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Ce roman - qui allie le ludique et l'éducatif - est à la fois un roman d'aventures, un conte philosophique et une leçon de vie. Il conte l'histoire d'Odilon, jeune noble, apprenti chevalier, qui se trouve pris dans un complot ourdi par un ami de sa famille. Au fil du roman, Odilon est confronté à des épreuves qu'il devra surmonter et qui le feront gagner en maturité et en sagesse. Il sera aidé dans sa quête par un mystérieux sage magicien et par un peu de sorcellerie.
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Seitenzahl: 655
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Aux Éditions BOD :
Romans et Nouvelles
Les Contes de Sophie
Un Monde de Femme
Les aventures d’Odilon
Les aventure d’Odilon Tome 1, tome 2 et Tome 3 (Versions illustrées)
Le trésor du Pirate
La fille du Vent
Les apprentis anges gardiens
Essais
Les grandes histoires de la mythologie.
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transformation de l’espace public.
La vie et l’histoire des Salons des XVIIème et XVIIIème siècles.
Aux éditions Le Génie :
Livres de cours et exercices
Histoire et Théorie de la communication : bagage culturel et pratique pour
l’analyse critique
Les Clés du Marketing
Exercices de Marketing
Dictionnaire du Marketing
Les Clés du marketing International
Exercices de marketing international
Annales d’Étude de Cas BTS Communication Pochette F1, F2 et Étude de cas
BTS Communication (Directrice de Collection)
12 cas de communication d’entreprise (théorie, méthodologie et pratique)
Essai (Collection Les mini-génies)
L’E-marketing
Le mobile-marketing
La délocalisation
La PNL
Le Coaching
Sous le pseudonyme de Sophie Chalandry
Contes féériques et extraordinaires.
Nouvelles policières et mystérieuses.
Contes maritimes et bucoliques (Edités aussi en Livre Audio)
Contact auteur : [email protected]
Site Internet : http://sophie-richardlanneyrie.fr
Blog : http://sophierichardlanneyrie.overblog.com/
Chaine YouTube : http://@SophieRichardLanneyrie
Chap I : Un livre magique
Chap II : Le Père Abbé
Chap III : Le château
Chap IV : L’étau se resserre
Chap V : L’Abbé dévoile son secret
Chap VI : La fuite
Chap VII : Le passage secret
Chap VIII : Garin de Monbourg
Chap IX : Une mystérieuse rencontre
Chap X : Hermeline et Bertille
Chap XI : Robert, le maréchal-ferrand
Chap XII : Une inconcevable découverte
Chap XIII : L’éclairetout
Chap XIV : Aliénor et Adeline
Chap XV : Où l’on parle des brigands de la forêt
Chap XVI : Une terrible révélation
Chap XVII : Un départ mouvementé
Chap XVIII : Une attente inutile
Chap XIX : Une intuition confirmée
Chap XX : Un tentative qui échoue
Chap XXI : Les Lupus resserrent leur pression
Chap XXII : La taupe
Chap XXIII : Sur les traces d’Odilon
Chap XXIV : Panta Rei
Chap XXV : Saurus, le tyran de la forêt
Chap XXVI : une surprenante confidence
Chap XXVII : une sévère remontrance
Chap XXVIII : Bertille prend un risque
Chap XXIX : la cachette secrète
Chap XXX : la sorcière
Chap XXXI : l’anneau magique
Chap XXXII : une agréable surprise
Chap XXXIII : une information importante
Chap XXXIV : une attente inutile
Chap XXXV : une affaire rondement menée
Chap XXXVI : une visité précipitée
Chap XXXVII : une entreprise audacieuse
Chap XXXVIII : l’anneau magique remplit ses promesses
Chap XXXIX : la fête
Chap XXXX : un visiteur inattendu
Chap XXXXI : Où l’on prépare un plan d’attaque
Chap XXXXII : Carpe Diem
Chap XXXXIII : un étrange voyageur
Chap XXXXIV : la fée
Chap XXXXV : l’entraînement
Chap XXXXVI : une invitation imprévue
Chap XXXXVII : Ou Garin se méfie et où l’on découvre les cachots du château
Chap XXXXVIII : Les préparatifs du tournoi
Chap XXXXIX : Une douloureuse attente
Chap L : Le tournoi
Chap LI : Une impitoyable poursuite. Le guet-apens
Chap LII : Où Bertille et Odilon font le bilan de la première étape de leur plan
Chap LIII : Où l’on parle d’amour…
Chap LIV : Une attaque imprévue
Chap LV : La vengeance de Garin
Chap LVI : Un moment de réflexion
Chap LVII : Où une surprise attend Odilon au campement des brigands de la forêt
Chap LVIII : Où Bertille et Geoffroy devise tranquillement
Chap LIX : Où Odilon part en éclaireur dans le château
Chap LX : Odilon prend des risques
Chap LXI : Garin prit au piège
Chap LXII : Une bien douloureuse découverte
Chap LXIII : Un spectacle déroutant
Chap LXIV : Une aide inattendue
Chap LXV : Où les moines tentent une diversion
Chap LXVI : L’assaut
Chap LXVII : Où Garin tente une dernière tentative. Le duel.
Chap LXVIII : Un retour tardif et inattendu. Où l’on apprend ce que sont devenus Hugues et Olivier et où la paix revient
Epilogue
Comme chaque matin, un peu après matines, à l’heure où la ville sommeille encore, Odilon se dirige vers la grande bibliothèque de l’abbaye. Pour cela, après être sorti de l’église, il pénètre dans le cloître, contourne le logis de l’Abbé et traverse la longue cour qui le mène à l’école au-dessus de laquelle se trouve le scriptorium.
Il avance d’un pas précipité, trottine presque, gravit deux à deux les hautes marches en pierre de l’escalier et se retrouve à l’entrée de la grande salle de la bibliothèque. Dans l’encadrement de la porte, un souffle de vent glacial provenant des ouvertures de la salle le fait sursauter en lui cinglant le visage, l’obligeant à marquer un temps d’arrêt forcé. Nous sommes pourtant à la fin de l’hiver, mais si l’on se fie au froid glacial qui règne encore dans la région, on constate que le printemps est loin d’être arrivé et que les matinées sont encore fraîches.
Après s’être ressaisi quelques minutes, Odilon se dirige, vers l’extrémité gauche de la grande salle où l’on peut déjà apercevoir une échelle en bois posée contre un des rayonnages de la bibliothèque. Une bonne odeur de parchemin flotte dans l’air. Les livres de cette partie Nord de la bibliothèque ne sont pas encore classifiés et l’on y entasse là, les ouvrages donnés ou prêtés à l’abbaye par de riches seigneurs dans le but d’être restaurés ou traduits. Le travail d’Odilon consiste à répertorier ces livres et à les regrouper par thème et langue en fonction de leur origine. Une sorte de respect l’étreignait toutes les fois qu’il compulsait ces ouvrages, conscient qu’il était que la culture de plusieurs peuples s’étalait, là, devant ses yeux.
Odilon aime ce travail de fourmi qui lui permet, tout à loisir, de fouiner dans une multitude d’ouvrages inconnus, à la recherche d’une histoire merveilleuse qui le ferait rêver. C’est ainsi que, dans l’après-midi de la veille, il avait découvert un livre dont la taille, bien supérieure à celle d’un livre normal, l’avait intrigué. Ce livre, différent des autres par sa couverture magnifique, presque magique, avait attisé sa curiosité et lui avait donné l’envie d’en connaître le contenu.
Arrivé devant l’échelle, il la déplace juste à l’endroit voulu, gravit rapidement les échelons, attrape le livre, redescend, et vient s’installer sur le pupitre le plus proche qui lui était d’ailleurs dévolu. Il y pose le livre, le dépoussière précautionneusement avec la paume de la main et l’ouvre. Il est tout d’abord saisi par la beauté des enluminures aux fraîches couleurs, aux majuscules enjolivées et à la finesse de la calligraphie. Ce livre avait donc bien quelque chose de merveilleux, de mystérieux même. Entraîné par sa curiosité, il allait commencer à lire lorsqu’il entendit une voix le héler :
- Odilon ?
