Le Théâtre et son double - Antonin Artaud - E-Book

Le Théâtre et son double E-Book

Antonin Artaud

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Beschreibung

Le Théâtre et son double est une série d'essais écrit par Antonin Artaud et publiée en 1938 dans laquelle il développe le concept de théâtre de la cruauté. Le livre consiste en une série de courts « essais » exaltés, à la forme poétique très libre. Certains de ces essais sont tirés de conférences, et même de lettres, adressées, entre autres, à Jean Paulhan, André Gide et Marc Bloch. Cet ouvrage est notamment connu pour avoir décrit le théâtre comme une "Réalité virtuelle".

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Table des matières

BIOGRAPHIE D'ANTONIN ARTAUD

PRÉFACE (Le théâtre et la culture)

LE THÉATRE ET LA PESTE

LA MISE EN SCÈNE ET LA MÉTAPHYSIQUE

LE THÉATRE ALCHIMIQUE

SUR LE THÉATRE BALINAIS

THÉATRE ORIENTAL ET THÉATRE OCCIDENTAL

EN FINIR AVEC LES CHEFS-D'ŒUVRE

LE THÉATRE ET LA CRUAUTÉ

LE THÉATRE DE LA CRUAUTÉ (Premier manifeste)

TECHNIQUE

LES THÈMES

LETTRES SUR LA CRUAUTÉ

PREMIÈRE LETTRE

DEUXIÈME LETTRE

TROISIÈME LETTRE

LETTRES SUR LE LANGAGE

PREMIÈRE LETTRE

DEUXIÈME LETTRE

TROISIÈME LETTRE

QUATRIÈME LETTRE

XI LE THÉATRE DE LA CRUAUTÉ(Second manifeste)

1° au point de vue du fond

2° au point de vue de la forme

LA CONQUÊTE DU MEXIQUE

UN ATHLÉTISME AFFECTIF

DEUX NOTES

— les frères Marx

— autour d'une mère

Action dramatique de

Jean-Louis Barrault

BIOGRAPHIE D'ANTONIN ARTAUD

Antonin Artaud, de son vrai nom Antoine Marie Joseph Paul Artaud, né à Marseille, le 4 septembre 1896 et mort à Ivry-sur-Seine le 4 mars 1948, est un théoricien du théâtre, acteur, écrivain, essayiste, dessinateur et p oète français. La poésie, la mise en scène, la drogue, les pèlerinages, le dessin et la radio, chacune de ces activités a été un outil entre ses mains, « un moyen pour atteindre un peu de la réalité qui le fuit ».

Toute sa vie, il a lutté contre des douleurs physiques, diagnostiquées comme issues de syphilis héréditaire, avec des médicaments, des drogues. Cette omniprésence de la douleur influe sur ses relations comme sur sa création. Il subit aussi des séries d'électrochocs lors d'internements successifs, et il passe les dernières années de sa vie dans des hôpitaux psychiatriques, notamment celui de Rodez. Si ses déséquilibres mentaux ont rendu ses relations humaines difficiles, ils ont aussi contribué à alimenter sa création. Il y a d'un côté ses textes « fous de Rodez et de la fin de sa vie », de l'autre, selon Évelyne Grossmann, les textes fulgurants de ses débuts.

Inventeur du concept de « théâtre de la cruauté » dans Le Théâtre et son double, Artaud a tenté de transformer radicalement la littérature et surtout le théâtre. S'il n'y est pas parvenu de son vivant, il a certainement influencé les générations de l'après Mai 68, en particulier le théâtre américain, et les situationnistes de la fin des années 1960 qui se réclamaient de son esprit révolutionnaire. Il a aussi influencé le théâtre anarchiste Living Theatre, qui se réclame de lui dans la pièce The Brig où il met en pratique les théories d'Artaud.

Dans son œuvre immense, il fait délirer l'art (comme Gilles Deleuze, grand lecteur d'Artaud, fera délirer la théorie autour du corps sans organe). Son œuvre graphique est également importante. Il a fait l'objet d'un legs important au Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou en 1994. Une partie de ses œuvres a été exposée en 2011.

Biographie

Sur la question de la biographie, Florence de Mèredieu prévient que l'œuvre et la vie d'Artaud sont « un titanesque effort pour ruiner les balises et limites censées canaliser l'existence et l'être d'un individu. » Il se met en scène en continu, vivant comme à distance de lui-même. Il écrit «Antonin Artaud fut d'abord un modèle perverti, une esquisse essayée que j'ai reprise moi-même à un certain moment, pour rentrer chez moi habillé » Il va passer sa vie à perturber toutes les données de ce que l'on dénomme, dans nos sociétés un état civil.

