrisonis ! Ecoute bien ce que je vais te dire et retiens-le. N’entends pas, mais écoute et comprends !

Tu seras du voyage jusqu’à notre arrivée à Rome. Tu ne poses aucune question et tu te retiens d’ennuyer mes voyageurs. Je veux que tu les protèges : je te l’ordonne sur ta vie !

M’as-tu compris, frère ?

Acrisonis est saisi. Il a trop besoin de gagner Rome et, de plus, il ne pèserait pas lourd contre le Grec s’il lui opposait une quelconque résistance. Le ton de ce dernier n’est pas à la galéjade.

- Je ne voulais pas te froisser, ni te contraindre, Elyzé. Je ferai comme tu me l’as demandé. N’aie crainte !

- Je t’en remercie, Acrisonis. Maintenant montre-moi ce que tu as préparé. Je veux reprendre la mer aussitôt que nous serons apprêtés, avant que le soleil ne soit au plus haut dans le ciel.

Iosèphe et Aleph avaient suivi la scène avec un certain amusement. Durant le passage, lors de leurs nombreux échanges, Elyzé mentionnait souvent le fait que son ami de Salmone était plutôt fier de sa condition de nanti et assez imbu de sa personne. Par cette passe verbale il avait redressé d’un coup la nouvelle situation du passager Acrisonis.

Les deux Grecs s’éloignent en direction d’un abri à quelques centaines de pas du lieu d’arrimage.

Lorsqu’ils sont de retour, Aleph et Iosèphe terminent la remise en ordre de l’embarcation. Maryam est restée à terre à faire quelques pas de-ci, de-là. Elle semble même accoutumée à ces lieux.

Elyzé s’arrête sur la grève puis, s'adressant à ses compagnons qui s’affairent à bord :

- Acrisonis a dit vrai. Les approvisionnements sont là. Nous pouvons les embarquer dès à présent.

Aleph, prends toutes les gourdes et les poches vides. Va avec Acrisonis qui te guidera en quête de l’eau. Nous commençons de suite l’affrètement avec Iosèphe.

Aleph descend prestement à terre et rejoint Acrisonis. Il présente plusieurs poches à Elyzé et lui fait la remarque :

- Il nous faut peut-être plusieurs voyages.

- Faites votre affaire avec conscience et, lorsque tout sera terminé, Acrisonis chargera ses biens puis se mêlera à nous. Aleph, tu connais ton devoir et ta charge…

Le Grec a déjà fait volte-face et se dirige prestement vers l’abri des provisions.

Après quelques heures, l’affrètement est quasiment achevé. La barque est réaménagée avec ses nouvelles couches et son abri de toile. Les agrès sont vérifiés, parfois remplacés. Une pause nécessaire est instaurée. Les hommes et la Maîtresse devisent en buvant l’eau et le vin et en mangeant le pain de fèves, le poisson séché, et quelques oignons.

Les deux Grecs sont debout. Ils parlent de bonnes paroles, philosophent sur la conduite des hommes et sur leur maigre aptitude à vivre en paix. Elyzé, de mot à mot, de phrases en phrases, tente de persuader Acrisonis de la beauté du baptême, de la nécessité d’embrasser ses croyances, de se rallier à son Dieu et de le servir.

Il lui parle avec ferveur sous l’œil de Iosèphe assis juste en-dessous d’eux. Mais Acrisonis reste perplexe et semble se lasser.

Iosèphe et Aleph, face à face, croisent leurs regards. Puis Aleph regarde la mer, observe un moment le ciel et, en baissant les yeux vers Iosèphe, lui dit :

- Et si nous partions maintenant, Seigneur ? Nous pourrions accoster à l’ouest de l’isle bien avant la nuit !

- Tu es sage, Aleph ! As-tu entendu Elyzé ? Es-tu d’accord ?

Le Grec a entendu, il apostrophe Acrisonis :

- Allons, mon frère. Nous terminerons cette discussion plus tard.

Disant cela, il lui prend l’épaule et l’entraîne vers la barque.

Iosèphe ramasse quelques gourdes et les passe à son épaule. Il tend la main à Maryam, l’incitant à monter à bord.

En peu de temps Aleph a fait place nette sur le rivage et le voici déjà embarqué à son poste.

Elyzé libère les bouts et les roule immédiatement sur le pont.

Aleph tire la voile.

La barque appareille.