Le Trèfle noir - Henri de Régnier - E-Book

Le Trèfle noir E-Book

Henri de Régnier

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Beschreibung

Extrait : "Quand on te remettra cette lettre, je serai déjà loin ; j'aurai marché toute la nuit sous les étoiles ; j'aurai marché toute la nuit vers mon Destin. J'avais cru pourtant que je ne quitterais jamais nos beaux jardins, ô Hermas. Nous nous y promenions ensemble ; c'est là où j'ai rencontré Hertulie ; c'est là où tu lui apprendras mon départ."À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN : Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants : • Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin. • Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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The shadow of something.

GEORGES MEREDITH.

Un roman ou un conte peut n’être qu’une fiction agréable figurée par des masques imaginaires.

S’il présente un sens inattendu au-delà de ce qu’il semble signifier, il faut jouir de ce surcroît à demi intentionnel sans y exiger trop desuite et en le considérant plutôt comme né fortuitement des concordances mystérieuses qu’il y a, malgré tout, entre toutes choses.

R.

Hertulie ou les messages

À Mme de Bonnières.

D’Hermotime à Hermas

Quand on te remettra cette lettre, je serai déjà loin ; j’aurai marché toute la nuit sous les étoiles ; j’aurai marché toute la nuit vers mon Destin. J’avais cru pourtant que je ne quitterais jamais nos beaux jardins, ô Hermas. Nous nous y promenions ensemble ; c’est là où j’ai rencontré Hertulie ; c’est là où tu lui apprendras mon départ. Elle accusera mon amour et si je la quitte c’est à cause de l’amour !

L’amour seul nous fait nous-mêmes ; il nous rend comme nous serions, car il devient ce que nous sommes. Aussi, sa façon d’avoir lieu se subordonne à notre manière d’être, et elles témoignent l’une et l’autre de leur réciproque imperfection. La stature de l’amour est à la taille de notre ombre. Hélas ! la contagion de notre infirmité le discrédite ; on lui attribue l’origine de ses effets ; elle est ailleurs, elle est en nous. L’Amour est beau. La laideur seule de nos âmes grimace sur son masque qui les représente. Son aspect se façonne à notre image et nous voyons en lui notre ressemblance intérieure. Si misérables que nous soyons, et bien qu’il participe à notre misère, son insuffisance et sa difformité sont encore désirables. L’amour reste l’amour. Nous l’aimons tout contrefait qu’il soit.

Imagine alors, ô Hermas, sa radieuse beauté si, au lieu de se grimer en des cœurs vils et mauvais, il se dénudait en des âmes magnifiques et sages. L’amour doit être l’hôte de la sagesse, mais son flambeau doit éclairer, à l’intérieur de nos songes, des voûtes merveilleuses, en diamanter les grottes de toute l’anxiété des stalactites du silence ; alors tout flamboiera d’une chaste fête de clarté et, à des aurores souterraines, d’entre les pierres, pousseront d’inflexibles lys. D’ordinaire, hélas ! sa lampe incertaine ne hante que des tombeaux ou des antres. Les hiboux trempent leurs griffes dans l’huile funéraire ; d’obscènes satyres miment en ombres bestiales sur les parois l’imposture du dieu.

L’amour est l’hôte de la sagesse et je pars lui préparer sa demeure. J’ai consulté le passé et le présent ; tu me reproches de ne pas m’être assez consulté moi-même, d’avoir lu trop de livres et d’avoir, à la hâte, heurté à la porte des sages. La sagesse, me disais-tu, n’est pas errante ; elle séjourne et fait semblant de dormir ; elle ne dort pas dans un château de pierre au milieu de la forêt. Son attentive patience nous écoute en nous ; elle répond à nos auscultations intérieures.