S’était-il endormi ? Ou bien rêvait-il, éveillé ? Il ne savait plus, absorbé qu’il était dans la contemplation du livre magique, l’imaginaire s’étant, peu à peu, confondu avec la réalité.
- Hein !...Répondit-il d’une voix, embrumée, mal assurée.
La voix semblait venir d’un autre monde et le fit sursauter.
- Je vous ai cherché dans toute l’abbaye. Le Père Abbé veut vous voir tout de suite, lui lança Frère Pinabel depuis la porte de la bibliothèque tout en se dirigeant vers Odilon.
C’était un gentil moine, un peu timide qui se cachait sous son habit comme pour se protéger.
- Bien, bien, je viens, répondit Odilon un peu agacé de devoir s’arracher aussi brusquement à ce livre merveilleux qui l’intriguait tant, mais il ne voulait pas faire attendre l’Abbé.
- Que faites-vous ici de si bonne heure ? interrogea Frère Pinabel
- Je suis venu feuilleter ce livre que j’ai découvert hier en rangeant cette colonne de la bibliothèque. J’étais impatient et curieux de connaître son contenu, répondit Odilon en refermant le livre avec regret.
- Vous en avez de la chance, de pouvoir consulter tous ces livres ! poursuivit Frère Pinabel avec un regard d’envie mêlé d’admiration. Comme j’aimerais être à votre place et qu’on me le permette à moi aussi. De si beaux livres !
- Pourquoi n’en parlez-vous pas au Père Abbé ? fit remarquer Odilon. Je suis sûr qu’il vous laisserait faire si vous lui faisiez part de votre désir.
Frère Pinabel hésita :
- Hum… peut-être en effet, peut-être bien, mais… je n’ose pas le lui demander. On me cantonne à m’occuper des poules, des cochons et autres bêtes. Mon royaume se trouve dans l’étable, les écuries, le poulailler et les soues pendant que le vôtre se trouve dans les étoiles. Oh… mais ne croyez pas que cela m’ennuie bien au contraire ajouta-t-il comme pour s’excuser d’avoir eu cette pensée. J’aime la compagnie des animaux et ils me le rendent bien, mais parfois, juste de temps en temps, j’aimerais pouvoir faire autre chose, vous comprenez ? Je me demande ce qu’il peut bien y avoir dans tous ces livres !
- Je parlerai à l’Abbé, dit doucement Odilon d’un air complice.
Il prit l’escalier, Frère Pinabel lui emboita le pas.
- Oh c’est vrai !, s’exclama celui-ci avec emphase, vous feriez cela pour moi ? Oh… merci, merci du fond du coeur Odilon, vous êtes bon.
Odilon sourit. Ils arrivèrent au bas de l’escalier, quittèrent le bâtiment et entrèrent dans le logis de l’Abbé.
- Je dois vous quitter là Odilon, dit Frère Pinabel. Les bêtes m’attendent, il faut que j’aille m’en occuper. Nous en avons une qui s’apprête à mettre bas. Elle a besoin de moi.
- Oh ! s’exclama Odilon. À mon tour de vous envier Frère Pinabel j’aimerais bien assister à cela !
- Vraiment… ? Et bien… euh… quand cela se passera, je viendrai vous chercher… Si vous voulez ?
- Bien volontiers, au revoir, lança Odilon en disparaissant dans l’obscurité de l’escalier.
Odilon gravit une à une les hautes marches de l’escalier en colimaçon et se trouva ainsi juste devant une porte. Il frappa.
- Entrez, dit une petite voix enrouée et fatiguée, presque étouffée, provenant de l’intérieur de la pièce.
Odilon ouvrit la porte, maladroitement, et fit une pause en restant quelques instants dans l’encadrement de la porte.
- Entre mon petit, entre et ferme la porte derrière toi s’il te plait.
Le Père Abbé était un homme de taille moyenne, bien bâti, au regard bienveillant. De sa personne émanait un magnétisme naturel, un air de bonté qui inspirait confiance. Une calvitie naissante dégarnissait son front haut et large, signe d’une activité intellectuelle intense.
Allongé sur sa paillasse, l’Abbé tremblait de tous ses membres et des gouttelettes de sueur coulaient le long de ses tempes. Pourtant sa cellule était plutôt fraîche.
- Mon Père, que vous arrive-t-il ? demanda Odilon inquiet, vous ne semblez pas aller bien du tout.
- Non, mon fils, j’ai une forte fièvre qui me cloue au lit. J’ai dû prendre froid avec tous ces courants d’air. Le Frère Thibaud, notre herboriste m’a conseillé de garder la chambre quelques jours et m’a assuré que cela ne serait rien si je suivais scrupuleusement sa médication.
Il se redressa en s’appuyant sur ses avant-bras et s’adossa au mur.
- Mais laissons cela, je t’ai fait venir parce qu’il se passe de drôles de choses au château… des choses graves.
- Au château ? s’exclama Odilon intrigué et inquiet à la fois.
- Oui, reprit l’Abbé haletant. Il y a longtemps que tu n’as pas rendu visite à ta famille au château ?
Odilon fit un signe de tête affirmatif.
- J’ai à t’apprendre une nouvelle, bien triste : Garin, que vous avez pris sous votre protection et qui loge au château en l’absence de ton père, Garin a beaucoup changé ces derniers temps.
- Ah bon ? dit Odilon perplexe. Que lui arrive-t-il ?
- Ta mère sent une menace planer sur la tête de toute ta famille. Garin aurait regroupé autour de lui une bande de soldats sans cause, véritables guerriers mercenaires, qui, en l’absence de chef, se sont ralliés à Garin qu’ils ont eux-mêmes choisi pour sa prestance et ce qu’ils ont cru être du courage. Il leur fallait une cause pour laquelle se battre : celle de Garin leur convint. Un certain Raoul est à leur tête, il serait en quelque sorte l’homme de main de Garin.
Odilon fut pris d’un fou rire.
- Ce n’est pas sérieux...! Vous devez faire erreur, mon Père. Je connais très bien Garin, je le considère d’ailleurs comme mon frère, vous le savez bien, et je suis sûr que jamais il n’agirait comme cela avec nous ! Tout cela n’est que conjecture !
- Mon petit, je ne voulais pas t’inquiéter. Tu es encore bien jeune…
- Qu’en pense ma mère ? demanda Odilon. Elle n’a qu’à parler à Garin et tout s’arrangera.
- Elle ne peut pas le faire directement sans mettre sa vie en danger. Garin est violent et vindicatif.
- Je lui parlerai moi. Je sais qu’il m’écoutera et que je parviendrai à lui faire entendre raison.
- Tu ne feras rien du tout, trancha l’Abbé. Ta mère a réussi à me faire passer un message par l’intermédiaire de Frère Anselme alors qu’il était au château hier pour rapporter les objets offerts en charité. Elle m’a fait part de la situation. Elle dit qu’il se passe des choses très étranges au château et me demande de te cacher pendant quelque temps, car elle a un mauvais pressentiment te concernant. Elle pense que tu seras plus en sécurité ici…
Odilon l’interrompit.
- Comment « réussis à faire passer un message » ? Ma mère est-elle prisonnière dans son propre château ? Que se passe-t-il ?
- Je n’en sais rien, mon enfant.
- Je dois aller vérifier par moi-même ce qui se passe là-bas. Je ne peux pas laisser ma mère et ma soeur seules dans ces conditions. Je dois les protéger !
- Ta fougue est toute à ton honneur Odilon… Mais il faut parfois être plus circonspect.
- Je ne comprends rien du tout. Lorsque je suis parti, tout allait bien au château et les nouvelles que j’ai eues depuis que je suis ici ont toujours été bonnes. Je ne vois pas pourquoi les choses auraient soudainement changé. Quel est l’intérêt de Garin d’agir ainsi ?
- En s’appropriant votre domaine, il devient le nouveau seigneur du château en l’absence de ton père. Ces brigands ne craignent rien. Je sais de quoi ils sont capables.
Sans prêter attention à la dernière phrase du père Abbé, Odilon intervint.
