Les Carnets de Marguerite - Nathalie Michau - E-Book

Les Carnets de Marguerite E-Book

Nathalie Michau

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Beschreibung

Découvrez les secrets les plus sombres de la famille d'Emma Latour dans un suspense haletant ! En rangeant le grenier, Emma retrouve les carnets de son arrière-grand-mère Marguerite. Pourquoi son aïeule a-t-elle ressenti le besoin de coucher certaines vérités sur le papier avant de mourir ? Quelles révélations explosives attendent Emma au fil de sa lecture ? Alors qu'Emma s'efforce de reconstituer le puzzle du passé, des forces obscures semblent vouloir l'en empêcher et elle devra faire preuve de persévérance et de courage pour découvrir la vérité. Osez ouvrir "Les Carnets de Marguerite" et affrontez les fantômes du passé ! « Les pages défilent toutes seules car l'autrice possède l'art et la manière de nous tenir en haleine avec des indices épars et un dénouement comme elle seule sait les dérouler ! » @leslecturesdelaeti

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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CE QU’EN PENSENT LES BOOKSTAGRAMMEUSES :

« Je ne pensais pas accrocher autant à cette histoire qui ne ressemble pas vraiment aux précédentes. Et pourtant je me suis aperçue que lorsque j’étais obligée de lâcher le livre, je n’avais qu’une envie, m’y replonger. Plus la lecture avance, plus ça devient accrocheur. Finalement, je me demande si ce n’est pas mon préféré de la série. » @coetseslivres

« Ce que j’apprécie particulièrement avec l’auteure, c’est qu’elle arrive à se renouveler à chacun de ses romans. Il n’y en a pas un identique à celui d’avant, que ce soit dans la construction, les sujets ou dans l’intrigue en elle-même. Ça rend la lecture encore plus intéressante dans la mesure où on ne sait pas à quoi s’attendre ! » @damex_lectures

« Une véritable saga familiale à rebondissements, presque digne d’un feuilleton en plusieurs saisons où l’on se retrouve à osciller avec délice entre preuves concrètes et phénomènes plus… intangibles… Ne pas savoir sur quel pied danser, c’est aussi ce qui pimente le récit ! Un tome plein de rebondissements, où ésotérisme et secrets de famille débouchent sur une enquête décoiffante. » @melle_cup_of_tea

« Roman à la double temporalité subtilement teinté de touches paranormales, je me suis complètement laissé entraîner dans cette histoire que j’ai adorée. Cerise sur le gâteau, au travers de l’histoire familiale d’Emma, Nathalie Michau nous propose un roman historique riche et qui ouvre à la réflexion… Très belle lecture, impossible à lâcher, malgré l’heure. » @lespalsdemousquetaire11

« L’auteure mêle habilement faits historiques, histoire de famille et actions avec les personnes qui en veulent à Emma et qui vont tout faire pour la dissuader de continuer la lecture. Grâce à la plume de l’auteure, on ressent complètement son désarroi, sa tristesse, ses doutes, son énervement. Une très belle aventure aux côtés de notre héroïne aussi attachante que têtue. » @Histoiresenchantees

« Je me suis laissé captiver par ma lecture avec des chapitres d’une fluidité parfaite et je ne me lasse jamais de mener l’enquête auprès d’Emma. Je ne cesse de penser à ma lecture en cours et de vouloir découvrir la suite palpitante. De plus, l’intrigue nous mène à plusieurs suspects, rendant difficile de déterminer de qui se méfier, ce qui entraîne des sueurs froides pour chaque incident potentiel. »

@mes.petites.lectures.du.moment

« Un gros coup de cœur. La plume légère de l’auteure mêle suspense, enquête et mystères avec perfection. Chaque tome est unique, original et tellement bien écrit. L’attrait reste le même : de l’envie, de l’addiction et une incapacité à lâcher la lecture avant de connaître la fin de l’histoire. »

@lectures_decha

Sur l’auteure

Les Carnets de Marguerite est le cinquième tome de la série Une enquête d’Emma Latour écrite par Nathalie Michau, après Meurtre à Dancé, Une Rue si Tranquille, Intrigues sur la Côte d’Azur et Un Anniversaire presque Parfait.

L’auteure a également écrit des nouvelles historiques avec Les Grandes Affaires Criminelles des Yvelines et, en collaboration avec Sylvain Larue, Les Grandes Affaires Criminelles de l’Essonne.

Enfin, elle a publié des albums pour enfants (3-6 ans) avec Petite Lapinette est à l’heure à l’école et Petite Lapinette part en vacances. Ces albums ont été illustrés par Isabelle Vallet.

En hommage à Gérard, mon grand-père, et

Georges, mon arrière-grand-père,

tous deux Résistants.

À mes deux amours, Julie et Gérald,

À mes premières lectrices Martine, Christelle et Laeti,

À ceux qui ont été là quand j’avais besoin d’eux,

À ceux qui ont su me comprendre

et m’ont beaucoup donné,

À ceux que j’aime,

à mes complices et mes proches,

Ils se reconnaîtront.