1896-1920

Antonin Artaud est né le 4 septembre 1896 à Marseille. Il est issu d'une famille bourgeoise aisée. Son père, Antoine-Roi Artaud, capitaine au long cours, et sa mère, Euphrasie Nalpas, sont cousins germains : ses deux grands-mères sont sœurs, toutes deux nées à Smyrne (Izmir - aujourd'hui en Turquie). L'une, Catherine Chilé, a été élevée à Marseille, où elle a épousé Marius Artaud, l'autre, Mariette Chilé, a grandi à Smyrne, où elle a épousé Louis Nalpas. Son oncle maternel, John Nalpas, rencontre la sœur de son père, Louise Artaud lors du mariage de leurs frères et sœurs, et ils se marient aussi. John et Louise s'installent à Marseille, les familles sont très proches, les enfants forment une tribu soudée. Antonin connaît à Marseille une petite enfance choyée dont il garde des souvenirs de tendresse et de chaleur.

Cette enfance est cependant perturbée par la maladie. Le premier trouble apparaît à l'âge de quatre ans et demi, lorsque l'enfant se plaint de maux de tête et qu'il voit double. On pense à une méningite consécutive à une chute. Déjà, on préconise l'électricité pour le soigner. Son père se procure une machine qui transmet l'électricité par des électrodes fixées sur la tête. Cette machine est décrite dans le Traité de thérapeutique des maladies nerveuses du docteur Grasser. Bien que très différent des électrochocs, ce système relève de l'électrothérapie et l'enfant Artaud en a beaucoup souffert.

D'autres traumatismes suivront. À six ans, il aurait failli se noyer lors d'un séjour chez sa grand-mère de Smyrne Mais son premier grand choc vient de la mort d'une petite sœur âgée de sept mois, bousculée par un geste violent d'une bonne. Elle apparaît dans les écrits d'Antonin Artaud comme une de ses « filles de cœur » :

« Germaine Artaud, étranglée à sept mois, m'a regardé du cimetière Saint-Pierre à Marseille jusqu'à ce jour de 1931, où, en plein Dôme à Montparnasse, j'eus l'impression qu'elle me regardait de tout près. »

Cependant, Antonin a aussi le sens du jeu et de la mise en scène. C'est à lui que l'on confie la mise en place de la crèche à Noël chaque année. Pour les enfants de la famille son talent de metteur en scène apparaît dans ses tableaux vivants : reproduction de tableaux célèbres, ou spectacles familiaux montés avec ses cousins. Souvent, les spectacles d'Antonin ont des « résonances macabres » : un enterrement au crépuscule, (Antonin tenant le rôle du cadavre). Une autre fois il invente une mise en scène pour effrayer son cousin Marcel Nalpas. C'était, selon le récit de sa sœur, une mise en scène macabre avec installation de têtes de mort et de bougies dans une chambre. Antonin fait ensuite entrer Marcel en déclamant un poème de Baudelaire. D'abord effrayé, Marcel a ensuite bien ri, avec Antonin. Dans ce Théâtre de la cruauté, Théâtre de la peur Marie-Ange voit l'influence d'Edgar Poe.

Artaud a quatorze ans lorsqu'il fonde avec ses camarades du collège du Sacré-Cœur de Marseille, une petite revue où il publie ses premiers poèmes inspirés de Charles Baudelaire, d'Arthur Rimbaud ou Edgar Poe. Mais lors de sa dernière année de collège, en 1914, il est atteint de dépression, ne se présente pas au baccalauréat, et l'année suivante, sa famille le conduit à Montpellier pour consulter un spécialiste des maladies nerveuses. Il est envoyé au sanatorium de la Rouguière, en 1915 et 1916 et publie en février 1916 des poèmes dans La Revue de Hollande. Le conseil de révision le déclare d'abord bon pour le service avant que l'armée le réforme provisoirement pour raisons de santé, puis définitivement en décembre 1917 grâce à l'intervention de son père.