- Ce n’est pas possible ! Et pourtant, en réfléchissant… De toute façon, ma mère n’a jamais vraiment aimé Garin. Elle nous disait toujours de nous méfier de lui, de faire attention…
- Il faut également que tu saches que, depuis quelque temps, rôde dans le comté un groupe de personnes que l’on soupçonne d’être à l’origine des saccages et des attaques qui sévissent dans la région actuellement. Les gens les appellent les Lupus, car ils se conduisent envers les autres hommes comme le feraient des loups. Ils pillent les villages et les maisons jusqu’aux contrées alentour. Ils imposent aux habitants une contribution qu’ils doivent payer sous peine d’être exécutés !
L’Abbé fit une pause, puis reprit.
- Déjà, plusieurs exécutions sommaires ont eu lieu sans autre forme de procès. Ces pauvres gens sont traînés sur la place publique et soumis à des tortures atroces pour le plus grand plaisir de ces vils manants qui n’agiraient même pas ainsi avec des bêtes ! La terreur s’est, peu à peu, emparée du Comté !
Odilon restait muet.
- En outre, poursuivit l’Abbé, certains croient les avoir aperçus alors qu’ils sortaient du château, la nuit, avant de commettre leur forfait. Tu comprends maintenant pourquoi ta mère ne souhaite pas te voir revenir actuellement. Elle parle même de danger. Il est donc de mon devoir de te protéger.
- C’est le monde à l’envers ! s’exclama Odilon (les gens du clergé régulier avaient, en effet, droit à la protection des chevaliers sans avoir à leur verser d’impôt). Que puis-je faire alors ? s’enquit-il. Je dois pourtant protéger ma famille en l’absence de mon père !
- Je dois t’avouer que tout cela me fait faire beaucoup de souci. On m’a annoncé, dès demain, la venue d’un émissaire de Garin chargé de venir te chercher sous le fallacieux prétexte que ta mère te rappelle au château. Il faut être très prudent. Il est hors de question que tu repartes avec lui.
- Que proposez-vous alors ? demanda Odilon songeur.
- Pour ma part, je m’en tiendrai à ce que ta mère m’a dit. N’oublie pas que ton père t’a confié à moi pour que je te protège en son absence. Tu es le seul héritier mâle du Comté, ne l’oublies pas.
L’Abbé observa Odilon attentivement. Il avait beaucoup changé depuis qu’il l’avait connu alors qu’il était encore un tout jeune enfant aux jolies boucles blondes. Il avait devant lui maintenant un beau et fort jeune homme d’une taille légèrement au-dessus de la moyenne, aux traits fins, à l’allure noble et digne et au regard vif et franc. Tout son physique indiquait, au premier coup d’oeil, un jeune homme de haute naissance et laissait augurer un chevalier courageux.
Le Père François repensa à son père, Sire Hugues, Comte de Beaufort, dont il tenait probablement la prestance. Souvent celui-ci s’était félicité d’avoir un fils comme Odilon, si doué en tout, si fort à la chasse malgré son jeune âge et si loyal. L’Abbé se rappela une histoire que lui avait contée Hugues : cela se passait lors de la première partie de chasse à laquelle Odilon avait participé malgré les récriminations de sa mère.
Il avait eu alors la plus belle peur de sa vie et avait été sauvé in extremis grâce à la bravoure de son oncle Olivier, le frère de Hugues, qui était intervenu à temps alors que la bête traquée qu’ils chassaient se ruait sur lui.
Son père, qui arriva sur les lieux peu de temps après, crut avoir devant les yeux la prouesse de son valeureux fils, et le jeune Olivier, qui aimait bien Odilon, n’osa pas l’en dissuader.
Cependant, Odilon était franc et sa loyauté le poussa à dire à son père ce qui s’était réellement passé.
Plutôt que d’être déçu, Hugues avait alors exprimé sa joie d’avoir un fils comme le sien dont les qualités, malgré son jeune âge, correspondaient à celles qu’il attendait d’un futur chevalier : à savoir prouesse et loyauté.
Il lui avait alors appris que les chevaliers formaient un groupe soudé où l’on ne se trahissait pas entre soi.
Pour Hugues, Odilon, en disant la vérité ce jour-là, avait fait preuve de la plus grande qualité qu’il pouvait avoir et il en était si fier qu’il avait raconté l’aventure au Père François.
Un chevalier, en effet, ne se contente pas, sous la dynastie des Adalbertiens, d’aller à la chasse ou de faire la guerre, de participer à des tournois ou encore de festoyer en son château, un chevalier doit également se soumettre à un ensemble de règles, de coutumes et de manières de vivre.
L’Abbé vouait à Sire Hugues, le père d’Odilon, une sincère amitié qui durait depuis des années. Ils avaient fait connaissance plusieurs années auparavant lors de son arrivée à l’abbaye. L’Abbé avait tout de suite sympathisé avec cet homme franc et loyal qu’il estimait et à qui il savait pouvoir se fier.
L’Abbé revit mentalement le visage de Hugues qui manquait tellement à Odilon, mais également à lui-même. Un véritable ami est une chose sacrée que l’Abbé savait apprécier à sa juste valeur. Le départ de Hugues à la guerre, voilà maintenant plusieurs longs mois lui semblaient déjà une éternité. Mais l’Abbé savait que les seigneurs doivent au Roi une fidélité sans faille ainsi qu’un service armé, le Roi d’Aulis, restant, sous le règne d’Adalbert III, le maître de la guerre et de la paix ; il est celui qui lève « l’ost » en cas de danger et peut user comme bon lui semble de l’armée et rassembler ses vassaux. Ainsi, lorsque Adalbert III décida de faire la guerre à Raynouart II, Roi de Galix, pays frontalier d’Aulis, pour défendre le royaume d’Aulis, ses vassaux, dont Hugues de Beaufort, accoururent.
Au fil des années, l’amitié qui liait Hugues à l’Abbé François s’était renforcée au point que l’Abbé considérait Odilon comme son propre fils.
Le père François est ainsi devenu un conseiller précieux du Comte Hugues de Beaufort pour lequel il remplit des missions de confiance. Ainsi, lorsque Hugues lui avait fait part de son intention de le nommer tuteur de ses enfants, le Père Abbé avait été très ému qu’il ait pensé à lui pour assumer une charge aussi importante et s’était empressé d’accepter, reconnaissant qu’il était de la confiance que lui portait Hugues. Il plaçait très haut cette confiance et n’aurait voulu décevoir pour rien au monde cette famille qu’il aimait tant.
Quittant ses pensées, l’Abbé reprit sa respiration et enchaîna.
- Il y a un endroit dans l’abbaye, que je suis seul à connaître, où l’on entrepose de vieux documents sur la vie des saints, des reliques ainsi que tous les livres anciens que l’on rangera ultérieurement. Tu vas t’y rendre dès que tu m’auras quitté pour n’en plus bouger avant que je vienne te chercher.
- Et si les autres Frères s’inquiètent de mon absence ? fit remarquer Odilon
- Ne te fais aucun souci. Je leur dirai que je t’ai confié une mission urgente. Pour le moment, il convient de se dépêcher.
Il fouilla dans la poche de son manteau et en sortit une grosse clé.
- Voilà la clef qui ouvre la porte de la pièce dont je te parle, tu la trouveras dans le cloître côté Ouest. Une fois ouverte, cette porte donne sur un petit escalier en colimaçon qui mène luimême à une cave. Dans cette cave, tu trouveras une petite trappe sur le sol : celle-ci camoufle la pièce où tu devras te cacher. Tu allumeras la torche et tu resteras là, en prenant soin de bien refermer toutes les portes derrière toi, jusqu’à ce que je vienne, moi-même, te chercher.
Odilon ne savait plus quoi dire. Il était assommé. Tel un automate, il prit les clés des mains de l’Abbé.
- Il y va de ta vie, mon enfant poursuivit le Père Abbé en prenant dans ses mains tremblantes celles d’Odilon. Mais sois courageux, suis scrupuleusement mes consignes et tout se passera bien. Fais-moi confiance.