Nota Bene : Tous les éléments de ce roman sont fictifs. Je me suis inspirée de lieux et d’éléments scientifiques, juridiques ou géographiques existants, mais j’ai pris de nombreuses libertés. Aucun événement ou personnage n’est réel. Toutes les erreurs ou approximations sont de mon fait.

Sommaire

Sur l’auteure

Préface

Les personnages principaux de la famille d’Emma Latour

Prologue

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

Chapitre 55

Chapitre 56

Chapitre 57

Chapitre 58

Chapitre 59

Chapitre 60

Chapitre 61

Chapitre 62

Chapitre 63

Chapitre 64

Chapitre 65

Chapitre 66

Chapitre 67

Chapitre 68

Chapitre 69

Chapitre 70

Chapitre 71

Chapitre 72

Chapitre 73

Chapitre 74

Chapitre 75

Épilogue

De la même auteure

Pour contacter l’auteure

Préface

Ce roman est la réécriture de Secrets de Famille, roman publié en 2004 dont j’ai récupéré les droits. Je souhaitais remettre cette histoire en avant, mais en l’intégrant dans l’univers d’Emma Latour.

Faire ce travail m’a pris beaucoup plus de temps qu’on peut le penser. Je n’ai pas juste transposé l’histoire, il a fallu fusionner deux mondes distincts, celui de mon héroïne qui rentrait en collision avec celui de cette intrigue.

J’espère que cette nouvelle version de ce suspense vous plaira.

Les personnages principaux de la famille d’Emma Latour

Eugène Beaumont et Marguerite Ranglois, mes arrière-grands-parents

Leurs trois enfants avec :

Adélaïde, ma grand-tante

Charles et sa femme Isabelle, mes grands-parents

Henri, mon grand-oncle

Benjamin Beaumont, le fils d’Adélaïde, mon oncle

Sébastien, le fils d’Isabelle et Charles, et sa femme Isabelle, mon oncle et ma tante

Christiane, la fille d’Isabelle et Charles, et son mari Jean-

Luc Latour, mes parents

Éric Massarina, mon compagnon

Les domestiques Lucienne et Sylvain

Le voisin Ferdinand Crozier

Prologue

Avec un soupir de soulagement, je me garai devant mon immeuble. J’étais fatiguée et une bonne douche me ferait le plus grand bien. Je poussai la porte de mon appartement et compris instantanément que ma douche chaude allait être reportée.

Je sursautai en voyant le désordre qui régnait. Un cri m’échappa. Je ne pus m’empêcher de murmurer.

— Punaise !

Je secouai la tête et pinçai mes lèvres ressentant un mélange de colère, de peur et de lassitude. Je ne savais que faire, il y avait peut-être encore quelqu’un dans l’une des pièces…

Du pas de la porte, je parcourus du regard la salle à manger. Les tiroirs étaient renversés, les coussins du canapé retournés, les armoires ouvertes. Les meubles avaient été systématiquement visités. Un désordre indescriptible s’étalait partout. Je regardai les fenêtres, la porte. Aucune trace d’effraction n’était visible. Pas de vandalisme, rien n’était cassé. On était juste venu prendre quelque chose de précis et on avait tout déballé dans l’appartement jusqu’à ce qu’on l’ait trouvé.

1

6 jours plus tôt

Cela faisait plusieurs fois que lors des repas dominicaux où toute la famille se retrouvait, nous nous plaignions de ne pas bien connaître nos ancêtres. Habituée à mener des investigations dans le cadre de mon travail d’archéologue et pour mon livre en cours d’écriture, j’avais pris la décision de partir à la recherche des ancêtres de ma branche maternelle.

Je n’avais pas imaginé le temps que cela me prendrait. L’idée au départ était d’établir un arbre généalogique sur quelques générations. Mais rapidement, je me rendis compte que cela ne me suffirait pas. Je voulais faire revivre mes aïeux. Ressortir des documents les concernant afin de découvrir leurs conditions de vie, leur métier, leur visage… Je m’abonnai à des bases de données pour essayer de retrouver des documents d’état civil, des fiches matricules, des actes notariés, des articles de journaux, des extraits cadastraux et j’en passe… La liste était infinie.

J’étais également en quête de documents familiaux.

Le grenier de la maison familiale des Beaumont – nom de famille de ma mère – était, d’après moi, susceptible d’en contenir.

Après la mort de mes arrière-grands-parents, la maison aurait pu être vendue. La famille s’était réunie pour discuter des modalités pratiques de l’héritage. Après dix minutes sur des points mineurs, Charles – mon grand-père – avait pris la parole.

— Nous devons décider du sort de la maison. La garde-ton ou s’en sépare-t-on ? Qu’en pensez-vous ?

Les réactions avaient été unanimes.

— Cette maison représente toute notre jeunesse.

— Elle est magnifique, ce serait dommage de ne plus l’avoir.

Puis une suggestion avait été faite par ma mère, Christiane :

— Charles, pourquoi ne viens-tu pas y vivre avec Isabelle ?

— J’aime vraiment cette maison, je serai ravi de m’y installer. Mais Adélaïde a le droit d’en jouir également.

Adélaïde, ma grand-tante, l’avait interrompu.