L'année 1914 est un tournant dans la vie du jeune homme, à cause de la guerre, mais c'est aussi pour Antonin sa dernière année de collège. Il doit passer l'examen de philosophie, mais son état de santé ne le lui permet pas. Artaud est en état de dépression après avoir connu sa première expérience sexuelle, qu'il décrit comme dramatique, comme un traumatisme sur lequel il reviendra souvent dans ses écrits. Il a le sentiment qu'on lui a volé quelque chose. C'est ce qu'il exprime à Colette Allendy en 1947, peu avant sa mort. Entre 1917 et 1919, il fait un certain nombre de séjours dans des lieux de cure et maisons de santé. Il peint, dessine, écrit. Plus tard, lors de son séjour à l'hôpital Henri-Rouselle pour une cure de désintoxication, il indique qu'il a commencé à prendre du Laudanum en 1919. «Je n'ai jamais pris de morphine et j'en ignore les effets précis. Je connais les effets analogues de l'opium sous forme de Laudanum de Sydenham. »

1920 1924, premières années à Paris

Théâtre : la période Dullin

En 1920, sur les conseils du docteur Dardel, sa famille confie Antonin Artaud au docteur Édouard Toulouse, directeur de l'asile de Villejuif, dont il devient le co-secrétaire pour la rédaction de sa revue Demain. Le docteur l'encourage à écrire des poèmes, des articles, jusqu'à la disparition de la revue en 1922. En juin de cette même année 1920 Artaud qui s'intéresse au théâtre rencontre Lugné-Poë, et il quitte Villejuif pour s'installer dans une pension à Passy. Il s'intéresse aussi au mouvement Dada et découvre les œuvres d'André Breton, celles de Louis Aragon, Philippe Soupault.

Il rencontre Max Jacob qui l'oriente vers Charles Dullin. Dullin l'intègre dans sa compagnie en 1921. Là, il rencontre Génica Athanasiou dont il tombe amoureux et à laquelle il écrit un grand nombre de lettres réunies dans le recueil Lettres à Génica Athanassiou avec deux poèmes. Leur passion orageuse va durer six ans. Jusqu'en 1922, Antonin Artaud publie poèmes, articles et comptes-rendus à plusieurs revues : Action, Cahiers de philosophie et d'art, L'Ère nouvelle, revue de l'entente des gauches.

L'aventure théâtrale 'Artaud commence en 1922 avec la première répétition des spectacles de l'atelier, où il joue L'Avare de Molière. Suivront d'autres rôles, toujours avec Dullin qui lui demande de dessiner les costumes et les décors de Les Olives de Lope de Rueda. Un exemplaire de ces dessins est conservé au Centre pompidou. Toute l'année 1922 est occupée par le théâtre et par les nombreux rôles que joue Artaud malgré sa santé défaillante et malgré les difficultés financières de la compagnie Il interprète notamment Apoplexie dans La Mort de Souper adaptation de la Condamnation de Banquet de Nicole de La Chesnaye.

En même temps, il produit aussi à la demande de Daniel-Henry Kahnweiler un recueil de huit poèmes tiré à 112 exemplaires et il fait la connaissance d'André Masson, de Michel Leiris, de Jean Dubuffet, de Georges Limbour. Sa correspondance témoigne de l'intérêt que lui portaient artistes et écrivains Elle occupe une très grande place dans le recueil de ses œuvres.

En 1923, il publie, à compte d'auteur et sous le pseudonyme d'Eno Dailor, le premier numéro de la revue Bilboquet, une feuille composée d'une introduction et de deux poèmes :

« Toutes les revues sont les esclaves d'une manière de penser et, par le fait, elles méprisent la pensée. [...] Nous paraîtrons quand nous aurons quelque chose à dire. »

1923 est l'année où Artaud ajoute le cinéma aux modes d'expression qu'il cultive (peinture, littérature, théâtre). Le 15 mars, le cinéaste René Clair lance une vaste enquête dans la revue Théâtre et Comœdia illustré car selon lui, peu de cinéastes savent tirer parti de « l'appareil de prise de vue. » Il se tourne alors vers des peintres, sculpteurs, écrivains, musiciens, en leur posant la double question : 1)« Quel genre de films aimez-vous ?», 2) «Quel genre de films aimeriez-vous que l'on créât ? ». Antonin Artaud répond qu'il aime le cinéma dans son ensemble car tout lui semble à créer, qu'il aime sa rapidité et le processus de redondance du cinématographe. Il aura par la suite l'occasion de tourner avec un grand nombre de réalisateurs parmi lesquels Carl Dreyer, G.W Pabst, Abel Gance. Le cinéma lui apparaît « comme un médium essentiellement sensuel qui vient bouleverser toutes les lois de l'optique, de la perspective et de la logique. »