- Bien acquiesça Odilon après un long moment. Je ferai ce que vous me demandez mon Père. Mais je ne comprends rien. Comment tout cela a-t-il pu arriver ? Qu’est-ce qui motive Garin ? Je le croyais un ami sincère. Je ne comprends pas pourquoi les gens veulent faire tant de mal alors que nous pourrions, tous, vivre en paix.
Le Père François regardait Odilon avec émotion.
- Tu as le coeur pur mon enfant
Cela dit, Odilon prit congé de l’Abbé et se dirigea vers le cloître.
Il était bien trop perturbé pour avoir remarqué une ombre qui avait épié, silencieusement, toute leur conversation. Quelqu’un, tapi dans le noir, qui avait profité de l’obscurité pour ne pas se laisser voir.
Un danger inconnu planait sur eux.
Le Comté de Beaufort est situé dans le Nord du Comté d’Aulis, à quelques encablures de Briais, dans la verte vallée de Narmeras. Il se compose de quatre pôles : l’abbaye, la ville, le château et la forêt.
En avant se trouve l’abbaye occupée par des moines, plus en retrait, à droite, la ville entourée de fortifications, située à égale distance de l’abbaye et du château. Sur la gauche, la forêt est séparée du château par le fleuve le Lô. L’ensemble dépendant du domaine royal du Roi Aldalbert III.
Sous la dynastie des Adalbertiens, les châteaux qui se trouvent sur le Comté d’Aulis et les contrées environnantes sont construits surtout pour protéger le pays contre les invasions. Ils représentent la cellule de base autour de laquelle s’organise la vie politique, économique et sociale. Ils sont le symbole et le siège du pouvoir, ce qui n’exempte pas le seigneur Hugues de Beaufort qui occupe le sien avec sa famille, d’avoir des droits et des devoirs personnels.
Situé sur la plus haute colline du Comté de Beaufort, le château surplombe la ville et l’abbaye. C’est une magnifique forteresse érigée sur un éperon rocheux de plus de 400 mètres de long et dominant le Lô qui coule à proximité.
Cette position géographique en fait un lieu stratégique privilégié pour surveiller la contrée. Ainsi, depuis le donjon, le veilleur peut prévenir rapidement s’il survient un danger ou une invasion. Ce donjon fut bien utile à Hugues de Beaufort, le père d’Odilon, pour protéger le Comté et ses habitants lors de l’attaque des Jutlands ou des Bedes ou de l’invasion des Barberands, des Vargones ou des Wessex, les habitants des contrées voisines.
Le château du Comté de Beaufort est entouré de profondes douves — d’environ vingt pieds de profondeur — qui reçoivent les eaux du Lô. C’est dans ces douves qu’Odilon apprit, très jeune, à nager, un jour où, alors qu’il franchissait le pont-levis au retour d’une partie de chasse, il y fit un mémorable plongeon. Sa mère Hermeline lui dit alors que s’il continuait ainsi, il finirait bien par se rompre le cou !
Hugues avait hérité ce château de son père, Adémar de Beaufort, alors qu’il n’était qu’une modeste bâtisse seigneuriale. Devant l’insécurité endémique de l’époque d’Aldabert Ier — grand-père d’Adalbert III — le premier soin d’Adémar fut de construire une puissante tour, le donjon, afin qu’il domine le pays et qu’au sommet veille, jour et nuit, un guetteur. Peu à peu, Adémar agrandit sa forteresse en édifiant de hautes murailles flanquées de tours et en creusant des fossés.
Ainsi protégé, le seigneur Adémar peut se défendre et accueillir ses paysans dans les cours intérieures. Lorsqu’un danger menace, la population se regroupe autour de la seigneurie la plus proche capable, à elle seule, d’assurer la défense de tous. Les châtelains, se comportant en souverains sur leurs territoires, se doivent de défendre la population rurale en lui offrant refuge au château. En échange de quoi, les suzerains lèvent sur les paysans des droits féodaux et seigneuriaux.
Cette place dominante où est construit le château renforce le pouvoir que le seigneur Hugues de Beaufort a sur les hommes du bourg.
Odilon, comme sa soeur Bertille, est né au château. Alors qu’il était tout jeune, malgré les interdictions de son père, il allait se promener sur le chemin de ronde, jouant à cache-cache avec sa soeur et avec les soldats en faction qu’il détournait de leur surveillance.
Il avait été souvent sermonné pour agir ainsi, mais cela ne l’empêchait pas de continuer à désobéir à l’ordre paternel, en prenant cependant de grandes précautions pour ne pas être vu, ce qui donnait d’ailleurs beaucoup de piment au jeu !
L’un des jeux préférés d’Odilon dans lesquels il entraînait toujours sa soeur Bertille — qui le suivait partout et même le dépassait parfois par son intrépidité — était de gravir les hautes marches des tours rondes, hautes de 50 mètres environ, et de se glisser dans les charpentes des toits en poivrière qui les surmontaient. Là, ils refaisaient le monde, tandis que leur mère, Hermeline, les cherchait dans tous les recoins du château en proie à d’irrépressibles angoisses, se demandant où ils étaient encore partis se cacher et s’attendant à tout moment à les retrouver sans vie.
Pourtant, la vie au château était sereine et il y régnait une joie de vivre communicative, ponctuée par les mélodies d’Hermeline qui chantait souvent, lorsqu’ils étaient enfants, de douces romances en s’accompagnant de son luth pour aider Bertille et Odilon à s’endormir. Près de sa mère, Odilon se sentait en sécurité et la musique le berçait tant et si bien que, malgré tous ses efforts pour écouter la mélodie jusqu’au bout, il ne pouvait lutter contre le sommeil.
Sa mère, Hermeline, était une grande et belle femme, svelte, aux longs cheveux blonds et au teint clair. Ses yeux vifs, d’un joli vert, laissaient échapper une lueur malicieuse et un regard majestueux. Tout l’opposait à Hugues qui, lui, était un grand gaillard vigoureux et fort, aux yeux noisette et à la chevelure brune qui occupait ses loisirs à chasser ou à participer à des tournois desquels on ne savait jamais s’il reviendrait vivant tant il était intrépide et tant les tournois étaient dangereux.
Hugues de Beaufort, qui avait hérité de son père le titre de Comte de Beaufort, est un châtelain très aimé, cherchant toujours à faire le bien de ses sujets. Issu d’une noble famille qui s’était illustrée dans les précédentes dynasties, il est respecté par son peuple. Si l’on vient demander de l’aide à Hugues ou bien chercher un conseil, on sait que l’on trouvera toujours une écoute, une oreille attentive à ses problèmes et que l’on repartira avec une solution. Souvent, le jugement d’Hugues fut comparé à celui de Salomon, Hugues essayant d’être toujours le plus juste possible.
Ainsi s’était écoulée l’enfance heureuse d’Odilon : la brutalité de la vie était compensée par la tendresse maternelle et Odilon avait ainsi vécu ses premières années sans jamais vraiment savoir s’il tenait plus de son père ou de sa mère. Certains disaient qu’il avait pris le meilleur des deux, d’autres qu’il fallait attendre qu’il grandisse.
Mais maintenant, du haut de ses seize ans, il restait persuadé qu’il était à la fois les deux : sa sensibilité lui donnait un caractère doux et bienfaisant parfois même un peu trop humain aux dires de ses envieux copains de chevalerie. Ce qui n’empêchait pas Odilon de faire preuve de la plus grande bravoure quand il le fallait et son futur adoubement le prouvait bien.
Quelques années auparavant, Hugues de Beaufort avait, en effet, décidé qu’Odilon, qui venait d’avoir sept ans, suivrait une préparation pour être chevalier.
L’insouciance des jours heureux qu’ils coulaient alors au château céda alors la place à la raison et l’angoisse d’Hermeline se mua en une inquiétude sourde et complexe sur le devenir de son fils.
Pourtant, tous s’accordaient à dire qu’Odilon ferait un magnifique chevalier et Hugues voulait pour son fils ce qu’il y avait de mieux. Aussi s’était-il rapproché d’un de ses amis étrangers, Bertrand de Tür, qui habitait dans une contrée située encore plus au Nord du Comté d’Aulis afin qu’il parfasse l’éducation d’Odilon en le prenant comme page. Il en profita pour lui glisser que son fils serait un excellent compagnon de chasse lui relatant ses dons exceptionnels pour la chasse au faucon en particulier.