— Cela ne me pose aucun problème, Charles. Tu peux y vivre. Je souhaite juste y conserver deux pièces pour avoir un pied-à-terre entre chacun de mes voyages. La maison est grande et je ne vous embêterai pas beaucoup. Une paléontologue n’est jamais chez elle…

En effet, les lieux étaient suffisamment vastes pour que les deux couples puissent y vivre sans se gêner.

Toute la famille trouva la solution satisfaisante et fut soulagée de savoir que les réunions se passeraient toujours ici. La maison avait tout pour recevoir avec une piscine, deux courts de tennis et un grand parc. Mais surtout, elle possédait un charme magique. Toutes les personnes qui y venaient se disaient ensorcelées. C’était une demeure qui avait une âme, même si elle n’était pas très vieille.

Mon oncle Sébastien et sa femme Alice purent alors s’installer dans la demeure de Choisel où Charles et Isabelle vivaient jusqu’alors.

J’avais appelé ma grand-mère la veille au soir pour lui faire part de mes intentions.

— J’avance bien dans mes recherches généalogiques, mais si je pouvais donner vie à nos différents aïeux, ce serait tellement plus intéressant. Dans ton grenier, il doit y avoir un tas de vieux papiers et ce serait passionnant de les découvrir.

— C’est une bonne idée, mais le grenier est un capharnaüm. Il n’a pas été rangé depuis des dizaines d’années.

— On pourrait en profiter pour le ranger, si tu veux.

— Je suis en pleine forme malgré mon rhumatisme à la hanche, néanmoins monter là-haut ne me tente pas du tout. On le rangera une autre fois, mais, bien sûr, tu peux y faire quelques recherches.

— Je ferai un peu de tri en même temps.

— C’est très gentil. Je connais ton amour des livres et des vêtements. Prends tous les documents, livres ou vêtements que tu désireras. Ne viens pas me voir chaque fois, tu les prends. De toute façon dans la famille, personne ne s’intéresse à autre chose que des revues scientifiques ou informatiques. Quant à ta tante et ta mère, elles ne pourraient pas entrer dans les vêtements de ton arrière-grand-mère Marguerite qui avait le même type de silhouette que toi.

J’étais ravie. Elle me faisait un très beau cadeau. J’étais fan des vieux vêtements de la fin du XIXe et début du XXe.

— Oh super ! Ça te va, si je viens demain ?

— Oui. Parfait. Tu viens pour la journée et tu manges avec nous le midi ?

— Oui. Cela me convient parfaitement. Je suis entre deux chantiers de fouilles et j’ai du temps pour m’occuper de cela.

— Tu recherches une nouvelle mission ?

— Pas pour le moment. Je suis contente de cette pause après mes fouilles des plus mouvementées autour du lac d’Annecy7.

Ma grand-mère ne fut pas surprise et n’insista pas. Je pouvais me permettre de faire toutes les pauses que je souhaitais depuis que je touchais les droits d’auteur des livres d’Édith Delafond8. L’important était juste de rester occupée.

Je poursuivis :

— Et puis les missions viennent souvent à moi sans que je les cherche. Le monde de l’archéologie est petit et si on descend au niveau des spécialités de chacun, il est minuscule.

7 Cf. Un Anniversaire Presque Parfait, Une Enquête d’Emma Latour, tome 4, de la même auteure.

8 Cf. Meurtre à Dancé, Une Enquête d’Emma Latour, tome 1, de la même auteure.

2

Je n’étais pas allée dans le grenier, depuis très longtemps, mais je gardais le souvenir d’une grande pièce en désordre très poussiéreuse. Prévoyante, je m’habillai d’une vieille salopette et d’un tee-shirt à manches longues d’une couleur indéfinissable assez proche du beige. J’attachai mes cheveux blonds mi-longs.

Habillée comme cela, je n’avais pas l’allure d’un top-modèle, mais je m’aimais bien. J’étais mince, mesurait 1m70 même si je n’aimais pas mon nez que je trouvais un peu long à mon goût.

J’enfilai ensuite une paire de tennis sans âge puis me dirigeai d’un pas assuré vers la porte d’entrée de l’appartement que je partageais avec Éric Massarina, mon compagnon. Il était 8 heures précises et j’aimais la ponctualité. Je m’attardai cependant un moment dehors. Un petit vent frais soufflait, le soleil jouait avec les nuages.

Quarante minutes d’une conduite souple et rapide, je fis le trajet de Saint-Cloud à Milon et garai ma voiture électrique dans la cour située à l’arrière de la maison.

Située dans le parc Naturel de la Haute Vallée de Chevreuse, dans les Yvelines, la maison surplombait un immense parc. On la devinait à peine en été, car de nombreux arbres la cachaient. Il y avait deux entrées. La plus utilisée était celle de la route qui descendait de Romainville jusqu’au bas de Milon-la-Chapelle, l’autre était complètement en contrebas de la propriété. J’avançais dans le jardin méticuleusement entretenu, regardai le petit lac où des canards et des cygnes glissaient sans bruit sur l’eau puis montai vers la terrasse.