Hélas ! mon ami, je suis resté sourd à ma propre oreille ; j’ai besoin qu’on parle pour entendre mon silence et j’ai dû être un passant pour aller à la rencontre de moi-même. Il y a des voies, il y a des clefs que cachent des mains mystérieuses. Ah ! j’en suis sûr, il y a des portes qu’elles ouvrent, et des semailles étrangères et hasardeuses produisent l’épi consécrateur de notre propre fécondité. Plains-moi, Hermas, de recourir à l’aide des sages pour devenir l’un d’eux ; il le faut pour aimer, car la sagesse peut seule exorciser l’amour du sortilège où il s’atrophie. J’aime Hertulie, mais je récuse à notre amour le sort de se parodier. L’accord de nos perfections sera la source de la sienne. Je pars ; il y a des étoiles au ciel et je pleure. Hertulie pleurera. Je reviendrai. Qu’elle aille te voir quelquefois dans ta maison silencieuse. Vous y parlerez de moi comme nous parlions ensemble de la grâce d’Hertulie. Ah ! puissé-je la revoir dans ce jardin. C’est là où je l’ai rencontrée, c’est là où tu lui liras ma lettre. Adieu. Hermotime déjà vous salue.

L’Escalier de Narcisse

Hermas revint seul, le lendemain, à ces beaux lieux où il s’entretenait si souvent avec Hermotime. Les heures leur parurent douces, une à une, dans ce vaste espace d’arbres et de fleurs. C’était un jardin ornementé et solitaire. D’un château, là jadis, il ne restait rien, sinon le charme pour soi de se l’imaginer d’après le décor qui lui survivait.

Trois allées d’eau irradiaient d’une pièce centrale en octogone, et, au bout de chacune d’elles, assez loin, une fontaine, parmi divers artifices d’architecture et d’hydraulique, s’animait d’une figure différente. L’une représentait un homme qui riait en versant une amphore de bronze, l’autre une femme qui, en pleurant, emplissait un cratère d’or. La fontaine du milieu était la plus belle. Une nappe d’onde débordait d’une vasque d’où naissait, debout, une statue hermaphrodite. Aux tablettes du buffet de porphyre des masques alternatifs de Tritons et de Sirènes crachaient par la bouffissure de leurs bouches convulsives une suffocante gorgée de cristal. Parfois, quand la fontaine s’était tue et que les marbres énigmatiques embaumaient de leur triple nudité le bosquet d’arbres silencieux, on voyait, sur le bord de la vasque égouttante, se poser, pour y boire, une colombe.

Autour de l’octogone du bassin, des statues de bronze alternaient avec des ifs équarris en pyramides et des cyprès taillés en obélisques. Leur reflet se métallisait dans une eau calme où celui des statues semblait se dissoudre à demi, se fondre en une sorte d’aspect d’outre vie, moins leur image que leur ombre, car toute eau est un peu magique et, si elle est tout à fait tranquille, on ne sait pas ce qui y peut dormir.

Le reste du jardin se disposait en carrés de futaie ; une palissade d’un buis dur et ras les encadrait. À l’intérieur, sous les hauts arbres, on marchait toujours sur des feuilles mortes. Tous ces carrés, dont deux face à face de chaque côté du bassin, s’agrémentaient chacun d’une surprise. Ici une petite source coulait goutte à goutte. L’heure s’y marquait à son horloge naturelle ; là on entendait un écho ; la voix en revenait de très loin, et, des syllabes perdues, résultaient de curieuses équivoques. Dans les deux autres on trouvait deux bancs circulaires avec un siège de marbre ou de pierre, et pour accoudoirs des sphinx ou des dauphins.

Une terrasse à balustres se superposait à l’ensemble du jardin. Elle étalait ses allées de sable jaune en bordure à des parterres de broderie et des pelouses plates. On y montait par des rampes courbes et on en descendait aussi, au milieu, par un escalier d’où l’on se voyait en bas dans le bassin, de sorte que, de marche en marche, on avait l’impression de s’approcher de soi-même. On appelait cet escalier l’Escalier de Narcisse.

L’étendue du bassin se continuait par la perspective de trois allées d’eau qui en divergeaient. C’étaient comme des routes de la mémoire où le souvenir semblait marcher à doux pas sur leurs longs miroirs tremblants. Le soleil, disparu derrière les arbres, tiédissait encore la pierre du degré où Hermas assis, ce jour-là, goûtait le plaisir d’être tout à ses songes. Le souvenir d’Hermotime les mélangeait d’un peu de tristesse et de quelque ironie ; il retrouvait devant lui, sur le sable, des figures bizarres et irrégulières dont l’absent, la veille, tout en parlant, avait tracé la géométrie incohérente du bout de sa canne d’ébène ; des lignes entrecroisaient leurs cercles brisés et leurs spirales, analogues à celles que le petit serpent d’argent contournait à la poignée de la svelte épine noire.