Le départ d’Odilon fut un véritable déchirement pour toute la famille. Bertille qui n’avait alors que huit ans et demi perdait son compagnon de jeu et son frère bien aimé, Hermeline était bouleversée de voir partir son fils chéri dans une contrée étrangère et peut-être inhospitalière. Seul Hugues se félicitait que son ami, Bertrand, ait accepté de recevoir son fils.
L’initiation du jeune noble, futur chevalier, commence, en effet, dès l’enfance. Pendant toute la période où Odilon fut confié à Bertrand de Tür, il apprit tout ce qu’un apprenti chevalier doit savoir. En tant que page, mais aussi de compagnon de chasse et de voyage de son maître, il pratiqua l’équitation — qu’il connaissait déjà pour être monté tout jeune sur un cheval — et le maniement des armes et apprit à ne servir que des causes nobles et justes. Le système de valeur de la chevalerie fait du désintéressement la première qualité d’un chevalier, qui doit refuser d’accumuler les richesses.
Sous le règne d’Adalbert III, on devient chevalier par le mérite et la valeur personnelle et non plus selon les revenus et la naissance comme sous les règnes précédents. Cela tient au fait que l’évolution économique, qui s’amorce à partir du règne d’Adalbert II fait apparaître une classe de nouveaux riches issus des villes commerçantes. Ces parvenus s’intègrent à la société féodale en vivant comme des nobles c’est-à-dire sans travailler. Ils aspirent à la noblesse et à la chevalerie jusqu’alors réservées à ceux qui possèdent des terres permettant l’entretien d’un cheval et des revenus suffisants pour qu’ils puissent acheter l’équipement chevaleresque de base, les adoubs — qui comprend le destrier, le heaume, le haubert, l’écu, la lance et l’épée — dont les prix sous Adalbert III sont équivalents aux revenus d’une exploitation seigneuriale de taille moyenne : soit environ 150 hectares ! Il faut, en outre, que l’aspirant chevalier dispose du loisir nécessaire pour s’entraîner assidûment pour se préparer à participer aux combats des tournois.
Le chevalier fait donc partie de la classe dominante : être chevalier, c’est être puissant. Puissance et réputation accompagnent la richesse qui, à cette époque, ne se compose que de biens fonciers et la fonction guerrière revient alors au propriétaire terrien.
En quelques années, Odilon devint l’un des fleurons de la garde de Bertrand de Tür et dans l’entourage de son maître, on commençait à le jalouser pour sa dextérité : rien n’était impossible à Odilon et sa bravoure n’avait d’égal que son sens de l’honneur. Il réussissait tout ce qu’il entreprenait : en un mot, il était doué !
Odilon avait d’ailleurs hâte de pouvoir expérimenter sa force et sa dextérité au combat au cours de ces joutes que son père affectionnait tant et que dans son insouciante jeunesse il croyait accessibles. Il s’y voyait combattre par bande de trois ou quatre chevaliers se jetant sur la bande adverse sur un terrain qui n’est pas limité et où tous les coups sont permis ; il s’identifiait alors à ces héros imaginaires, qui de Hercule, qui de Achille, reviennent toujours vainqueurs de leurs combats. Cela faisait partie de ses rêves et de ce caractère imaginatif qu’il tenait de sa mère. Mais c’est ce côté de sa personnalité qui lui permettait de supporter les moments difficiles et cela l’avait bien souvent aidé lorsqu’il était resté si longtemps séparé de sa famille pendant sa préparation à la chevalerie qui devait durer jusqu’à sa vingtième année et qui fut brutalement interrompue par le départ de son père pour la guerre.
En effet, Odilon venait tout juste de terminer une partie de son apprentissage, lorsque son père le rappela d’urgence auprès de lui. Odilon craignit d’abord pour la santé de sa mère, mais il eut le bonheur de la retrouver en bonne forme à son retour ainsi d’ailleurs que toute sa famille.
Si son père l’avait fait revenir, c’était pour lui parler de son prochain départ à la guerre, à l’appel d’Adalbert III, contre Raynouard II de Galix.
Depuis son arrivée sur le trône d’Aulis, Adalbert III avait tenté de remettre de l’ordre dans l’ensemble du domaine royal en réprimant l’audace des grands vassaux et en rétablissant la sécurité dans les domaines tout en favorisant l’affranchissement des communes.
À l’époque de Hugues de Beaufort, les seigneurs établissent et organisent leur vaste domaine : ils y sont entièrement maîtres, y rendent la justice, lèvent les impôts, rassemblent les hommes de guerre et peuvent même battre leur propre monnaie.
C’est trois siècles avant la dynastie des Adalbertiens, sous la dynastie précédente des Rois Olaviens qu’apparaissent les premières règles dont le développement formera la société d’Adalbert III. Le Roi Baligant IV, 7ème roi Olavien, est, alors, à la tête d’un immense empire, mais éprouve des difficultés à administrer les lointaines provinces de son état. Pour y parvenir, il organise une sorte de décentralisation du pouvoir, et cède, à des princes, des comtes, en échange de leur loyauté, des terres sur lesquelles ils sont les maîtres absolus. Les territoires qui appartenaient aux seigneurs formaient ainsi, parfois, de véritables états.
Le Roi est le suzerain suprême capable de convoquer ses vassaux, en certaines occasions, pour les consulter sur les intérêts du royaume. Le pouvoir appartient au seigneur dominant les régions qui n’ont avec le roi, le plus haut seigneur du royaume, que des liens assez ténus. Pour le reste du temps, ils sont maîtres chez eux.
Mais ce qui fut possible sous le règne d’un roi aussi fort que Baligant IV, fut défait par ses successeurs qui furent incapables de maintenir les seigneurs sous leur autorité. Ceux-ci transformèrent leur province et leur domaine en de petites seigneuries indépendantes.
À la fin du règne d’Adalbert II, un vif désir de liberté se manifesta dans les villes : certains habitants se regroupèrent et jurèrent de se défendre en commun contre la tyrannie de leur seigneur : on nomma ces habitants des jurés et les villes qui s’insurgèrent ainsi prirent le nom de communes.
Plusieurs communes, dont Briais obtinrent ainsi, de leurs seigneurs, l’affranchissement qu’elles réclamaient et la charte de leurs droits nouveaux. Adalbert III favorisa cette institution qui affaiblissait, à son profit, l’autorité des seigneurs. Les milices communales reconnaissantes l’aidèrent dans sa lutte contre les seigneurs de Cercy, du Pisat ou de Caurcy, mais aussi dans les guerres, dont celle contre le roi de Galix.
Hugues avait déjà prêté main-forte au Roi Adalbert III, mais cette fois il ne s’agissait plus de se battre dans des luttes internes, mais de partir faire une guerre et pas des moindres puisqu’il fallait se battre contre le roi Raynouart II, fils de Raynouart Ier de Galix. Raynouart Ier avait établi en Galix la féodalité en prenant soin de réserver, à la royauté, la meilleure part de ses domaines. À la même époque, en Aulis, les seigneurs dominaient le Roi. En Galix, dès le début, le Roi domina le seigneur. En outre, le Duc de Vargone, vassal du Roi d’Aulis, devenait, par la conquête de la Galix aussi puissante que son suzerain. De là naquit une longue rivalité entre l’Aulis et la Galix. À sa mort, Raynouart Ier, laissait quatre fils qui régnèrent successivement : Ysore, Adalmant, Galad et Raynouart II qui fut le dernier à régner.
La nouvelle du départ de son père pour la guerre résonna comme un coup de tonnerre dans les oreilles d’Odilon qui n’y était pas préparé. La guerre…, il en avait entendu parler bien sûr, il avait même étudié l’art de se battre, mais, pour lui, jusque-là, il ne s’agissait que d’un jeu et il n’avait jamais pensé qu’il pourrait y être, un jour, confronté. Il ne sut que répondre à son père et passa auprès de sa famille les quelques jours de bonheur qui lui restaient. Il était devenu plus sage, aguerri qu’il était par ses huit ans passés à l’étranger. Sa soeur était presque devenue une jeune fille, et ils avaient tant à se raconter !