Je pris un instant pour contempler cette demeure splendide à laquelle un toit de chaume donnait un charme campagnard. Des colombages confirmaient l’inspiration normande de son architecte. Arrivée sur la terrasse, je rentrai par la grande baie vitrée de la salle de séjour.

À ma grande surprise, ma grand-tante était là. Elle prenait le petit-déjeuner avec mes grands-parents. Je fis la bise à tout le monde en m’exclamant :

— Adélaïde, comment vas-tu ? Je suis si contente que tu sois revenue de ton expédition. Où étais-tu déjà ?

— Au Maroc. Profite de ma présence, car je repars dans deux jours dans le sud de la France. Nous avons découvert des ossements de dinosaures très rares et intéressants, je meurs d’envie de continuer mes recherches là-bas. En plus, je travaille avec des petits jeunes aux dents longues vraiment sympathiques avec l’antiquité que je suis…

Tout le monde s’esclaffa à ces mots. Adélaïde, même si elle avait dépassé les quatre-vint-dix ans, n’avait pas du tout l’allure d’une antiquité. Elle était restée étonnamment jeune de corps et d’esprit et continuait ses recherches bénévolement, juste par plaisir. Elle expliquait sa forme par la passion qu’elle avait pour son métier et tout le monde adorait travailler avec elle, tant elle avait à cœur de partager son savoir.

Je pris un café avec eux avant de monter les deux étages qui menaient au grenier.

La vaste pièce d’environ 80 m2 contenait un désordre qui me fit presque regretter d’avoir eu cette idée. Des malles, des cartons, des valises jonchaient le sol, des armoires aux gonds rouillés semi-ouvertes débordaient de vêtements d’une autre époque. Des toiles d’araignées avaient pris possession de tous les interstices disponibles.

Il allait me falloir des jours, des semaines même, pour tout ranger. Mes arrière-grands-parents ne jetaient rien, j’avais toute leur vie à classer.

Une bonne partie des affaires serait donnée aux associations caritatives, une autre irait directement à la décharge, le reste serait distribué dans la famille ou mis en valeur dans la maison.

Trois heures plus tard, j’étais maculée de poussière, courbaturée à force de porter des caisses et de me pencher.

J’avais récupéré des robes d’été superbes datant des années trente qui, par miracle, n’étaient pas attaquées par les mites. Le tas de « choses » – difficile de les définir plus précisément – à jeter était impressionnant. Je m’accordai une pause et descendis dans la cuisine me désaltérer. La cuisine était très belle. Une grande pièce avec une longue table en chêne massif, des casseroles en cuivre étincelantes. Elle donnait une impression d’ancienneté, alors qu’elle était équipée des dernières innovations techniques.

Vers 13 heures, une sensation de faim m’envahit, il était temps d’aller manger. J’examinai avec satisfaction le résultat de mon travail matinal. Les piles d’affaires triées augmentaient, surtout celle destinée à la décharge. Je n’avais toujours pas trouvé de documents qui pourraient me permettre d’avancer dans mes recherches généalogiques.

Je repris le travail après un savoureux et copieux déjeuner préparé par Lucienne, une excellente cuisinière d’origine lyonnaise, à la retraite, qui vivait dans une maison de gardien attenante à la maison principale. Elle continuait à cuisiner des petits plats quand mes grands-parents recevaient.

Elle avait la persistante impression que je ne savais pas me nourrir correctement. Elle ne comprenait pas que je ne mange pas de viande à chaque repas et que je souhaite diminuer mon empreinte carbone.

Une agréable torpeur digestive m’envahit, mon efficacité en pâtissait. Je m’assis sur un coffre en bois massif à côté de la fenêtre et entrepris le tri d’une pile de papiers trouvés dans un vieux carton.

Distraitement, je parcourais des vieux journaux de mode du début du siècle que je lançai ensuite sur le tas de papiers à jeter. Quelques secondes plus tard, je remarquai une série de dessins sur des feuilles libres. Surprise, je repris les journaux abandonnés quelques instants auparavant et réalisai que les dessins étaient identiques aux originaux que j’avais en main. Les dessins étaient-ils des copies ou des originaux vendus aux magazines ? Abasourdie, je réalisais que mon arrièregrand-mère avait créé ces modèles. En effet, l’une des légendes vantait les mérites d’une jeune femme pleine d’avenir dans la mode nommée Marguerite Ranglois. Or Ranglois était le nom de jeune fille de son aïeule.

Je découvrais quelque chose ! Personne ne m’avait parlé de la profession de mon aïeule qui avait toujours été, pour moi, femme au foyer. J’étais surprise que le sujet n’ait jamais été abordé. En effet, l’une de mes sœurs, Sophie, qui vivait au Canada, était styliste au grand désespoir de mes parents qui ne comprenaient pas comment leur fille, par ces temps si durs, pouvait se consacrer à une carrière incertaine. Je mis les journaux et les dessins de côté pour les lui scanner.

Je continuai mon tri, jetai des publicités vantant les mérites de la chicorée Leroux ainsi qu’une série de mots croisés jaunis en cours de décomposition. Ensuite, je tombai sur une liasse de papiers qui contenait, entre autres, plusieurs carnets entourés de plastique pour les protéger, liés entre eux par une corde. Je déchirai d’un geste sec le plastique et, curieuse, dénouai la corde.