Le mois de mars 1923 est aussi celui de sa rupture avec Charles Dullin, au moment où l'Atelier crée Huon de Bordeaux mélodrame dans lequel Artaud a le rôle de Charlemagne. Mais il est en total désaccord avec le metteur en scène et l'auteur de la pièce sur la manière de jouer. Le 31 mars, le rôle est repris par un autre acteur : Ferréol. Interrogé par Jean Hort, Artaud aurait dit : «Moi j'ai quitté l'atelier parce que je ne m'entendais plus avec Dullin sur des questions d'esthétique et d'interprétation. Aucune méthode mon cher (...) Ses acteurs ? Des marionnettes... »

De André de Lorde à Jacques Hébertot et à Pitoeff Par l'intermédiaire de Madame Toulouse, Antonin est présenté à André de Lorde, auteur de Grand-Guignol, bibliothécaire de métier. André de Lorde a déjà mis en scène une adaptation d'une nouvelle d'Edgar Poe Le Système du docteur Goudron et du professeur Plume qui se déroule dans un asile d'aliénés. Et il a mis au point ce qu'il nomme le « Théâtre de la peur » et le « Théâtre de la mort », un style qui va inspirer Antonin Artaud pour le Théâtre de la cruauté. Engagé par Jacques Hébertot, Artaud interprète le rôle du souffleur au Théâtre de la Comédie des Champs-Élysées dans la pièce de Luigi Pirandello : Six personnages en quête d'auteur montée par Georges Pitoëff, avec Michel Simon dans le rôle du directeur. Artaud et Simon ont en commun une grande admiration pour Alfred Jarry.

La correspondance d'Antonin Artaud avec Jacques Rivière, directeur de la NRF, commence cette année-là, en mai-juin, alors qu'Artaud joue au théâtre Liliom de Ferenc Molnár mis en scène par Pitoëff. Une correspondance que Rivière publie plus tard. L'essentiel de sa formation théâtrale est due à Pitoëff sur lequel Artaud ne tarit pas d'éloges dans ses lettres aux Toulouse ou à Génica avec laquelle il vit « un an d'amour entier, un an d'amour absolu ».

Dans ses lettres à Génica, Antonin détaille tous les événements de sa vie quotidienne, même les plus infimes. Ces Lettres à Génica sont réunies en recueil, précédé de Deux Poèmes à elle dédiés.

1924-1927 l'entrée en littérature, la période surréaliste

En 1946, Antonin Artaud décrit son entrée en littérature ainsi : « J'ai débuté en littérature en écrivant des livres pour dire que je ne pouvais rien écrire du tout, ma pensée quand j'avais quelque chose à dire ou à écrire était ce qui m'était le plus refusé...Et deux très courts livres roulent sur cette absence d'idée : L'Ombilic des limbes et Le Pèse-nerfs. »

Sa véritable entrée en littérature commence dans les années 1924-1925, période de ses premiers contacts avec la NRF et de sa Correspondance avec Jacques Rivière qui est publiée en 1924. Jacques Rivière a refusé les poèmes d'Artaud, et c'est à partir de ce refus que s'est établie cette correspondance entre les deux hommes. Cette première publication fait apparaître le rôle très particulier que l'écriture épistolaire joue dans toute l'œuvre d'Artaud. La critique littéraire s'accorde à trouver les poèmes refusés assez conventionnels, tandis que les lettres témoignent, par leur justesse de ton, de la sensibilité maladive d'Artaud que l'on retrouve même dans les plus courts billets et aussi dans ses lettres à Génica, et ses lettres au docteur Toulouse.

Dans ces années-là, si Artaud se plaint de la nécessité de prendre des substances chimiques, mais il défend aussi l'usage des drogues. C'est l'usage des drogues qui lui permet « de libérer, surélever l'esprit. » Dans les milieux de la littérature, mais aussi du théâtre et du cinéma, l'usage de l'opium est très répandu, vanté jusque dans les milieux surréalistes, le surréalisme se présentait lui-même comme une drogue dans la préface de La Révolution Surréaliste : « Le surréalisme ouvre les portes du rêve à tous ceux pour qui la nuit est avare. Le surréalisme est le carrefour des enchantements du sommeil, de l'alcool, du tabac, de l'éther, de l'opium, de la morphine; mais il est aussi briseur de chaînes, nous ne buvons pas, ne prisons pas, ne nous piquons pas, et nous rêvons (...) ».

Cette métaphore indique que c'est à la littérature de jouer le rôle de stupéfiant. Mais Artaud préfère se heurter au réel et il vante les mérites de la lucidité anormale que la drogue lui procure dans L'Art et la mort. L'opium constitue pour lui un territoire de transition qui finit par dévorer tous ses territoires. Bien que Jean Cocteau ait avertit que « L'opium nous désocialise et nous éloigne de la communauté », mais cela a tout pour plaire au grand anarchiste qu'est Artaud.