Hugues les réunit pour leur expliquer qu’il fallait organiser son prochain départ. Il estimait que sa femme et sa fille pouvaient très bien rester au château et qu’elles étaient très capables de le garder en son absence puisqu’il n’y avait, à priori, aucun danger et que, de toute façon, avait ajouté Hugues, Odilon était là pour le remplacer en cas de danger. Le jeune âge de son fils ne lui faisait pas peur, le sachant très doué, il était sûr qu’il accomplirait très bien cette tâche.
Hugues se réjouissait que son fils sache manier les armes avec autant de dextérité, mais il souhaitait également qu’il apprenne à réfléchir et cultiver son esprit. Lui-même avait beaucoup appris de son père, mais son prochain départ ne lui permettait pas d’inculquer à son fils ce qu’il savait. Il ordonna donc à Odilon d’aller passer quelque temps auprès du Père François, Abbé de l’Abbaye de Cercy qui serait à même de le remplacer dans cette tâche et de parfaire son éducation et sa culture.
L’abbaye du Comté de Beaufort possède, en effet, de nombreux manuscrits et est un centre de culture et de connaissance réputé. Les nombreux voyageurs qui y font halte s’émerveillent toujours de la richesse des manuscrits et des reliques qu’elle contient.
C’est ainsi qu’Odilon, quelque temps après la réunion de famille, se retrouva à l’Abbaye de Cercy.
L’abbaye est une longue bâtisse rectangulaire qui s’étend d’est en ouest et dont la porte principale, située côté ouest, ouvre sur un cours d’eau : le Lô.
Sur ce même côté se succèdent les écuries, l’étable et les soues qui se trouvent à droite de la porte.
Sur la face sud, on trouve le poulailler, le grenier, le cellier et le pressoir en face desquels s’étendent la vigne et les jardins.
Le moulin est situé à gauche de la porte principale, face nord. Un gros bloc de bâtiments coupe, ainsi, en quelque sorte, l’abbaye dans son centre et comprend l’église, le cloître, le réfectoire et les cuisines, la salle capitulaire et l’hôtellerie, les dortoirs des moines et le logis abbatial.
Sur le mur opposé à l’entrée principale se trouve une autre entrée, plus petite, que les moines utilisent peu.
Sur cette face est s’alignent l’école et la bibliothèque surplombées du scriptorium où Odilon se rend, presque chaque nuit, en cachette.
Puis, plus loin vers le nord, l’infirmerie et le cimetière font face à l’église.
Mais le temps, à l’abbaye, paraissait bien long à Odilon, retranché dans cette enceinte, loin de l’exercice physique qu’il affectionne tant et qu’il avait l’habitude de pratiquer lorsqu’il était page auprès de Bertrand de Tür. Il était peu enclin à parfaire son éducation et sa culture intellectuelle, bien que le travail qu’il effectuait ici faisait passer plus vite ces lourdes heures.
Hugues demanda encore une dernière faveur à sa femme. Il la pria, expressément, de venir en aide et d’assurer la subsistance, si le besoin s’en faisait sentir, au fils de son ami Thierry de Monbourg, Garin, en l’absence de son père qui l’accompagnait à la guerre. Thierry est un seigneur, vassal d’Hugues, qui habite le Comté voisin. Il participe, avec lui, à la vie politique et est considéré comme un notable dans le Comté.
Thierry de Monbourg a subi des revers de fortune successifs à la suite, entre autres, de plusieurs mauvaises récoltes, ce qui lui avait fait perdre la quasi-totalité de sa fortune et de l’augmentation des dépenses alors que le revenu foncier restait fixe. Ainsi, Thierry n’assurait sa subsistance que grâce à l’aide que lui apportait son maître, et néanmoins ami, Hugues de Beaufort.
Conservant, cependant son rang de noble, Thierry fut, en effet, contraint par les circonstances, de se mettre sous la protection de Hugues, seigneur plus puissant que lui. Comme tout vassal, Thierry devait accompagner Hugues et combattre à ses côtés quand il partait à la guerre et escorter son maître lorsqu’il sortait.
Hugues, en retour, devait sa protection à Thierry et lui permettre de vivre dignement.
Pour cela, Hugues avait confié à Thierry un fief. Une partie du domaine de Hugues de Beaufort était ainsi louée, par petites parcelles, aux habitants.
En échange des terres ainsi concédées, les paysans payaient au maître du château une redevance que Hugues réduisait le plus possible, allant même parfois jusqu’à l’annuler complètement si une mauvaise récolte ou des problèmes familiaux le justifiaient. Hugues étudiait toujours chaque cas individuellement, refusant de punir ses sujets et de les condamner à des amendes que, de toute façon, leur situation ne leur permettait pas de payer. Les paysans, pour le remercier, lui offraient de menus cadeaux en fonction de leurs moyens financiers.
Et tout cela se passait toujours sans le moindre heurt et ne posait aucun problème.
Le fils de Thierry de Monbourg, Garin, était un adolescent taciturne et violent qui avait manqué d’une présence maternelle : sa mère était morte alors qu’il n’avait que trois ans. Élève seul par son père, il n’avait rien fait de bon pendant toutes ces années. Odilon le connaissait bien et le considérait comme un frère, bien que de sept ans son aîné, Garin ayant souvent été leur compagnon de jeu à sa soeur et à lui. Les trois jeunes gens s’entendaient, par ailleurs, très bien.
L’attachement de Hugues à Thierry était indéfectible. Les deux hommes s’étaient connus alors qu’un jour, lors d’une révolte, Thierry était venu prêter main-forte à Hugues et lui avait sauvé la vie. Depuis, ils ne s’étaient plus quittés et Hugues se sentait redevable envers Thierry.
Curieusement, Hermeline n’aimait pas Garin qu’elle jugeait sournois. Elle avait toujours conseillé à Odilon et Bertille de se méfier de lui. Mais elle ne voulut pas contrarier son époux, comprenant d’ailleurs très bien le lien qui l’attachait à Thierry.
Ce qui fut dit fut donc fait, et il n’y eut pas à y revenir. Personne ne trouva, d’ailleurs, à redire à cette distribution des rôles qui semblait leur convenir à tous : Hugues partant à la guerre et Odilon se préparant à se rendre à l’abbaye.
Mais cet hiver-là fut plus rude que les autres. Le froid avait gelé les terres et les paysans étaient pessimistes sur les récoltes. Garin attrapa une mauvaise fièvre et un jour où Odilon lui rendait visite, il le trouva alité et bien mal en point. Il semblait amaigri et ses habits ressemblaient à des haillons. N’écoutant que son bon coeur, Odilon attela son cheval à une charrue, y porta Garin et le ramena au château.
Après quelques jours de soins attentionnés d’Hermeline et du Frère Thibaud, qu’elle avait appelé en urgence, Garin fut vite remis sur pied. Il ne cessait de remercier Hermeline pour son hospitalité et sa gentillesse tout en vantant les bienfaits d’une présence féminine à ses côtés. Hermeline, bien que réticente au début, fut émue par la reconnaissance que lui témoignait Garin et lui proposa de rester au château, jusqu’à la fin de l’hiver, afin de lui laisser le temps de reprendre des forces. Garin accepta avec gratitude. Tout était donc pour le mieux et Odilon regagna l’abbaye, le coeur tranquille.
Plusieurs mois s’écoulèrent, Odilon était à l’abbaye et Garin toujours au château.
En se rendant à la cachette indiquée par l’Abbé, Odilon repensait à ces mois passés à l’Abbaye de Cercy. Il tournait et retournait dans sa tête la conversation qu’il venait d’avoir avec l’Abbé, mais ne parvenait pas à comprendre ce qui se tramait autour de lui. Il pensait que l’Abbé, comme sa mère, aggravait la situation, que les choses ne pouvaient pas être aussi graves. Il n’arrivait d’ailleurs pas à se convaincre que Garin pouvait agir ainsi envers lui et envers sa famille qui avait toujours été bonne pour lui.