J’ouvris le premier carnet et contemplai la petite écriture fine, serrée et régulière de Marguerite. Le souffle coupé, je lus Vie de famille tome 1.

J’eus la sensation d’une brûlure et lâchai instantanément le carnet qui tomba sur le sol. Il s’agissait visiblement d’une sorte de journal intime écrit par mon arrière-grand-mère qui relatait des choses certainement très personnelles. Marguerite l’avait mis au grenier, pièce où jamais personne ne venait, le pensant à l’abri. Elle n’en avait parlé à personne, et son secret était resté là pendant des années.

Avais-je le droit de le lire ? Marguerite m’aurait-elle permis de le faire ? Devais-je demander à ma grand-mère son avis ?

J’ouvris fébrilement les autres carnets un à un. Les tomes se suivaient. Chaque carnet contenait deux-cents pages. Il me faudrait au minimum une bonne quinzaine de jours pour tout lire. Je les pris avec moi. Je verrais ce qu’il convenait d’en faire plus tard.

3

Je rentrai sans avoir croisé quiconque. J’avais l’impression de partir comme une voleuse et cela me convenait parfaitement.

Moi qui n’avais jamais rien caché à ma grand-mère, j’avais la conviction inexplicable que je ne devais pas révéler quoi que ce soit de ma découverte des carnets de Marguerite, pour le moment. J’écoutai mon intuition sans savoir pourquoi.

J’hésitai également à montrer les dessins de mode de mon arrière-grand-mère. Pourquoi ne m’en avait-on jamais parlé ?

Une fois chez moi, j’envoyai un mail à ma sœur pour la prévenir que j’avais trouvé des dessins de Marguerite et lui demandai si elle savait que notre aïeule était dans la mode, elle aussi. Sa réponse ne me surprit pas. Elle tombait des nues comme moi. Elle me promit de garder le silence sur cette révélation et je lui promis en retour de lui envoyer les scans des dessins dans la journée.

Pendant plusieurs heures, je me demandai si je devais lire ces carnets. J’aurais aimé qu’Éric soit à côté de moi. Mon compagnon avait une société de cybersécurité, Cybermaker, situé à Saint-Cloud. Il était parti à Cannes pour participer à un salon de cybersécurité. Il était logé chez son ami, Pierre1, qui habitait à Biot, à quelques kilomètres de là. Il était parti le matin même et ne reviendrait pas avant quelques jours.

J’appelai Éric pour lui demander ce qu’il pensait de tout cela. Il me répondit sans hésitation.

— Tu as trouvé des carnets, ta grand-mère t’a dit que tu pouvais tout prendre sans rien lui dire. Lis-les et tu verras bien quoi en faire après. Marguerite est morte et elle ne va pas se retourner dans sa tombe si tu apprends des choses qu’elle n’aurait pas voulu que tu saches.

Je tergiversai.

— Je ne voudrais pas faire un impair.

— Écoute, je suis pressé, on reparlera de tout ça à mon retour. Mais toi qui es si curieuse, je n’en reviens pas que tu puisses avoir des scrupules.

Touché ! Coulé ! Il avait raison. J’étais très curieuse. Mais c’était aussi à cause de cela que je m’étais retrouvée à plusieurs reprises dans des situations parfois dangereuses.

Je tentai de me rassurer. Si Marguerite avait voulu conserver des secrets, elle les aurait brûlés. Cependant, j’avais peur d’apprendre des choses que je ne désirais pas savoir. Ma famille avait toujours été peu bavarde sur le passé. Chaque fois que petite fille, je posais des questions du genre : « Dis mamy, comment c’était quand tu étais jeune ? » ou « Dis grand-mamy, comment as-tu rencontré grand-papy ? » Ou encore « Dis papy, c’était comment la guerre ? » les réponses étaient des plus vagues. Petit à petit, mes questions avaient cessé. Il y avait quelques zones d’ombre dans le passé familial que tout le monde semblait vouloir oublier.

Après mûre réflexion, ma curiosité fut la plus forte. Je lirais ces carnets, et si ce que je découvrais me déplaisait, j’en assumerais les conséquences.

1 Cf. Intrigues sur la Côte d’Azur, Une enquête d’Emma Latour, tome 3, de la même auteure.

4

Carnet de Marguerite – 1900

Je ne souhaite pas raconter mon histoire, mais celle de ma famille et avant tout celle de mon mari. Je suis très malade et je sais que je n’ai plus longtemps à vivre. Les secrets de cette famille sont devenus au fil du temps trop lourds à porter et je ne désire pas les emporter avec moi dans ma tombe. J’aspire à m’en libérer avant qu’il ne soit trop tard. Tous les événements dont je parlerai me concernent personnellement ou m’ont été racontés. Ils sont tous véridiques. J’espère de tout mon cœur que la vérité sera connue afin que les rancœurs, les non-dits disparaissent et que la famille puisse reprendre une existence normale. Je n’ai, pour ma part, plus la force de crier haut et fort toutes ces choses que je vais coucher sur le papier. Je suis trop impliquée, trop faible aussi pour pouvoir assumer toutes les conséquences que la connaissance de la vérité pourrait provoquer. Que j’en sois pardonnée… et que la personne qui lira ces carnets choisisse de ne rien dire ou d’en parler en son âme et conscience, mais qu’elle sache que se taire est aussi très pesant… Assez de tergiversations… Il est temps de m’expliquer…