Dès 1924, il adhère au surréalisme, et tout en se lançant à l'assaut de le république des lettres il entame une carrière de théâtre et de cinéma.

Inspiré par les tableaux d'André Masson, il rédige son premier texte pour le numéro 1 de la revue La Révolution surréaliste paru en janvier 1925. C'est son admiration pour Masson qui le conduit à adhérer au mouvement surréaliste, en même temps que le peintre, le 15 octobre 1924. Artaud, qui n'a vécu ni l'expérience Dada, ni les premiers temps du surréalisme, est tout d'abord circonspect sur la théorie de l'automatisme psychique chère à André Breton. Son passage par le surréalisme va d'ailleurs moins influer sur son évolution littéraire, que ce qui reste, dans le groupe, de l'anarchisme de Dada. De 1924 à 1926, Artaud participe activement au mouvement avant d'en être exclu. La permanence de la Centrale du bureau de recherches surréalistes, créée le 11 octobre 1924 au 15 rue de Grenelle, est assurée par Pierre Naville et Benjamin Péret qui en sont les directeurs. Le dynamisme des textes d'Artaud, sa véhémence, apportent un sang neuf à un mouvement qui s'étiole, et soutenu par Breton, il a pour mission de « chasser du surréalisme tout ce qui pourrait être ornemental ».

Après l'Enquête sur le suicide parue dans le n° 1 de la revue, Artaud rédige une adresse au Pape dans le n° 3 de la Révolution surréaliste (15 avril 1925) qu'il remanie en 1946 lors du projet de publication des œuvres intégrales d'Antonin Artaud, ainsi qu'une Adresse au Dalaï-Lama qu'il remanie en 1946 toujours dans l'optique d'une publication d'œuvres complètes. D'autres textes sont encore publiés dans la revue. Mais le lien avec le collectif ira en s'amenuisant jusqu'à la rupture liée à l'adhésion des surréalistes au communisme. Des divergences sont déjà apparues dès le numéro un dans le groupe. Artaud a tenté de reprendre en main cette Centrale Surréaliste dont André Breton lui a confié la direction le 28 janvier 1925. Cependant, au moment où Breton envisage l'adhésion au Parti communiste français Artaud quitte le groupe : « Messieurs les surréalistes sont atteints beaucoup plus que moi, je vous assure, et leur respect de certains fétiches faits hommes et leur agenouillement devant le Communisme en est une preuve la meilleure, signé AA 8 janvier 1927, post-scriptum ajouté au Manifeste pour un théâtre avorté. »

À l'occasion de son départ, Aragon, Breton, Éluard, Benjamin Péret, Pierre Unik publient une brochure intitulée Au Grand Jour, destinée à informer publiquement des exclusions d'Artaud et Soupault du groupe surréaliste, et de l'adhésion des signataires au parti communiste. Artaud y est violemment pris à partie : « [...] Il y a longtemps que nous voulions le confondre, persuadés qu'une véritable bestialité l'animait [...] Cette canaille aujourd'hui nous l'avons vomie. Nous ne voyons pas pourquoi cette charogne tarderait plu longtemps à se convertir, ou, comme sans doute elle dirait, à se déclarer chrétienne. » Brochure à laquelle Artaud répond sans tarder en juin 1927 avec un texte intitulé À la grande nuit ou le bluff surréaliste, en termes plus choisis mais non moins violents : « Que les surréalistes m'aient chassé ou que je me sois moi-même mis à la porte de leur grotesque simulacre, la question depuis longtemps n'est pas là. [...] Que le surréalisme s'accorde avec la Révolution ou que la Révolution doive se faire en dehors et au-dessus de l'aventure surréaliste, on se demande ce que cela peut bien faire au monde quand on pense au peu d'influence que les surréalistes sont parvenus à gagner sur les mœurs et les idées de ce temps »

1927-1930 le théâtre Alfred Jarry

Ayant quitté Dullin, Artaud rejoint la compagnie de Georges et Ludmilla Pitoëff installée à la Comédie des Champs-Élysées. Puis avec Roger Vitrac, Robert Aron et l'aide matérielle du Dr René Allendy, psychiatre et psychanalyste, qui le soigne, il fonde le Théâtre Alfred Jarry en 1927. Il définit une conception nouvelle de l'art dramatique, publiée plus tard, en 1929-1930, dans une brochure intitulée Théâtre Alfred Jarry et l'Hostilité publique, rédigée par Roger Vitrac en collaboration avec Antonin Artaud qui rappelle les objectifs du Théâtre Alfred Jarry « contribuer à la ruine du théâtre tel qu'il existe actuellement en France », mais aussi de « privilégier l'humour, la poésie de fait, le merveilleux humain. »