Pourtant, Odilon devait se faire une raison et se rendre à l’évidence : les rares nouvelles qu’il avait eues du château, ces derniers mois, n’étaient pas aussi bonnes qu’il avait bien voulu le croire. Sa soeur, elle-même, ne lui avait adressé qu’un mot, très court, il y avait quelques semaines.
Odilon sortit de sa poche un petit morceau de parchemin froissé sur lequel étaient griffonnés ces quelques mots : « Tu me manques. Peut-être pourrais-tu venir quelques jours ? Il faut que je te parle au plus vite ». Rien de plus.
Pour quelqu’un qui, en temps normal, était si prolixe, c’était une lettre un peu courte, mais cela était pourtant explicite.
Seulement, voilà, Odilon n’avait pas accordé l’importance qu’il fallait à l’appel de sa soeur. Il avait mis cela sur le compte de sa solitude et pensait que c’était une ruse que Bertille utilisait pour le faire revenir quelque temps parce qu’il lui manquait. Mais jamais il n’avait pensé… D’ailleurs il n’aurait jamais imaginé… Ce n’était pas concevable… Comme lui, Odilon, n’aurait pas agi ainsi, comment aurait-il pu imaginer que quelqu’un d’autre puisse le faire ?
Maintenant, il lui apparaissait clairement que Bertille avait voulu le prévenir, mais peut-être était-elle surveillée, elle aussi, et n’avait-elle pu lui en écrire davantage ? Quel dommage qu’il soit aussi loin !
Il pouvait passer outre les conseils de l’Abbé, mais au fond de lui, Odilon faisait confiance à cet homme.
- S’il agit ainsi se dit-il, c’est qu’il a ses raisons.
Et Odilon avait assez de discernement pour savoir que, cette fois, il lui fallait obéir, même s’il n’en avait pas envie, même si une force irrépressible, tout au fond de lui, se réveillait et lui intimait l’ordre de passer à l’action, de se rendre au château pour voir ce qui s’y tramait !
Mais une autre voix, plus forte que l’autre encore, lui disait de ne pas répondre à ses instincts, d’attendre que ce soit le moment, le bon moment pour agir, plus tard, encore un peu plus tard !
Odilon aurait aimé en avoir le coeur net. Après tout, si quelqu’un voulait le voir, qu’il vienne, il était prêt et bien armé pour l’accueillir. D’ailleurs, ce déploiement d’orgueil était inutile puisqu’Odilon savait très bien que le Père Abbé le protégerait si quelqu’un venait le chercher.
Cependant, Odilon restait aux aguets, l’oreille en alerte, prêt à bondir sur ce soi-disant émissaire pour faire éclater la vérité. Il bouillait intérieurement, le sang montait à ses tempes, lorsqu’il y pensait. Il espérait pouvoir glaner dans l’attitude de l’émissaire, un geste, une parole, une action, quelque chose, il ne savait pas quoi au juste, mais quelque chose qui pourrait faire éclater la vérité, qui ferait, que cette fois, il n’aurait plus aucun doute sur les intentions de Garin.
Pour l’heure, il fallait attendre et suivre les instructions de l’Abbé. Arrivé dans la cachette, Odilon ouvrit la trappe qui en obstruait l’entrée et se glissa à l’intérieur grâce à une échelle de bois, amovible, qui était posée contre le mur.
Il jeta un regard autour de lui. Il prit sa torche et inspecta la pièce dans laquelle il se trouvait. Une foule d’objets curieux l’emplissait ou étaient suspendus aux murailles. De vieux manuscrits se trouvaient mêlés aux volumineux ouvrages de théologie et aux écrits de savants. Il y en avait partout, du sol au plafond, amoncelé en piles par terre. Les murs, eux-mêmes, étaient tapissés de vieux bouquins.
Odilon qui aimait les livres allait être servi ! Beaucoup du capital culturel convergeait, en effet, vers l’abbaye où l’on tâchait de retrouver, et de regrouper le plus possible de manuscrits.
Les livres occupaient tout l’espace de la pièce : quelques-uns étaient écrits en caractères orientaux, d’autres cachaient leur secret sous le voile mystérieux de signes cabalistiques. Odilon ne put trouver qu’une petite parcelle de sol libre où il s’agenouilla, après avoir déposé sa torche dans l’encoche prévue à cet effet dans le mur.
L’aspect général de cette pièce exiguë, ajoutée aux objets qui s’y trouvaient était de nature à frapper l’imagination d’un jeune esprit rêveur comme celui d’Odilon.
- J’espère que cela ne va pas durer trop longtemps parce que cette cachette est un peu réduite et pas très confortable, pensa-t-il.
Il prit un livre au hasard. Il était écrit dans une langue inconnue de lui. L’écriture ressemblait à des arabesques. Il tourna les pages pour passer le temps. Il se tapit dans son petit coin sombre, se mit à somnoler puis s’endormit tout doucement en rêvant. Il chevauchait un tapis volant, à mille lieux au-dessus de la terre, croisant sur son passage les nuages qui lui souriaient. Le vent balayait ses boucles blondes. Il se sentait léger, si léger, avec des possibilités illimitées, emportées vers des lieux inconnus. Dans sa course il croisait une naïade aux yeux de rêve. Elle sauta sur son tapis et ils continuèrent ensemble leur mystérieux voyage.
Pendant ce temps, quelqu’un rôdait autour de l’abbaye. Profitant de l’obscurité, prenant bien soin de ne pas être vue, une ombre se glissa hors du logis de l’Abbé où elle s’était tapie pendant la conversation d’Odilon avec le Père Abbé. Longeant le dortoir des moines, sans bruit, elle traversa le jardin Sud et se dirigea vers le grenier.
À l’intérieur du grenier, la lune éclaira de ses rayons une forme inconnue qu’on ne pouvait distinguer du fait de l’obscurité. L’ombre s’avança vers elle.
- J’ai surpris une conversation entre le Père Abbé et Odilon. Un émissaire du château vient ce matin pour le chercher. L’Abbé a caché Odilon dans un endroit secret dont lui seul à la clé. Il s’agit d’un passage situé dans le cloître, à la cave. Je n’en sais pas plus.
- Hum… grommela l’inconnu. Merci. Il faut agir vite maintenant.
Il s’interrompit en entendant des bruits de pas venant du dehors.
- Retourne au dortoir, il ne faut pas que l’on nous voie ensemble.
L’ombre sortit comme elle était venue et disparut dans la nuit.
Quelques heures plus tard, le silence de l’abbaye fut brutalement interrompu par des coups frappés violemment sur la porte d’entrée.
Le frère Otinel qui passait justement à proximité de l’entrée, allant vers les écuries, s’approcha du frère portier qui ouvrit la porte. Dans l’encadrement de celle-ci apparut un homme de haute stature, à l’allure vigoureuse, portant une grande barbe brune. Autour de lui se trouvait une vingtaine d’hommes armés.
- Conduis-moi devant le Père Abbé dit l’homme s’adressant à Frère Otinel en tenant son cheval à la main.
Le frère Otinel, stupéfait, s’exécuta et accompagna l’homme vers le logis abbatial. Il le fit attendre quelques instants, se pressant d’aller prévenir le Père Abbé à qui il exposa la raison de ce tumulte.
- Mon Père, il… il y a là une ving… vingtaine de per… sonnes qui… qui de… demande à vous… vous voir !
Otinel bégayait et parlait de façon saccadée, tremblant de peur.
- Bien. Prévenez que je descends, répondit simplement le Père Abbé tout en se glissant hors de sa paillasse.
Malgré sa forte fièvre, l’Abbé s’emmitoufla dans sa bure puis descendit rejoindre l’homme qui l’attendait au rez-de-chaussée. Il s’avança vers lui.
- Que puis-je pour vous ? demanda l’Abbé à l’homme
- Je suis le sergent Raoul. J’ai ordre de ramener Odilon au château auprès de sa famille, Père Abbé. Je vous prie d’aller le chercher.