Mon mari, Eugène René Beaumont, est né le 6 février 1900, dans le hameau de Saint-Robert, dans la chambre glaciale de la petite ferme familiale par une nuit froide et neigeuse. Comme ses quatre frères et sœurs aînés, il dut à une santé des plus solides de ne pas succomber durant les premiers mois de son existence. En effet, la famille Beaumont n’était pas riche. Elle mangeait tous les jours, mais la viande restait le plat du dimanche après la messe.

Eugène passa son enfance à gambader dans les champs et le fumier, à aider à la ferme pendant les moissons et à se bagarrer avec ses sœurs et frères de plus en plus nombreux au fil des années. La famille se composait de huit enfants. Le père, lorsqu’il ne travaillait pas, allait à Cernay-La-Ville boire au bistrot. Il rentrait complètement éméché en carriole, se faisant conduire par ses chevaux. Lorsqu’il ne battait pas sa femme, il s’affalait sur le sol en pierre pour y ronfler de tout son saoul.

La ferme était vieille, mal entretenue et les Beaumont ne gagnaient pas assez d’argent avec les fruits, légumes et œufs que sa mère vendait sur les marchés de la région pour qu’ils puissent faire de quelconques réparations.

À douze ans, mon futur mari fit une chute de cheval et se cassa une jambe. Il conservera toute sa vie une claudication de la jambe droite, sa fracture ayant été mal réduite. Eugène arrêta l’école au même âge, le certificat d’études en poche obtenu plus par chance que par un travail acharné, sérieux et attentif.

Il était le premier de la famille à obtenir ce diplôme et l’Académie lui offrit une bourse pour aller au collège. Il la refusa prétextant que les études étaient une perte de temps et que savoir lire et compter était largement suffisant pour travailler à la ferme.

Ses parents avaient besoin de main-d’œuvre et n’insistèrent pas quand le fils prodigue leur fit part de sa décision.

La Première Guerre mondiale se déroula sans qu’il y prêtât une réelle attention. Au début, il était trop jeune pour y prendre part. À la fin de la guerre, il avait atteint l’âge où il aurait pu être appelé, mais à cause de son boitillement, il fut réformé.

Eugène continua donc à gambader dans les champs, à fréquenter des filles peu farouches et s’installa dans une routine qui lui convint parfaitement jusqu’à ses dix-neuf ans.

Il avait en effet dix-neuf ans lorsque son père rentra un soir, après une beuverie mémorable, complètement imbibé d’alcool. Il se mit à hurler des obscénités d’ivrogne, ensuite il essaya de battre sa femme qui réussit par miracle à lui échapper. Enfin, il rata la marche qui séparait la cuisine de la salle à manger. Il perdit l’équilibre, tomba. Il se fracassa la tête sur le coin de la cheminée en essayant de se retenir. Personne ne le regretta.

La vie d’Eugène changea alors totalement. Adieu campagne, champs et farniente. Son père n’était plus là, la vie devenait plus difficile et surtout, ses frères et sa mère lui demandaient de s’impliquer davantage et de participer aux travaux de la ferme. Cela ne lui convenait pas du tout. Il était temps de s’émanciper. Il ne serait pas un paysan à la vie dure et aux fins de mois difficiles. Il partit à la ville, plus précisément à Chevreuse, située à quelques kilomètres de là. La famille Beaumont vendait des produits de la ferme à des commerçants de la région. L’un d’eux accepta contre un modique loyer de le loger dans une mansarde située au deuxième étage d’une des maisons donnant sur la rue principale. Il devint livreur de fruits et légumes. Il était certes indépendant, mais encore plus pauvre qu’auparavant. Cependant, il ne regretta pas sa décision et fit confiance à sa bonne étoile pour s’enrichir. La vie de livreur n’était qu’une étape, certainement pas une finalité.

5

La sonnerie de mon téléphone devenait insistante. Totalement absorbée par ma lecture, je ne l’entendis pas tout de suite. J’étais ailleurs, comme dans un rêve. Soudain, je pris conscience que quelqu’un tentait de me joindre. Je reposai lentement mon carnet, puis, en prenant mon temps, je me levai pour attraper mon portable. C’était ma grand-mère.

— Ma chérie, comment vas-tu ?

Je me laissai tomber dans un fauteuil. La dernière chose que j’avais envie de faire en ce moment était de parler à ma grand-mère. Je n’aurais jamais dû répondre. Je me forçai à prendre un ton enjoué :

— Bien depuis hier… et toi ?

— J’organise ce soir un dîner avec toute la famille. Peuxtu te joindre à nous ?