Le Théâtre Alfred Jarry présente quatre séries de spectacles : Les Mystères de l'amour de Vitrac, Ventre brûlé ou la Mère folle d'Artaud et Gigogne de Max Robur (pseudonyme de Robert Aron), Le Songe d'August Strindbergperturbé par les surréalistes (juin 1927), le troisième acte du Partage de midi de Paul Claudel joué contre la volonté de l'auteur qu'Artaud qualifie publiquement d'« infâme traître ». Il s'ensuit une brouille avec Jean Paulhan et la reconsidération des surréalistes (janvier 1928). Victor ou les enfants au pouvoir de Vitrac sera la dernière représentation (décembre 1928).

En 1971, Jean-Louis Barrault fait un rapprochement entre Alfred Jarry et Antonin Artaud : « Quand on lit les textes si intéressants qu'Artaud a faits dans le Théâtre Alfred Jarry, on s'aperçoit que pour lui, Jarry ne se limitait pas à Ubu roi (...) Il y a une subtilité dans Jarry, un ésotérisme qui est beaucoup plus proche d'Artaud que les farces de collégien d'Ubu roi (...) Encore que chez Artaud, il y avait le sens du rire (...) Le rire est une arme de décervelage, de déboulonnage des fausses statues et des fausses institutions. Le rire est une arme (...) que les artistes ont et qui démystifie les institutions se voulant éternelles. »

Dans sa biographie parue en 1972, Jean-Louis Barrault reconnaît tout ce qu'il doit à Artaud :

« Que m'avait-il révélé? Avec lui, ce fut la métaphysique du théâtre qui m'entra dans la peau [...] Au Grenier (des Grands-Augustins), je me rapprochai instinctivement d'Artaud [...]. Bien qu'il éprouva, de par sa santé fragile, des difficultés à concrétiser ses idées, son apport fut beaucoup plus du domaine technique que du domaine intellectuel. Et si nous nous rapprochâmes à ce point pendant cette courte période, c'est qu'à son tour, il avait découvert en moi un tas de sensations qu'il partageait d'avance [...] dans notre âme, le feu et le rire faisaient bon ménage »

« Nous nous voyions presque quotidiennement [...] Il me demandait de l'imiter. Je m'exécutai. Il approuvait, puis il se mettait à hurler : On m'a vvvolé ma ppppersonnalité!!! Puis il s'enfuyait en courant, et je l'entendais rire [...] Tant qu'il gardait sa lucidité il était fantastique, royal, drôle [...] Mais quand, sous l'effet de la drogue ou de la souffrance, la machine se mettait à grincer, c'était pénible. On souffrait pour lui [...].»

1930-1935, Artaud au cinéma, au théâtre et en littérature

De juillet à décembre 1929, Antonin Artaud et Roger Vitrac élaborent la brochure qui sera intitulée Théâtre Alfred jarry et l'Hostilité publique, et il refuse de signer le second manifeste du surréalisme qui attaque Breton. La brochure, qui parait en 1930, est un ensemble de photo montages, mis en scène par Artaud, photographiés par Eli Lotar. Roger Vitrac, Artaud et son amie Josett Lusson ont posé pour les photos. Artaud rédige deux projets de mise en scène, un pour Sonate de Strinberg, l'autre pour Le Coup de Trafalgar de Roger Vitrac. Mais il décide de quitter le Théâtre Alfred Jarry. Il s'en explique dans une lettre à Jean Paulhan du 16 mars 1930 : «Je sais que la brochure a fait très mauvais effet auprès de tous ceux qui ne pardonnent pas les vieilles histoires (...) Le Théâtre Alfred Jarry m'a porté malheur et je ne tiens pas à ce qu'il me brouille avec les derniers amis qui me restent. »

Mais Artaud, qui mène de front ses activités littéraires, cinématographiques et théâtrales, a déjà la tête ailleurs. En 1931, il assiste à un spectacle du Théâtre Balinais présenté dans le cadre de l'Exposition coloniale et fait part à Louis Jouvet de la forte impression ressentie :

« [...] de la quasi inutilité de la parole qui n'est plus le véhicule mais le point de suture de la pensée, [...] de la nécessité pour le théâtre de chercher à représenter quelques-uns des côtés étranges des constructions de l'inconscient, [...] tout cela est comblé, satisfait, représenté et au-delà par les surprenantes réalisations du Théâtre Balinais qui est un beau camouflet au Théâtre tel que nous le concevons. »

Poursuivant sa quête d'un théâtre du rêve et du grotesque, du risque et de la mise en danger, Artaud écrit successivement deux manifestes du Théâtre de la Cruauté :

« Sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n'est pas possible. Dans l'état de dégénérescence où nous sommes c'est par la peau qu'on fera rentrer la métaphysique dans les esprits. (1932) »

Sa première réalisation, Les Cenci, jouée dans des décors et des costumes de Balthus, au théâtre des Folies-Wagram s'arrête faute de moyens financiers.