Le Père François dévisagea Raoul et le toisa du regard. C’était un homme plutôt disgracieux de sa personne, aux traits plutôt grossiers, mais dont la corpulence laissait transparaître une grande force physique. Son maintien était droit et fier et sa démarche très mâle.
L’Abbé le connaissait bien pour avoir eu parfois affaire à lui depuis le départ de Hughes de Beaufort lorsqu’il était, alors, attaché au château. Mais ces intentions, depuis le départ de son maître pour la guerre, n’étaient plus honorables, et l’Abbé soupçonnait Raoul, d’être devenu le serviteur armé de Garin. Il subodorait que Raoul faisait partie de ces « Lupus », ces « cavaliers du donjon » que les habitants craignaient tant. Cependant, Raoul bien que plutôt brutal, était désireux d’effectuer son travail dans le respect des règles et l’Abbé comptait bien s’en servir.
- Vous avez un mot de sa mère, je pense ? demanda le Père Abbé
- Non… Je n’en ai pas besoin, répliqua sèchement Raoul
- Raoul, répondit doucement le Père Abbé, comme vous le savez, ce lieu est un lieu sacré. Nous avons des lois et des règles que nous ne pouvons enfreindre. Dites-moi plutôt, pourquoi vous venez chercher Odilon ?
- Je dois le ramener au château, répondit brutalement et simplement Raoul
Le Père Abbé jeta un regard alentour.
- Et vous avez besoin d’être aussi nombreux pour venir chercher un si jeune garçon, tout seul ? ironisa-t-il.
Raoul sembla mal à l’aise.
- Vous semblez oublier ces bandes de pillards qui rôdent dans la région. Ni la forêt ni la ville ne sont sures en ce moment. Les routes sont très dangereuses pour deux hommes seuls. Il m’a semblé préférable de me faire accompagner pour protéger Odilon du danger.
- Je ne me sentirais pas en sécurité avec les gens qui vous accompagnent, je vous l’assure Raoul, rétorqua le Père Abbé en voyant la mine patibulaire de sa soi-disant escorte
Raoul attendit quelques instants puis reformula sa demande.
- Alors mon Père, vous allez chercher Odilon ?
- Vous oubliez qu’en l’absence de son père je suis son tuteur et il ne peut rien faire sans mon consentement. Votre réponse ne me suffit pas, répliqua sèchement le Père Abbé.
- J’ai ordre de le ramener par tous les moyens et même de fouiller l’abbaye s’il le faut précisa Raoul.
- Nous y voilà ! Je vous l’interdis ! s’exclama le Père Abbé. Vous êtes ici sous ma juridiction et je m’oppose formellement à ce que cette abbaye soit fouillée. Oubliez-vous que c’est un sanctuaire où les voyageurs peuvent faire halte pour se reposer de la fatigue de la route et de ses dangers ? Vous ne pouvez pas violer nos règles ou bien vous risqueriez les foudres de Notre Seigneur. Vous savez que sa Justice est redoutable.
Raoul écouta patiemment ce que lui disait l’Abbé tout en étant bien décidé à remplir la mission que lui avait confiée Garin jusqu’à son terme.
Il connaissait Garin de Monbourg depuis peu, mais il savait qu’il ne plaisantait pas sur les ordres qu’il donnait et qu’il exigeait de ses hommes une parfaite loyauté. Il s’était rallié à Garin parce qu’il lui avait promis de l’argent, beaucoup d’argent même, en échange de ses services. Raoul était un homme pauvre qui devait assurer la subsistance de sa famille, une femme et trois enfants, dont un en bas âge. La proposition de Garin tombait à point nommé. Il ne pouvait pas la refuser.
Mais Raoul savait également ce qu’il risquait en trahissant le Comte Hugues de Beaufort. Il avait fait part de ses craintes à Garin, mais celui-ci, lui avait assuré que celles-ci n’étaient pas fondées puisqu’il n’y aurait plus personne pour leur barrer la route lorsque son plan serait mis à exécution.
Pourtant, Raoul n’était pas un mauvais bougre et, s’il agissait ainsi, c’était plus en raison des circonstances que de ses motivations profondes.
Perdu dans ses pensées, Raoul réfléchissait. Il connaissait bien Odilon et il ne partageait pas l’avis de Garin sur lui. Il pensait, au contraire, qu’Odilon était très dangereux, parce que futé, et se trouvant toujours là où on l’attendait le moins. Il avait entendu parler de ses prouesses militaires, et lui, Raoul, ancien soldat, le respectait pour sa valeur et c’était un peu pour cela qu’il s’était fait accompagner par ses hommes.
Il fallait donc qu’il mette au point une stratégie imparable, un stratagème infaillible, sans avoir à passer outre les ordres de l’Abbé. Il savait bien que l’Abbé avait raison et qu’il lui était interdit de saisir Odilon dans l’enceinte de l’abbaye et dans les terres qui la jouxtaient.
Soudain, un sourire éclaira son visage. Il avait trouvé ! Il s’adressa à nouveau au Père Abbé qui attendait tranquillement :
- Très bien dit-il. Puisque c’est ainsi, je vais poster des hommes tout autour de l’abbaye. Plus personne ne pourra sortir ou entrer sans être vu. Ainsi, je n’enfreindrai aucune règle et je capturerai Odilon dès qu’il apparaîtra.
- Comment cela, « capturer Odilon » ? interrogea malicieusement le Père Abbé. Je croyais que c’était sa famille qui l’envoyait chercher ?
Il y eut un trouble dans les yeux de Raoul qui répliqua cependant aussitôt :
- Mais… C’est ce que je voulais dire.
- Je suis surpris de vos procédés Raoul. Vous m’aviez habitué à plus d’honneur.
Raoul parut gêné, mais n’en laissa rien paraître. Il se retira et retourna vers ses hommes donner ses ordres.
Le tumulte avait réveillé la torpeur de l’abbaye. Dès les premiers éclats de voix, les moines s’étaient rassemblés autour de l’Abbé, personne n’ayant osé intervenir. Tous savaient que l’abbaye représentait une force assez forte et autonome pour pouvoir tenir tête à l’administration laïque et aux soldats, et que ce n’était pas un groupe de vingt personnes qui allait faire peur aux moines. Raoul n’enfreindrait aucune règle, car il craignait trop le jugement de Dieu.
Néanmoins, sa visite provoqua un remous parmi les moines. L’un d’entre eux, Frère Aubin, un moine de petite taille à l’allure élancée et au regard sournois, s’approcha du Père Abbé et s’enquit auprès de lui de la raison de ce tumulte.
- Rien de grave, croyez-le bien, mon frère, répondit le Père François laconiquement.
Le frère Aubin n’osa pas insister davantage. Pourtant, depuis qu’il était à l’abbaye, il n’avait jamais vu un tel déploiement de forces.
Les hommes de Raoul, une bande de vingt fripons qu’il avait enrôlés quasi de force, étaient de solides gaillards qui n’agissaient que pour l’argent. Ils prirent donc, suivant les ordres du sergent Raoul, position tout autour de l’abbaye en se concentrant essentiellement autour de la porte d’entrée principale, côté ouest, et de la porte dérobée du côté opposé.
Quand l’abbaye fut cernée, Raoul revint vers le Père Abbé.
- Voilà, mon Père, nous sommes en place. Nous n’abuserons pas plus longtemps de votre temps.
Il se retira avec l’impression d’avoir réussi à piéger celui qui avait cherché à le tromper. Raoul était sûr de la réussite de sa trouvaille. Ainsi, tout se passait pour le mieux : il respectait l’enceinte de l’abbaye et obéissait aux ordres de son nouveau maître.
Le Père Abbé le regarda partir puis se retira dans sa cellule. Cette scène n’avait pas duré très longtemps, mais elle l’avait beaucoup fatigué. Il se remit au lit quelques instants et s’endormit profondément.
Lorsqu’il se réveilla, les cloches de l’église sonnaient vêpres. La nuit commençait à tomber.
- C’est le bon moment, jugea-t-il pour aller délivrer Odilon.
Il sortit précipitamment de sa couche, se rendit dans le cloître, descendit à la cave et ouvrit la lourde trappe secrète.