Cette idée de dîner impromptu me laissa perplexe un bref instant. Mais je ne souhaitais pas débattre du sujet avec elle. Sans trop savoir pourquoi, j’hésitai. Non, je n’avais pas vraiment envie d’y aller. Mais si je refusais l’invitation, elle ne comprendrait pas, poserait des questions auxquelles je ne voulais pas répondre. Je m’entendis lui répondre machinalement.

— Pas de problème, tu peux compter sur moi.

En raccrochant, je fermai les yeux un instant. Pourquoi avoir eu cet instant de doute ? D’habitude, j’aimais bien voir ma famille. C’était comme si une petite voix m’avait soufflé : n’y va pas, tu le regretteras ensuite. Je secouai la tête. Cette mise en garde était complètement irrationnelle. Je ne pouvais la prendre en considération.

J’étais cependant troublée. Cette petite voix fluette et douce ressemblait étrangement à celle de Marguerite. Je chassai de mon esprit cette idée incongrue. Ce journal intime commençait à me taper sur les nerfs.

J’appelai Éric pour lui faire part de cette étrange invitation. Il fut tout aussi surpris que moi.

— En effet, c’est très bizarre. Vos repas de famille sont toujours le week-end en temps normal. Un soir de semaine, c’est très inhabituel. Il va y avoir une annonce, ce n’est pas possible autrement. Je suis très curieux de savoir ce qui va se passer.

6

Je n’avais pas décidé de faire une pause dans mes fouilles archéologiques uniquement pour faire des recherches généalogiques. Je devais préparer une intervention à un colloque à préparer, pas mal de documentations à lire et surtout, je voulais reprendre l’écriture de mon roman que j’avais abandonnée, prise par ma vie quotidienne, après mon séjour à Annecy2.

J’avais en effet toujours l’ambition démesurée d’écrire un roman à suspense historique se déroulant pendant le haut Moyen Âge, la période sur laquelle je travaille au quotidien dans le cadre de mes recherches en archéologie funéraire.

J’avoue que je procrastinais depuis plusieurs semaines. L’étendue de la tâche me paraissait immense. Je devais reprendre mes notes pour faire le point sur l’avancée de ma réflexion pour me remettre dans le bain.

Leur relecture me permit d’affiner plusieurs points en suspens. La date. Je voulais que mon intrigue se déroule avant les invasions sarrasines. Je parcourus plusieurs blogs, ouvrages et magazines afin de bien comprendre l’histoire de la Côte d’Azur au haut Moyen Âge et particulièrement à la fin des années 600. Pas facile, car la région a connu énormément d’occupants. Les Visigoths, les Ostrogothes, les Lombards, les Francs… y sont tous passés que ce soit par la mer ou par la terre.

Un peu dépitée, je restai sur ma faim. De manière à ne pas être bloquée, je me concentrai sur un autre thème. Dans mon esprit, mon héroïne devait être clairement définie avant de décider de mon intrigue. Finalement, ce n’était pas forcément une si bonne idée que cela. D’autant plus que je n’avais pas encore décidé si elle serait nonne, abbesse, chanoinesse, notaire, clerc ou juste lettrée.

À la suite de mes recherches, je savais désormais que pour avoir le niveau d’instruction dont elle avait besoin pour mon intrigue, il fallait qu’elle soit d’une famille aristocrate d’origine gallo-romaine. Elle copierait des ouvrages anciens datant d’avant la chute de Rome pour sa famille. Pour ce faire, elle devrait emprunter et ramener des ouvrages à des monastères (l’Abbaye de Lérins en face de Cannes existait déjà à cette époque) ou d’autres aristocrates. Des femmes moniales faisant de la copie existaient déjà, mais elles étaient rares et leurs copies étaient plutôt axées sur la vie des saints. De plus, les moniales voyageaient peu. J’en conclus qu’elle serait lettrée et travaillerait pour sa mère, passionnée d’écrits antiques. Elle l’aiderait également à gérer son patrimoine pendant que son père serait parti plusieurs années à la guerre.

Noter sur mon cahier tout cela me fit un bien fou. Je replongeais dans le bain, dans le flux créatif. Ne pas avoir écrit pendant plusieurs semaines m’avait fait perdre le fil de mes réflexions et me remettre en selle me prenait beaucoup de temps. Je serais beaucoup plus productive si j’arrivais à travailler sur le sujet régulièrement, même peu de temps. Pour créer et avoir des idées, il fallait s’entraîner. J’avais toujours l’exemple de la course à pied à l’esprit. Si vous ne courez pas toutes les semaines, quand vous reprenez, vous êtes essoufflés et vous avez des courbatures. Vous ne ferez pas une performance. C’était la même chose pour l’écriture…

2 Cf. Un Anniversaire presque Parfait, Une enquête d’Emma Latour, tome 4, de la même auteure.

7

Ce soir-là, j’avais fait un effort tout particulier pour m’habiller correctement. Pas de jeans, de vieux tee-shirt. Quand ma grand-mère disait dîner avec toute la famille, cela signifiait argenterie et grande cuisine. Il fallait se montrer à la hauteur. Un tailleur-pantalon vert pâle et un chignon feraient l’affaire.