La pièce est retirée de l'affiche après 17 représentations (1935). La critique est partagée et l'article élogieux de Pierre Jean Jouve dans la NRF arrivera trop tard. Artaud considère cela comme un « demi ratage » : « La conception était bonne, écrit-il à Jean Paulhan. J'ai été trahi par la réalisation. »

Cette expérience marque la fin de l'aventure théâtrale d'Antonin Artaud qui envisage déjà de partir au Mexique pour « se CHERCHER » ainsi qu'il l'écrit à Jean Paulhan dans une lettre du 19 juillet 1935. Peu avant, il a assisté à la représentation du spectacle de Jean-Louis Barrault Autour d'une mère qui est l'adaptation du roman de William Faulkner Tandis que j'agonise. Il écrit une note qui sera publiée dans le NRF N° 262 du 1er juillet 1935 : «Il y a dans le spectacle de Jean-Louis Barrault une sorte de merveilleux cheval-centaure, et notre émotion devant lui a été grande. Ce spectacle est magique comme sont magiques les incantations des sorcier nègres quand la langue qui bat le palais fait la pluie sur un paysage; quand devant le malade épuisé, le sorcier qui donne à son souffle la forme d'un malaise étrange, chasse le mal avec le souffle; et ainsi que dans le spectacle de Jean-Louis Barrault, au moment de la mort de la mère, un concert de cris prend la vie. Je ne sais pas si une telle réussite est un chef-d'œuvre, en tout cas, c'est un évènement [...] Qu'importe que Jean-Louis Barrault ait ramené l'esprit religieux avec des moyens descriptifs et profanes, si tout ce qui est authentique est sacré; si tous ses gestes sont tellement beaux qu'ils en prennent un sens symbolique »

Le 6 avril 1938, paraît un recueil de textes sous le titre Le Théâtre et son double comprenant Le Théâtre et la peste, texte d'une conférence littéralement incarnée. Artaud y jouait sur scène les dernières convulsions d'un pestiféré « Il avait le visage convulsé d'angoisse (...). Il nous faisait sentir sa gorge sèche et brûlante, la souffrance, la fièvre, le feu de ses entrailles (...) Il représentait sa propre mort, sa propre crucifixion. » Selon le récit d'Anaïs Nin, les gens eurent d'abord le souffle coupé, puis ils commencèrent à rire, puis un à un ils commencèrent à s'en aller.« Artaud et moi sommes sortis sous une pluie fine (...) Il était blessé, durement atteint. Ils ne comprennent pas qu'ils sont morts disait-il. Leur mort est totale, comme une surdité, une cécité. C'est l'agonie que j'ai montrée. La mienne, oui et celle de tous ceux qui vivent. »

Déçu par le théâtre qui ne lui propose que de petits rôles, Artaud espère du cinéma une carrière d'une autre envergure. « Au cinéma l'acteur n'est qu'un signe vivant. Il est à lui seul toute la scène, la pensée de l'auteur. » Il s'adresse alors à son cousin Louis Nalpas, directeur artistique de la Société des Cinéromans, qui lui obtient un rôle dans Surcouf, le roi des corsaires de Luitz-Morat et dans Fait divers, un court-métrage de Claude Autant-Lara, tourné en mars 1924, dans lequel il interprète « Monsieur 2 », l'amant étranglé au ralenti par le mari.

Toujours par l'intermédiaire de son cousin, Artaud rencontre Abel Gance avec qui il sympathise au grand étonnement de l'entourage du cinéaste, réputé d'accès difficile. Pour son film Napoléon en préparation, Abel Gance lui promet le rôle de Marat.

Artaud commence à écrire des scénarios dans lesquels il essaie de «rejoindre le cinéma avec la réalité intime du cerveau ». Ainsi Dix-huit secondes propose de dérouler sur l'écran les images qui défilent dans l'esprit d'un homme, frappé d'une « maladie bizarre », durant les dix-huit secondes précédant son suicide.