J’avais bien fait. Nous étions huit à table. Mes grands-parents, mes oncles et tantes et mes parents étaient présents. Seuls manquaient mes deux sœurs qui vivaient au Canada et à Annecy et les enfants de Sébastien et Alice qui habitaient également en région aquitaine, à Pau.

Le repas bien arrosé se déroula lentement, dans la bonne humeur, jusqu’au moment où le plat principal fut servi, comme souvent, de la viande. Je n’en mangeais plus le soir. J’avais bien en tête que le meilleur moyen de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique était d’arrêter, ou a minima, réduire sa consommation de viande. La viande de bœuf était la viande qui consommait le plus de CO2. Or les membres de ma famille adoraient l’entrecôte, la côte de bœuf. Je n’avais pas complètement arrêté la viande, mais je mangeais désormais du bœuf très rarement. Je tentai, une nouvelle fois, d’expliquer l’hérésie écologique de ce repas, mais je prêchais dans le désert. Laisser aux enfants d’aujourd’hui une planète en surchauffe, avec 3 degrés de plus, n’avait pas l’air de leur poser de problèmes. Je passais pour une empêcheuse de tourner en rond et des propos quasi climatosceptiques furent échangés. J’abandonnai lâchement mon prosélytisme lorsque Lucienne, qui était là en renfort pour faire le service, ce soir, malgré son grand âge, m’amena une omelette pour me détendre.

Mon oncle Sébastien, un être rationnel et athée, raconta alors, sur le ton de la plaisanterie, un rêve qu’il avait fait la nuit d’avant.

— Je suis dans une pièce sombre sans fenêtre et Eugène entre. Il est vêtu d’un complet noir et paraît très sérieux…

Les discussions s’interrompirent spontanément. Sébastien avait un véritable don de conteur. Il n’était pas pour rien conférencier en histoire antique grecque et romaine lorsqu’il n’enseignait pas à l’université de la Sorbonne. Il en avait le profil avec son crâne dégarni depuis ses 35 ans, ses yeux de myope avec de petites lunettes carrées.

Lorsqu’il commençait une histoire, comme par magie, plus personne ne parlait. Tout le monde l’écoutait attentivement. Comme les autres, j’étais fascinée.

Tous les convives étaient surpris, car cela ne ressemblait guère à Sébastien de se livrer à des confidences sur des sujets aussi intimes que ses rêves. Cela ne lui était même jamais arrivé. Il était plutôt le genre boute-en-train avec des blagues salaces en fin de repas.

Sa femme, Alice, n’en revenait pas. Son mari lui avait déjà expliqué ce fameux rêve. Mais, elle n’aurait jamais cru qu’il sauterait le pas, qu’il en parlerait aux autres. Le vin y était pour quelque chose, il n’était pas dans son état habituel.

Ce dernier, comme si la situation était parfaitement normale, continua :

— Eugène vient vers moi, me sert la main un peu sèchement, et d’une voix très grave, presque théâtrale, me dit Sébastien, ce que je dois t’annoncer est très important. Tu dois m’écouter attentivement. Quelqu’un fouille dans le passé de la famille, et je ne pense pas qu’il s’agisse d’une bonne chose. Cette personne a accès à des documents confidentiels qui auraient dû être détruits. Totalement paniqué, je bégaie : « Eugène, de quoi s’agit-il ? Qui est en train de fouiller dans le passé ? Comment puis-je t’aider ? » Eugène ne prend pas en considération mes questions. Il frotte ses tempes avec ses mains. Ce qui m’étonne le plus c’est qu’il paraît réel. Je veux dire vivant. Il semble très préoccupé. Je répète mes questions. Il me répond d’une voix sépulcrale : « Je ne peux pas t’en dire plus. Mais, raconte ton rêve à toute la famille, les personnes concernées sauront de quoi il retourne. Elles feront le nécessaire pour arrêter à temps celui qui cherche ». Il s’interrompt un instant, semble réfléchir. Puis comme pour me convaincre, il ajoute : « Dis-leur, Sébastien, car tu feras ce rêve jusqu’à ce que tu en parles. » Agacé, je réplique : « Eugène, pourquoi ne vas-tu pas voir directement ceux qui pourraient t’aider ? » Il me répond aussi sec : « Je le voudrais bien, mais c’est impossible ». Puis, tout doucement, il a semblé se dissoudre et s’est littéralement évaporé !

Sébastien s’interrompit un instant, reprit son souffle et continua :

— Je pense avoir vu le fantôme d’Eugène, même si cela me paraît incroyable. J’espère qu’il me laissera tranquille à présent.

Alice ne bougeait plus. Son mari avait prononcé le mot tabou fantôme alors qu’il était persuadé comme la plupart des personnes présentes dans l’assemblée, qu’après la mort, il ne se passait rien. Elle était parfaitement consciente qu’il ne pouvait que qualifier cette expérience d’incroyable. Il était impliqué dans une situation qu’il aurait jugée inconcevable quinze jours auparavant. Elle était contente qu’il admette que les choses n’étaient pas aussi simples et matérielles, qu’il envisage, même d’une manière très théorique, qu’il y avait peut-être des fantômes. Comme quoi tout était possible même après des années d’athéisme soi-disant irréductible !