À la fin de l'année 1927, apprenant la préparation du film La Chute de la maison Usher de Jean Epstein, Artaud propose à Abel Gance de jouer le rôle de Roderick Usher : « Je n'ai pas beaucoup de prétentions au monde mais j'ai celle de comprendre Edgar Poe et d'être moi-même un type dans le genre de Maître Usher. Si je n'ai pas ce personnage dans la peau, personne ne l'a. Je le réalise physiquement et psychiquement. Ma vie est celle d'Usher et de sa sinistre masure. J'ai la pestilence dans l'âme de mes nerfs et j'en souffre- Lettre à Abel Gance du 27 novembre 1927, citée dans Artaud, œuvres. » Après quelques essais, Artaud ne sera pas retenu.

La même année, Artaud justifie auprès des surréalistes sa participation au tournage du film de Léon Poirier, Verdun, visions d'histoire, au motif que

« ce n'est pas un film patriotique, fait pour l'exaltation des plus ignobles vertus civiques, mais un film de gauche pour inspirer l'horreur de la guerre aux masses conscientes et organisées. Je ne compose plus avec l'existence. Je méprise plus encore le bien que le mal. L'héroïsme me fait chier, la moralité me fait chier. Lettre à Roland Tual du 28 octobre 1927 »

De la dizaine de scénarios écrits et proposés, un seul sera tourné : La Coquille et le Clergyman par Germaine Dulac. Artaud exprime ses objectifs :

« J'ai cherché, dans le scénario qui suit, à réaliser cette idée de cinéma visuel, où la psychologie même est dévorée par les actes. Sans doute ce scénario ne réalise-t-il pas l'image absolue de tout ce qui peut être fait dans ce sens; mais du moins, il l'annonce. Non que le cinéma doive se passer de toute psychologie humaine. Ce n'est pas son principe. Bien au contraire. Mais de donner à cette psychologie une forme beaucoup plus vivantee et active, sans ces liaisons qui essaient de faire paraître les mobiles de nos actes dans une lumière absolument stupide au lieu de nous les étaler dans leur originelle et profonde barbarie.- La Coquille et le Clergyman et autres écrits sur le cinéma- Cinéma et réalité. »

Engagé en même temps par Carl Theodor Dreyer pour son film La Passion de Jeanne d'Arc, Artaud délaisse le rôle du clergyman qui lui était dévolu et ne suit que par intermittence la réalisation de La Coquille. Le soir de la première projection au Studio des Ursulines, le 9 février 1928, les surréalistes venus en groupe à la séance manifestent bruyamment leur désapprobation.

Dès lors, la magie du cinéma n'existe plus pour lui. Il poursuit malgré tout une carrière d'acteur, pour subvenir à ses besoins. L'avènement du parlant le détourne de cette « machine à l'œil buté » à laquelle il oppose « un théâtre de sang qui à chaque représentation aura fait gagner corporellement quelque chose . »

En 1933, dans un article paru dans le numéro spécial Cinéma 83 n° 4 Les Cahiers jaunes il écrit un éloge funèbre du cinéma : « La Vieillesse précoce du cinéma »

« Le monde cinématographique est un monde mort, illusoire et tronçonné. Le monde du cinéma est un monde clos, sans relation avec l'existence. »

En 1935, il apparaît deux ultimes fois dans Lucrèce Borgia d'Abel Gance et dans Kœnigsmark de Maurice Tourneur.

Antonin Artaud a tourné dans plus d'une vingtaine de films, sans jamais avoir obtenu le moindre premier rôle ni même un second rôle d'importance.

1936-1937 de voyages en dérives

En 1936, Artaud part pour le Mexique. Il écrit qu'il s'est rendu à cheval chez les Tarahumaras . « Il n'était pas encore midi quand je rencontrai cette vision: j'étais à cheval et j'avançais vite. Pourtant je pus me rendre compte que je n'avais pas affaire à des formes sculptées, mais à un jeu déterminé de lumières qui s'ajoutait au relief des rochers. Cette figure était comme des indiens. Elle me parut, par sa composition, par sa structure, obéir au même principe auquel toute cette montagne en tronçons obéissait. » Il découvre le peyotl, substance dont « l'emprise physique est si terrible que pour aller de la maison de l'indien à un arbre situé à quelques pas [..] il fallait en appeler à des réserves de volonté désespérées. » Son initiation se fait au cours de la Danse du Peyotl, après de la douzième phase. « Les douze phases de la danse terminées, et comme l'aurore allait poindre, on nous passa le peyotl broyé semblable à une sorte de brouet